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QUI ÉTAIT GUILLAUME BUDÉ ?

voir article de Marie-Madeleine de la Garanderie : Qui était Guillaume Budé ?


La jeunesse de Budé

Guillaume Budé était né à Paris en 1468 dans une famille qui exerçait des charges de trésorerie et de chancellerie. Fils du seigneur d'Yerres, lui-même seigneur de Marly-la-Ville et de Villeneuve, il eut une jeunesse plutôt banale : trois ans d'étude du droit à Orléans entre 15 et 18 ans, suivis de quatre ou cinq année de vie oisive avec, comme distraction, la chasse et un voyage en Italie en 1501.


Budé propriétaire et père de famille

Sa famille possédait plusieurs terres, à Villiers-sur-Marne, à Yerres. Lui-même fit construire en 1516 deux maisons de campagne, à Saint-Maur-des-Fossés et à Marly-la-Ville. Il y venait pour se reposer l'esprit et se consacrer à l'entretien de son jardin.

Il avait 37 ans quand, en 1503, il se maria avec une fillette d'à peine quinze ans, Roberte le Lyeur, à laquelle il fera douze enfants (dont huit survivront). Il lui laissa tout le soin du ménage.

En 1519, il quitta une maison de location et s'installa à Paris dans un bel hôtel de la rue Saint-Martin (actuel n° 203), où il fit faire de nombreux travaux.


Budé à la Cour

Entre 30 ans et 57 ans, Budé a été accaparé par diverses fonctions à la Cour, principalement sous le règne de François Ier: il a été secrétaire du roi; il a participé à deux missions auprès des papes Jules II et Léon X; il a été l'un des huit maîtres des requêtes chargés de rendre la justice (à une époque où plusieurs humanistes de ses amis sont accusés de luthéranisme); il a été prévôt des marchands de Paris (au moment de l'épidémie de peste de 1523); à partir de 1522, il a assumé la fonction de maître de la Librairie du roi, chargé d'organiser la bibliothèque de Fontainebleau.

Profitant de l'influence qu'il avait sur François Ier, il obtint, non sans peine, la création d'un "Collège des lecteurs royaux", dans le cadre duquel des humanistes devaient enseigner le grec, l'hébreu et les mathématiques: c'est l'origine du Collège de France.

Souvent il devait suivre le roi dans ses déplacements à Dijon, Amboise, Blois, Romorantin; et il fut présent lors de la rencontre de François Ier et de Henri VIII dans le fameux Camp du Drap d'Or. C'est en accompagnant le roi en Normandie qu'à 72 ans, en 1540, il tomba malade et mourut. Selon son testament, il a été enterré de nuit sans cérémonie.


Budé humaniste

Vers l'âge de 24 ans (1592), Budé avait fait un choix qui devait le rendre célèbre : parallèlement à sa vie de riche propriétaire et de notable à la Cour, il décida de reprendre ses études en autodidacte, sans plus se soucier de cette scolastique, mélange confus de dialectique et de théologie, qui avait alors envahi tout l'enseignement et qu'il avait découverte lors de ses études à Orléans.

Ensuite, l'éducation de ses enfants, la gestion de ses biens, sa santé délicate, ses charges de magistrat et de courtisan ne le détournèrent pas de son goût pour l'étude et la recherche. Par un travail acharné, il put acquérir une culture encyclopédique et il se donna à cette passion au point de ruiner sa santé, ce qui inquiétait fort son père. Il se plongea dans l'étude du grec, des mathématiques, des sciences naturelles, de la philosophie, de l'histoire, de la théologie, du droit, de la médecine, convaincu que toutes les disciplines sont liées entre elles.

Écrivant naturellement en latin, il commença surtout par acquérir une excellente connaissance du grec ancien, s'exerçant à transposer en latin, entre 1502 à 1505, des œuvres attribuées à Plutarque : "Des Opinions des philosophes" (De placitis philosophorum), "De la Fortune des Romains" (De fortuna Romanorum), "De la Tranquilité de l'âme" (De tranquillitate animi). Il traduisit également en latin une lettre de saint Basile à saint Grégoire de Naziance sur la vie dans la solitude (De vita in solitudine agenda).

Ensuite il consacra son temps à la recherche érudite sur le droit, sur les mesures dans l'Antiquité, sur le vocabulaire du grec ancien.


Budé épistolier

Guillaume Budé a entretenu une abondante correspondance avec des gens qui partageaient avec lui le goût des lettres grecques et latines. Ses lettres à Erasme témoignent d'une admiration mutuelle, mais aussi d'échanges assez vifs, parfois teintés d'ironie. Il assura Rabelais de son soutien quand il apprit qu'il avait été inquiété pour avoir possédé des livres grecs. Il échangea aussi avec Etienne Dolet, alors âgé de 24 ans et encore peu connu.

Ses lettres, en latin et en grec, ont été partiellement publiées à partir de 1520.


Ses ouvrages sur l'Antiquité gréco-latine


ANNOTATIONS SUR VINGT-QUATRE LIVRES DES PANDECTES, 1508, complété en 1526

Le Digeste (ou Pandectes) était un énorme recueil de citations de juristes romains de la République et de l'Empire, établi en 533 par ordre de l'empereur Justinien. Il avait été commenté au Moyen âge à l'université de Bologne par des "glossateurs" (dont Accurse au XIIIe siècle), puis à l'université d'Orléans par des "postglossateurs" (dont Jacques de Révigny), puis, au XIVe siècle par l'italien Bartole. Au XVe siècle, l'énorme fatras des gloses avait fini par submerger les textes originaux.
Budé travailla sur ces Pandectes en philologue, moins pour assainir la pratique juridique que pour saisir les faits de langage et, derrière eux, les réalités de la vie antique (luxe, sport, vêtement, architecture,etc.). Il mit en discussion plus de 700 articles, avec pour principe qu'il faut bannir le jargon dans lequel s'était corrompue la langue du droit et qu'il faut s'appuyer sur une connaissance intime des institutions et de la littérature de l'Antiquité.


DE ASSE ET PARTIBUS EJUS (De l'as et de ses divisions), 1514

Fruit de 9 années de recherches, composé en 15 mois, c'est un essai d'interprétation des notations chiffrées (monnaies, poids, mesures) qui apparaissent dans les textes des jurisconsultes, des historiens ou de Pline. Budé s'y fait numismate, arithméticien, économiste, sociologue. Notes marginales et index rendent l'ouvrage plus utilisable.
Le livre s'est gonflé de remarques sur le présent (critique de la politique de Louis XII, satire de la Cour, critique du haut clergé qui accumule les richesses, attaques contre le pape Julles II…). On y trouve aussi des réflexions sur le refus des biens de fortune, sur les joies qu'apporte une vie consacrée à l'étude puis à la médition sur les textes sacrés.
L'ouvrage eut un immense succès, fut plusieurs fois réimprimé, traduit en italien, et mit Budé en rapport avec tous les savants de l'époque. Et François Ier, huit ans après la sortie de l'ouvrage, lui demanda d'en publier un abrégé en français.


COMMENTARII LINGUAE GRAECAE, Commentaires sur la langue grecque, 1529

Ces Commentaires, qui veulent être un recensement des ressources de la langue grecque, comportent environ 7000 articles grecs et 1500 articles latins.
L'ouvrage est touffu; c'est, écrivit Jean-Pierre Niceron, "une masse informe et indigeste, sans ordre et sans méthode". La langue latine est correcte, mais chargée de figures et de métaphores qui rendent la lecture difficile.
C'est une suite d'articles enchaînés selon des associations d'idées, groupant le mots par sujets, par racines, qui ne sont utilisables finalement que grâce à l'index qui termine l'ouvrage.
Avec lui, Budé a contribué à la restauration des études grecques en France et de nombreux lexicographes s'en serviront.


Ses ouvrages de réflexions morales et philosophiques


L'INSTITUTION DU PRINCE

En 1519, Budé a cherché à attirer l'attention du roi en lui offrant un manuscrit en français, recueil d'anecdotes et de sentences instructives tirées des Anciens et de la Bible. Le texte ne sera imprimé qu'en 1547, dans trois versions différentes.
Budé y parle peu des devoirs du Prince, de l'art de régner, de la nécessité pour un roi de s'apputer sur la justice et la raison. Il insiste surtout sur la générosité nécessaire des princes envers les gens de lettres. Il démontre la supériorité des langues anciennes sur les langues vulgaires et déploie une grande érudition pour vanter les orateurs de l'Antiquité. Il insiste sur le fait que les lettres et la philosophie servent de nourriture à l'âme pour la préparer à comprendre les vérités éternelles.
Il a remarqué lui-même qu'il écrit dans un français lourd et obscur et qu'il n'est vraiment à l'aise que dans la langue grecque.


DE CONTEMPTU RERUM FORTUITARUM, "Du mépris des accidents de fortune"

C'est, sous forme d'une lettre à son frère Louis, une longue confidence de l'expérience intérieure de l'auteur, qui dit puiser dans la philosophie un réconfort dans les tribulations de la vie et qui voit dans le Dieu des Chrétiens le fondement de la seule philosophie véritable.

Budé montre que lui aussi a été maltraité par la fortune à cause de son mauvais état de santé. Il faut, dit-il, savoir se résigner et ne s'attacher qu'à des biens qui sont hors d'atteinte de la fortune : la science et la philosophie.

Finalement, c'est dans une vie future qu'il faut attendre les récompenses méritées.


DE STUDIO LITTERARUM RECTE ET COMMODE INSTITUENDO. "Sur les principes à suivre dans l'étude des lettres anciennes".

Budé y entrechoque deux postulats opposés, d'une part celui de la valeur de la culture profane (prestige de l'éloquence antique, élévation de la pensée platonicienne, intuitions des anciens poètes), d'autre part celui de sa non-valeur eu égard à la transcendance de la parole divine.
La contradiction se résout par un dépassement, la consécration au christianisme de toutes les ressources de la culture profane, symbolisée ici par le Mercure logios, le dieu de l'éloquence.
Le texte est nourri de digressions multiples : sur les richesses offertes par l'Antiquité, sur la supériorité de la langue latine qu'il faut adapter aux nouveaux besoins de l'époque moderne et de la théologie.
Pour répondre aux critiques des théologiens, il veut montrer qu'il n'y a pas incompatibilité entre la philosophie ancienne et la pensée chrétienne. Enfin, pour s'assurer de la bienveillance du roi, il le félicite d'avoir poussé ses propres fils vers les études littétaires et lui promet une gloire égale à celle que s'est acquise l'empereur Anguste.


DE PHILOLOGIA. "Sur la philologie"

Des dialogues mettent en scène un roi brillant, attentif, amusé, et Budé plaidant devant lui sur un ton d'aimable familiarité la cause de la Philologie. Il plaide pour que s'ouvre aux hommes d'étude les plus hautes fonctions de l'État, pour que s'instaure un enseignement d'un type nouveau et que s'abolisse le morcellement des structures universitaires au profit d'une culture encyclopédique fondée sur l'étude des textes dans leur langue d'origine.Sous prétexte de montrer toutes les ressources de la langue latine, Budé consacre une trentaine de pages à parler de l'art de la chasse.
Il s'agissait aussi pour lui de désarmer l'hostilité des théologiens qui voyaient dans le renouveau des études grecques un risque d'hérésie, autant que la diffusion des idées luthériennes. Budé voulait rappeler au roi qu'il était de son devoir de défendre les lettres et la science philologique contre toutes les forces hostiles, par exemple en fondant un Collège des lecteurs royaux.


DE TRANSITU HELLENISMI AD CHRISTIANISMUM, "Du passage de l'hellénisme et christianisme"

Discours théologique insolite, sorte de poème en prose nourri de réminiscences antiques, emporté par le jeu des métaphores, où les noms d'Hercule, de Mercure, de Prométhée sont les fils conducteurs de méditations sur le Christ et la Croix.
Mais l'ouvrage est aussi le reflet de la progression en son temps des querelles religieuses, Budé étant contraint de réfléchir sur les vertus et les torts des deux partis en présence. Soucieux de ne pas voir sa chère Philologie sombrer dans la tourmente et pour ne pas avoir à renier ce qui fut sa raison de vivre, Budé perçoit qu'il n'est de salut pour l'humanisme que dans la réussite du passage (transitus) des sciences profanes vers un christianisme purifié.
Pour se concilier les théologiens, il accepte de reconnaître que la philologie n'a pas comblé ses attentes et qu'il se tourne désormais vers l'étude des Écritures saintes, tout en maintenant l'idée que la sagesse antique a préparé la venue du christianisme.


La postérité de Budé

Les ouvrages de Budé ont eu une influence considérable sur la pratique du droit, sur l'étude de l'Antiquité et sur les études grecques.

Admiré par Erasme, Budé a connu en son temps une gloire véritable. Aujourd'hui, on ne le lit plus. Pourtant le choix qu'il a fait d'écrire en latin se justifiait à une époque où la langue française n'était pas fixée et où l'usage du latin permettait une communication aisée entre érudits européens. Mais son latin est lourd, embarrassé, surchargé de métaphores. Ses ouvrages ne sont pas construits : les remarques s'enchaînent telles qu'elle viennent à l'esprit de l'auteur. Les digressions sont systématiques : ses Commentaire sur langue grecque contiennent de longues considérations sur sa mauvaise santé, des flatteries excessives adressées au roi…

Budé ne se souciait pas d'être clair et se targuait même parfois d'étre « énigmatique », afin d'obliger son lecteur à faire effort. Erasme lui en fera le reproche : "Budé ne peut guère être goûté que d'un lecteur aussi attentif qu'instruit et qui éprouve presque plus de fatigue à lire que l'auteur à composer. Passionné pour les métaphores et les comparaisons brillantes, qu'il suit fort longtemps, il paraît s'éloigner de la simplicité naturelle."


Ses idées religieuses

Vivant dans une époque de grande intolérance religieuse, Budé a été soupçonné d'hérésie à cause surout de son attachement pour la littérature grecque, à cause aussi de son indulgence pour les tenants du luthéranisme.

Il était conscient qu'en prônant comme méthode le retour aux textes fondamentaux, en militant pour la découverte des littératures du paganisme antique, il ouvrait la voie à l'évangélisme, voire à l'athéisme. L'évangélisme étant durement attaqué par le pouvoir royal après les critiques contre la messe papale (affaire des Placards, 1534), Budé se sentit concerné, lui qui avait attaqué les abus de l'Église. Pour rassurer les théologiens, il dut prendre position en montrant qu'humanisme et christianisme appartiennent à deux ordres différents, qu'il faut finalement savoir sacrifier la sagesse des philosophes et des savants pour passer à la sagesse de Dieu.

On peut toutefois penser que, dans l'initité familiale, les "idées nouvelles" s'étaient peu à peu imposées. Après sa mort, son épouse et cinq de ses enfants ont pris contact avec Calvin et, en 1549, sont allés se réfugier à Genève.


QUELQUES TEXTES POUR MIEUX CONNAÎTRE LE BUDÉ INTIME

Outre son hôtel parisiens de la rue Saint-Martin (actuel n° 203), Budé possédait deux maisons de campagne, l'une à Marly (acquise par la famille en 1464), l'autre à Saint-Maur, où il se plaisait particulièrement. C'est là qu'il cherchait l'occasion de s'éloigner des soucis familiaux et des tracas de la vie publique et de se détacher des études auxquelles il s'astreignait. On le voyait aussi à Yerres, près de Villeneuve-Saint-Georges, où la famille Budé possédait un petit domaine.


YERRES

C'est le frère aîné de Guillaume Budé, Dreux Budé, qui était seigneur d'Yerres.

Au XVIIIe siècle, le poète Jean-Antoine Roucher visita ce domaine de Yerres où une fontaine jaillissait d'une fausse grotte dans un jardin couvert d'arbres et il déplora qu'ils aient été abattus (Les Mois, Décembre, vers 197 sq)

Lieux chéris des neuf Soeurs, délicieuse enceinte,
où longtemps de Budé s'égara l'ombre sainte,
fontaine, à qui le nom de cet homme fameux
semblait promettre, hélas ! un destin plus heureux,
j'ai vu, sous le tranchant de la hache acérée,
j'ai vu périr l'honneur de ta rive sacrée !
Tes chênes sont tombés, tes ormeaux ne sont plus !
Sur leur front jeune encor, trois siècles révolus
n'ont pu du fer impie arrêter l'avarice :
d'épines aujourd'hui ta grotte se hérisse ;
ton eau, jadis si pure, et qui de mille fleurs
dans son cours sinueux nourrissait les couleurs,
ton eau se perd sans gloire au sein d'un marécage.
Fuyez, tendres oiseaux, enfants de ce bocage,
fuyez : l'aspect hideux des ronces, des buissons
flétrirait la gaîté de vos douces chansons.

Un des propriétaires plaça sur le site un médaillon de pierre représentant Guillaume Budé, avec quatre vers de Voltaire:

Toujours vive, abondante et pure,
Un doux pendant règle mon cours.
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainsi couler ses jours.


MARLY

Ayant arrondi son domaine de Marly par quelques acquisitions, Budé y fit construire une maison de plaisance. Il écrit à son frère Louis :

« Si vous croyez que je sois entièrement désœuvré, sachez que j'ai pris d'autres attachements assez différents de celui que j'avais auparavant pour l'étude, le hasard m'en ayant fourni l'occasion, je ne sais comment. J'avais d'abord dessein de bâtir une maison commode et au-dessus des maisons ordinaires, afin que ma campagne de Marly ne fût pas tout à fait inconnue et méprisée comme elle l'a été jusqu'à présent, en un état à n'y recevoir personne, pas même son maître. Non seulement j'en ai eu le dessein, mais on y va travailler dès le commencement du printemps, et j'ai déjà donné l'ouvrage à tâche, comme l'on fait dans ces occasions. Je prétends de plus me faire présentement un grand et magnifique jardin, aussitôt que la saison le permettra. »


SAINT-MAUR

Ayant hérité d'une mauvaise vigne, Budé avait racheté les terrains voisins à grands frais et bâti en 1516-1517 un manoir de campagne à plusieurs corps de bâtiments, avec écuries, étables et foulerie, sur un domaine clos de deux hectares, que le terrier de 1543 permet de situer (entre la rue du Four, l'avenue Marinville et l'avenue Alexis Pessot). Il y cultivait sa vigne, son potager et son verger qui donnait de très belles pêches. De ce domaine dépendaient 32 hectares de terres dans la boucle de la Marne.

Il en parle dans des lettres à son frère Louis :

« J'avais aussi une vigne dans le village de Saint-Maur, éloigné d'environ trente stades de la ville, vigne qui ne rapportait pas : presque toutes les années elle se trouvait ou gelée ou frappée de la grêle ; et, ce qui était très fâcheux, elle ne rapportait pas bien, même dans les bonnes années. Je l'avais souvent menacée que si elle ne me récompensait pas mieux de la peine et des frais qu'elle exigeait, je l'arracherais; enfin je fus obligé de lui jurer de la détruire, si elle ne me rendait pas de fruit l'année suivante. Mais elle ne répondit pas davantage à la dépense et au travail qu'on y avait fait. Comme on ne trouvait point d'acheteur (car elle était en mauvaise réputation à cause de sa stérilité), je fus tellement fâché que je crus devoir changer cette vigne en jardin, si cela se pouvait, pour me dégager de mon serment dont je pensais ainsi me délivrer: mais il me vint tantôt une idée, tantôt une autre, jusqu'à donner dans cette superfluité que d'acheter des parties de fonds limitrophes pour arrondir mon enclos. Mais dans ce dessein d'acquérir, mes voisins m'ont donné beaucoup de peine, en mettant trop haut le prix de leur terrain, et même quelques-uns me tiennent encore en suspens, quoique je n'aime pas les retards.

Tout le monde s'étonne de ce que je vais là deux ou trois fois par semaine, et vous-même vous seriez surpris de m'y voir fort attaché, comme si j'avais quelque affaire de très grande importance. Je m'applique à presser les ouvriers, qui plantent ou qui bêchent. Je reste fort longtemps et fort attentif à voir ceux qui nivellent les allées, tant celles qui traversent le fonds que celles qui règnent le long de la clôture, qui est une bonne enceinte bien bâtie et crépie à la chaux. Les allées sont de deux sortes, les unes vont autour du fonds, les autres se croisent au milieu, toutes tirées au niveau, aussi bien que les nouvelles plantations qui sont toutes alignées, de sorte que l'on peut voir d'un bout de la possession à l'autre; cela rend mon ouvrage beau et très magnifique, aussi bien que les arbres qui sont vis-à-vis les uns des autres. Je presse continuellement dans ce dessein les ouvriers et celui qui a le travail à tache, car je crains que le froid ne compromette mes plantations et que les jardiniers ne soient obligés de quitter l'ouvrage à demi fait, ou que l'architecte se trompant ne gâte tout ce que j'ai fait.

Mais quelle n'est pas ma folie! Je me suis dès longtemps attaché aux sciences entièrement, j'ai consumé ma jeunesse dans la lecture et l'étude des deux langues, ne sachant rien du ménage; et je ne pense à présent qu'à travailler la terre; il me semble que depuis deux ou trois mois j'ai oublié la grammaire pour apprendre les affaires de l'économie. Ainsi moi qui avais coutume d'occuper entièrement mon esprit dans les belles-lettres, je serai présentement distrait par deux soins qui me tirent de deux différents côtés, je veux dire ceux que me donnent mes deux métairies de Marly et de Saint-Maur, fort éloignées l'une de l'autre. J'ai cru devoir vous en écrire, d'autant plus que je cherchais quelque occasion et quelque sujet pour le faire, car je devais vous répondre quelque chose dans une langue étrangère, comme je vous y avais invité moi-même. Je l'ai fait encore afin que, si vous pouviez m'aider en quelque chose dans ma plantation, vous ne le négligiez pas. On parle de nos pêches printanières comme d'une chose admirable.»

Une seule chose me fait de la peine par rapport à mon bâtiment et à tout ce qui en dépend : c'est le manque d'argent, qui embarrasse souvent ceux qui entreprennent de grandes choses. Cela ajoute un grand poids à tous mes soucis ; car que peut faire en matière de bâtiments et d'entreprises un homme qui n'a pas d'argent ? Mais je ne suis pas embarrassé de me justifier de cette affaire auprès de vous ; je sais très bien que vous n'êtes pas trop sévère envers ceux qui tombent en de semblables fautes. Et comment le seriez-vous, n'ayant pas évité de donner vous-même dans la manie de bâtir, en suivant de mauvais conseils : de sorte qu'à cause de cela vous ne condamnerez pas trop légèrement ma grande imprudence; je ne crains rien à cet égard, car vous ne voudriez pas condamner votre propre faute, et d'ailleurs tout ce que je puis avoir fait mérite votre indulgence.

Pendant que je m'occupais de mes travaux de campagne, j'avais ma femme en couches : elle vient de me donner un huitième enfant, dont je rends grâces à Dieu. J'ai déjà six garçons qui crient autour de moi et une petite fille qui commence à manger à table et qui ne donne bien du plaisir.

Quelqu'un me dira: il vous convenait mieux de prendre soin de vos enfants, plutôt que de donner tant de temps aux écrits des orateurs et de ceux qui ont le mieux écrit. Demeurer ainsi cloué sur leurs beaux ouvrages, comme à entendre les chansons des Sirènes qui attiraient par leur charme, c'est s'amuser à des bagatelles. On dit que le rossignol, pendant qu'il s'attache à ses petits, ne fait plus entendre ses chansons si vantées. Mais qu'y ferais-je? Il me faut rester appliqué aux choses qui m'ont occupé si longtemps; et comment pourrais-je me plaire à d'autres? Il me semble que j'y dois mourir puisque, sans y penser, j'y ai comme placé le viatique de la vieillesse. Je m'applique aux soins de ma famille comme ceux qui ne le font pas le mieux, étant accoutumé à vivre dans la médiocrité ; nourri dans les belles-lettres, il serait assez juste que je finisse ma vie dans ces choses, et je pense que c'est ma destinée d'achever mon sort dans l'étude, loin des affaires. »


QUELQUES IMAGES

Portrait gravé par J. de Bosscher Armes de la famille Budé Portrait par Jean Clouet (1536)

 

Hôtel de Ville de Paris Collège de France Budé par Dupré

LE SOUVENIR DE GUILLAUME BUDÉ À YERRES

Le château était la résidence des seigneurs d'Yerres. Les vestiges visibles aujourd'hui datent des XIIe, XIIIe et XVe siècle. La seigneurie passe dans les mains de la famille Courtenay en 1328, puis est vendue à Dreux Budé en 1452. Le château est resté dans cette famille jusqu'en 1628, puis il est tombé progressivement en ruines et n'a été restauré qu'en 1782. La famille Hamelin en a fait l'acquisition en 1857 et a conservé le site jusqu'en 2000. En 2015, le château a été légué à la Fondation Pompidou qui l'a rénové afin d'y aménager des appartements privatifs.

Derrière le châtelet de briques rouges, un "parc Budé" a été restitué dans l'esprit du XIXe siècle. On y voit les restes d'une muraille du XIIe siècle, une ancienne tour de guet devenue pavillon de loisirs, une fausse rivière entourant une petite île plantée de saules, une fausse grotte construite au XIXe siècle sur de gros blocs calcaires, avec un médaillon représentant Guillaume Budé.


STATUE DE BUDÉ À VILLIERS-SUR-MARNE


C'est en 1445 que Dreux 1er Budé, secrétaire de Charles VII, acheta la seigneurie de Villiers.
En 1448, il bénéficia de l'ordonnance royale autorisant la fortification des châteaux et villages pour lutter contre l'éventuel retour des grandes compagnies.
La demeure seigneuriale (à l'emplacement actuel du musée "Emile Jean") se composait de deux corps de bâtiments à angle droit et deux pavillons, selon un inventaire fait en 1673.
La descendance de Dreux 1er Budé fut nombreuse. Son fils Jean III eut dix-huit enfants dont Guillaume, qui ne fut pas seigneur de Villiers. 
Les armoiries des Budé, "au chevron de gueules, accompagné de trois grappes de raisin de pourpre, pampres de sinople", ont été retenues pour de servir de blason à Villiers-sur-Marne.


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