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RICHELIEU, LA VILLE ET SON CHÂTEAU DISPARU


L'ascension politique de Armand-Jean du Plessis,cardinal et duc de Richelieu
Pendant vingt ans, le cardinal de Richelieu fait construire un splendide château
Les différentes parties du domaine
La collection d'oeuvres d'art
Les témoignages des visiteurs du XVIIe siècle
Richelieu après Richelieu
La fin du domaine
Le sort des oeuvres d'art
Ce qu'on voit aujourd'hui à Richelieu
Reconstitution du château disparu

DOCUMENTS
Desmarets de Saint-Sorlin, Les Promenades de Richelieu, 1653 (extraits)
La Fontaine, Lettres à sa femme sur sa visite au château de Richelieu (1663)
François-Savinien d’Alquié, Les Délices de la France, avec une description des provinces et des villes du royaume, 1670 (extrait)
Benjamin Vignier, Le château de Richelieu ou l'histoire des dieux et des héros de l'Antiquité, 1676 (extraits)
Tallemant des Réaux, Le cardinal de Richelieu (extrait)
Claude Mignot, Richelieu, 1988
Laurence Berluchon, Les jardins de Richelieu, 1947
Le Petit Journal de l'exposition Richelieu de 2011


L'ASCENSION POLITIQUE DE ARMAND JEAN DU PLESSIS, CARDINAL ET DUC DE RICHELIEU

Depuis le XIIe siècle, la famille du Plessis, de petite noblesse, possédait, à Coussay-les-Bois (15 km à l'est de Châtellerault), le château de la Vervolière.

Vervoliere

(Google maps)

Vervoliere
Vervoliere cheminée
La Vervolière (15 km à l'est de Chatellerault)

Les du Plessis étaient également installés depuis la fin du XVe siècle sur les terres de Richeloc, en Poitou (domaine mentionné dès le XIIe siècle).

Vers 1574, François IV du Plessis y avait entrepris la construction d'un nouveau manoir au bord du Mable. L'entrée se faisait à l'est par une route venant de Chaveignes. Un portail crénelé flanqué de deux portes piétonnes donnait dans une première cour bordée au sud par une chapelle Saint-Nicolas, à l'ouest par la rivière et au nord par le logis. Une basse-cour, le long de la rivière, était fermée par des écuries et un pigeonnier. Quand ce François IV du Plessis fut, sous Henri IV, Grand Prévôt de France (sorte de ministre de la Police), cette nouvelle charge, comme ses ambitions, l'engagèrent à construire un nouveau château sur l'autre rive du Mable canalisé, en face de l'autre château devenu basse-cour. Un dessin du XVIIe siècle permet de se faire une idée du pavillon central avec des quatre niveaux, ses pilastres corinthiens cannelés, son grand fronton monumental couronné par les armes des Richelieu et ses deux ailes très ornées dans l'esprit de la dernière Renaissance.

En 1590, François IV du Plessis mourut de fièvre pernicieuse. Il laissait une famille endettée et tous ses biens hypothéqués. Mais la générosité du roi lui permit d'éviter les difficultés financières. Et son fils Armand-Jean, le futur cardinal, né à Paris en 1585, put faire des études au collège de Navarre, puis à l'Académie équestre de Monsieur de Pluvinel pour se préparer à une carrière militaire. De ses premières expériences avec les femmes il contracta une gonorrhée dès l'âge de vingt ans.

Il était prévu que son frère aîné Alphonse-Louis serait évêque dans l'évêché de Luçon (au nord de La Rochelle), évêché que Henri III avait donné en 1584 à la famille du Plessis pour qu'elle en perçoive les revenus. Mais ce frère aîné décida de se faire moine. Alors Armand Jean du Plessis se trouva dans l'obligation, en 1605, de se tourner vers une carrière religieuse pour récupérer cet évêché. Prêtre sans vocation, il fut nommé évêque de Luçon (au nord de La Rochelle) en 1606, bien qu'âgé de seulement 21 ans, l’âge requis étant de 26. On dit qu'il aurait avoué au pape avoir falsifié son acte de baptême sur son âge et le pape, indulgent, aurait répondu : "Questo giovane sara un grand furbo".

Découvrant Luçon pour la première fois en 1608, Armand Jean fut très déçu par cet "évêché crotté" qui rapportait à peine 15.000 livres par ans. Il s'acquitta consciencieusement de sa mission, mais fut très vite décidé à partir à la Cour pour y faire une carrière politique.

Il fut aidé en cela par le "Père Joseph", sa future "éminence grise". François Leclerc du Tremblay, né en 1577, était un militaire qui entra en 1599 chez les religieux capucins d'Orléans. Il devint ensuite prédicateur renommé sous le nom de "père Joseph". Très apprécié de Marie de Médicis, c'est lui qui lui présenta l'évêque de Luçon, qui, par de basses flatteries, se concilia vite les bonnes grâces de la régente. Mais lorsque Louis XIII eut conquis son indépendance en faisant tuer Concini, Richelieu fut chassé de la cour avec Marie de Médicis et il se réfugia avec elle dans le château de Blois.

Assez vite, las de cette vie de fêtes loin de la vraie Cour, il se retira à Coussay, un prieuré qu'il avait acheté dès sa prise de fonctions à Luçon. Il s'y isola pendant deux ans. C'est là qu'il rédigea "Instructions et maximes que je me suis données pour me conduire à la Cour". Depuis Croussay, il pouvait continuer à mener des intrigues, ce qui agaçait fortement Louis XIII.

 

Coussay

(wikipedia)

Le château de Coussay
(30 km à l'ouest de Châtellerault)

C’est Denis Briçonnet, prieur de Coussay et évêque de Saint-Malo, qui, vers 1520, décida de faire construire un hôtel sur le prieuré existant depuis le IXe siècle. Il fait de sa demeure une villa italienne, mais construite sur un château-tour comme au XVe siècle et entourée de douves. Denis Briçonnet étant mort en 1535 le prieuré de Coussay a été attribué aux du Plessis au milieu du XVIe siècle et resta dans cette famille jusqu'à la fin du XVIIème. Avant d’être intronisé cardinal en 1622, Richelieu séjourna de nombreuses fois à Coussay, notamment pendant sa période d’exil en 1617 due à la disgrâce de la Reine Mère, Marie de Médicis, dont il était l’un des favoris. En juin 1621, cette dernière passera même quelques jours au château.

C'est le Père Joseph qui, pour obtenir la réconciliation du roi et de sa mère, poussa en avant Richelieu. Cette réconciliation fut signée au château de Brissac le 13 août 1620. Dans les clauses du contrat, il était précisé que Richelieu obtiendrait le chapeau de cardinal. Ce qui fut fait le 5 septembre 1622 (il avait 37 ans). En 1619, la mort de son frère aîné Henri du Plessis avait fait de lui le chef de la famille et, en 1621 il était entré en possession du domaine de Richelieu.

Favori de Marie de Médicis, Richelieu entre au Conseil du roi en 1624. Il reçoit d'elle le Petit-Luxembourg et supervise la construction de palais du Luxembourg, ce qui lui fait comprendre l'importance de l'architecture pour asseoir son pouvoir.

Richelieu cardPourtant sa situation semble compromise lorsque Marie de Médicis, en désaccord avec sa politique, cherche à obtenir le renvoi du ministre. Le roi semble d'abord aller dans ce sens. Puis, à la suite d'un entretien avec Richelieu, il annonce, à la surprise générale, qu'il prend le parti du cardinal contre sa mère (les historiens appeleront cet épisode du 10 novembre 1630 la "journée des dupes")

En 1631, la position de Richelieu est définitivement assurée : Louis XIII érige son fief de Richelieu en duché-pairie et donne la permission d’y ériger non seulement un château mais aussi un bourg clos de murailles et de fossés avec une une halle permettant d'établir quatre foires annuelles et deux marchés par semaine.

Dans les années suivantes, Richelieu fut en butte à de nombreux ennemis. Le premier fut Gaston d'Orléans, le frère du roi, propriétaire du château de Champigny-sur-Veude, à 6 km au nord de Richelieu; le cardinal, craignant qu'il fasse ombrage à son futur palais, l'acheta en 1635 et le détruisit en 1640 (sauf les communs et la Sainte-chapelle, sauvée par l'intervention du pape). Richelieu, qui avait tout à redouter de ce Gaston d'Orléans, fut soulagé lorsque, en 1638, la naissance d'un dauphin le priva Gaston du rang de premier héritier de la couronne. Presque aussitôt, Richelieu put déjouer un autre complot fomenté par Saint-Mars (décapité en 1642).

Tout cela explique cet image d'un homme dur, en butte à la haine au point qu'il devait être gardé jour et nuit par ses mousquetaires. Mais, pour humaniser le cardinal, il ne faut pas oublier qu'il aima les femmes et eut de nombreuses liaisons. Il eut une aventure avec Ninon de Lenclos et avec Marion de Lorme. Il fit la cour, en vain semble-t-il, à Anne d'Autriche. On cite ses amours secrètes avec Marie de Médicis, qui lui permirent de commencer une carrière politique. Notoire surtout sa longue liaison avec sa jeune nièce Marie-Madeleine de Vignerot, duchesse d'Aiguillon, dont – écrit l'auteur des Amours secrettes du cardinal de Richelieu (confirmé par le Journal d'Ormesson) – "il eut plusieurs enfants que des courtisans charitables voulurent bien adopter pour obtenir la protection de leur père".

Ainsi donc, Richelieu connut les plaisirs du pouvoir et de l'amour. Quand il apprit la mort de Richelieu, le pape Urbain VIII aurait dit à son propos : "Si Dieu existe, le cardinal devra répondre devant Lui de beaucoup de choses. Sinon, ma foi, il aura bien réussi dans la vie".


PENDANT VINGT ANS, LE CARDINAL DE RICHELIEU FAIT CONSTRUIRE UN SPLENDIDE CHÂTEAU

Fier de ses succès politiques, le nouveau cardinal eut l'intention de poursuivre, à Richelieu, la construction du château engagée par son père, puis, bientôt, de l'inclure dans un immense domaine véritablement royal.

C'est que ses succès politiques lui avaient donné le désir de posséder des châteaux. Il acheta celui de Limours, celui de Rueil et se fit construire à Paris le magnifique Palais-Cardinal (devenu Palais-Royal). Et sa visite, en février 1629, au château de Cormatin (Saône-et-Loire), chez Jacques du Blé d'Uxelles, lui donna le goût des décors luxueux.

Le cardinal eut recours à l'architecte du roi Jacques Lemercier, qui avait travaillé au Louvre et au Luxembourg pour Marie de Médicis, qui avait été chargé d'agrandir le Palais-Cardinal (actuel Palais-Royal) en 1628, de reconstruire le collège de la Sorbonne et sa chapelle vers 1629-1630. Il lui demanda de compléter le château prévu par son père pour en faire un ensemble magnifique se développant sur un grand axe est-ouest d'environ 500 mètres avec des dépendances considérables : écuries, remises, manèges, logements pour un gouverneur, des officiers, des hôtes de passage. Autour il y aurait un immense parc dans lequel coulerait la rivière (le Mable) canalisée.

A proximité, s'élèverait une ville nouvelle, s'étendant sur 25 ha. Le plan serait un plan géométrique, dont la Renaissance avait laissé le goût, comme à Vitry-le-François, dessiné par Girolamo Marini en 1545. Les hôtels de part et d'autre d'une rue médiane seraient tous semblables. Ils seraient vendus à des gens de son entourage disposés à construire à leur frais (quelques-uns acceptèrent pour ne pas lui déplaire, mais, leur hôtel achevé, ils ne se pressèrent pas pour venir occuper les lieux). Outre les bâtiments essentiels, il y aurait une académie, un manège et même un "tripot" pour les jeunes étrangers en visite. Saint Vincent de Paul y installa des "filles de la Charité" et quatre missionnaires dans deux maisons avec jardins, colombiers, vignes, prés, terres labourables.

Richelieu disposait d'une immense fortune, provenant des largesses du roi et surtout des revenus des quinze abbayes qu'il détenait, dont Fontevrault et Cluny. Il put donc facilement se livrer à sa passion de constructeur et de collectionneur.

Les travaux commencèrent au printemps 1631. Richelieu s'appuya sur Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux (1594-1645) pour diriger ce vaste projet, puis, à la fin du chantier, sur François Sublet de Noyers, devenu en 1638 surintendant des Bâtiments du Roi, alors le conseiller le plus proche du cardinal en matière de bâtiment. La conduite du chantier fut assurée par les deux demi-frères de l'architecte, Pierre et Nicolas Lemercier. On eut recours à un grand nombre d'artisans : l'entrepreneur de maçonnerie Nicolas Durand, le menuisier Jean Langlacé, le marbrier François Le Conte, les peintres Bourgeois, Mathieu Lesot et Nicolas Prévost, les sculpteurs Mathieu Lespagnandelle et Guillaume Bertelot, et encore des charpentiers, couvreurs, serruriers… Près de 2000 ouvriers et les meilleurs artistes travaillèrent sur le chantier.

Ce projet novateur liant la construction d’un château et d’une ville dans un même programme préfigurait le chantier qui allait s'ouvrir à Versailles, trente ans plus tard.

Grand collectionneur, Richelieu, dès 1625, avait organisé une grande collecte de chefs-d'oeuvre. Son intendant Le Masle, prieur des Roches, parcourut l'Italie pour acquérir des marbres grecs et romains, des bronzes, des toiles de la Renaissance. Et le pape donna son accord à cette véritable rafle. Ainsi arrivèrent à Richelieu des meubles précieux, environ 200 sculptures, statues antiques, bustes et des oeuvres des plus grands artistes : Durer, Mantegna, Titien, Pérugin, Caravage, Poussin, Philippe de Champaigne, Claude Deruet.

Au-dessus de l'entrée centrale du château il fit installer les deux Esclaves de Michel-Ange. Prévus pour le tombeau du Jules II, ils avait été donnés par Michel-Ange à Robert Strozzi, qui les donna à François Ier, qui les donna au connétable de Montmorency pour son château d'Écouen. Son petit-fils, Henri II de Montmorency, refusa d'abord de les vendre à Richelieu contre lequel il intriguait; mais, condamné à la décapitation en 1632, il les lui donna finalement.

 

Richelieu n'a dirigé les travaux que de loin, avec de courtes visites en 1626, 1627, 1632. Il ne put y venir en 1640, deux ans avant de mourir. Dans son testament il demanda que l'oeuvre fût parachevée.

Pour avoir une idée du style du château disparu, on peut aller voir le château de Thouars (Deux-Sèvres) construit par Lemercier à partir de 1635 pour Marie de la Tour d'Auvergne, épouse du duc Henri III de La Trémoille : mêmes pierres en saillie sur les façades, mêmes frontons courbes, mêmes toits à la française et vestibule tout à fait semblable. On peut voir aussi le château d'Oiron, dans lequel, entre 1620 et 1642, Louis Gouffier, exilé en son domaine par Richelieu, fit élever un "pavillon du Roi", reconstruire le corps de logis et réaliser différents décors peints et plafonds, dont une salle des Amazones ornée de quinze tableaux "à grands personnages" (disparus). Les décors sont presque identiques à ceux qui furent réalisés à Richelieu.


LES DIFFÉRENTES PARTIES DU DOMAINE

Ce château nous est connu grâce aux plans et planches de l'architecte et graveur parisien Jean Marot.

Lemercier traça un grand axe de près de trois kilomètres, sur lequel on trouvait successivement, en allant vers l'est:
– une avenue plantée d'arbres;
– une entrée ouest monumentale en demi-lune, le mur étant percé de deux portes, celle de gauche donnant sur le chenil et celle de droite sur le jardin du portier;
– un portail d'entrée;
– une basse-cour, fermée au nord et au sud par de hauts murs rythmés par des chaînages de pierre, dans lequel une porte donnait, à gauche, sur les écuries du commun et les logements des laboureurs, à droite sur les fourrières et ménageries;
– une anti-cour délimitée par une balustrade de pierre ornée d'animaux sculptés, avec, à gauche, des écuries de part et d'autre d'un pavillon central (dont le rez-de-chaussé servait de manège et l'étage de grenier à foin), à droite les logements du gouverneur du château avec, au centre, un pavillon identique servant lui aussi de manège (seul ce pavillon central de l'aile sud subsiste aujourd'hui);
– un pont dormant sur lequel était appuyée une passerelle en bois, donnant sur la plate-forme du château entourée de fossés en eau;
– une porte monumentale, sur deux niveaux et coiffée d'un dôme; en bas, deux statues antique d'Hercule et Mars; au-dessus une statue de Louis XIII vêtu à la romaine (par Guillaume Bertelot); au sommet une Renommée de bronze soufflant dans deux trompettes; de part et d'autre, deux colonnes rostrales rappelant que Richelieu eut la fonction de surintendant général de la navigation et de gouverneur des ports du royaume (on a conservé un grand fragment de la statue du roi, ainsi que les deux colonnes rostrales, qui sont en dépôt au musée d'Orléans).
la cour du château ouvrant sur trois façades rythmées par les ornements des niches abritant, au rez-de-chaussée, des bustes, au premier étage des statues antiques et, de part de d'autre de la baie centarle de l'étage, les deux Esclaves de Michel-Ange
le château développé autour du château familial très retouché par Lemercier; l'aile nord, au rez-de-chaussée, abritait la chapelle, les cuisines, le garde-manger, la salle à manger; le pavillon central renfermait un vaste vestibule et un grand escalier à deux volées droites; à l'étage, les appartements du Cardinal, du roi et de la reine, avec, dans l'aile nord, une longue galerie terminée par la chapelle haute transformée en "salon".
– derrière le château, un parterre "des Romains", orné de statues antiques;
– plus loin, un jardin de plaisance en demi-lune, s'appuyant à gauche sur une orangerie et à droite sur une cave dite "grotte de Bacchus" (ces deux bâtiments sont conservés);
– une grande allée percée dans la forêt.


LA COLLECTION D'OEUVRES D'ART

Le cardinal de Richelieu avait constitué la plus grande collection française de sculptures antiques de la première moitié du XVIIe siècle, une des toutes premières en Europe à rivaliser avec les grandes collections italiennes (Barberini, Giustiniani, Borghèse, Ludovisi, etc) formées dans la Rome d'avant 1630. La collection du cardinal l'emportait en qualité et en quantité sur celle de son successeur le cardinal Mazarin qui ne peut réunir plus d'une vingtaine de statues de taille naturelle, ou de celle de Louis XIV.
Richelieu rassemble dans ses demeures de Limours, de Bois-le-Vicomte ou de Saujon, mais surtout au Palais-Cardinal à Paris et Richelieu en Poitou environ 400 pièces, dont plus de 250 pièces pour le seul château de Richelieu.

La correspondance des agents et secrétaires au service du cardinal ainsi que le précieux Album Canini relié aux armes du cardinal nous renseignent très précisément sur les opérations de prospection, d'achat et du transport en 1633 depuis Rome, en passant par Civita Vecchia, Marseille, le cours du Rhône jusqu’à Lyon, Roanne, le cours de la Loire et de la Vienne, pour atteindre le château de Richelieu en 1634.

Selon les pratiques de l'époque, les fragments antiques sont complétés et même transformés pour fournir des séries de divinités et des portraits d'hommes et de femmes illustres de l'Antiquité. Ces compléments modernes imitent souvent des modèles antiques connus, diffusés par la gravure et le dessin : dans le Groupe de Vénus et Cupidon, la tête de Vénus s'inspire de la Vénus Médicis. Les ateliers de sculpture n'hésitent pas à associer des fragments d'origine diverse, recomposant des figures intégrales à partir d'éléments variés (Groupe de Vénus et Cupidon, Vénus de Praxitèle).

Le recueil de dessins établi par Giovanni Angelo Canini décrit les achats des sculptures antiques effectués à Rome par le cardinal avant leur transport (1633) et leur installation en Poitou. Il informe sur la pratique de Richelieu, grand collectionneur, et de ses intermédiaires recherchant les meilleures pièces connues en Italie à cette époque. La correspondance adressée au cardinal pendant cette période constitue une autre source d'information. Les lettres écrites par ses agents Gueffier, Lopez et Bonnefoy de Rome, Paris ou Marseille soulignent l'intérêt du cardinal pour l'acquisition des antiques ou des copies d'antiques, mais surtout les diverses tractations engagées pour leur paiement, leur autorisation de sortie de Rome, leurs transport par voie de terre, mer et fleuve jusqu’à Richelieu.

La grande galerie (70 mètres de long et 10 mètres de large), éclairée par onze fenêtres de chaque côté, était la pièce d'apparat située au premier étage de l'aile nord du châtea; elle était dédiée à la gloire des campagnes militaires conduites par Louis XIII et Richelieu entre 1625 et 1636. Vingt tableaux à l'origine, disposés entre les croisées, illustraient le double but poursuivi par Richelieu : la restauration de l'autorité royale et l'établissement de la prépondérance française en Europe (à l'intérieur du pays, il s'agissait de lutter parallèlement contre les grands qui troublaient la puissance royale et contre les protestants ; à l'extérieur, la politique étrangère se traduisait par la lutte contre l'empire des Habsbourg et le roi d'Espagne).
Dans chaque tableau de bataille, le soin et la précision accordés à la représentation des opérations militaires règlaient la composition des scènes vues à vol d'oiseau, caractérisées par leur grande taille et un traitement topographique développé. Ces vues, relativement exactes et bien documentées, s'appuyaient sur des travaux préalables inspirés par les gravures de Jacques Callot, Abraham Bosse, Melchior Tavernier et d'autres encore. Le décor de la voûte, consacré à la représentation des travaux d'Ulysse comparés à ceux du cardinal, étaient peints dans onze ovales.

Prolongeant l'espace de la galerie, la pièce suivante, appelée "salon", carrelée de marbre blanc et noir, s'élevait sur deux niveaux que couvrait une coupole. Le dôme était orné de grandes toiles marouflées de Martin Fréminet, Les Quatre Évangélistes et Les Quatre Pères de l'Église complétées au centre par Dieu le père entouré d'anges. L'entrée dans le salon se faisait par un arc triomphal soutenu par deux colonnes de marbre noir, entre lesquelles on apercevait la statue d'Alexandre Sévère à droite et à gauche, en pendant, celle de Germanicus. Dans le salon même, se trouvaient d'autres statues et bustes antiques groupés par deux, dont celui de Commode (non localisé) et de Pyrrhus, héros de l'histoire grecque. Sur les cheminées se trouvaient encore deux tableaux représentant des batailles navales (1637) de Richelieu, remplacés plus tard par le portrait équestre du duc (deuxième duc de Richelieu et neveu du cardinal) et celui de son épouse.


LES TÉMOIGNAGES DES VISITEURS DU XVIIe SIÈCLE

Le château de Richelieu, qui était alors perdu dans une campagne déserte, reçut des visiteurs alors même qu’il était inachevé, parce qu’il avait été inclus dans les itinéraires suggéré aux voyageurs dans les guides imprimés.

Les premiers visiteurs sont français et contemporains de la construction du château. Viennent ensuite les Anglais, plutôt enclins jusque là à visiter l'Italie, désireux désormais de découvrir l'architecture française classique. Puis ce sont des Allemands et des Hollandais. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la visite du château fait partie du tour de France des lieux en vogue qu'il faut avoir vus. Benjamin Viguier, gouverneur du château, rédige en 1676 un petit guide populaire à l'usage des nombreux visiteurs, qui préconise un programme et un sens de visite. Les gravures de Jean Marot, d'Israël Silvestre et de Adam Pérelle contribuent également à immortaliser le château qui n'attire plus seulement les amateurs, mais aussi les érudits et les artistes. La Fontaine, John Locke sont parmi les hôtes de passage qui gardent un souvenir élogieux de l'endroit.

Nous possédons donc, pour le XVIIe siècle, de nombreux récits de voyageurs qui avaient tenu un journal de leurs découvertes. Ils étaient étudiants, fils de bonne famille, gentilshommes, architectes ou simples amateurs et s'intéressaient particulièrement aux châteaux. Et le château de Richelieu, avec son plan facilement lisible, leur apparaissait comme un château typiquement français.

On peut citer
– parmi les Français : François-Nicolas Baudot dès 1634; entre 1635 et 1640, Léon Godefroy avec son ami Tuffet et son cousin Charles de Thiersanville; puis le strasbourgeois Élie Brackhenhoffer en 1644;
– parmi les étrangers, surtout anglais ou néerlandais : John Evelyn en 1644, Robert Montagu lord Mandeville en 1649, Francis Mortoft en 1658, sir John Lauder en 1665, le marquis de Worchester en 1673, John Locke après 1675.

Ces voyageurs, dès le XVIIe siècle, ont laissé de nombreuses et abondantes descriptions de Richelieu. L'inventaire des textes a été fait pour l'exposition Richelieu à Richelieu en 2011. Voir deux articles du catalogue : Pauline Chambrier, Le château de Richelieu vu par les voyageurs au XVIIe siècle et Stijn Alsteens, Les voyageurs néerlandais au XVIIe siècle.

Le château était accessible lorsque le propriétaire n’y était pas. Le concierge en faisait une visite guidée, qui  commençait par l'aile droite et faisait passer successivement par les appartements de la reine, ceux du roi, ceux du cardinal pour s'achever par la grande Galerie, le salon et la chapelle.

Selon le témoignage de Claude Perrault en 1669, le concierge vendait des gravures, "plans, élévations, profils et perspective du château". En effet des dessinateurs ont fait connaître le château par de nombreuses gravures. On peut citer : Jean Marot, Israël Silvestre, Adam Pérelle. Voir dans le catalogue : Kristina Deutsch, Le magnifique chasteau de Richelieu par Jean Marot.

Ce qui avait du succès auprès des "touristes" c'était
– les façades couvertes de statues, de bustes modernes ou antiques, et, dans des niches, des statues de divinités qu’on s’amusait à identifier;
– les riches appartements (La Fontaine écrit : "Il y a tant d’or qu’à la fin je m’en ennuyai");
– les oeuvres d’art : tableaux de maîtres, tapisseries, meubles précieux, avec, en fin de parcours, une table au plateau de mosaïque de marbre et pierres dures, le clou de la visite (elle est aujourd'hui au Louvre);
– les devises et emblèmes sur les murs de la salle du cardinal qui étaient autant de petites "énigmes hiéroglyphiques"; elles complétaient celles qu’on pouvait voir dans un autre château du Cardinal, celui de Bois-le-Vicomte (près de Roissy);
– les écuries de l’avant-cour;
– les canaux et les jardins dans lesquels La Fontaine dit qu’il se plairait "extrêmement à avoir une aventure amoureuse".


RICHELIEU APRÈS RICHELIEU

A la mort du Cardinal en 1642, château et jardins étaient inachevés. Le titre et les terres passèrent alors à son petit-neveu Armand-Jean de Vignerot du Plessis (1629-1715), âgé de 13 ans, d'abord sous la tutelle de sa tante la duchesse d'Aiguillon. Le jeune duc séjourna souvent à Richelieu avec son épouse et y fit plusieurs modifications. Il enrichit même quelque peu les collections d'oeuvres d'art. Louis XIV y fut magnifiquement reçut en 1650 et 1660. La Fontaine y passa en 1663.

En 1715, titre et domaine reviennent au fils du duc, Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis (1696-1788), âgé de 19 ans, futur maréchal de France. Il y résida peu. En 1719 il y accueillit Voltaire, qui admira les nombreuses statues antiques. Ensuite il s'occupa de l'entretien des jardins et modifia les intérieurs du château qu'il voulut "moderniser". Il transporta quelques oeuvres dans sa maison de Gennevilliers ou dans son pavillon de la rue Neuve-Saint-Augustin. Il s'appropria L'Esclave rebelle et L'Esclave mourant de Michel-Ange. A Richelieu la dégradation des sculptures extérieures s'accentuait.

En 1791, le cinquième duc, Armand-Emmanuel du Plessis (1766-1822), âgé de 25 ans, hérita du château. Comme il était engagé aux côtés des Russes qui assiégaient Ismaïl (dans le delta du Danube), il fut considéré comme émigré et le domaine de Richelieu fut saisi comme "bien national". Dès 1793, on ne put empêcher le pillage d'une partie du mobilier. On récupéra aussi tous les objets métalliques comme les grilles et on brûla les tentures pour récupérer l'or et l'argent. La statue de Louis XIII par Berthelot fut jetée à terre.

Toutefois le Directoire intervint vite pour sauver ce qui était "exposé à devenir la proie de l'ignorance et de la barbarie", meubles précieux, peintures des grands maîtres, statues précieuses, "dont il importait d'assurer la conservation et d'opérer la réunion pour servir de modèle aux arts". Un grand nombre de pièces ont été saisies pour le musée de Tours et le Museum central des Arts de Paris (le Louvre).

Louis XIII

Le buste fracassé de Louis XIII a été découvert en 1844 sous des ronces,
la tête a été retrouvée dans une ferme où elle servait de contrepoids à un tournebroche.


LA FIN DU DOMAINE

Une longue bataille juridique opposa le gouvernement aux cinquième duc et à ses deux demi-soeurs (qui reçurent une indemnité de 40.000 francs). Finalement, en 1805, les domaine, très endommagé, fut restitué aux trois héritiers. Ceux-ci ne tardèrent pas à vendre chacun leur part, à un certain Joseph-Alexandre Bontron en 1805, à l'armateur nantais Hippolyte Collineau en 1808-1810.

Commence alors le démantèlement du château. Boiseries, tentures sont vendues sur place. Des toiles arrachées des murs et des plafonds Bontron fait un lot proposé pour 6.000 francs.Des statues féminines et masculines, deux colonnes rostrales, deux obélisques ont été achetées pour la Malmaison de Joséphine de Beauharnais. Le riche négociant orléanais Louis-Auguste Pilté fit l'acquisition de grilles, bustes et tableaux pour son château du Rondon à Olivet et, en 1824-1825, il fit don au musée d'Orléans de nombreux tableaux, dont les Quatre saisons de Deruet.

Les pierres sont récupérées par tous ceux qui construisent dans la région. En 1835, il ne reste plus que des vestiges. Un membre de la Société des Antiquaires de l'Ouest écrit alors : "Une vieille dame Chapin, nouveau propriétaire des ruines, encore alerte et ingambe, est comme un insecte rongeant un cadavre. Elle vous vendra du pavé à 4 francs la toise et de la pierre de taille à 4 sous le pied. Elle tient à honneur qu'on n'aille pas à une autre carrière que la sienne."

Le sort du domaine dépendra alors des trois derniers ducs de Richelieu :
– 6e duc : Armand François Odet de La Chapelle de Saint-Jean de Jumilhac (1804-1879), petit-neveu d'Armand-Emmanuel,
– 7e duc : Marie Odet Richard Armand de La Chapelle de Saint-Jean de Jumilhac (1847-1880), neveu du précédent. Il épouse en 1875 Marie Alice Heine, la fille du banquier Heine. Celui-ci acheta le domaine en 1877. On créa alors un parc paysager et on acheva la destruction des bâtiments, sauf le pavillon du manège sud qui devint une fabrique de jardin.
– 8e duc : Marie Odet Jean Armand de La Chapelle de Saint-Jean de Jumilhac (1875-1952), fils du précédent, légua le domaine à la Chancellerie des Universités de Paris.


LE SORT DES OEUVRES D'ART

Confisquées à la Révolution ou vendues par Bontron, bon nombre de statues ou de peintures se retrouvent dans des musées.

Le Louvre a récupéré cinq ou six peintures, une vingtaine de statues et bustes (dont les deux Esclaves de Michel-Ange) et la belle table de marbre et de pierres dures.

A Tours, au musée ou au Conseil général d'Indre-et-Loire, on voit une dizaine de bustes et une vingtaine de peintures.

Au musée d'Orléans, viennent de Richelieu :

– De la façade et des jardins: deux colonnes rostrales de la porte monumentale, Les Termes des quatre saisons, trois statues antiques et une sculpture de Jacques Sarazin, Enfant assis sur un dauphin.
– De la Galerie des Batailles: Le Combat de M. de Montmorency ou de Castelnaudary, Combat de Veillane
(Avigliana) et Le Secours de Casale.
– De l'appartement du cardinal: Cheval attaqué par des loups de Paul de Vos et Salomon adorant les idoles
de Nicolas Prévost.
– De l'appartement du roi: Le Sacrifice de polyxène sur le tombeau d'Achille de Nicolas Prévost et Caïn
tuant Abel
attribué à Domenico Cresti.
– De l'appartement de la reine: La Terre, L'Eau, Le Feu et L'Air de Claude Déruet, Henri IV en Salomon
recevant l'hommage de Marie de Médicis en Reine de Saba
attribué à Jean Mosnier, une Allégorie hermétique
d'un anonyme français du XVIIe siècle et Porcie avalant les charbons ardents de Nicolas Prévost. Du salon de l'aile nord : Les Quatre pères de l'Eglise et Les Quatre évangélistes de Martin Fréminet.
– Sept panneaux de lambris en grisaille décorés de personnages vêtus à l'antique (peut-être de Jean Mosnier) acquis en 2015 (semblent provenir du partage entre trois héritiers qui vendent successivement leurs parts à Joseph-Alexandre Bontron, en 1805, et à l'armateur nantais Hippolyte Collineau, en 1808 et 1810).

Panneau

Un des sept panneaux du Musée d'Orléans

En 2011, une grande exposition aux musées d'Orléans, Tours et Richelieu a permis de faire le point sur la destinée des oeuvres d'art qui ornèrent le château du Cardinal.

 


CE QU'ON VOIT AUJOURD'HUI À RICHELIEU

La ville de Richelieu a été bien conservée.

Richelieu plan

Plan archi

De l'ancien château ne subsistent que
la porte d'entrée de la basse-cour, le pavillon du Dôme sur l'anti-cour, l'Orangerie et les Caves.

 

Richelieu Vue generale

Vue perspective générale de Jean Marot

Entrée principale [A]
Basse-cour [B] flanquée de deux arrière-cours [D et E]
Anti-cour où étaient les écuries [F]
Cour du château [G]

Richelieu Cour

La cour du château, par Pérelle

Aile Galerie

Dessin d'architecte de l'aile nord :
le Salon, la Galerie, le grand Escalier


Dans la ville, deux espaces permettent de comprendre ce que fut l'ancien domaine de Richelieu, dans laquel, en amateur averti d’œuvres d’art, le Cardinal de Richelieu avait rassemblé une importante collection de peintures et de sculptures.

L’ESPACE RICHELIEU (28 Grand-Rue)

Dans un hôtel particulier, on découvre l’histoire du Cardinal, de sa ville et de son château disparu reconstitué en 3D.
Chacune des trois salles est consacrée à un thème : "La ville de Richelieu, modèle d'urbanisme du 17e siècle", "Richelieu l'homme rouge", "Les villes nouvelles".

LE MUSÉE (premier étage de l’Hôtel de Ville, place du Marché)

La présentation s'organise autour de six grands thèmes :
–  L’effigie sculptée.
Un ensemble de bustes aux signatures célèbres dont celle de Jean Varin. Richelieu possédait la plus grande collection française de sculptures antiques de la première moitié  du XVIIe siècle, l’une des premières en Europe, soit 400 pièces environ dont 250 dans son château de Richelieu.
La galerie des batailles.
Sont restitués en partie les éléments qui composaient la grande Galerie du Château. On y accède par une des quatre portes monumentales provenant du château. Elle est décorée des chiffres de Richelieu surmontés du chapeau cardinalice et de la couronne ducale. Des éléments marins, ancres croisées, font référence à la charge de Grand Amiral de la Flotte qu’il occupait en 1626. Située au premier étage de l'aile nord du château, la Galerie des Batailles déroulait sur ses murs un programme iconographique d'une exceptionnelle richesse, à la gloire des campagnes militaires menées, de 1627 à 1636, par Louis XIII et Richelieu, à l'intérieur et à l'extérieur du royaume : 12 sièges de villes et 8 batailles. De ce prestigieux décor conservé jusqu'à la Révolution subsistent aujourd'hui douze tableaux appartenant depuis 1837 aux collections du Château de Versailles, dont six d’entre eux sont laissés en dépôt au musée de Richelieu : Le siège de l’Ile de Ré, Le siège de la Rochelle, La Réduction de Montauban, La Réduction de Nîmes, La bataille d’Avein et La prise de Corbie. Au Musée d'Orléans on voit : Le Combat de M. de Montmorency ou de Castelnaudary, Combat de Veillane (Avigliana) et Le Secours de Casale.
L’art du portrait.
De Philippe de Champaigne à Simon Vouet, Richelieu s’est appliqué à utiliser l’art des plus grands maîtres pour servir le Roi et l’Etat. Il aimait en particulier le style de Philippe de Champaigne, un des représentants majeurs du classicisme pictural. Le célèbre peintre réalisa aussi de nombreux portraits de Richelieu, 24 au total. Le Cardinal est représenté en pied, comme le Roi, et non assis, comme le voulait la tradition pour les prélats.
Les gravures de Jean Marot.
Les planches gravées illustrent les différentes vues du château de Richelieu, reproduites à partir de l’exemplaire original de l’album de Jean Marot, présenté dans son intégralité (Le magnifique château de Richelieu, ou les plans, profils et élévations dudit château, 28 feuilles gr. in-fol.)
Richelieu et l'édition.
Le château de Richelieu  est connu grâce à de nombreux plans et gravures du 17e siècle ainsi que l’ouvrage de Benjamin Vignier, ancien gouverneur du château, dans la deuxième moitié du 17e siècle, qui en livra une description fidèle, sorte de guide à l’attention des visiteurs, Le château de  Richelieu ou l’Histoire des Dieux et des Héros de l’Antiquité.
Richelieu et la cité.
Si le château a été détruit, la ville est restée quasiment intacte, telle qu’elle se présentait au XVIIe siècle. Régie par les critères de symétrie et d’axialité, elle a été construite selon des règles bien précises. Son plan très novateur visait à montrer la grandeur de la monarchie. Composé à partir d’objets retrouvés et des lettres patentes de Louis XIII, cet espace illustre le plan ambitieux de la ville alors en cours de construction.


VISITE DE LA VILLE

Richelieu Ville

La Ville de Richelieu

Régularité et symétrie caractérisent cette "cité idéale" du XVIIe siècle, conçue selon le plan "hippodamien" (avec des rues rectilignes se croisant à angle droit), selon un principe qu'on attribue à Hippodamos de Milet, géomètre grec du -Ve siècle.
Entourée de remparts, bordés de douves, la ville se présente sous la forme d’un vaste rectangle  d’environ 620 mètres sur 390 mètres, tracé au cordeau. Elle est accessible par trois portes monumentales, la quatrième, factice, servant à respecter la symétrie de l’ensemble.
Large de douze mètres, la Grand-Rue, artère médiane, bordée de 14 hôtels particuliers de part et d’autre, tous initialement bâtis d’après un plan-type, est orientée nord-sud avec, à chaque extrémité, une place carrée.
Sur la place Nord étaient situés l’Académie et le couvent. Sur la place Sud se trouvent l’église et les halles en vis-à-vis, ainsi que l’Hôtel de Ville, ancien Palais de Justice.

La ville était alimentée en eau filtrée grâce à un système d'écluses novateur.

Le cardinal essaya de convaincre des gens de son entourage de venir s'y installer. On leur donnait le terrain à condition qu'ils s'engagent à construire dans un délai de deux ans un hôtel suivant le plan imposé. De plus, ils étaient dispensés d'impôt. Mais la plupart ne le firent que pour complaire au cardinal. Dès qu'il fut mort, les propriétaires des hôtels se sont hâtés de s'en débarrasser à perte (un hôtel de 10.000 livres était revendu pour 2000). Et la ville s'est peu à peu assoupie. La Fontaine constata que la plupart des hôtels étaient inhabités.

JULIEN GRACQ A JETÉ UN REGARD DÉSABUSÉ SUR LA VILLE – Richelieu en Touraine. Le délabrement de la minuscule cité du Cardinal rappelle celui de l’Alger européenne repeuplée après 1962 par les natifs du gourbi. Les immenses fenêtres des pavillons Louis XIII de la rue principale, hautes de trois mètres cinquante, sont rebouchées à demi, tantôt en haut, tantôt en bas, par des plaques de ciment, qui tentent de les rajuster à l’échelle des modernes bonbonnières ; certaines sont coupées à mi-hauteur par un plancher supplémentaire, comme au château des Papes d’Avignon réaménagé un moment en caserne. Pas un rideau, lorsqu’elles subsistent intactes, à ces verrières géantes : il y a là apparemment un format de voilage que ne fournit plus nul Monoprix. Au fond des porches voûtés, immenses, qui béent sur la rue, on aperçoit un dédale de courettes, d’appentis, de bonbonnes de butane, de cages à lapins. C’est comme un faubourg Saint-Germain repeuplé par Charonne et en route vers le bidonville ; la mesquinerie sordide de l’habitat moderne s’affiche exemplairement dans cette bastide aristocratique colonisée par des squatters petits-bourgeois, dans ces “intérieurs” où les logis de haute époque sont partout réduits hideusement comme des crânes jivaros. (Carnets du grand chemin, 1992, éd. Pléiade, II,949).

Richelieu rue

La Grande-Rue de Richelieu (wikipedia)

 

Richelieu église

L'église de Richelieu (wikipedia)
Les statues des quatre Evangélistes de la façade ont été sauvées à la Révolution :
on avait gravé à la place de leur nom "Voltaire", "Rousseau", "Marat" et le "Père Duchesne" (nom d'un journal).

 

Richelieu porte

Une des portes de Richelieu (wikipedia)

 


VISITE DU PARC

Ceint de 7 kilomètres de mur, le parc de Richelieu, avait une superficie de 475 hectares.
Outre les vastes espaces du Grand-Parc, forêt de chênes, et du Petit-Parc planté d'arbres fruitiers et de charmes, le domaine comportait des jardins comparés au "paradis terrestre" par les voyageurs contemporains, mêlant harmonieusement la présence de l'eau et de la végétation.

A l'est du château, traversés par la rivière du Mâble canalisée et organisés selon deux axes perpendiculaires, le parterre des Romains et le jardin fleuriste ou jardin de plaisance sont les seuls jardins agrémentés de statues.
– Le parterre des Romains, organisé en carrés, était orné de massifs de végétation aux formes de broderies, de bassins et de fontaines, de canaux, de ponts et d'un grand jet d'eau face au château.
– Le jardin de plaisance, en demi-lune, était bordé d'une charmille qui abritait des antiques : deux statues d'Hercule (figurant l'hiver et l'automne) et deux statues de Mercure (figurant le printemps et l'été), ornaient l'entrée du jardin.

Portail d'entrée

Portail d'entrée côté ouest (wikipedia)

Dome

Le pavillon du Dôme, seul reste du château détruit

Orangerie

L'Orangerie (wikipedia)

Caves

La grotte de Bacchus (wikipedia)

Chais intérieur

L'intérieur de la grotte de Bacchus (wikipedia)

Les habitants de Richelieu n’ont jamais témoigné plus de sagesse qu’en plantant quantité de vignes dans un lieu proche de la ville qui était inculte et qui s’appelle la Folie. Le vin en est très bon et peut disputer l’avantage avec le plus excellent bourguignon. (Vignier)

BACCHUS
Savez-vous bien pourquoi ce dieu
Qui chasse la mélancolie
Estime si fort Richelieu ?
C’est qu’il s’y trouve une Folie
Qui fut par la Sagesse introduite en ce lieu.


RECONSTITUTION DU CHÂTEAU DISPARU

A l'occasion de l'exposition de 2011, un gros travail de restitution de l'intérieur a été fait en utilisant les descriptions laissées par de nombreux visiteurs et le guide détaillé publié en 1679 par Benjamin Vignier.

Richelieu catal


Reconstitution du plan du premier étage

Chateau plan

 


DOCUMENTS


DESMARETS DE SAINT-SORLIN,
Les Promenades de Richelieu ou les Vertus chrétiennes, 1653

Desmarets page

 

Dans la cour, autour de laquelle sont de nombreuses statues de dieux antiques; des hirondelles y ont fait leur nid et elles les entourent de leur vol et de leur cris.

Quand du riche escalier que l’étranger admire
Aux deux larges rampants de marbre et de porphyre,
J’entre en la vaste cour où, tournant mes regards,
J’aperçois dans les murs des dieux de toutes parts,
Je crois d’un oeil ravi voir dans la Rome antique
Ce Panthéon pompeux, ce temple magnifique
Ou que du grand Armand le charme industrieux
Le transporta du Tibre entier jusqu’en ces lieux.
Mainte hirondelle passe ; avec son aile aiguë,
Consulte de ces dieux la réponde ambiguë,
Va cent fois et revient, gazouillant alentour
De Jupiter, de Mars, de Vénus et d’Amour.
Mais n’en vois-je pas une, insolente et profane,
Qui gâte de son nid le carquois de Diane ?
Une autre a pour abri la harpe d’Apollon.
Cette autre de Pomone habite un creux melon.
J’admire celle-ci qui, simple, s’aventure
De confier sa race à ce larron Mercure.
Oh ! ridicule dieux, n’entrez pas en courroux :
Chacun impunément se peut rire de vous.


Au sortir du parc, où les eaux, artificiellement canalisées dans le château, retrouvent leur liberté naturelle.

L’eau sortant des canaux s’égaye en ces prés verts,
Comme marche un captif déchargé de ses fers.
Elle était dans la gêne, et morne, et languissante ;
Libre, elle est babillarde, active et bondissante.
Elle aime mieux, folâtre et toujours serpentant,
Par ces chemins tortus courir en s’ébattant.
Elle aime mieux baiser et ces fleurs et ces herbes
Qu’un balustre de bronze et de marbres superbes.
Suivez donc, ô mes pas, ses aimables détours.
J’aime ces lieux fleuris où me conduit son cours.
Dans ces riches vallons je descends avec elle,
Où de mille autres eaux le murmure m’appelle.


Passant sous un portail voûté, on entrait dans les basses-cours, ayant , à droite et à gauche, deux ailes terminées chacune par un pavillon ; l’aile nord où étaient "les écuries du commun à mettre cent chevaux, les granges, fenil, logements des jardiniers et autres gens de travail", l’aile sud avec "les fourrières, fenil, écuries, boulangerie et ménagerie". Puis on entrait dans l’anti-cour où étaient "des écuries magnifiques et le manège".

Sous ce portail voûté d’où sortent deux terrasses
Je vois des basses-cours les deux superbes faces,
Mais dont l’orgueil fléchit sous la comparaison
Du trop voisin orgueil de la riche maison
Et qui semblent aussi lui dire, dépitées :
Quel sort si près de toi jaloux nous a plantées ?
Chacune de nous deux pourrait, ainsi que toi,
Être en autre climat la demeure d’un roi.
Ces deux fronts opposés ressemblent deux armées
Attendant le signal pour combattre animées.
Un corps est au milieu, plus grand, plus exhaussé,
Qui paraît l’avant-garde au pas plus avancé.
Ainsi que ses deux bras les deux ailes s’étendent,
Comme des escadrons qui la trompette attendent.
Et, pour les soutenir, deux larges pavillons
Semblent, à chaque bout, deux fermes bataillons.
La cour pour le combat leur prête un bel espace.
Entre ces fronts hardis audacieux je passe;
Et même des deux parts, sans que tremblent mes sens,
J'entends battre le pied des chevaux hennissants.
Mais puisque de longtemps ne bruira la trompette
Et que sans s'ébranler pour choc ou pour retraite
Demeurent d'un pas ferme et le front et les flancs,
De cent barbes légers allons voir les beaux rangs.
J'ois déjà retentir ces longues écuries
Des dents sous qui gémit la moisson des prairies.
Ô nobles animaux, beaux et souples et fiers!
Ô barbes, ô genets, ô généreux coursiers!
Ce séjour est du moins en grandeur, en richesse
Digne de votre grâce et de votre noblesse.
Ici les prompts valets, à demi dépouillés,
Des sensibles chevaux peignent les crins mouillés.
L'un anime un Danois de sa voix caressante.
L'un met sous un coursier sa dextre applaudissante.
L'un promène une étrille, en frappe le pavé,
Et l'autre jette une eau dont un ventre est lavé.
Ici tout est actif. Les chevaux aux murailles
À regret sont liés, respirant les batailles.
Vers le sage écuyer ce noir barbe est conduit,
Qui déjà fièrement marche d'un pas instruit,
Mâche son mors et jette une écumante neige.
Sous cette large voûte est le poudreux manège
Où maint page s'exerce en diverses façons
Et prend de l'écuyer les savantes leçons.
Que ce barbe est adroit! qu'il fait bien, sous son maître,
Accroître le renom du lieu qui le fit naître!
Qu'il est juste en ces temps! Qu'il est ferme et léger!
Qu'il est prompt sous la main qui le sait ménager!
Qu'il entend bien le voix qui, docte, le domine!
Qu'il est obéissant aux lois de la houssine!


Le parc du château avec ses allées et ses canaux

Quel lieu fut mieux jamais planté par la Nature
Où des nobles aïeux la soigneuse culture
Et la richesse de l’art déployant leurs efforts
Pussent ensemble un jour verser tous leurs trésors ?
Et quelle fut l’assiette à l’égal opportune
Pour recevoir l’amas d’une grande fortune ?
Ô parterres, ô prés ! où les heureux regards
Étendent leurs plaisirs si loin de toutes parts.
Ô routes, ô canaux, ô larges avenues !
Dont se traînent si loin les longueurs continues.
Ô champs non limités, qui montrez à nos yeux
L’azur des lieux lointains joint à celui des cieux.
Au puissant Richelieu par le sort était due,
Pour placer son grand nom, votre vaste étendue.


Un beau clair de lune sur le château et dans le parc, où toutes choses ont leur reflet dans les eaux.

Que j’aime la nuit fraîche et ses lumières sombres
Lorsque l’astre des mois en adoucit les ombres !
Que ce palais pompeux me paraît bien plus beau
Quand il n’est éclairé que du second flambeau,
Dont la douce clarté d’autres grâces apporte,
Rehaussant les reliefs par une ombre plus forte.
Sous la corniche aiguë, une longue noirceur
Sur le mur qui la porte en marque l’épaisseur.
Et chaque niche creuse a de chaque statue
La figure imprimée, obscure et rabattue.
Une brune couleur, des balcons avancés
Trace sur un fond blanc les angles renversés.
Et de chaque obélisque à pointes égalées
Tombent sur le pavé les pointes affilées.
Lorsque sur ce château la lune se fait voir,
En éclaire une part, et peint l'autre de noir,
Je pense voir deux temps que confond la Nature.
Le jour est d'un côté, d'autre la nuit obscure.
Quel miracle! qu'ensemble ici règnent sans bruit
Et partagent la place et le jour et la nuit !
Allons voir aux jardins en plus ample étendue
L'ombre de ce grand corps sur la terre épandue.
Déjà du grand palais si clair, si bien dressé,
J'en vois sortir un autre, obscur et renversé,
Noircissant le parterre, et ses superbes dômes
Sur la terre couchés comme de longs fantômes.
L'ombre aux corps attachée, inégale en son cours,
Suit l'astre également, et s'en cache toujours.
Allons voir ces canaux : quel doux calme en cette onde !
Ici je vois sous terre une lune seconde.
Ici le palais même, et si clair, et si beau,
À chef précipité se renverse dans l'eau.
Ô tromperie aimable ! Ô jeu de la Nature !
Est-ce une vérité ? n'est-ce qu'une peinture ?
Ensemble en trois façons ce palais se fait voir,
En soi-même, en son ombre et dans ce grand miroir,
Où tout est à l'envers, où tout change d'office,
Où les combles pointus portent tout l'édifice.
Les astres pétillants y sont encor plus bas
Et semblent dans un lac prendre leurs doux ébats.
Leurs feux y sont riants, se plongeant sans rien craindre,
Et défiant les eaux de les pouvoir éteindre.
Quoi ? de la ville encor les pavillons égaux
Se montrent renversés dans ces larges canaux,
Et du double clocher les deux pointes égales
Semblent vouloir percer les prisons infernales.
Que la Nature est belle en ses rares effets !
Qu’elle est diverse, aimable, et douce en tous ses faits !


Le parc en automne

Quelle vapeur épaisse occupe l'air épars ?
Et quelle humidité règne de toutes parts?
Le soleil s'éloignant ne prétend plus la gloire
D'avoir surles brouillards une illustre victoire.
Tout pleure son départ, l'air, lers toits et les murs.
Même on en voit pleurer les rochers les plus durs.
Tous ces lieux pour six mois seront mélancoliques
De n'avoir plus de lui que des regards obliques.
Adieu, beaux promenoirs! Je ne puis plus sortir.
Dans l'nclors du palais il faut se divertir.
Aussi bien de ses fleurs la terre est dépouillée.
Quel plaisir de fouler l'herbe toujours mouillée?
Je ne vois qu'à regret les arbres moins feuillus;
Les vents leur font la guerre et ne les flattent plus.
Je ne vois qu'à regret ces couleurs différentes
Dont l'automne sans art peint les feuilles mourantes.
Leur beau vert si riant tout à coup s'est changé
En jaune, en amarante, en rouge, en orangé.
Déjà de leurs rameaux la plupart descendues
Souffrent un triste sort sur la terre étendues,
Où viles, sans repos, elle servent d'ébats
Aux cruels aquilons qui les mirent à bas.


Découverte de l’intérieur du château par des visiteurs étrangers. Après la visite de la chapelle, on parcourt tout l’étage noble en suivant le parcours imposé : chambre de Moïse, chambre de Porcie, chambre de Lucrèce, appartements de la reine, du roi et du cardinal, pour terminer par la grande galerie et le salon. On s’intéresse à la décoration, au mobilier, aux tapisseries et surtout aux peintures.

Mais, puisque la saison nous est injurieuse,
Suivons des étrangers la bande curieuse,
Qui de leur cher pays pnt laissé les climats
Pour voir de raretés un splendide amas,
Attirés par le nom du Ministre de France
Le plus comblé de gloire et d'heur et de puissance
Qui, n'aimant que son Roi, de ce fameux palais
Fit bâtir la merveille et ne le vit jamais.
Déjà d'étonnement cette troupe est muette
Et je puis leur servir de guide et d'interprète.
La civilité douce est due aux étrangers.
Au défaut des canaux, des parcs et des vergers,
Des grands appartements visitons la richesse
Et des beaux traits de l'art la pompeuse noblesse.
Malgré la triste pluie et les cieux conjurés,
Nous aurons à couvert des promenoirs dorés
Où les rares tableaux imitant la nature
Des plus belles saisons ont du moins la peinture.

La chapelle

Mais il fait avant tout rendre l'honneur à Dieu:
Sous ce pavillon gauche allons voir le saint lieu.
C'est l'auguste chapelle, où vingt blanches colonnes
Ont leurs chapiteaux d'or comme autant de couronnes.
En la base, en la frise et dans la voûte encor
Du blanc la douceur règne avec celle de l'or.
Que d'illustres tableaux ornent ces feints portiques!
Que de nobles enfants des grands peintres antiques!
O doux charmes des yeux! O merveilleux travaux
De qui les traits divins rendent les coeurs dévots.

Début de la visite de l'étage noble : la chambre de Moïse

Mais montons à la droite, où les chambres parées
Se font voir tout de rang et peintes et dorées.
Dans ce grand pavillon, éclairé de trois parts,
Voici la chambre gaie, agréable aux regards,
Où du vert et de l'or rit l'aimable mélange,
Où tout le meuble est vert et d'or la riche frange.
Ici l'Enfant hébreu, sur l'onde abandonné,
Surprend une princesse, aux doux oeil étonné,
Qui d'un soin charitable, et contente et craintive,
Voit le berceau de joncs qui sur le bord arrive.
Aussi tout ce séjour, de verdure animé,
Du merveilleux Moïse a le nom renommé.
Voici la chambre ensuite où l'illustre Porcie,
Sachant le triste sort de Brute et de Cassie,
Déteste les destins de la vertu jaloux,
Refuse de survivre à son constant époux
Et, plutôt que se voir aux tyrans asservie,
Avec de vifs charbons brûle sa chaste vie.
Des lambris, des planchers la peinture est d'azur,
Sur qui rampe un feuillage éclatant d'un or pur.
D'un bleu pastel à fond blanc sont du lit les courtines
Et d'or mêlé d'argent sont les longues crépines.
Les sièges, les tapis, dans ce doux logement,
Ont l'étoffe pareille et pareil ornement.
Les murs sont revêtus de la diverse histoire
Des plus hardis Romains émus d'ardente gloire,
Du magnanime Curse au gouffre se jetant
Et du vaillant Coclès sur le pont combattant.

La chambre de Lucrèce

Dans l'autre appartement la pudique Lucrèce,
De grâce et de courage égalant sa noblesse,
Sur elle de Tarquin venge l'infâme effort
Et rend à son pays la franchise en sa mort.
Ici du haut plancher la peinture est vermeille
Dont à l'envi de l'or le beau feu se réveille.
Sur un rouge velours les sièges et le lit
Ont l'or de qui l'éclat aux regards rejaillit.
Et d'un ouvrage exquis la muraille est tendue
Où, fuyant Apollon, Daphné court éperdue.

L'appartement de la Reine

Ensuite est le séjour, naguère habité
D'une reine sans pair, brillante en majesté,
Dont le sceptre, en la main la plus belle du monde,
Fera régner son fils sur la terre et sur l'onde.
Voyez quelle richesse aux planchers, aux lambris
Des grands éclats de l'or partout l'oeil est surpris.
Voyez peinte au plafond Pallas qui, douce et sage,
Fait naître l'olivier, de la paix le présage.
Et Neptune à l'envi, dans un pareil moment,
Fait sortir de la terre un coursier écumant.
Fais naître pour la France, Anne, reine des reines,
Cette paix que Pallas fit naître pour Athènes.
Que ce lit est riant! l'or, l'argent, les couleurs
Sur un fond violet ont tracé mille fleurs.
Des fleurs sur même fond les nuances aimables
Parent également les sièges et les tables.
D'un ornement pompeux le mur est tapissé.
Tout l'ouvrage est de soie, et d'or est rehaussé.
Là, dans un beau palais de cent sources humides,
Languit l'heureux Renaud entre les bras d'Armide.

Le cabinet de la Reine, avec la suite des femmes fortes

Entrons au cabinet, riche et délicieux,
Où le meuble à fond d'or soudain frappe les yeux.
Voyez sur le lambris les dames courageuses
Qui domptèrent du sort les rigueurs outrageuses.
Judith, qui triompha du chef de l'étranger;
Esther qui des Hébreux détourna le danger;
Celle qui de l'époux buvait la cendre aimée;
Celle que mord l'aspic, par Auguste enfermée;
Celle qui se dérobe aux Romains triomphants
Et dans les feux s'élance avec ses chers enfants.
Ici boit l'aconit Sophonisbe la fière;
Là tient un chef coupé Tomitis la guerrière,
Le plongeant dans le sang qu'il avait tant aimé;
Et là Didon se tue au bûcher allumé.
Enfin par sa valeur ici maintient son trône
La reine qui bâtit les murs de Babylone.

Le cabinet de la Reine avec les quatre compositions de Claude Deruet

Mais haussons les regards : quel pinceau délicat
A peint tant de plaisirs, tant de pompe et d'éclat ?
Ici dans un char d'or notre auguste Princesse
De ses aimables mains tient sa double richesse,
Ses fils donnés du Ciel et le juste Louis
Parmi l'amas nombreux des princes réjouis,
Près de l'illustre Armand, la terreur de l'Espagne,
Sur un coursier fougueux bondit par la campagne.
Sur un char à côté de même font leur cour
Junon, Pallas, Vénus, les aimables Amours
Et la riche Abondance avec la Renommée
Qui, par l'airain sonnant, rend la bande animée.
Dans un semblable char est le troupeau savant,
Par leurs doctes concerts tous les coeurs émouvant,
Les neuf divines Soeurs, belles et bien parées,
Qui mêlent à leurs luths leurs chansons mesurées.
Mille peuples divers suivent par pelotons,
Alentour d'autres chars enrichis de festons
Où chaque Nation dont l'image est assise
Vient à l'heur de Louis soumettre sa franchise
Aux bords du fleuve heureux qui lave Saint-Germain.
Le roi sur leurs présents jette un regard humain.

Dans le second tableau des Lorrains la Duchesse
De ses dames fait voir les charmes et l'adresse.
Toutes sont dans les prés sur des chevaux polis.
La rose est en leur teint sur un beau champ de lys.
Sur leur poing est l'autour, le lanier ou le sacre.
Maints sont déjà dans l'air et maints font un massacre
D'innocentes perdrix parmi les épagneux,
Courant leur proie à bas d'un plumage soigneux.
L'une attend, l'autre court dans ces larges espaces.
Que de doux passetemps! que d'attraits! que de grâces!

Dans cet autre tableau sont les jeux de la nuit.
De flambeaux infinis une cité reluit.
De chevaliers masqués les places sont remplies,
Étalant en l'envi leur pompe et leurs folies.

En ce cadre dernier sont les plaisirs divers
Sur les fleuves glacés dans les âpres hivers.
Dans les riches traineaux chaque bande est diverse:
L'une coule et triomphe, et l'autre se renverse.
Sortons. Ici les yeux ne se lassent jamais.

Dans l'antichambre de la Reine

Voyez dans l'antichambre et Thémis et la Paix
Qui s'embrassent toujours d'une étreinte loyale.

La chambre du Roi

Mais gardons nos regards pour la chambre royale.
Déjà l'oeil s'éblouit; déjà de tous côtés
L'or bruni nous répand ses brillantes clartés
Et laisse peu d'espace à la douce peinture
Pour parer des plafonds l'orgueilleuse sculpture.
Là le vaillant Achille abat le preux Hector.
Et sur la cheminée, où tout éclate d'or,
De Pyrrhe l'inhumaine et pieuse colère
Immole Polyxène aux mânes de son père.
Les couronnes, les lys, les sceptres d'or couverts
Sont joints sur les lambris aux ornements divers.
Que ce lit est pompeux! d'or et d'argent se presse,
Sur un fond incarnat, la broderie épaisse.
Les sièges ont autour un vêtement pareil
Sous qui s'étend de Perse un long tapis vermeil.
Un ouvrage tramé, plus plein d'or que de soie,
Dans l'espace des murs peint la brûlante Troie.
D'or est le grand cheval, d'or y sont tous les feux,
Et d'or y sont armés tous les Grecs outrageux.
L'or à l'argent se joint sur les troupes craintives
Et sur les longs habits des princesses captives.
Dans ce grand cabinet, de clartés pétillant,
La pompe luit partout : sur l'or doux l'or brillant.
D'or les riches plafonds, d'or les lambris éclatent
Et la richesse et l'art partout ici combattent.
Voyez quels ornements règnent aux environs.
Voyez tous ces tridents, ces mâts, ces avirons
Et ces beaux entrelacs d'ancres d'or étoffées :
Ce sont du grand Armand les superbes trophées,
D'avoir fait que Louis, le premier de nos rois,
Sur le vaste Océan ait su porter ses lois.
Les bords de la corniche ici sont magnifiques
De vases de porphyre et de bustes antiques.
Dans vingt cadres dorés au-dessous sont les mers
Où tous les dieux marins ont leurs ébats divers
Et, d'amour consumés, fendent les flots humides,
Portant leurs chers trésors, les belles Néréides.
Avec son Amphitrite, en un beau char doré,
Neptune va pompeux sur l'empire azuré.
Mille Amours sont autour, jouant sur l'onde verte,
Montés sur des dauphins à la narine ouverte.

Plus haut voyez de l'art les plus rares effets.
Ces tableaux merveilleux, ces chefs-d'oeuvre parfaits.
Ici du grand Poussin la mignardise règne,
Du Pérugin charmant et du docte Mantegne,
Et d'autres dont le trait par l'oeuvre est ennobli
Mais dont les tristes noms sont plongés dans l'oubli.
Que de douces beautés ! que d'aimables figures!
Voyez le riche amas des diverses postures,
Le char orné de pampre où triomphe Bacchus
Des peuples du Matin par son thyrse vaincus.
Voyez la fureur gaie et les folles boutades
Des Satyres cornus et des belles Ménades.

L'ouvrage en l'autre cadre est beau, mais sérieux
Où la sage Pallas, d'un regard furieux,
Seule combat Vénus, les Amours et les Grâces,
Qui tombent sous son fer, déjà faibles et lasses.
Que ce peintre est trompeur! la Grâce a l'oeil mignard
En son tableau succombe et triomphe en son art.

Passons : voyez ici les divers sacrifices.
Là font des beaux combats les Vertus et les Vices,
Les Arts et l'Ignorance, et dessous les Vertus.
Enfin voyez l'effroi des Vices abattus.
Ici sont les neuf Soeurs, de Mémoire la race,
Dansant au son des voix dans un val de Parnasse.
Apollon est assis, qui d'un juste compas
Marque avec son archet la cadence à leurs pas.
Là le Cirque romain ses colonnes étale,
Où Tite répand l'or de sa main libérale.
Voyez le peuple actif, les femmes, les enfants,
Pour le désir de l'or émus et s'étouffant.
Mais, Tite, nul ici n'admire tes largesses,
Où l'Art bien plus que toi nous répand de richesses.

L'antichambre du Roi

Sortons des doux liens de ce charme innocent.
Ici, dans l'antichambre, est Achille naissant.
Là sous l'habit trompeur l'aime Deidamie
Et Vulcain l'arme ici contre Troie ennemie.

Le double escalier central

Allons voir ce lieu vaste et cet ample palier
D'où partent les rampants de ce double escalier.
Les carreaux blancs et noirs sont si clairs qu'on s'y mire
Et le riche balustre est de rouge porphyre.
Deux balcons, des deux parts au dehors avancés,
Laissent dans un beau choix les regards balancés,
Ou pour voir de la cour les trois superbes faces,
Ou pour voir les jardins, les canaux, les terrasses.
Trois bases de porphyre ont, de chaque côté,
Trois restes de l'exacte et docte Antiquité.
Quel ciseau délicat a taillé ces statues ?
Trois sont à longs habits, les autres non vêtues.
Là c'est Antinoüs, d'Hadrien si chéri,
Là c'est le beau Chasseur, de Vénus favori.
Ces Dames ont tant d'art qu'elles semblent mouvantes;
Si leurs noms sont éteints, leurs beautés sont vivantes.

Appartement du Cardinal : grande salle aux deux cheminées, antichambre, chambre et cabinet

Voici la longue salle; et du divin Armand
Ensuite se fait voir le noble appartement.
D'or, d'azur, de festons les voûtes sont ornées.
Aux bouts sont opposés deux fronts de cheminées.
En l'une est le grand Dieu qui, de l'un de ses doigts,
Trace pour les Hébreux ses vénérables lois.
Et Salomon l'ingrat en l'autre les viole
Et, pour plaire aux Beautés, sacrifie à l'Idole.

Les murs de l'antichambre ont des sanglants combats,
De la chasse aux lions les dangereux ébats.
Un cheval sent des loups les mordantes atteintes
Et déjà de son sang leurs mâchoires sont teintes.

Voyons la chambre peinte et d'or et de vermeil.
Au plancher éclatant le lambris est pareil.
D'un tabis incarnat ici le meuble ondoie,
Couvert d'un entrelas de fils d'or et de soie.
Ici vole un vieillard, qui de l'obscurité
Tire en portant sa faux la belle Vérité.

Dans le clair cabinet tout est beau, tout est riche.
Voyez les raretés que porte la corniche.
Cette table est de jaspe et tous ses ornements,
Ces délicates fleurs et ces compartiments
Sont formés d'un amas de pierres précieuses
Que tailla le bel art des mains laborieuses,
Qui de la pierre même élurent les couleurs
Dont se fit sans pinceau la nuance des fleurs.
L'Art imite souvent les corps de la Nature :
Ici d'un corps solide il forme une peinture.

La grande Galerie

Mais une large porte, ouverte des deux parts,
Hors d'ici malgré nous attire nos regards.
Déjà dans ce beau lieu d'une longue étendue
La vue insatiable entre et vole éperdue.
Que cette galerie est noble en sa grandeur!
Que le blanc joint à l'or y répand de splendeur!
D'abord sur un coursier est peint le Prince Juste.
À côté, sur un barbe, est son Ministre auguste.
Et tous leurs grands exploits, des Muses tant chantés,
Ici dans les tableaux sont peints de tous côtés:
L'heur des sanglants combats, les citadelles prises,
Les passages forcés, les provinces conquises.
La voûte a les beaux faits des antiques guerriers,
Aux faits du grand Louis soumettant leurs lauriers.
Là de Tyr le long siège en sa gloire n'égale
La Rochelle soumise à la force royale.
Là le grand Annibal les Alpes surmontant
Cède au puissant Louis à Suse combattant.
Que César, qu'Alexandre ici leurs faits égalent :
Les seuls faits de Louis à tous les leurs s'égalent.
D'Ulysse les travaux achèvent l'ornement,
À leur honte opposés aux grands travaux d'Armand.
Que d'armes! que d'assauts! que des gestes illustres
Qui, dans un heur égal, soutinrent quatre lustres!
À peine un jour suffit pour voir sur ces beaux murs
Ce qu'à peine croiront tous les siècles futurs.
Voyez sous chaque cadre en ordre magnifique
Sur la corniche d'or assis un buste antique.

Le Salon

Mais enfin dans quel lieu si rempli de clartés
Nous conduisent nos pas après tant de beautés ?
L'entrée est soutenue avec mainte colonne.
De tant de raretés c'est ici la couronne.
C'est ce large salon, clair et délicieux,
Dont la voûte paraît s'élever jusqu'aux cieux.
Que de bustes pompeux, que de rares statues
Qui subsistent encor, d'un long âge battues!
Ici le grand Auguste, et Tibère opposé,
Découvrent leurs esprits, l'un doux, l'autre rusé.
Quel fut l'habile Ouvrier dont les doctes caprices
Font survivre à leur mort ces deux Impératrices,
Et Livie et Mammée, et dont l'art excellent
Fait dans ces plis légers voir le marbre volant ?
Quel est l'oeil curieux qui, ravi, ne révère
Ces chefs d'oeuvres divins, Germanique et Sévère,
Dont le hardi labeur est si tendre et si beau
Et qui semblent tous deux sortis nus du tombeau
Pour venir reprocher d'une vue enflammée,
(Germanique à Tibère et Sévère à Mammée)
À l'un l'esprit jaloux qui lui hâta le sort,
La soif de l'or à l'autre, instrument de sa mort.
O cruelle Avarice, à quels maux tu t'exposes
Qui, voulant tout avoir, perd enfin toutes choses ?
Hélas! que tu ternis de grandes qualités !
Que tu détruis d'honneurs et de félicités !
La valeur d'Alexandre en ce buste respire.
Cet autre est de Pyrrhus, le vaillant roi d'Épire.
L'autre est le grand César, de porphyre vermeil.
L'autre Épaminondas, ce Thébain sans pareil.

Les portraits de Armand-Jean de Vignerot du Plessis et de son épouse Anne

Là l'héritier d'Armand, qui ce barbe gouverne,
Est peint tel qu'il parut sur les bords de Salerne,
Quand son coeur, triomphant des flots assujettis,
Et des vaisseaux d'Espagne en un golfe engloutis,
Non assouvi de gloire, aux forces de la terre
Pour un second trophée osa porter la guerre.
Son épouse charmante est de l'autre côté,
Sur un cheval plus doux, pleine de majesté.
Tous deux semblent, du sort soutenant les outrages,
Venir chercher l'avis de tant de têtes sages.
Et ce lieu semble digne, en son riche appareil,
D'être pour ces héros la salle du conseil.
Non, ne consultez pas leurs maximes païennes,
O couple bienheureux, instruit aux lois chrétiennes.
Mais consultez le Ciel, dont la juste bonté
Fera que par vos coeurs le sort sera dompté.
[…]


LA FONTAINE
Lettres à sa femme sur sa visite au château de Richelieu
(1663)

 

LETTRE IV, 5 septembre 1663

Étant arrivés à Richelieu, nous commençâmes par le château, dont je ne vous enverrai pourtant la description qu’au premier jour. Ce que je vous puis dire en gros de la ville, c’est qu’elle aura bientôt la gloire d’être le plus beau village de l’univers. Elle est désertée petit à petit, à cause de l’infertilité du terroir, ou pour être à quatre lieues de toute rivière et de tout passage. En cela son fondateur, qui prétendait en faire une ville de renom, a mal pris ses mesures, chose qui ne lui arrivait pas fort souvent. Je m’étonne, comme on dit qu’il pouvait tout, qu’il n’ait pas fait transporter la Loire au pied de cette nouvelle ville, ou qu’il n’y ait fait passer le grand chemin de Bordeaux. Au défaut, il devait choisir un autre endroit, et il en eut aussi la pensée; mais l’envie de consacrer les marques de sa naissance l’obligea de faire bâtir autour de la chambre où il était né. Il avait de ces vanités que beaucoup de gens blâmeront, et qui sont pourtant communes à tous les héros […]. Peut-être aussi que l’ancien parc de Richelieu, et les bois de ses avenues, qui étaient beaux, semblèrent à leur maître dignes d’un château plus somptueux que celui de son patrimoine; et ce château attira la ville, comme le principal fait l’accessoire.

Enfin elle est, à mon avis,
Mal située et bien bâtie:
On en a fait tous les logis
D’une pareille symétrie.

Ce sont des bâtiments fort hauts;
Leur aspect vous plairait sans faute:
Les dedans ont quelques défauts;
Le plus grand c’est qu’ils manquent d’hôte.

La plupart sont inhabités;
Je ne vis personne en la rue :
Il m’en déplut ; j’aime aux cités
Un peu de bruit et de cohue.

J’ai dit la rue, et j’ai bien dit ;
Car elle est seule et des plus droites:
Que Dieu lui donne le crédit
De se voir un jour des cadettes !

Vous vous souviendrez bien et beau
Qu’à chaque bout est une place
Grande, carrée, et de niveau;
Ce qui sans doute a bonne grâce.

C’est aussi tout, mais c’est assez.
De savoir si la ville est forte,
Je m’en remets à ses fossés,
Murs, parapets, remparts, et porte.

Au reste, je ne vous saurais mieux dépeindre tous ces logis de même parure que par la place Royale : les dedans sont beaucoup plus sombres, vous pouvez croire, et moins ajustés.

J’oubliais à vous marquer que ce sont des gens de finance et du conseil, secrétaires d’état, et autres personnes attachées à ce cardinal, qui ont fait faire la plupart de ces bâtiments par complaisance et pour lui faire leur cour. Les beaux esprits auraient suivi leurs exemples, si ce n’était qu’ils ne sont pas grands édificateurs, comme dit Voiture (1): car d’ailleurs ils étaient tous pleins de zèle et d’affection pour ce grand ministre. Voilà ce que j’avais à vous dire touchant la ville de Richelieu. Je remets la description du château à une autre fois. […]

LETTRE V, 12 sept. 1663

Je vous promis par le dernier ordinaire la description du château de Richelieu ; assez légèrement, pour ne vous en point mentir, et sans considérer mon peu de mémoire, ni la peine que cette entreprise me devait donner. Pour la peine, je n’en parle point, et, tout mari que je suis, je la veux bien prendre: ce qui me retient, c’est le défaut de mémoire, pouvant dire la plupart du temps que je n’ai rien vu de ce que j’ai vu, tant je sais bien oublier les choses. Avec cela, je crois qu’il est bon de ne point passer par-dessus cet endroit de mon voyage sans vous en faire la relation. Quelque mal que je m’en acquitte, il y aura toujours à profiter; et vous n’en vaudrez que mieux de savoir, sinon toute l’histoire de Richelieu, au moins quelques singularités qui ne me sont point échappées, parce que je m’y suis particulièrement arrêté. Ce ne sont peut-être pas les plus remarquables; mais que vous importe ? De l’humeur dont je vous connais, une galanterie sur ces matières vous plaira plus que tant d’observations savantes et curieuses. Ceux qui chercheront de ces observations savantes dans les lettres que je vous écris se tromperont fort. Vous savez mon ignorance en matière d’architecture, et que je n’ai rien dit de Vaux que sur des mémoires. Le même avantage me manque pour Richelieu: véritablement, au lieu de cela, j’ai eu les avis de la concierge et ceux de M. de Châteauneuf; avec l’aide de Dieu et de ces personnes, j’en sortirai. Ne laissez pas de mettre la chose au pis; car il vaut mieux, ce me semble, être trompée de cette façon que de l’autre. En tous cas, vous aurez recours à ce que M. Desmarests a dit de cette maison : c’est un grand maître en fait de descriptions. Je me garderais bien de particulariser aucun des endroits où il a pris plaisir à s’étendre, si ce n’était que la manière dont je vous écris ces choses n’a rien de commun avec celle de ses promenades. (2)

Nous arrivâmes donc à Richelieu par une avenue qui borde un côté du parc. Selon la vérité cette avenue peut avoir une demi-lieue ; mais, à compter selon l’impatience où j’étais, nous trouvâmes qu’elle avait une bonne lieue tout au moins. Jamais préambule ne s’est rencontré si mal à propos, et ne m’a semblé si long. Enfin on se trouve en une place fort spacieuse ; je ne me souviens pas bien de quelle figure elle est : demi-ronde ou demi-ovale, cela ne fait rien à l’histoire, et pourvu que vous soyez avertie que c’est la principale entrée de cette maison, il suffit. Je ne me souviens pas non plus en quoi consistent la basse-cour, l’avant-cour, les arrière-cours, ni du nombre des pavillons et corps-de-logis du château, moins encore de leur structure. Ce détail m’est échappé ; de quoi vous êtes femme encore une fois à ne pas vous soucier bien fort : c’est assez que le tout est d’une beauté, d’une magnificence, d’une grandeur, dignes de celui qui l’a fait bâtir. Les fossés sont larges et d’une eau très pure. Quand on a passé le pont-levis, on trouve la porte gardée par deux dieux, Mars et Hercule. Je louai fort l’architecte de les avoir placés à ce poste-là, car, puisque Apollon servait quelquefois de simple commis à son éminence, Mars et Hercule pouvaient bien lui servir de suisses. Ils mériteraient que je m’arrêtasse à eux un peu davantage, si cette porte n’avait des choses encore plus singulières. Vous vous souviendrez surtout qu’elle est couverte d’un dôme, et qu’il y a une Renommée au sommet : c’est une déesse qui ne se plaît pas d’être enfermée et qui s’aime mieux en cet endroit que si on lui avait donné pour retraite le plus bel appartement du logis.

Même elle est en une posture
Toute prête à prendre l’essor ;
Un pied dans l’air, à chaque main un cor,
Légère et déployant les ailes,
Comme allant porter les nouvelles
Des actions de Richelieu,
Cardinal, duc, et demi-dieu.
Telle enfin qu’elle devait être
Pour bien servir un si bon maître,
Car tant moins elle a de loisir,
Tant plus on lui fait de plaisir.

Cette figure est de bronze et fort estimée (3). Aux deux côtés du frontispice que je décris, on a élevé, en manière de statues, de pyramides, si vous voulez, deux colonnes du corps desquelles sortent des bouts de navires. (Bouts de navires ne vous plaira guère, et peut-être aimeriez-vous mieux le terme de pointes ou celui de becs; choisissez le moins mauvais de ces trois mots-là: je doute fort que pas un soit propre ; mais j’aime autant m’en servir que d’appeler cela colonnes rostrales.) Ce sont des restes d’amphithéâtre qu’on a rencontrés fort heureusement, n’y ayant rien qui convienne mieux à l’amirauté, laquelle celui qui a fait bâtir ce château joignait à tant d’autres titres  (3bis). De dedans la cour, et sur le fronton de la même entrée, on voit trois petits Hercules, autant poupins et autant mignons que le peuvent être de petits Hercules; chacun d’eux garni de sa peau de lion et de sa massue (4) (cela ne vous fait-il point souvenir de ce saint Michel garni de son diable) ? Le statuaire, en leur donnant la contenance du père, et en les proportionnant à sa taille, leur a aussi donné l’air d’enfants, ce qui rend la chose si agréable qu’en un besoin ils passeraient pour Jeux ou pour Ris, un peu membrus à la vérité. Tout ce frontispice est de l’ordonnance de Jacques Lemercier (5) et a de part et d’autre un mur en terrasse qui découvre entièrement la maison, et par où il y a apparence que se communiquent deux pavillons qui sont aux deux bouts.

Si le reste du logis m’arrête à proportion de l’entrée, ce ne sera pas ici une lettre, mais un volume; qu’y ferait-on? il faut bien que j’emploie à quelque chose le loisir que le roi nous donne. Autour du château sont force bustes et force statues, la plupart antiques, comme vous pourriez dire des Jupiters et des Apollons, des Bacchus, des Mercures, et autres gens de pareille étoffe (6), car, pour les dieux, je les connais bien, mais pour les héros et grands personnages, je n’y suis pas fort expert: même il me souvient qu’en regardant ces chefs-d’œuvre je pris Faustine pour Vénus; (à laquelle des deux faut-il que je fasse réparation d’honneur?) et puisque nous sommes sur le chapitre de Vénus, il y en a quatre de bon compte dans Richelieu, une entre autres divinement belle, et dont M. de Maucroix dit que Le Poussin (7) lui a fort parlé, jusqu’à la mettre au-dessus de celle de Médicis (8). Parmi les autres statues qui ont là leur appartement et leurs niches, l’Apollon et le Bacchus (9) emportent le prix, au goût des savants ; ce fut toutefois Mercure que je considérai davantage, à cause de ces hirondelles qui sont si simples que de lui confier leurs petits, tout larron qu’il est: lisez cet endroit des promenades de Richelieu (10) ; il m’a semblé beau; aussi bien que la description de ces deux captifs (11) dont M. Desmarests dit que l’un porte ses chaînes patiemment, l’autre avec force et contrainte. On les a placés en lieu remarquable, c’est-à-dire à l’endroit du grand degré, l’un d’un côté du vestibule, l’autre de l’autre; ce qui est une espèce de consolation pour ces marbres dont Michel-Ange pouvait faire deux empereurs.

L’un toutefois de son destin soupire,
L’autre paraît un peu moins mutiné.
Heureux captifs ! si cela se peut dire
D’un marbre dur et d’un homme enchaîné.

Je ne voudrais être ni l’un ni l’autre
Pour embellir un séjour si charmant;
En d’autres cas, votre sexe et le nôtre
De l’un des deux se pique également.

Nous nous piquons d’être esclaves des dames;
Vous vous piquez d’être marbres pour nous;
Mais c’est en vers, où les fers et les flammes
Sont fort communs, et n’ont rien que de doux.

Pardonnez-moi cette petite digression; il m’est impossible de tomber sur ce mot d’esclave sans m’arrêter: que voulez-vous? chacun aime à parler de son métier, ceci soit dit toutefois sans vous faire tort. Pour revenir à nos deux captifs, je pense bien qu’il y a eu autrefois des esclaves de votre façon qu’on a estimés; mais ils auraient de la peine à valoir autant que ceux-ci. On dit qu’il ne se peut rien voir de plus excellent, et qu’en ces statues Michel-Ange a surpassé non seulement les sculpteurs modernes, mais aussi beaucoup de choses des anciens. Il y a un endroit qui n’est quasi qu’ébauché, soit que la mort, ne pouvant souffrir l’accomplissement d’un ouvrage qui devait être immortel, ait arrêté Michel-Ange en cet endroit-là, soit que ce grand personnage l’ait fait à dessein, et afin que la postérité reconnût que personne n’est capable de toucher à une figure après lui. De quelque façon que cela soit, je n’en estime que davantage ces deux captifs, et je tiens que l’ouvrier tire autant de gloire de ce qui leur manque que de ce qu’il leur a donné de plus accompli.

Qu’on ne se plaigne pas que la chose ait été
Imparfaite trouvée,
Le prix en est plus grand, l’auteur plus regretté
Que s’il l’eût achevée. (12)

Au lieu de monter aux chambres par le grand degré, comme nous devions en étant si proches, nous nous laissâmes conduire par le concierge; ce qui nous fit perdre l’occasion de le voir, et il n’en fut fait nulle mention. M. de Châteauneuf lui-même, qui l’avait vu, ne se souvint pas d’en parler.

De quoi je ne lui sais aucunement bon gré;
Car d’autres gens m’ont dit qu’ils avaient admiré
Ce degré,
Et qu’il est de marbre jaspé. (13)

Pour moi, ce n’est ni le marbre ni le jaspe que je regrette, mais les antiques qui sont au haut, particulièrement ce favori de l’empereur Adrien, Antinoüs, qui dans sa statue contestait de beauté et de bonne mine contre Apollon, avec cette différence pourtant que celui-ci aurait l’air d’un dieu et l’autre d’un homme. (14)

Je ne m’amuserai point à vous décrire les divers enrichissements ni les meubles de ce palais. Ce qui s’en peut dire de beau, M. Desmarests l’a dit ; puis nous n’eûmes quasi pas le loisir de considérer ces choses, l’heure et la concierge nous faisant passer de chambre en chambre (15), sans nous arrêter qu’aux originaux des Albert-Dure, des Titians (16), des Poussins, des Pérugins, des Mantègnes, et autres héros dont l’espèce est aussi commune en Italie que les généraux d’armée en Suède.
Il y eut pourtant un endroit où je demeurai longtemps. Je ne me suis pas avisé de remarquer si c’est un cabinet ou une antichambre (17) : quoi que ce soit, le lieu est tapissé de portraits,

Pour la plupart environ grands
Comme des miroirs de toilette;
Si nous eussions eu plus de temps,
Moins de hâte, une autre interprète,
Je vous dirais de quelles gens.

Vous pouvez juger que ce ne sont pas gens de petite étoffe. Je m’attachai particulièrement au cardinal de Richelieu, cardinal qui tiendra plus de place dans l’histoire que trente papes; au duc (18) qui a hérité de son nom, de ses belles inclinations, et de son château ; au feu amiral de Brézé (19), c’est dommage qu’il soit mort si jeune, car chacun en parle comme d’un seigneur qui était merveilleusement accompli, et bien auprès de Mars, d’Armand, et de Neptune. Monsieur le prince et lui auraient entrepris de remplir le monde de leurs merveilles : monsieur le prince la terre et le duc de Brézé la mer. Le premier est venu à bout de son entreprise, l’autre l’aurait fort avancée s’il eût vécu; mais un coup de canon l’arrêta, et l’alla choisir au milieu d’une armée navale. Je ne sais si on me montra le marquis (20) et l’abbé (21) de Richelieu. Il y a toute apparence que leurs portraits sont aussi dans ce cabinet, quoiqu’ils ne fussent qu’enfants lorsqu’on le mit en l’état qu’il est. Tous deux sont bien dignes d’y avoir place. Tant que le marquis a vécu, il a été aimé du roi et des belles; l’abbé l’est de tout le monde par une fatalité dont il ne faut point chercher la cause parmi les astres.

Outre la famille de Richelieu (22), je parcours celle de Louis XIII (23). Le reste est plein de nos rois et reines, des grands seigneurs, des grands personnages de France (je fais deux classes des grands personnages et des grands seigneurs, sachant bien qu’en toute chose il est bon d’éviter la confusion) : enfin c’est l’histoire de notre nation que ce cabinet.
On n’a eu garde d’y oublier les personnes qui ont triomphé de nos rois. Ne vous allez pas imaginer que j’entende par là des Anglais ou des Espagnols ; c’est un peuple bien plus redoutable et bien plus puissant dont je veux parler : en un mot ce sont les Jocondes (24), les belles Agnès, et ces conquérantes illustres sans qui Henri quatrième aurait été un prince invincible. Je les regardai d’aussi bon cœur que je voudrais voir votre oncle à cent lieues d’ici.

Enfin nous sortîmes de cet endroit, et traversâmes je ne sais combien de chambres riches, magnifiques, des mieux ornées, et dont je ne dirai rien; car de m’amuser à des lambris et à des dorures, moi que Richelieu a rempli d’originaux et d’antiques, vous ne me le conseilleriez pas; toutefois je vous avouerai que l’appartement du roi m’a semblé merveilleusement superbe: celui de la reine ne l’est pas moins ; il y a tant d’or qu’à la fin je m’en ennuyois (25). Jugez ce que peuvent faire les grands seigneurs, et quelle misère c’est d’être riche: il a fallu qu’on ait inventé les chambres de stuc où la magnificence se cache sous une apparence de simplicité. Il est encore bon que vous sachiez que l’appartement du roi consiste en diverses pièces, dont l’une, appelée le grand cabinet (26), est remplie de peintures exquises: il y a entre autres des Bacchanales du Poussin (27) et un combat burlesque et énigmatique de Pallas et de Vénus d’un peintre que la concierge ne nous put nommer (28). Vénus a le casque en tête et une longue estocade. Je voudrais pour beaucoup me souvenir des autres circonstances de ce combat et des différents personnages dont est composé le tableau, car chacune de ces déesses a son parti qui la favorise. Vous trouveriez fort plaisantes les visions que le peintre a eues. Il fait demeurer l’avantage à la fille de Jupiter: mais à propos elles sont toutes deux ses filles; je voulais dire à celle qui est née dans son cerveau. La pauvre Vénus est blessée par son ennemie. En quoi l’ouvrier a représenté les choses non comme elles sont, car d’ordinaire c’est la beauté qui est victorieuse de la vertu, mais plutôt comme elles doivent être: assurément sa maîtresse lui avait joué quelque mauvais tour.

Ce grand cabinet dont je parle est accompagné d’un autre petit (29), où quatre tableaux pleins de figures représentent les quatre éléments. Ces quatre tableaux sont du [Rembrant] (30); la concierge nous le dit, si je ne me trompe; et quand je me tromperais, ce n’en seraient pas moins les quatre éléments. On y voit des feux d’artifice, des courses de bague, des carrousels, des divertissements de traîneaux, et autres gentillesses semblables. Si vous me demandez ce que tout cela signifie, je vous répondrai que je n’en sais rien. (31)

Au reste le cardinal de Richelieu, comme cardinal qu’il était, a eu soin que son château fût suffisamment fourni de chapelles: il y en a trois, dont nous vîmes les deux d’en haut; pour celle d’en bas, nous n’eûmes pas le temps de la voir (32), et j’en ai regret à cause d’un saint Sébastien que l’on prise fort. Dans l’une de celles qui sont en haut je trouvai l’original de cette dondon que notre cousin a fait mettre sur la cheminée de la salle. C’est une Madelaine du Titian, grosse et grasse, et fort agréable (33); de beaux tétons comme aux premiers jours de sa pénitence, auparavant que le jeûne eût commencé d’empiéter sur elle. Ces nouvelles pénitentes sont dangereuses, et tout homme de sain entendement les fuira.

Il me semble que je n’ai pas parlé trop dévotement de la Madelaine; aussi n’est-ce pas mon fait que de raisonner sur des matières spirituelles, j’y ai eu mauvaise grâce toute ma vie: c’est pourquoi je passerai sous silence les raretés de ces deux chapelles, et m’arrêterai seulement à un saint Jérôme tout de pièces rapportées, la plupart grandes comme des têtes d’épingles, quelques unes comme des cirons (34). Il n’y en a pas une qui n’ait été employée avec sa couleur; cependant leur assemblage est un saint Jérôme si achevé que le pinceau n’aurait pu mieux faire: aussi semble-t-il que ce soit peinture, même à ceux qui regardent de près cet ouvrage. J’admirai non seulement l’artifice, mais la patience de l’ouvrier. De quelque façon que l’on considère son entreprise, elle ne peut être que singulière,

Et dans l’art de niveler, (35)
L’auteur de ce saint Jérôme
Devait sans doute exceller
Sur tous les gens du royaume.

Ce n’est pas que je sache son pays, pour en parler franchement, ni même son nom; mais il est bon de dire que c’est un Français, afin de faire paraître cette merveille d’autant plus grande. Je voudrais, pour comble de nivelerie (36), qu’un autre entreprît de compter les pièces qui la composent.

Mais ne passerais-je pas moi-même pour un nivelier (37) de tant m’arrêter à ce saint Jérôme? Il faut le laisser; aussi bien dois-je réserver mes louanges pour cette fameuse table dont vous devez avoir entendu parler, et qui fait le principal ornement de Richelieu. On l’a mise dans le salon, c’est-à-dire au bout de la galerie, le salon n’en étant séparé que par une arcade. Il me semble que j’aurais bien fait d’invoquer les muses pour parler de cette table assez dignement. (38)

Elle est de pièces de rapport,
Et chaque pièce est un trésor;
Car ce sont toutes pierres fines,
Agates, jaspes, cornalines,
Pierres de prix, pierres de nom,
Pierres d’éclat et de renom:
Voilà bien de la pierrerie.
Considérez que de ma vie
Je n’ai trouvé d’objet qui fût si précieux.
Ce qu’on prise aux tapis de Perse et de Turquie,
Fleurons, compartiments, animaux, broderie,
Tout cela s’y présente aux yeux.
L’aiguille et le pinceau ne rencontrent pas mieux.
J’en admirai chaque figure;
Et qui n’admirerait ce qui naît sous les cieux?
Le savoir de Pallas, aidé de la teinture,
Cède au caprice heureux de la simple nature:
Le hasard produit des morceaux
Que l’art n’a plus qu’à joindre, et qui font sans peinture
Des modèles parfaits de fleurons et d’oiseaux.

Tout cela pourtant n’est de rien compté : ce qui fait la valeur de cette table c’est une agate qui est au milieu, grande presque comme un bassin (39), taillée en ovale, et de couleurs extrêmement vives. Ses veines sont délicates et mêlées de feuilles mortes, isabelle, et couleur d’aurore. Au reste vraie agate d’Orient, laquelle a toutes les qualités qu’on peut souhaiter aux pierres de cette espèce;

Et pour dire en un mot, la reine des agates.

Dans tout l’empire des Camayeux (ce sont peuples dont les agates font une branche) je ne crois pas qu’il se trouve encore une merveille aussi grande que celle-ci, ni que rien de plus rare nous soit venu

Des bords où le soleil commence sa carrière.

J’en excepte cette agate qui représentait Apollon et les neuf muses ; car je la mets la première, et celle de Richelieu la seconde.

Ce palais si fameux des princes de Florence,
Riche et brillant séjour de la magnificence;
Le trésor de Saint-Marc; celui dont les François
Recommandent la garde aux cendres de leurs rois;
Les vastes magasins dont le sérail abonde,
Magasins enrichis des dépouilles du monde;
Jule (40) enfin n’eut jamais rien de plus précieux.

Et pour m’exprimer familièrement et en termes moins poétiques,

Saint-Denis, et Saint-Marc, le palais du grand-duc,
L’hôtel de Mazarin, le sérail du grand Turc,
N’ont rien, à ce qu’on dit, de plus considérable.
Je me suis informé du prix de cette table:
Voulez-vous le savoir? Mettez cent mille écus,
Doublez-les, ajoutez cent autres par-dessus;
Le produit (41) en sera la valeur véritable.

Dans le même lieu où on l’a mise sont quatre ou cinq bustes, et quelques statues, parmi lesquelles on me nomma Tibère et Livie (42); ce sont personnes que vous connaissez, et dont M. de La Calprenède (43) vous entretient quelquefois. Je ne vous en dirai rien davantage; aussi bien ma lettre commence à me sembler un peu longue. Il m’est pourtant impossible de ne point parler d’un certain buste dont la draperie est de jaspe: belle tête, mais mal peignée; des traits de visage grossiers, quoique bien proportionnés, et qui ont quelque chose d’héroïque et de farouche tout à la fois, un regard fier et terrible, enfin la vraie image d’un jeune Scythe : vous ne prendriez jamais cette tête pour celle d’un de nos galants; c’est aussi celle d’Alexandre (44). J’eusse fait tort à ce prince si j’eusse regardé après lui un moindre héros que le grand Armand. Nous rentrâmes pour ce sujet dans la galerie. On y voit ce ministre peint en habit de cavalier et de cardinal, encourageant des troupes par sa présence, et monté sur un cheval parfaitement beau (45). Ce pourrait bien être ce barbe qu’on appelait l’Impudent, animal sans considération ni respect, et qui devant les majestés et les éminences riait à toutes celles qui lui plaisaient. Les tableaux de cette galerie représentent une partie des conquêtes que nous avons faites sous le ministère d’Armand.

Après que j’eus jeté l’œil sur les principales, nous descendîmes dans les jardins, qui sont beaux sans doute et fort étendus; rien ne les sépare d’avec le parc. C’est un pays que ce parc; on y court le cerf. Quant aux jardins, le parterre est grand et l’ouvrage de plus d’un jour. Il a fallu, pour le faire, qu’on ait tranché toute la croupe d’une montagne. La retenue des terres est couverte d’une palissade de philiréa (46) apparemment ancienne, car elle est chauve en beaucoup d’endroits: il est vrai que les statues qu’on y a mises réparent en quelque façon les ruines de sa beauté. Ces endroits, comme vous savez, sont d’ordinaire le quartier des Flores : j’y en vis une et une Vénus, un Bacchus moderne, un consul (que fait ce consul parmi de jeunes déesses ?), une dame grecque, une autre dame romaine, avec une autre sortant du bain (47). Avouez le vrai; cette dame sortant du bain n’est pas celle que vous verriez le moins volontiers. Je ne vous saurais dire comme elle est faite, ne l’ayant considérée que fort peu de temps. Le déclin du jour et la curiosité de voir une partie des jardins en furent la cause. Du lieu où nous regardions ces statues, on voit à droite une fort longue pelouse, et ensuite quelques allées profondes, couvertes, agréables, et où je me plairais extrêmement à avoir une aventure amoureuse; en un mot, de ces ennemies du jour tant célébrées par les poètes: à midi véritablement on y entrevoit quelque chose,

Comme au soir, lorsque l’ombre arrive en un séjour,
Ou lorsqu’il n’est plus nuit, et n’est pas encor jour. (48)

Je m’enfonçai dans l’une de ces allées. M. de Châteauneuf, qui était las, me laissa aller. A peine eus-je fait dix ou douze pas, que je me sentis forcé par une puissance secrète de commencer quelques vers à la gloire du grand Armand. Je les ai depuis achevés sur les mémoires que me donnèrent les nymphes de Richelieu: leur présence, à la vérité, m’a manqué trop tôt; il serait à souhaiter que j’eusse mis la dernière main à ces vers au même lieu qui me les a fait ébaucher. Imaginez-vous que je suis dans une allée où je me dis ce qui s’ensuit:

Mânes du grand Armand, si ceux qui ne sont plus
Peuvent goûter encor des honneurs superflus,
Recevez ce tribut de la moindre des muses.
Jadis de vos bontés ses sœurs étaient confuses:
Aussi n’a-t-on point vu que d’un silence ingrat
Phébus de vos bienfaits ait étouffé l’éclat.
Ses enfants ont chanté les pertes de l’Ibère,
Et le destin forcé de nous être prospère
Partout où vos conseils, plus craints que le dieu Mars,
Ont porté la terreur de nos fiers étendards;
Ils ont représenté les vents et la fortune
Vainement indignés du tort fait à Neptune,
Quand vous tintes ce dieu si longtemps enchaîné. (49)
Le rempart qui couvrait un peuple mutiné,
Nos voisins envieux de notre diadème,
Et les rois de la mer, et la mer elle-même,
Ne purent arrêter le cours de vos efforts. (50)
La Seine vous revit triomphant sur ses bords.
Que ne firent alors les peuples du Permesse!
On leur ouït chanter vos faits, votre sagesse,
Vos projets élevés, vos triomphes divers;
Le son en dure encore aux bouts de l’univers.
Je n’y puis ajouter qu’une simple prière:
Que la nuit d’aucun temps ne borne la carrière
De ce renom si beau, si grand, si glorieux!
Que Flore et les Zéphyrs ne bougent de ces lieux;
Qu’ainsi que votre nom leur beauté soit durable;
Que leur maître ait le sort à ses vœux favorable;
Qu’il vienne quelquefois visiter ce séjour,
Et soit toujours content du prince et de la cour.

Je serais encore au fond de l’allée où je commençai ces vers, si M. de Châteauneuf ne fût venu m’avertir qu’il était tard. Nous repassâmes dans l’avant-cour, afin de gagner plus tôt l’autre côté des jardins. Comme nous étions près du pont-levis, un vieux domestique nous aborda fort civilement, et me demanda ce qu’il me semblait de Richelieu. Je lui répondis que c’était une maison accomplie, mais que, n’ayant pu tout voir, nous reviendrions le lendemain, et reconnaîtrions ses civilités et les offres qu’il nous faisait (je ne songeais pas à notre promesse) (51). On ne manque jamais de dire cela, repartit cet homme : j’y suis tous les jours attrapé par des Allemands. Sans la crainte de nous fâcher, et par conséquent de ne rien avoir, il aurait, je pense, ajouté: A plus forte raison le serai-je par des Français; même je vis bien que le haut-de-chausses de M. de Châteauneuf lui semblait de mauvais augure. Cela me fit rire, et je lui donnai quelque chose.

A peine l’eûmes-nous congédié, que le peu qui restait de jour nous quitta. Nous ne laissâmes pas de nous renfoncer en d’autres allées, non du tout si sombres que les précédentes; elles pourront l’être dans deux cents ans. De tout ce canton je ne remarquai qu’un mail et deux jeux de longue paume, dont l’un pourrait bien être tourné vers l’orient, et l’autre vers le midi ou vers le septentrion; je suis assuré que c’est l’un des deux: on se sert apparemment de ces jeux de paume selon les différentes heures du jour, pour n’avoir pas le soleil en vue (52). Du lieu où ils sont, il fallut rentrer en de nouvelles obscurités et marcher quelque temps sans nous voir, tant qu’enfin nous nous retrouvâmes dans cette place qui est au-devant du château, moi fort satisfait, et M. de Châteauneuf, qui était en grosses bottes, fort las.

LETTRE VI, 19 septembre 1663

Ce serait une belle chose que de voyager, s’il ne se fallait point lever si matin. Las que nous étions M. de Châteauneuf et moi, lui, pour avoir fait tout le tour de Richelieu en grosses bottes, ce que je crois vous avoir mandé, n’ayant pas dû omettre une circonstance si remarquable; moi, pour m’être amusé à vous écrire au lieu de dormir; notre promesse et la crainte de faire attendre le voiturier nous obligèrent de sortir du lit devant que l’Aurore fût éveillée. Nous nous disposâmes à prendre congé de Richelieu sans le voir (53). Il arriva malheureusement pour nous, et plus malheureusement encore pour le sénéchal, dont nous fûmes contraints d’interrompre le sommeil, que les portes se trouvèrent fermées par son ordre. Le bruit courait que quelques gentilshommes de la province avaient fait complot de sauver certains prisonniers soupçonnés de l’assassinat du marquis de Faure (54). Mon impatience ordinaire me fit maudire cette rencontre. Je ne louai même que sobrement la prudence du sénéchal. Pour me contenter, M. de Châteauneuf lui parla, et lui dit que nous portions le paquet du roi: aussitôt il donna ordre qu’on nous ouvrît ; si bien que nous eûmes du temps de reste, et arrivâmes à Châtellerault qu’on nous croyait encore à moitié chemin.

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NOTES

(1) Voiture, dans sa lettre à Costart (t. I, p.259 de ses Œuvres, édit. de 1677, lettre cxxv), dit : « Nous autres beaux esprits, nous ne sommes pas grands édificateurs, et nous nous fondons sur ces vers d’Horace: Aedificare casas, plaustello adjungere muros, Si quem delectet barbatum, insania verset. (Lib. II, sat. III, v. 247).
(2) La Fontaine désigne ici l’ouvrage intitulé les Promenades de Richelieu, ou les Vertus chrétiennes, par J. Desmarests; Paris, Henri Le Graz, 1653, petit in-8° de 63 pages. L’auteur de ce poème est Jean Desmarests de Saint-Sorlin, devenu célèbre par son fanatisme religieux, ses paradoxes contre les anciens, sa comédie des Visionnaires, qui eut un grand succès, et son poème de Clovis, que Boileau a tourné en ridicule. Desmarests naquit en 1595, et mourut à l’âge de quatre-vingts ans, le 28 octobre 1676. Il a composé quarante-trois ouvrages. Ses Promenades de Richelieu sont huit sermons en vers sur la foi, l’espérance, et la charité, etc. Le dernier chant seul est relatif à la description du château de Richelieu. Il existe une minutieuse description du château de Richelieu en prose et en vers, intitulée Le Château de Richelieu, ou l’Histoire des dieux et des héros de l’antiquité, par M. Vignier; Saumur, chez Desbordes, 1676, in-8°. Mais La Fontaine ne pouvait la connaître, puisqu’elle n’était pas imprimée lorsqu’il écrivait cette lettre.
(3) Elle était de Berthelot, ainsi qu’une statue en marbre blanc de Louis XIII, et se trouvait en face de ce petit dôme, qui était d’ordre dorique. (Vignier, p. 10. Voyez aussi Desmarests, Les Promenades de Richelieu, ch. IV, p. 22, v. 21-22.)
(3bis) Le cardinal de Richelieu était revêtu de la charge de grand-amiral. C’est par cette raison qu’on voit dans une des ailes du Palais-Royal, qu’occupe actuellement monseigneur le duc d’Orléans, des proues de vaisseaux sculptées, parce que cette aile faisait partie de l’ancien Palais-Cardinal.
(4) « Du côté de ce petit dôme qui regarde la cour il y a deux obélisques de marbre, et dans l’ouverture du dôme trois petits Hercules de marbre, antiques et très beaux. » (Vignier, p. 10.)
(5) Jacques Lemercier fut un de nos plus grands architectes, et se rendit aussi estimable par son désintéressement que par ses talents. Il fut premier architecte du roi, et, après avoir construit la Sorbonne, le Palais-Cardinal, le Palais-Royal, l’église de l’Oratoire, l’église Saint-Roch à Paris, celle de l’Annonciade à Tours, l’église paroissiale et le château de Richelieu, et d’autres édifices encore, il mourut en 1660, dans un état voisin de la pauvreté.
(6) On peut en voir les détails dans Vignier, p. 13-54- " donne la liste de plus de cent statues ou bustes antiques, et a fait sur chacun des vers qui sont au-dessous du médiocre.
(7) Nicolas Le Poussin, né à Andely, en Normandie, en l594, mort à Rome le 19 novembre 1665, à l’âge de soixante-onze ans et cinq mois, selon Perrault, Vie des Hommes illustres, in-folio, 1697, p. 910. Ce grand peintre a pu s’entretenir avec de Maucroix, non seulement en France, mais à Rome, où ce dernier fut envoyé par Fouquet.
(8) Vignier fait mention de six statues de Vénus dans le palais Richelieu: l’une, suivant lui, était admirablement belle; on la croyait l’ouvrage de Praxitèle. C’est probablement celle dont LaFontaine parle ici. Vignier (p. 25 et 49) nomme aussi dans sa liste deux statues de Faustine.
(9) Vignier fait mention de trois statues d’Apollon, p. 13, 25, et 42, et de trois statues de Bacchus, p. 27, 43, 46. Mais le Bacchus dont La Fontaine parle en cet endroit fut transporté depuis par le maréchal de Richelieu dans son hôtel à Paris. Il a passé depuis dans la collection du Musée royal, et a été gravé dans la grande collection de Laurent sous la dénomination de Bacchus-Richelieu.
(10) Ce passage forme le commencement de la quatrième promenade, p. 22.
(11) Première promenade, p. 3.
(12) Ces deux statues, données par Robert Strozzi à François Ier, et par celui-ci au connétable de Montmorency, qui les avait mises à Ecouen, et ensuite acquises par le cardinal, appartiennent actuellement au Musée royal de Paris. Madame de Montpensier en fait aussi mention dans ses Mémoires, 1637 t. XI, p. 386 de l’édition de Petitot.
(13) Desmarests en parle, p. 55.
(14) Vignier en fait mention, p. 30.
(15) Madame de Montpensier nous apprend que les appartements étaient petits, et répondaient mal à la grandeur du dehors, ce qui venait de ce que le cardinal avait voulu que l’on conservât la chambre où il était né. Voyez Montpensier, Mémoires, année 1637, t. XL, p. 387 de la collection de Petitot.
(16) Vignier écrit aussi toujours Titian, comme La Fontaine.
(17) On voit, par la description de Vignier, que ces portraits étaient dans la chambre même du cardinal, ainsi que dans l’antichambre et le cabinet qui en dépendaient. (Le château Richelieu, p. 93-95.)
(18) Armand-Jean de Vignerot, substitué par son grand-oncle aux noms et armes du Plessis, et au duché de Richelieu: il mourut le 10 mai 1715. Il avait épousé Anne-Marguerite d’Acigné, qui mourut le 19 août 1698.
(19) Armand de Maillé-Brézé, duc de Fronsac, fils d’Urbain de Maillé, marquis de Brézé, et de Nicole du Plessis-Richeheu, sœur du cardinal. Il fut tué sur mer, d’un coup de canon, le 14 juin 1646, à l’âge de vingt-sept ans. Il était beau-frère du grand Condé.
(20) Jean-Baptiste Amador, marquis de Richelieu, marié le 6 novembre 1652 avec Jeanne-Baptiste de Beauvais, l’une des filles de madame de Beauvais, première femme de chambre d’Anne d’Autriche. Il mourut le 11 avril 1662.
(21) Emmanuel-Joseph Vignerot, comte de Richelieu, abbé de Marmoutier et de Saint-Ouen de Rouen. Il mourut à Venise le 9 janvier 1665.
(22) Vignier (p. 93) nous apprend que, dans l’antichambre de la pièce où était le portrait du cardinal, il y avait trois grands portraits en pied: celui de Louis Duplessis, seigneur de Richelieu, de La Vervolier, du Chillou, etc., grand-père de son éminence; celui de François Duplessis, grand-prévôt de l’hôtel, capitaine des gardes-du-corps, père de son éminence; et celui de madame Suzanne de La Porte, sa mère. Sur quoi Vignier fait ces vers, qui donneront une idée du bon goût de cet auteur : « Armand, dont l’âme forte / Fut de toute l’Europe et la crainte et l’amour, / Pour bien s’introduire à la cour, / Ne pouvait pas trouver une plus belle porte / Que celle qui servit à lui donner le jour. »
(23)  « Dans une pièce dépendante de la chambre de la reine, ou voyait les portraits de Henri IV, de Marie de Médicis, de Louis XIII, d’Anne d’Autriche, et du duc d’Orléans; et dans des pièces voisines, celui de Gustave-Adolphe, en pied, et celui de la reine d’Angleterre, peint par Vandick. » (Vignier, p. 78, 83, 84.)
(24) La Fontaine désigne ici le portrait de Monna Lisa, dite la Joconde, parce qu’elle était femme de Francisco del Giocondo, gentilhomme florentin. On croit que cette belle femme a été maîtresse de François Ier. Voyez le Catalogue des ouvrages de Léonard de Vinci, à la tête du Traité de la peinture, p. LXIII, édition de M. Gault de Saint-Germain; Paris, 1803. (Note communiquée à l’éditeur par M. Monmerqué.)
(25) Voyez Desmarests, p. 54.
(26) Voyez Desmarests, promenade VII, p. 57.
(27) L’un de ces tableaux représentait le banquet de Silène; l’autre le triomphe de Bacchus, dont le char, tiré par des centaures, était suivi par des ménades jouant de divers instruments. Voyez Vignier, p. 62 et 63.
(28) Ce tableau était du Pérugin, le maître de Raphaël. Voici comme Vignier (page 83) le décrit : « Ce tableau représente un combat de l’Amour et de la Chasteté. L’on y voit quantité de petits Amours: les uns tirent des femmes parles cheveux, et les autres avec des cordons de soie, étant tous armés de flèches d’or et de toutes sortes d’instruments propres à l’Amour. La Chasteté brise leurs traits et leurs arcs, en bat d’autres avec leurs flambeaux, et en tire pareillement par les cheveux. On voit dans le lointain toutes les métamorphoses que l’Amour a causées. » Desmarests a décrit aussi ce tableau en vers dans sa huitième promenade, p. 58.
(29) C’était le cabinet de la reine. Voyez Vignier, p. 71.
(30) La Fontaine a effacé dans le manuscrit le nom de Rembrant, et n’en a pas substitué d’autre. On verra ci-après qu’on l’avait trompé, ainsi qu’il s’en doutait.
(31) Vignier nous apprend ce que tout cela signifiait, et décrit, p. 76 de son livre, ces quatre tableaux de la manière suivante : « Au-dessus du lambris on voit jusqu’au haut du plafond quatre tableaux dans leurs cadres, représentant les quatre éléments. Le premier représente la terre, ou le triomphe de Louis XIII, pour la naissance de sa majesté à présent régnante, et de Monsieur. Le second représente l’air; c’est une chasse d’oiseaux, où madame la duchesse de Lorraine paraît avec toutes les dames de la cour, montées sur de superbes chevaux. Le troisième représente le feu par des feux d’artifice tirés de nuit au milieu d’une place environnée de bâtiments. Et le quatrième, qui représente l’eau, fait voir les divertissements des dames et des galants de Hollande durant la glace. Les figures sont de Drevet, et les paysages de Claude Lorrain. » Desmarests, dans sa huitième promenade, p. 56, a aussi décrit en vers ces quatre tableaux ; et, si La Fontaine l’avait lu avec attention, il aurait su par lui ce que ces tableaux représentaient.
(32) C’est précisément celle d’en bas qui paraît avoir été la principale chapelle. Desmarests la décrit en ces termes: « Mais il faut avant tout rendre l’honneur à Dieu: / Sous ce pavillon gauche allons voir le saint lieu. / C’est l’auguste chapelle, oit vingt blanches colonnes / Ont leurs chapiteaux d’or, comme autant de couronnes; / En la base, en la frise, et dans la voûte encor, / Du blanc la douceur règne avec celle de l’or. / Que d’illustres tableaux ornent ces feints portiques! / Que de nobles enfants des grands peintres antiques ! »
(33) Il paraît, d’après ce que dit Vignier, p. 94, que c’était une copie du Titien.
(34) Vignier, p. 94, parle de cette mosaïque presque dans les mêmes termes: elle était dans l’antichambre du salon de son éminence.
(35) C’est-à-dire dans l’art de s’amuser à des bagatelles et à des vétilles; car le mot niveler avait alors cette signification, qu’il a perdue. On peut consulter à ce sujet la première édition du Dictionnaire de l’Académie françoise, 1696, in-folio, t. Il, p. 75.
(36) Ce mot est forgé par La Fontaine. Il est ici synonyme de vétillerie, qu’on ne trouve pas dans nos dictionnaires, ou qu’on y trouve mal défini, mais qui se comprend, et même se dit.
(37) Le Dictionnaire de l’Académie française, première édition, t. II, p. 75, nous apprend qu’on disait nivelleux, et non nivelier. Ce mot signifie celui qui ne fait que s’amuser à des vétilles, un vétilleur.
(38) Cette table avait six pieds de long sur quatre de large. Ces mosaïques en pierres précieuses se faisaient à Florence. Voyez Vignier, p. 100.
(39) Elle avait un pied et demi de long sur un pied de large, et était entourée par une douzaine d’autres agates encadrées dans des fleurons de cornaline, de jaspe, et de lapis-lazuli. Voyez Vignier, p. 100.
(40) Le cardinal de Mazarin.
(41) C’est-à-dire sept cent mille livres, qui valent quatorze cent mille francs de la monnaie actuelle.
(42) Voyez Vignier, p. 140 et 141, et Desmarests, p. 61, promenade VIII. Il y avait encore ailleurs un buste de Livie. Voyez Vignier, p. 51.
(43) Voyez ci-dessus, p. 363. Lorsque La Fontaine écrivait ces mots, La Calprenède devait bientôt terminer sa carrière; il mourut dans les premiers jours d’octobre 1663.
(44) Vignier en parle, p. 14o. D’après ce que dit La Fontaine, ce buste parait à tort avoir été considéré comme celui d’Alexandre le Grand, quoique Desmarests ait dit: « La valeur d’Alexandre en ce buste respire ». Promenade VIII, p. 2.
(45) Vignier, p. 135, parle de ce portrait, et nous apprend que dans l’éloignement on avait représenté le combat de Naples. Voyez Desmarests, p. 61, promenade VIII.
(46) Communément filaria.
(47) Vignier, p. 152-155, fait aussi mention de la statue de Flore qui se trouvait dans les jardins, ainsi que de la dame grecque et de la dame romaine sortant du bain. Le vêtement de cette dernière était de marbre noir.
(48) Ce vers se retrouve, à une légère variation près, dans la fable des Lapins, liv. X, fab. XV, v. 12.
(49) La Fontaine désigne ici la digue de La Rochelle, dont on voit encore les ruines quand la mer est basse.
(50) Le cardinal de Richelieu eut, par commission expresse, en date du 4 février 1627 (et non du 9), le commandement en chef de l’armée devant La Rochelle, ayant pour ses lieutenants le duc d’Angoulême, et les maréchaux de Schomberg et de Bassompierre. La ville ne se rendit et n’admit les troupes du roi que le 30 octobre 1628, après un siège d’un an et deux mois. Ses habitants avoient été réduits, durant ce siège, de vingt-huit mille qu’ils étaient d’abord, à cinq mille. La faim avoit fait périr tout le reste. Voyez Arcère, t. Il, p. 323.
(51) De rejoindre M. Jannart le lendemain à Châtellerault.
(52) La description de Vignier, p. 4, éclaircit ce passage. « Le mail commence proche la porte de l’anticour; il est à tournant, et passe autour de deux jeux de longue paume. Il a trois cent quarante-six toises de long, et de large quatre toises et demie: il y a une petite allée, qui va d’une passe à l’autre, pour la commodité de ceux qui veulent jouer. » En 1665, deux ans après l’époque du voyage de La Fontaine, le duc de Richelieu fit construire, proche du mail et de la porte de l’anticour, un jeu de courte paume. « C’est, dit Vignier, p. 5, un des plus beaux du royaume. »
(53) Nous rapporterons ici la courte description que Vignier, p. 3, a faite de cette ville dix ans après la date de la lettre de La Fontaine. « La principale rue est composée de vingt-huit gros pavillons, quatorze de chaque côté, tous à portes cochères, et d’une même symétrie: à chaque bout il y a une place de quarante-six toises en carré, avec des pavillons doubles aux quatre coins. L’église est dans la place la plus proche du château. Le palais et les halles sont dans la même place, avec une fontaine dans un des coins, et une autre fontaine dans l’autre place. » Nous ajouterons que cette ville est près de deux petites rivières , l’Amable et la Vide ou la Veude ; la première remplit les fossés de la ville, qui n’était qu’un village avant le cardinal de Richelieu. Il l’a bâtie en 1637, après avoir fait ériger la seigneurie qui en dépendait en duché-pairie, par lettres-patentes du roi, données en 1631. On trouve un plan de cette ville et une vue du château dans l’ouvrage intitulé Topographia Galliae, Francofurti, 1657, in-folio, p. 57. La description qui est dans cet ouvrage nous apprend que ce plan et cette vue sont copiés d’après les plans de la ville et du château, qui avaient paru à Paris en quatre feuilles. Ce même plan se trouve réduit dans l’ouvrage intitulé les Délices de la France, Leyde, 1685, in-12, p. 417. Richelieu était autrefois une ville du diocèse de Poitiers, du ressort d’Anjou, de la généralité de Tours, et du gouvernement de Saumur. Ainsi ce lieu appartenait à quatre provinces: pour le spirituel, au Poitou ; pour la justice, à l’Anjou; pour les finances, à la Touraine; pour le militaire au Saumurois. C’est aujourd’hui un chef-lieu de canton du département d’Indre-et-Loire et on y compte trois mille habitants.
(54) Le marquis de Faure s’appelait du Vigean. Il était frère de la duchesse de Richelieu ; son autre soeur est morte aux Carmélites. Il fut assassiné dans son pays, comme il allait en carrosse rendre visite à un de ses amis. Voyez Lenet, Mémoires, t. II, p. 355.

 


François-Savinien d’Alquié,
Les Délices de la France, avec une description des provinces et des villes du royaume, 1670
tome II, p. 337-341

Richelieu, soit qu’on comprenne sous ce nom la ville ou le château qui a eu la gloire d’être le lieu de la naissance de Monsieur Armand du Plessis, Cardinal Duc de Richelieu, est une des plus belles choses qu’on puisse voir en France, et peut-être même en Europe. Car quant à ce qui est de la ville qu’on a bâtie depuis peu, elle est si mignonne dans sa petitesse, si riante et si régulière qu’il ne se peut rien voir au monde de semblable. Charles V disait autrefois que Florence était une ville de dimanche et de fêtes ; mais il aurait dit sans doute la même chose de celle-ci, s’il avait eu le plaisir de la voir. D’autant que son assiette est très belle, ses maisons très bien bâties, ses places fort spacieuses, ses rues fort droites et tout ce qu’elle a fort propre et fort joli, de sorte qu’on peut l’appeler l’incomparable en tout. Pour moi, je puis dire que je n’en ai jamais vu de pareille en France, ni en Espagne, ni dans les dix-sept provinces que j’ai toutes parcourues. Je parle de sa gentillesse et non pas de sa richesse, ni de la magnificence des maisons, en quoi les autres pourraient la surpasser. Si vous désirez donc de savoir en quoi elle est si belle, je vous dirai que quatre choses la rendent telle. La première, c’est sa situation. La deuxième, c’est sa disposition et sa figure. La troisième, c’est son église. Et la quatrième ce sont ses cours et ses académies.

Elle est recommandable pour sa situation en ce qu’elle est dans une belle plaine abondante en fruits, en vins, en grains, en venaison et en toute sorte de délices, en ce qu’elle est bâtie sur la petite rivière d’Amable, qui arrose le Poitou des dépendances duquel elle est, et en ce qu’étant dans un pays stérile en eaux, sablonneux et sec, elle a une grande quantité de sources et de fontaines pour son usage. Elle est assise entre les belles villes de Poitiers, de Tours et d’Angers, et l’on peut dire qu’elle participe à tout ce qu’elles ont de bon sans aucun mélange de mal. Et son air est si doux et si tempéré, si sain et si serein qu’on peut dire que la maladie n’y habiterait jamais si Dieu ne l’ordonnait expressément.

Si son assiette est belle, sa disposition ne l’est pas moins, soit qu’on considère sa figure carrée, ses grands et profonds fossés couverts de cygnes et de canes d’Inde, ses belles murailles et ses tours qui lui servent d’ornement et de défense, ses longues rues tirées au cordeau, ses magnifiques maisons avec leurs portes cochères qui sont toutes égales et qui n’ont rien l’une plus que l’autre, ses grandes places qui sont aux quatre coins, sans parler de celle qui est au devant de l’église, ses halles, ses fontaines, ses promenades et ses jardins charmants. Toutes ces particularités font bien voir, dis-je, que ce n’est pas sans sujet que je lui donne de si glorieux titres.

La troisième chose qui la rend si considérable, c’est la grande église, où il y a deux grandes tours élevées en forme d’aiguille, que feu Monsieur le Cardinal de Richelieu fit bâtir. La superbe de ce temple paraît en ce que le dessein en est fort beau et que les ornements en sont admirables. Le grand autel est embelli de plusieurs belles colonnes d’argent. Il y a une chapelle très belle, où l’on chante tous les jours des messes pour l’âme de feu Mr le Cardinal fondateur de ce saint lieu, lequel est servi par des RR.PP. de l’Oratoire, qui ont un séminaire dans leur maison, dont ils s’acquittent glorieusement.

La quatrième chose qui la rend si aimable, ce sont ses cours et ses académies, car, autre que Louis XIII a érigé cette ville en duché et pairie, c’est qu’il y a établi une sénéchaussée et lui a donné de très grands privilèges, en considération de feu Mr. le Cardinal son maître, lequel avait rendu de notable services à l’Église et à l’État pendant son ministériat. Au reste, il y a des écoles pour tout ce qu’on pourrait désirer, de façon que, sans sortir hors de ses murailles, on peut apprendre à danser, à monter à cheval, à tirer des armes, etc.

Je ne dis rien de la douceur de ses habitants, ni des plaisirs particuliers qu’on goûte dans ce lieu à très bon marché, parce que tout le monde est convaincu que la fréquentation ordinaire de tant de braves gens, qui sont tous les jours dans leur ville, les rend de parfaits courtisans, et parce qu’on sait que le pays de Poitou est une terre de promission qui ne distille que du lait et du miel. Ainsi il me semble que c’est avec raison que je l’appelle incomparable pour les raisons que je viens de dire.

Venons maintenant à la maison qui porte le même nom ou, pour mieux dire, qui le donne à la ville. Et disons qu’il est impossible de pouvoir assez dignement décrire ses beautés, ses richesses et ses délices. Car on peut dire qu’il n’y a rien de rare dans la nature, ni de beau dans l’art qui ne se trouve dans ce lieu de délices. Enfin je crois qu’il suffit de dire que Mr le Cardinal Armand Duc de Richelieu a pris à tâche de rendre ce séjour un abrégé des merveilles du monde et une des plus belles maisons de l’Europe, d’autant que, comme ce grand homme n’a jamais rien entrepris qu’il ne l’ait rendu parfait, aussi a-t-il rendu ce séjour le plus beau qui se puisse voir. Il ne faut que s’imaginer tout ce que les poètes ont feint des palais enchantés, ou bien se figurer tout ce qui peut faire un paradis terrestre tout à fait accompli, et vous aurez une parfaite connaissance du château dont nous parlons. Car, soit que nous considérions ses belles avenues, ses grands parcs, ses allées à perte de vue, ses agréables jardins, cette surprenante quantité de sources, tant de grottes et d’admirables statues de bronze et de marbre, qu’on estime des chefs-d’oeuvre de l’art, ces larges et profonds fossés couverts de cygnes et remplis de poissons, ces parterres émaillés de fleurs et cette grande quantité de raretés, cela fait bien voir que je n’exagère pas dans ce rencontre. Enfin, soit qu’on considère la belle disposition de la maison, bâtie à la moderne, qui est une des plus régulières de France, et peut-être de l’Europe, ou soit, en un mot, qu’on porte sa vue sur ses beaux appartements, ses chambres et ses cabinets, ses salles et ses galeries, ses meubles précieux et ses autres ornements, ses tapisseries ou ses peintures, et ses statues de bronze et de marbre, etc. on sera sans doute de mon sentiment que c’est le plus beau séjour qui se puisse voir.

 


BENJAMIN VIGNIER
Le chasteau de Richelieu ou l'Histoire des dieux et des héros de l'Antiquité, 1676

Vignier page

 

Au lecteur

[…] Cet ouvrage ne sera pas inutile à ceux que la curiosité conduira dans ce beau lieu, puisque tous les objets qui frapperont leur vue ne leur seront plus inconnus et que, sans l'aide de personne, ils sauront les noms des dieux, des déesses et des héros de l'Antiquité qui lui servent d'un ornement aussi pompeux qu'il est rare. Les petits madrigaux qui en donnent la connaissance pourront encore leur servir d'un aiguillon pour aimer la vertu et fuir le vice. Ils donneront matière aux savants pour faire de beaux commentaires sur l'histoire tant ancienne que moderne. Et les travaux de l'éminentissime Cardinal, duc de Richelieu, leur feront faire des réflexions admirables sur la vie de ce grand homme. La Grèce et l'Italie ont travaillé à l'envi pour rendre célèbre le lieu où cet incomparable ministre prit naissance, par tout ce qu'il possédaient de plus précieux et qui s'était échappé de la fureur des Goths et de l'injure des temps. Mais, en contribuant à sa gloire, ils ont aussi travaillé pour la leur, puisque l'on ne peut voir cet amas merveileux de tant de belles statues et de tant de beaux bustes sans admirer l'adresse presque inimitable des statuaires anciens. Ceux qui se connaissent dans l'architecture se seront pas moins surpris quand ils remarqueront avec quels soins et quelle économie Monsieur le Mercier a fait avouer à tous les plus grands maîtres que c'est la seule maison dans l'Europe que l'on peut dire achevée. Sans doute que son Eminence aurait ajouté de nouvelles beautés à celles que l'art et le nature lui ont données si Dieu ne l'eût point ôté si tôt à la France. Mais ce qu'il n'a pu achever se continue tous les jours par les soins de son illustre héritier. […]


LA PREMIÈRE PARTIE EST UNE VISITE GUIDÉE DEPUIS LA VILLE JUSQUÀ LA FAÇADE PRINCIPALE DU CHÂTEAU

C'est trop faire des chansonnettes,
C'est trop chanter des amourettes,
Muse, il te faut renaître avecque le printemps,
Et d'une plus forte manière,
Dans une si belle carrière,
Aux chants de mille oiseaux mêler aussi tes chants.

Hâte-toi, dans ce renouveau,
De faire l'aimable peinture
De ce magnifique château
Qui fait dire en tous lieux que l'Art ni la Nature
N'ont jamais rien fait de si beau.

Mais, pour cet ouvrage pompeux,
N'es-tu point un peu trop folâtre ?
Et ne serais-je pas honteux
De te voir dauber comme plâtre
Par quelque critique fâcheux ?

Ne crains point : ta témérité
Ne saurait être condamnée.
Tous les dieux sont de ton côté :
En parlant de leur destinée
Tu gagnes l'immortalité.

C'est est fait, je te vois rêver.
Te voilà déjà dans la ville
Où tu commences d'observer
Tout ce qu'on Architecte habile
Avec son art a su trouver.

Deux rangs de pavillons, ou plutôt de palais,
Par une admirable industrie,
Font une rue, où l'oeil ne se lasse jamais
De contempler en tous la même symétrie.

Deux places d'égale grandeur
D'abord donnent de la surprise :
Dans l'une se voit la ferveur
Du grand Armand qui, pour l'Église,
Se plut à montrer sa splendeur.

La principale rue est composée de vingt-huit gros pavillons, quatorze de chaque côté, tous à portes cochères et d'une même symétrie. A chaque bout, il y a une place de quarante-six toises en carré, avec des pavillons doubles aux quatre coins. L'église est dans la place la plus proche du château; elle est aussi propre qu'il y en ait dans le royaume, est consacrée à la sainte Vierge et le service s'y fait par Messieurs de la Mission, avec une dévotion admirable et très exemplaire.
Le palais et les halles sont dans la même place, avec une fontaine dans un des coins. Il y en a aussi une dans l'autre place pour la commodité des habitants.

Entre la ville et le château
L'on voit de grandes esplanades.
Tout ce que l'oeil découvre est beau.
L'on entend le bruit des cascades
Qui forment un grand carré d'eau.

Ces écluses et ce grand carré d'eau, qui a quarante-neuf toises, se vont rendre dans les fossés de la ville, qui sont revêtus de pierre dure, avec un parapet tout autour; ils ont treize toises de large.
Depuis la porte de la ville jusqu'à la première entrée pour aller au château, et qui est en demie lune, il y a quarante toises.

Première entrée pour aller au château

L'abord de ce lieu si charmant
Touche d'une telle manière
Que tout le monde également
Croit, en se frottant la visière,
Que c'est un pur enchantement.

L'on voit deux jeux de paume à droit,
Un grand bois, un mail, des allées
Où l'on ne craint ni chaud ni froid
Et qui de terres égalées
Composent un charmant endroit.

Depuis cette première entrée jusqu'à la porte de l'anti-cour, il y a soixante et douze toises. Le Mail commence proche de cette porte; il est à tournant et passe autour de ces deux jeux de longue paume; il a trois cent quarante-six toises de long et de large quatre toises et demie. Il y a une petite allée qui va d'une passe à l'autre pour la commodité de ceux qui voient jouer.

A gauche un canal spacieux
Renferme un parterre admirable,
Où mille fleurs à qui mieux mieux,
Avec un mélange agréable,
Charment l'odorat et les yeux.

Au milieu du parterre on voit un grand bassin
Dans lequel un jet d'eau voudrait percer les nues,
S'il n'était obligé de retomber soudain
Et de faire en tombant mille perle menues.

Ce canal est aussi de cent soixante et douze toises de long et de quatre de large. Il renferme de tous côtés le grand parterre qui a la même longueur et soixante et une toises de large. Le sainfouin, qui n'en est séparé que par un canal, est de même étendue. Il y a un grand bassin au milieu du dit parterre avec un beau jet d'eau.

Le jeu de courte-paume

Vous qu'on nomme enfants de la balle,
Qui vivez de sauts et de bonds,
Qui passez les Saumurs et les petits Bretons,
Avouez que la Spète et la Place Royale,
Auprès de ce Tripot, sont des Tripots de balle.

Ce jeu de courte paume est proche du Mail et de la porte de l'anti-cour. Il a été fait en 1665 par l'ordre de Monseigneur le duc de Richelieu. C'est un des plus beaux du royaume.

Première porte pour entrer dans l’anti-cour

Charme étonnant, belle anti-cour,
Où les yeux ne peuvent suffire
À parcourir tout le contour,
Ta blancheur digne qu'on l'admire
Eblouit nuit et jour.

Cette première porte est entre deux pavillons dans l'un desquels loge le portier. Il y a un pavillon à l'entrée du petit parc qui fait la symétrie à celui-ci.
L'anti-cour a soixante-deux toises de long et quarante et une de large. La basse cour est séparée de l'anti-cour par une balustrade de pierre. Elle a de même soixante et deux toises de longs et cinquante et six de large.
Les arrière-cours à droit et à gauche de la basse cour ont soixante et deux toises de longueur et dix-huit de largeur.

Tout rit, tout plaît également.
Au milieu de deux grandes ailes,
Deux dômes s'élevant font un bel ornement.
Aux quatre coins en parallèle
Quatre gros pavillons règnent superbement.

L'un de ces dômes est dans le milieu de l'écurie. Il répond par une grande porte dans l'anti-cour et par une autre dans une arrière cour où sont les remises des carrosses et par où l'on va aussi dans le jeu de courte-paume.

L'écurie en-dessous n'a rien que de royal.
On ne peut la voir sans extase:
Il n'y faudrait point de cheval
Qui ne passât pour un Pégase,
Ou du moins pour un Bucéphal.

Il y a pour mettre quatre-vingt chevaux entre les piliers et les barres. Elle est voûtée et lambrissée fort proprement, avec des croisées vitrées à droit et à gauche et des lits pour coucher les palefreniers dans les enfoncements des croisées.

Entre les derniers pavillons
L'on découvre une balustrade
D'où l'eau, sortant à gros bouillons,
Court au long de chaque façade
Et se perd entre des grillons.

Cette balustrade est de pierres tournées à jour. Elle a quatre pieds et demi de hauteur; à chaque coin il y a une fontaine dont l'eau tombe dans un timbre, puis va coulant le long des écuries et le long de l'autre aile qui est vis-à-vis, et se perd enfin dans le fossé par des grillons proche le point de vue.

Au-delà sont les basses-cours
Qui semblent une grande ville.
Là sont la fourière et les fours
Et tout ce qui peut être utile
Pour passer doucement les jours.

Dans l'arrière-cour, à main droite de la basse-cour, il y a une écurie à mettre cent chevaux de front.
La porte de cette basse-cour est la principale entrée; elle est accompagnée de six pavillons qui font une demie-lune très agréable. Les échos qui s'y rencontrent de tous côtés surprennent les oreilles doublement. L'on y arrive par une allée d'ormes de dix toises de large et d'un quart de lieur de long, avec une contre-allée de chaque côté de cinq toises de large. À venir par cette porte au château, l'on trouve le point de vue :

Prodige que l'on peut dire unique et nouveau,
Incomparable point de vue,
D'où l'oeil perce parc et château,
La ville, la grand avenue,
Le petit parc et le rondeau.

Ce point de vue est à l'entrée du pont du château, et, que quelque côté qu'on se tourne, les portes de la ville, du château, du parc et de la grande avenue étant ouvertes, on voit à plus d'une grande lieue.

Quel plaisir d'être sur ce pont
Et voir auteur de ce balustre
Un beau fossé large et profond
Où l'eau, bien plus claire qu'un lustre,
Nous laisse découvrir cent carpes dans le fond.

Il y a autour du château un corridor ou fausse-braye, fort agréable, revêtu d'un balustre qui fait dans les quatre coins quatre petits bastions; et dans les pointes, il y a quatre petits pavillons.

[8] Face de l’Entrée du château

L'étranger étonné regardant cette face,
Sans pouvoir partir d'une place,
De ces dômes pompeux ne peut tirer ses yeux
Que pour les promener le long d'une terrasse
Où, dans le beau milieu d'un ordre curieux,
Un autre sait charmer les plus ingénieux.

La terrasse qui va de l'un à l'autre de ces dômes est revêtue d'un balustre de fer.


LA SECONDE PARTIE EST UN INVENTAIRE COMPLET DES STATUES ET BUSTES QUI ORNENT L'EXTÉRIEUR

– Le portail d’entrée (avec la statue de Louis XIII, les colonnes rostrales , la Renommée de Berthelot, Hercule et Mars…)
– Les façades donnant sur la cour du Château (avec de nombreuses statues et bustes, dont les deux Esclaves de Michel-Ange…)
– Les façades extérieures du pavillon de la Reine, du pavillon du Roi, puis du pavillon du Cardinal
– Le Parterre avec des statues sur piédestal


LA TROISIEME PARTIE EST LA DESCRIPTION DE CHACUNE DES PIÈCES DU CHÂTEAU AVEC L'INVENTAIRE DES OBJETS D'ART

– Le grand Vestibule (avec un grand fanal de cuivre pendu à la voûte ses deux escaliers)
– Les appartements du Roi
– Les appartements de la Reine (avec les Quatre Éléments de Deruet)
– Les chambres de Lucrèce, de Porcie et de Moïse
– Les appartements du Cardinal
– La grande Galerie
– Le Salon
– La chapelle
– La salle à manger, les offices, les autres appartements, la bibliothèque


LA QUATRIÈME PARTIE EST LA DESCRIPTION DU PARC

LE PETIT PARC [144]

Après avoir vu le château et toutes les particularités dont j’ai parlé, sans doute que les dehors ne donneront pas moins de satisfaction et que l’on ne désapprouvera pas que je dise à l’entrée du petit Parc :

Aimable solitude,
Retraite de cent mille oiseaux
Qui, par des concerts tout nouveaux,
Charment si bien l’inquiétude !
Plat-fonds sans art, beaux tapis verts
Qui tous les matins sont couverts
Des perles que répand l’Aurore,
Fleurettes qu’on voit tour à tour,
Il faut que je vous loue encore,
Puisque vous décorez un si charmant séjour.

Il ne faut que passer la porte de l’anti-cour pour entrer dans ce petit Parc, ainsi nommé pour le distinguer d’avec le grand. On trouve d’abord une grande allée qui était  autrefois un mail ; elle a 350 toises jusqu’au Rondeau et depuis ce Rondeau jusqu’à une perspective qui est au bout de la petite Isle, 220 toises. Elle a des deux côtés une palissade de buis et des bois de haute futaie admirablement beaux.

Qui feraient croire que les ombres
Ont fait pacte avec le Soleil,
Que jamais son oeil sans pareil
Ne les viendrait troubler dans leurs retraites sombres !

Assez proche du bout, elle fait une patte-d’oie par la rencontre d’une autre allée qui n’est pas moins couverte et dont les palissades sont d’aubépin. Elle est encore traversée par une allée qui n’est pas si large, mais qui n’a pas moins d’agréments, ni moins de deux cent soixante toises de long ; elle a aussi de tous les côtés une palissade d’aubépin et plusieurs autres allées qui s’entrecoupent fort agréablement,

Laissent au curieux le choix
D’entretenir la compagnie,
Ou bien de n’avoir que ces bois
Pour témoins de leur rêverie.

Au bout de ce vieux Mail, on trouve une très belle allée plantée d’ormes, qui a trois cent quatre-vingt toises de long et six de large. Elle a, du côté du bois, une contre-allée aussi d’ormes ; et du côté d’une petite prairie qui est le long du Mable une contre-allée de sapins. C’est là qu’on eût pu dire, du temps des Métamorphoses :

En ce lieu les Amadryades,
Au bord du Mable serpentant,
Cueillent des fleurs en s’ébattant
Avecque les douces Naïades.
Pomone et Vertumne à leur tour,
Lassés de se faire l’amour,
Quittent leur verger délectable
Et, cherchant des plaisirs nouveaux,
S’en font un admirable
De leur donner des fruits pour boire de leurs eaux.

LE VERGER [145]

Le verger est au bout de l’allée du Mail à main droite ; il est renfermé de hautes murailles et contient trente arpents.

Le fruit y vient en abondance,
Il n’est rien de si bon, il n’est rien de si beau.
Mais la pomme surtout et le fruit à noyau
Sont dans la dernière excellence.

Il y a des espaliers tout autour et des contre-espaliers en buissons, séparés par une allée de six toises de large. Depuis les contre-espaliers, il est divisé en six allées, toutes bordées d’arbres en buissons, qui font une étoile dans le milieu fort agréable. Le dedans des carrés est rempli d’arbres fruitiers en plein vent, plantés en quinconce. Vers le bout du verger, la petite rivière du Mable fait un canal long de cent soixante et quinze toises et large de vingt et deux, puis elle sort par des écluses et continue son cours au long de la petite île et de la petite prairie dont je viens de parler. Elle forme un grand rondeau vis-à-vis de l’allée du vieux Mail, qui est continuée dans la petite île jusqu’à la muraille. Cette petite rivière continue son cours dans son lit naturel jusqu’à un pont, par dessous lequel elle passe, pour se renfermer dans le grand canal, qui est revêtu des deux côtés de pierre de taille ; il a sept cents toises de long et onze de large, avec un gros jet d’eau vis-à-vis de la face du château. L’entrée de la petite île est au bout du pont ; la grande allée d’ormes qui est le long de ce beau Canal se continue jusqu’à la muraille et deux cent vingt toises depuis l’entrée.

Dans cette Ile en charmes féconde,
N’étant troublé que du Zéphyr,
Un esprit peut avec plaisir
Se promener par tout le monde.
C’est là que ma Muse en repos
A vu quelque fois des Héros,
Dans les troubles, dans les tempêtes,
C’est encore dans ce lieu
Qu’elle repassait les conquêtes
Et les nobles travaux du fameux Richelieu.

Les bois de haute fûtaie, qui sont à perte de vue, et plusieurs allées d’armes et de chênes y font en tout temps un ombrage fort plaisant. De quelque côté que l’on se tourne en sortant de cette île, on se trouve enchanté.

L’oeil se perd dans cette prairie.
Il ne peut rien voir de plus beau :
Ces vaches avec ce taureau
Qui sont venus de Barbarie
Prennent un plaisir sans égal
A se mirer dans ce Canal
Qui s’étend à perte de vue
Et le long duquel sont plantés
Trois rangs d’ormes qui dans la nue
Porttent superbement leurs faîtes éventés.

Cette prairie contient quatorze arpents entre le Canal et le bois de haute futaie. L’Allée d’ormes est de la longueur du grand Canal et a dix toises de large, et la contre-allée six, avec des palissades d’aubépin entre deux. Entre cette contre-allée et la muraille du Parc, il y a une Pelouse d’environ vingt et deux toises de large, avec une rangée d’ormes entre une palissade d’aubépin. De là jusqu’à la muraille du Parc il y a cinq toises et une palissade d’aubépin tout du long.

A moitié de cette grande Allée d’ormes, on trouve une fort belle Chapelle qui a été fondée par les aïeux de son Emimence à l’honneur de saint Nicolas évêque de Myre ; et, pour satisfaire à la volonté des fondateurs, le fermier de la Seigneurie de Richelieu doit, tous les ans, distribuer aux pauvres, à la porte du château, seize septiers de blé en pains.

LA DEMI-LUNE

En passant cette Chapelle, on trouve un parterre en demi-lune, d’où la Maison paraît fort avantageusement. Les Bois, le Mail, les Canaux et la Ville que l’on découvre de là surprennent agréablement ceux qui croient comme une nécessité indispensable

Qu’il faut, pour rendre un lieu parfait,
Avoir de toutes parts une vue étendue,
Puisque dans celui-ci l’on est fort satisfait
De n’avoir que sa propre vue.

Ce Parterre est divisé en quatre compartiments, avec une broderie de buis fort bien ordonnée

Que ce parterre en demi-lune
Est d’un aspect délicieux !
Que d’Illustres  et que de Dieux
En ce lieu bornent leur fortune !
Ils étalent des raretés
Qui font voir que, de tous côtés,
Richelieu n’a rien que d’aimable,
Que ces grottes dans les deux coins,
D’un entrepreneur admirable,
Marquent bien à nos yeux le savoir et les soins.

Ces deux grottes sont aux deux extrémités d’une demi-lune remplie de statues de marbre antiques dans des niches de charmes. Les Caves de la Maison sont dessous l’une de ces Grottes, ayant la Glacière au-dessus.L’autre Grotte est pour la symétrie.

L’on entre de cette demi-lune dans le grand Parc par trois grandes barrières, dont il y en a deux au travers desquelles on voit deux allées dans le Parc qui le traversent d’un bout à l’autre. La troisième et la plus grande est dans le milieu qui répond au point de vue. Elle a, sur six grands piliers de pierre de taille, six Bustes antiques

Figures antiques qui sont sur des piédestaux autour de la demi-lune dans des niches de charme.

HOMERE, terme
L’on travaille à la gloire
Lorsque des vertueux on chérit la mémoire.
Alexandre le Grand, enchanté des écrits
D’Homère en l’honneur de la Grèce,
Les renfermait avec adresse
Dans un écrin tout d’or et de pierres de prix.

MORPHÉE, terme
Que Morphée aujourd’hui,
Sur son piédestal ferme,
Te fasse souvenir que la mort est le terme
Qui doit faire ta joie, ou ton plus grand ennui.

BRUTUS, statue
Il arrive souvent qu’après un méchant coup
On fait des fautes dans la suite.
Brutus en fit beaucoup
Et ne put réparer sa mauvaise conduite.
La justice du Ciel déjà le poursuivait.
Il venait de tuer un Prince qui l’aimait,
Qui l’avait avancé contre la politique.
Et ce cruel Romain,
Après avoir commis une action tragique,
ne pouvait la venger que de sa propre main.

DIANE, statue
Il ne s’est jamais vu de fille ni de femme
Qui n’ait senti les traits d’une amoureuse flamme,
Les unes plus, les autres moins.
Les unes font scrupule à la faire connaître
Et pour la bien cacher appliquent tous leurs soins.
D’autres mettent leur gloire à la faire paraître.
Diane, quoique chaste, eut pour Endimion
Une très forte passion.
Mais, ne désirant pas qu’elle fût reconnue,
Elle se cachait tout le jour
Et, quand la nuit était venue,
Elle lui témoignait l’excès de son amour.

APOLLON, statue
Il n’est point de métamorphose,
Il n’est point de bons tours
Qu’un amoureux ne se propose
Quand il veut posséder l’objet de ses amours.
Apollon d’Eurimone emprunta la figure
Pour à Leucothoé conter son aventure.
Puis, reprenant sa forme, il lui parut si beau
Que, sans pouvoir le contredire,
Elle laissa tomber et quenouille et fuseau :
Hélas ! qu’aurait-elle pu dire ?

UNE DAME ROMAINE, statue
Cette belle inconnue
Etait ici venue
Pour plaire aux yeux du grand Armand.
Mais, ne l’y trouvant pas, elle est comme une idole
Sans aucun mouvement
Et n’a pas dit une parole.

MARS, statue
Junon par un caprice eut le dieu des combats.
Une simple fleur le fit naître,
Ce qui nous fait connaître
Qu’il faut bien peu pour mettre un vaillant homme à bas.

FLORE
Si Flore aima les fleurs
Et ceux qui sont sous son empire,
Eût-elle à ses amants refusé des douceurs,
Étant femme du doux Zéphire ?

MARC-AURÈLE
Les coeurs des hommes sont trop vains
Pour vouloir partager les honneurs souverains.
Et ce fut aux Romains une chose nouvelle
De voir régner chez eux Verus et Marc-Aurèle.
Mais, comme on veut trouver des taches au soleil,
Quoiqu’Aurèle en vertus ne vit point son pareil,
Il ne sut éviter les taches de l’envie
Qui fit publier sans raison
Que, jaloux de Verus, il lui ravit la vie
Avec un funeste poison.

PALLAS, statue
Métis, comme un pauvre mouton,
Par Jupiter fut dévorée.
Puis, du cerveau de ce glouton,
Pallas par Vulcain fut tirée,
Toute de fer jusqu’au menton.

VITELLIUS, statue
Quand un prince vit dans l’ordure
Sans jamais regarder en haut,
Il est près de faire un grand saut
Et mérite pour sépulture,
Comme Vitellius, le gîte d’un crapaud.

UNE DAME ROMAINE SORTANT DU BAIN, statue. Sa chemise est d’un marbre noira^tre.
L’on connaît bien que cette belle
Ne faisait que sortir du bain.
Lorsqu’elle reçut la nouvelle
Qu’il lui fallait partir soudain,
Elle n’eut pas la carte blanche
Pour faire selon son désir,
Ni même le loisir
De prendre seulement une chemise blanche.

JULIEN L’APOSTAT, statue
Que ta science est vaine, impie audacieux,
Qui te fait de l’Enfer consulter les oracles
Afin de pénétrer dans les secrets des Cieux
Et te mettre en crédit avec de faux miracles.
Julien l’Apostat, curieux comme toi,
Vouant fouler aux pieds Jésus avec sa Loi,
Rechercha des Démons la puissance et les charmes.
Mais par ces séducteurs il fut bien attrapé
Et reconnut trop tard le faible de leurs armes
Lorsque d’un trait vengeur et se sentit frappé.

RHÉA, statue
Si l’on ne pèche point sans le consentement,
Rhéa ne devait point appréhender la peine.
Elle ne savait pas comment
L’on avait empli sa bedaine.
Mars, ce terrible amant,
Sachant bien que Rhéa, de l’amour ennemie,
Ne le souffrirait nullement,
Prit le temps que la belle était toute endormie.

UNE DAME GRECQUE, statue
Depuis que cette Grecque est dans ce lieu charmant,
Elle est comme en extase et ferme la prunelle.
Le marbre n’est pas plus froid qu’elle
Et ce jeune Bacchus ne l’émeut nullement.

UN HERMAPHRODITE, statue
Que nous voyons de gens, comme l’Hermaphrodite !
Né de Mercure et de Cypris,
De Salmacis un jour il fuyait le mérite ;
Le lendemain il en fut pris.

UNE VIEILLE, statue
Cette Vieille rit que je pense
De voir dans ce cercle charmant
Avec chaque Dame un galant
Et que tous gardent le silence.

MORPHÉE, terme
Morphée en ces beaux lieux,
Comme l’ami de la nature,
Ne présente rien à nos yeux
Qui ne soit gracieux
Et d’un fort bon augure.

HOMERE, terme
Homère de bien loin est venu dans ces lieux
Où, sans doute, il dirait des choses nonpareilles
De toues ces merveilles
S’il n’était aussi bien sans bouche que sans yeux.

Bustes antiques qui sont au-dessus de la grande Barrière pour entrer dans le Parc.

AUGUSTE
Auguste se rendit maître de l’univers
Et s’acquit des Romains une extrême louange.
Mais ce qui les charmait dans ses talents divers
C’est que pour ses amis il ne prit point le change.

ADRIAN
A force d’être trop savant
Il arrive souvent
Que l’on ne peut souffrir des autres la science.
Adrian fut de ces gens-là
Et fit assez voir en cela
La source de la suffisance.

CLAUDIUS
Peu d’empereurs ont eu de bonnes femmes.
Claudius en eut cinq : trois furent des infâmes.
Pour prendre un autre époux l’une l’abandonna
Et l’ambitieuse Agrippine,
Plus cruelle et plus fine,
Avec des champignons enfin l’empoisonna.

OTHON
Chacun fait son tempérament.
Le sage aime le raisonnable,
L’emporté suit l’emportement,
Le juste cherche l’équitable,
Le doux s’attache à la douceur,
Le cruel aime la fureur,
Le vicieux chérit le vice,
L’impur court à l’impureté,
Le méchant aime la malice
Et ne peut s’allier avecque la bonté.
Ainsi l’on vit Néron, ce prince abominable,
Se joindre avec Othon d’un lien détestable.
Ils semblaient n’être nés que pour un même sort
Et l’Amour seulement ne put les voir d’accord.
L’un à l’autre communs, une femme commune
Divisa leurs esprits et causa leur rancune.
Mais, pour se réunir par un sinistre sort,
Tous deux également se donnèrent la mort.

TITUS
Titus hait si fort le vice
Qu’il le chassa loin de la Cour.
Même il n’épargna pas la reine Bérénice
À qui chacun savait qu’il avait fait l’amour.
Il voulut que la calomnie
Fût exemplairement punie.
Aux pauvres il ouvrit sa libérale main.
Mais, quelque soin qu’il prit de surmonter l’envie,
Elle attaqua sa belle vie
Et fit mourir soudain
Les délices du genre humain.

DRUSUS
Qu’il est toujours beau de bien faire.
Drusus vécut fort peu, mais qui vit comme lui
Sert d’un noble exemplaire
Et vit pour tout jamais dans l’estime d’autrui.

LE GRAND PARC [159]

Le grand Parc

Il est temps de quitter ces objets admirables
Afin d’entrer dans le grand Parc
Où des arbres, courbés en arc,
Forment des berceaux agréables.
Avançons-vous jusqu’au milieu.
Une grande Etoile en ce lieu
Surpend d’une joie imprévue.
Et six routes laissent le choix
De les suivre à perte de vue
Ou bien de d’enfoncer dans l’épaisseur du bois.

Il y a quelques-unes de ses allées qui ont une grand lieue de longueur. Il y en a d’autres qui les traversent, de sorte que les dames qui s’y promènent en carrosse ont beaucoup de plaisir de voir passer incessamment des hardes de cerfs et de biches.

Craintives et légères bêtes
Qui pleurez étant aux abois,
Qui tous les ans quittez les bois
Dont vous ornez vos nobles têtes,
Que votre destin est heureux !
Sans craindre un chasseur vigoureux,
Vous entrez du bois dans la plaine
Et, dans le temps de votre amour,
Vos cris témoins de notre peine
Cent fois font répéter des échos d’alentour.

Si l’on est surpris du grand nombre qui s’y trouve, on ne l’est pas moins de tant d’espaces si différentes et si particulières.

Bizarre effet de la nature,
Quelques-uns de ces animaux
Ont du crin comme des chevaux
Et sont d’une forte stature.
D’autres, des pieds jusqu’aux flancs,
Et par la tête sont tout blancs.
D’autres n’ont qu’une seule étoile
Si blanche au milieu de leur front
Que la plus fine et blanche toile
Auprès de son éclat recevrait un affront.

Les eaux qui sont dans ce parc sont de fontaines. Le pacage y est admirable et le terrain extrêmement sec. De sorte que tous les chevaux qui s’y nourrissent ont le pied excellent et ne sont point en hasard de perdre la vue.

Ils naissent tous de belle taille.
Ils sont adroits et vigoureux.
Heureux celui qui, dans une bataille,
Se trouve monté sur l’un d’eux.

Il y a des écuries en divers endroits du parc, pour les mettre à couvert durant les ardeurs de la canicule et pour leur servir de défense contre la piquante guerre que leur font les mouches. Les pavillons qui sont à tous les coins et à toutes les portes pourraient servir de logements assez commodes. On trouve encore, proche l’une de ces portes, un logement fort raisonnable, avec un clos de vigne dont le vin fait dire à tous ceux qui en goûtent :

Afin d’accompagner le plus parfait ouvrage
Qui soit dans l’Univers,
On fit un assemblage
Des chefs-d’oeuvre divers.
Mais pour rendre accompli de tout point son mérite
Et contenter le goût de même que les yeux,
Dans ce clos on a mis l’élite
De tous les plants des vins les plus délicieux.

Ce parc a près de trois lieues de tour, avec des allées proches la muraille, tant dedans que dehors, qui font un effet merveilleux pour l’embellissement de cette incomparable Maison et pour le plaisir des voyageurs.

LE JARDIN [161]

Je ne puis finir ce petit ouvrage sans dire un mot d’un Jardin dont je me suis engagé de parler. Il est de la longueur de l’anti-cour. C’était autrefois une cour assez sale, ce qui a donné matière à ce madrigal :

Agréable Jardin, séjour délicieux,
J’admire l’art industrieux
Qui t’a fait si charmant, si pompeux et si riche,
Toi qui n’étais, du temps de nos aïeux,
Qu’une masse de terre en friche.
Que tu nous marques bien cet heureux changement
Que fait la grâce en un moment
Lorsqu’un pécheur endurci dans le vice
Devient un saint qui marche constamment
Dans les sentiers de la justice.

Ce jardin s’est accru à proportion que ma curiosité s’est augmentée. D’abord il n’y avait que le quart de la cour, et je l’avais borné par une petite Grotte où l’on ne pouvait s’exempter d’être mouillé depuis les pieds jusqu’à la tête quand on s’y laissait renfermer. Maintenant elle est ôtée et il n’y a plus d’espace qui ne soit rempli de fleurs pour toutes les saisons. Les tulipes attirent les curieux dans le printemps et s’il est permis à un fleuriste de louer ce qu’il a, l’on ne regrette pas les pas que l’on fait pour les venir voir.

La jonquille, l’oeillet, la douce tubéreuse,
La fleur d’orange et le jasmin,
Pour emporter le prix le soir et le matin,
Se font une guerre amoureuse.

Si les orangers qui forment une allée assez raisonnable ne sont pas une des raretés de Richelieu, ils ont néanmoins l’avantage d’être des plus beaux de la province. Il y a dans ce jardin deux bassins d’où sortent des jets d’eau qui s’élèvent de plus de douze pieds et font toutes sortes de figures selon les adjoutoirs qu’on y met, sur quoi ce madrigal a été composé :

Celui qui souffre mille peines,
Quand il faut renoncer à son tempérament,
Peut-il voir sans étonnement
Toutes ces petites fontaines ?
L’eau qui fait en ces lieux en effet si charmant
Aime à se perdre en terre, errant à l’aventure.
Mais avec un peu d’art on voit cet élément,
Pour le plaisir de l’homme, aller contre nature.
Que cela nous devrait et confondre et charmer
Sitôt qu’en des tuyaux on l’a su renfermer.
Il va partout où on le mène,
Et fait tout ce qu’on veut, ou cascade ou fontaine.

Il y a sur le bord d’un de ces bassins un petit Enfant de marbre qui tient un dauphin, lequel répand de l’eau dans une coquille aussi de marbre, puis, par de petits tuyaux, s’écoule dans le même bassin. À l’opposite de cet Enfant, sur le même bord, il y a un cadran qui marque les heures et les demi-heures, soit que le soleil luise ou qu’il ne luise pas ; et tout autour ces vers sont gravés :

Mortel apprends que ton être
N’est qu’une simple vapeur,
Rien qu’une ombre, qu’une fleur
Qu’on moment voit disparaître.
Ce n’est qu’un souffle, qu’une vent,
Qu’un jet d’eau qui, s’élevant,
Retombe aussitôt par terre.
Ce n’est qu’un faible roseau
Qui, plus fragile qu’un verre,
Rencontre bien souvent la mort dans le berceau.

L’on voit sur la porte de ce Jardin ces quatre vers :

Flore dans ce jardin pour conserver ses charmes
Ordonne aux cavaliers de mettre bas les armes,
Aux dames d’étouffer leurs désirs curieux,
À tous d’être sans mains et n’avoir que des yeux.

Il y a dans le bout du Jardin une petite grotte et, sur la porte, ces vers :

Vous qui, trop attachés aux beautés d’un parterre,
Portez incessamment vos yeux dessus la terre,
Qui de la moindre fleur vous faites un trésor,
Qui leur donnez des noms surprenants et sublimes,
Et qui croiriez pécher encor
Si vos ne les traitiez d’intimes,
Déplorez aujourd’hui l’excès de vos erreurs
Et, si vous soupirez, soupirez pour ces fleurs
Dont Jésus, de ses mains divines,
Promet de couronner quelque jour dans les cieux
Quiconque en ces bas lieux
Voudra pour son amour se couronner d’épines.

Comme la démangeaison de toucher les fleurs n’est que trop ordinaire à tous ceux qui entrent dans un jardin, on a cru de leur devoir donner ce petit avis par ce madrigal :

Vous qui voulez briller par votre chasteté,
Imitez de ces fleurs l’extrême pureté.
Vous ne sauriez choisir de plus parfaits modèles.
Chacun s’en peut bien approcher,
Mais on les voit flétrir et cesse d’être belles
Quelque main que ce soit qui puisse les toucher.

Les tentations de saint Antoine sont représentées dans cette Grotte par divers animaux qui jettent de l’eau par la bouche, par les narines et par les oreilles. Mais il semble que le plus dangereux de tous soit une belle femme à l’approche de laquelle le bon saint sonne incessamment une petite clochette pour appeler le Ciel à son secours ; on voit ces vers à côté :

Mesdames, ne vous fâchez pas
Si ce saint contre vos appas
Se sert de ses plus fortes armes.
Il connaît du Démon la ruse et le pouvoir
Et sait que, pour nous décevoir,
Il emprunte souvent vos charmes.

L’on remarque dans cette Grotte quelques-uns des miracles de ce saint et le Satyre qui lui apparut, dont saint Jérôme fait mention. Ce Satyre est de marbre antique. Il tient dans sa main une coquille de nacre de perle qui se remplit d’eau continuellement. Il semble regarder une petite fenêtre qui est dans l’enfoncement de la Grotte, où l’on met un baril de vin qui se tire par une canette, sans qu’on le voie, avec ces vers écrits sur la fenêtre :

Pauvre Satyre que je suis,
Je souffre bien plus qu’un Tantale.
Dans le vin dans l’eau je ne puis
Apaiser ma soif sans égale.
Ô surprenante cruauté !
L’on m’ôte toute liberté
Dans un lieu rempli de délices
Où des fleuristes entêtés,
Afin d’augmenter mes supplices,
Tour à Tour boivent leurs santés.

Toutes les eaux qui tombent du haut d’un rocher, qui est derrière ce Satyre, d’une petite fontaine et de quantité de jets d’eau font de petites cascades assez agréables, qui ont fait naître ce madrigal :

Ces eaux claires et jaillissantes
Le long de ce roches coulantes
Nous réveillent les sens par leurs détours divers.
Au lieu que des eaux croupissantes,
Toujours boueuses et puantes,
Ne font que des serpents, des crapauds et des vers.
Paresseux, qui languis dans un sommeil impie,
Imite de ces eaux le cours et la clarté,
De peur que, demeurant dans ton oisiveté,
Tu ne sois dans le monde ainsi qu’une eau croupie.

 

Muse, il faut finir cet ouvrage.
Pour mille autres beautés ne crois pas ton courage.
L’on recule parfois voulant trop s’avancer.
Je me plairais à les décrire,
Mais il en faut laisser à dire,
Afin d’en laisser à penser.

Une description, pour être bien reçue,
Doit être succincte, ingénue.
N’as-tu pas en cela fort bien fait ton devoir ?
Peut-être qu’on voulant davantage t’étendre
L’on pourrait se lasser d’entendre
Ce qu’on n’est jamais las de voir.

FIN


TALLEMANT DES RÉAUX,
Le cardinal de Richelieu,
Historiettes, éd. Pléiade, t. I, p. 252

Regardez quelle faiblesse a cet homme, qui eût pu rendre illustre le lieu le plus obscur de France, de croire qu'un grand bâtiment ajouté à la maison de son père ferait beaucoup pour sa gloire; sans considérer […] que le lieu n'était ni beau ni sain; car avec tous les privilèges qu'il y a mis, on ne s'y habitue point. Il y a fait des fautes considérables : le principal corps-de-logis est trop petit et trop étroit par la vision qu'il a eue de conserver une partie de la maison de son père, où l'on montre la chambre dans laquelle le Cardinal est né, et cela pour faire voir que son père avait une maison de pierres de taille, couverte d'ardoises, en un pays où les maisons des paysans sont de même. Il a encore affecté de laisser, au coin de son parterre, une église assez grande, à cause que ses ancêtres y sont enterrés.
La cour est fort agréable et fort ornée de statues ; il n'y a rien plus doré ni plus embelli de tableaux que les dedans; mais du côté du jardin, la face du logis est ridicule. On y a fait venir des eaux jaillissantes en assez grande quantité. Les canaux sont de belle eau. C'est une petite rivière qui les fait, et les fossés sont aussi pleins qu'ils sauraient être. Le parc et les jardins sont beaux. Dans le château ni dans la ville, on ne saurait faire une cave; on en a fait au bout du jardin. Le bois n'y est pas beau, car les chênes n'aient pas tant le marécage que ces grandes allées de peupliers. La basse-cour est belle, la ville riante, car c'est une ville de carte (*); l'église est fort agréable; les maisons de la ville sont toutes d'une même structure, et toutes de pierre de taille. Elles ont été bâties par ceux qui étaient dans les finances, dans les partis et dans la maison du Cardinal.
Il n'a pas eu la satisfaction de voir Richelieu: il avait trop d'affaires.

(*) de carton, comme les décors au théâtre.


RICHELIEU

article de Claude Mignot dans Architectures en région Centre, Hachette, 1988

Bâtie aux confins de la Touraine et du Poitou, dans la vallée du Mable, un affluent de la Vienne, la petite vile de Richelieu (environ 2500 habitants) fut fondée en 1631 par le cardinal Armand Jean Du Plessis (1585-1642), pour devenir la "capitale" de son nouveau duché, à proximité du château familial rebâti au même moment. Du château, détruit vers 1840, ne subsistent plus que le parc et quelques vestiges rares, mais importants; la ville, elle, a mieux su conserver son aspect originel. Bâtie sur un plan régulier, avec ses remparts, ses fossés et ses portes monumentales, ses deux places carrées et sa grande rue bordées de pavillons uniformes, elle devrait apparaître, si une restauration attentive de ses parties anciennes était menée, comme un des plus beaux témoignages de l’urbanisme simple et efficace du temps de Louis XIII.

"Il faut songer à se bâtir une retraite tant qu’on est en prospérit", écrivait le maréchal de Brézé, beau-frère du cardinal. Après le "grand orage" de 1630, culminant avec la journée des Dupes qui voit la confirmation de son pouvoir, mais témoigne aussi de la fragilité de sa position, Richelieu prend, au printemps 1631, la double décision de rebâtir magnifiquement le château familial qu’il avait acquis en 1621 à la mort de son frère aîné, et de construire à proximité une ville neuve qui deviendrait le centre de sa seigneurie, érigée en duché-pairie en août 1631.

Les travaux de Richelieu sont contemporains d’autres chantiers importants engagés par le cardinal après 1630: transformations de son hôtel parisien en un véritable palais (palais Cardinal, puis palais Royal), embellissements de sa maison de Rueil, construction de la grande chapelle-mausolée de la Sorbonne.

Engagés simultanément au printemps 1631 et menés parallèlement, les travaux de la ville et du château sont quasiment achevés en 1642, à la mort de Richelieu. Les dessins en sont donnés par Jacques Lemercier, l’architecte préféré du cardinal, qui devient aussi, en 1638, premier architecte du roi; les travaux sont conduits par ses frères Pierre et Nicolas Lemercier (portraits au Musée municipal), et réalisés par plusieurs grands entrepreneurs du bâtiment, Jean Thiriot, Jean Barbet, etc.

LA VILLE

Le 21 mai 1631, des lettres patentes autorisent le cardinal à "faire construire et bâtir autour et proche de la dite maison [de Richelieu] un bourg de telle grandeur et espace qu’il avisera bon être, fermé de murailles et de fossés"; sont accordés au bourg neuf des privilèges fiscaux (exemption de taille et de gabelle jusqu’à ce qu’il y ait cent maisons au dit bourg) et commerciaux (création de marchés bi-hebdomadaires et de foires quadri-annuelles), destinés à favoriser sa croissance. Les travaux publics (murs de la ville, rues, halle et église) sont payés par le roi, tandis que les maisons particulières sont bâties aux frais des "créatures" du cardinal, secrétaires d’Etat, financiers et officiers du nouveau duché, à qui Richelieu donne le terrain, mais qui doivent adopter des plans et des élévations types pour assurer l’unité architecturale de la ville.

Les travaux de la ville avancent rapidement avec un nombre considérable d’ouvriers (on parle de 2.000). En 1632, on bâtit les premières maisons sur la place méridionale. En février 1633, Richelieu signe les contrats de donations de vingt parcelles le long de la grande rue et approuve le devis-type des maisons que s’engagent à y bâtir les bénéficiaires. Ce devis est établi par le maître maçon Jean Barbet, mais le dessin annexé au devis est peut-être aussi de Lemercier. Un grand plan aquarellé de Barbet (Bibliothèque nationale), témoigne de l’état d’avancement des travaux en août 1633. En 1635, la Grande Rue est achevée: "Les maisons sans mentir en paraissent aussi belles que celles de la place Royale" (la place des Vosges à Paris), écrit alors au cardinal Léon Bouthillier de Chavigny. La disparition de Richelieu, en 1642, stoppe l’expansion de la ville nouvelle. Par des témoignages de voyageurs, nous savons qu’en 1644, les remparts et les portes de la ville sont achevés, ainsi que les maisons bordant la Grande Rue et les deux places avec l’église, les halles et un couvent, mais que les deux rues secondaires sont seulement tracées. En 1661, si le château continue d’attirer les curieux, la ville apparaît encore bien vide à La Fontaine: "Enfin elle est à mon avis / Mal située et bien bâtie. / On en a fait tous les logis / D’une pareille symétrie. / Ce sont des bâtiments fort hauts. / Leur aspect vous plairait sans faute ; / Les dedans ont quelques défauts, / Le plus grand, c’est qu’ils manquent d’hôtes."

Bâtie sur plan rectangulaire, la ville est entourée de fossés, où coule, d’un côté, le Mable, et de murs, qui semblent plus pour le décor que pour la défense, scandés de petits bastions en saillie et de six portes, dont seules trois étaient anciennement ouvertes. D’une porte principale à l’autre, au dessin légèrement différent (on notera la place des frontons), la ville est traversée dans toute sa longueur par une grande rue de six toises de large (environ 12 m), qui relie les deux grandes places carrées, au nord et au sud de la ville. Coupée en son milieu d’une autre rue qui la croise et traverse à angle droit, cette grande rue est "bordée de chaque côté de quatorze grands pavillons, qui ne paraissent être qu’un seul corps de logis si ce n’est la pluralité des toits en pointe, ayant chacun sa porte cochère et par dedans sa cour et son jardin au bout". Les places sont bordées de pavillons plus étroits, accompagnés de corps bas, boutiques en bande et maisons d’artisans. L’unité architecturale de la Grande Rue et de ces deux places tenait d’une part au contraste entre les grands pavillons couverts d’ardoise et les corps plus bas, corps de boutiques sur les places, ailes dans les cours, couverts de tuile, (contraste préservé aujourd’hui encore en partie), d’autre part à l’emploi du même système constructif et formel, variante du "style rustique français", largement répandu de l’époque Henri III à celle de Louis XIII : chaînes de pierre harpées encadrant les fenêtres et marquant les encoignures, recoupées de "cordons ou ceintures qui règnent de travers pour la distinction des étages", trumeaux de moellons couverts d’un "enduit à chaux et sable", grands portails à fronton brisé. La largeur de la Grande Rue et la pente des toits des pavillons qui la bordent sont telles qu’en marchant au milieu de la rue, on pouvait croire que ces maisons ne formaient qu’un seul bâtiment. Aujourd’hui l’unité de la rue est un peu détruite par des enseignes et des devantures commerciales trop peu discrètes, et par le traitement hétérogène de l’épiderme architectural: moellons apparents (contre-sens absolu), enduits trop gris, à base de ciment, etc. Pour avoir une idée du ton jaune légèrement rosé, et du grain sablé de l’enduit d’origine, "à chaux et sable", il faut entrer dans les cours : plusieurs en montrent encore heureusement des traces.

Primitivement, toutes les maisons de la Grande Rue offraient le même parti de plan: corps principal sur rue et aile unique en retour; au cours des XVIIIe et XIXe s., les ailes ont toutes été transformées, surélevées et prolongées vers le fond de la parcelle; on regrettera surtout que la construction d’une seconde aile soit venue détruire la symétrie des façades des grands pavillons, et réduire l’ampleur de ces cours, qui se groupaient deux par deux de part et d’autre du mur mitoyen. Beaucoup de maisons ont heureusement conservé leurs escaliers d’origine, escaliers droits à première volée de pierre, placés le plus souvent dans le corps sur rue, le long du passage cocher, et, dans deux cas, installés dans l’aile en retour. Les pavillons des places, eux, plus étroits, devaient être desservis par des escaliers à quatre noyaux, type dont subsistent deux exemples.

Sur la place septentrionale, on trouvait un couvent et le collège de la ville; sur la place méridionale, on trouve la grande halle, destinée à abriter les foires et marchés prévus par les lettres de fondation, qui recevait une nouvelle façade en 1843 (par L. Dezigny), mais a conservé sa superbe charpente d’origine, et l’église, accompagnée d’une cure, dont la partie ancienne s’organise autour d’un petit cloître à arcades. Parallèlement à la Grande-Rue, on trouve encore deux rues secondaires, bordées de maisons plus basses à l’architecture modeste.

L’ÉGLISE

L’église de la ville, bâtie pour remplacer l’église des Sablons qui se trouvait près de la basse-cour de l’ancien château, a été construite sur les dessins de Jacques Lemercier et sous la conduite de ses frères, notamment de Pierre (mort en 1639). Avec ses deux ordres superposés de pilastres doriques et ioniques que couronne un grand fronton triangulaire, la façade est une variante assez banale d’un type diffusé par Serlio au XVIe s. et adopté en France dans les premières décennies du XVIIe s. Plus précisément, elle apparaît comme une simple variation sur le portail de l’église de Rueil, dessiné par Lemercier pour le même cardinal de Richelieu: ici, deux portes latérales, surmontées de fenêtres carrées, se substituent aux grandes fenêtres cintrées de Rueil, et des aile rons plus sobres remplacent les doubles volutes ; mais pour le reste, on retrouve exactement la même ordonnance. Aucune coupole ici à la croisée du transept, mais deux tours-clochers, dont on notera le traitement original en forme d’obélisque, (motif repris plus tard à l’église Saint-Louis-en-l’Ile à Paris, et, par Lemercier lui-même, à la cathédrale d’Orléans). L’intérieur à vaisseau et bas-côtés frappe aussi par l’austérité de son architecture.

LE CHÂTEAU

"Lorsque tout sera achevé, vous pourrez vous vanter d’avoir la plus grande maison qui soit dans l’Europe", écrivait en 1635 au cardinal de Richelieu son homme de confiance, Léon Bouthillier de Chavigny. Ne subsistent plus aujourd’hui que le pavillon de droite de l’avant-cour, remarquable par la qualité de son dessin, la plate-forme bordée de fossés en eau et les deux grandes grottes du parc : le traitement de leur façade témoigne du génie de Lemercier, qui dans ce morceau paraît annoncer Ledoux. La suite de dix-huit gravures publiée vers 1660-1670 par Jean Marot à la gloire du "magnifique château de Richelieu", ainsi que les gravures de Gabriel Pérelle (avant 1677), et d’Israël Silvestre (avant 1691) et le guide rédigé par Benjamin Vignier, "capitaine et concierge du château", Le château de Richelieu ou l’histoire des dieux et des héros de l’Antiquité (1676), à l’intention des nombreux visiteurs et curieux, attirés par la beauté de son architecture et la richesse de ses collections d’antiques, nous permettent de restituer assez bien cet édifice, dont une grande maquette devrait être présentée au Musée de la ville.

Lemercier avait conservé les murs du corps principal du château rebâti par le père du cardinal vers 1580, mais il en avait surélevé les planchers, réformé les baies, et, surtout, il en avait doublé la longueur en transformant l’un des pavillons latéraux en pavillon axial, et retourné de 180° l’orientation. Avec son plan en quadrilatère, ses pavillons saillants et sa grande entrée à dôme, le château du cardinal apparaît comme l’un des derniers grands châteaux à cour fermée et une ultime variation sur le type mis au point à Verneuil et repris au Luxembourg et à Coulommiers. Mais avec ses niches superposées contenant bustes et statues, la cour était traitée en véritable musée d’antiques, sans équivalent ailleurs. La valeur du château tenait aussi à l’ampleur du traitement des abords et du parc qui anticipe l’orchestration urbanistique et paysagère de Versailles. Devant le portail du château, se croisaient les deux grands axes de la composition : l’axe longitudinal, des avant-cours au fond du parc, l’axe transversal, reliant le château à la ville, qui subsiste encore aujourd’hui.

LES ESCLAVES DE MICHEL-ANGE

Les deux Esclaves de Michel-Ange étaient les pièces maîtresses de la collection du cardinal de Richelieu, l’une des plus belles d’Europe. Ils étaient placés avec ostentation, en façade, dans la cour du château et faisaient partie intégrante de la composition architecturale.

De même, à l’origine, avaient-ils été conçus comme parties d’un monument, pour le deuxième projet (1513) du tombeau du pape Jules II, qui, après de nombreuses modifications, fut finalement érigé dans l’église San Pietro in Vincoli, à Rome. Michel-Ange fit don des Esclaves, en 1544, au Florentin Roberto Strozzi qui vivait en exil à Lyon et les donna lui-même à François Ier. Celui-ci, ou Henri II, les offrit au connétable de Montmorency, propriétaire d’Ecouen. Les statues furent alors placées dans la cour d’honneur du château. Le petit-fils du connétable, Henri de Montmorency, ayant comploté contre Louis XIII, fut décapité en 1632 sur ordre de Richelieu. Dans des conditions mal définies, peu avant son exécution, il fit don des statues au cardinal. En 1749, le maréchal de Richelieu les faisait placer dans les jardins de son hôtel parisien. Sa veuve les relégua dans des communs. Mises sous séquestre au moment de la Révolution, elles furent sauvées d’une mise en vente, en 1794, par Alexandre Lenoir, qui les prit pour le musée des Monuments français. Elles entraient au Louvre peu après.


LES JARDINS DE RICHELIEU, par Laurence Berluchon
dans Jardins de Touraine, Tours, 1947

Dans la vallée du Mable, Richelieu, "bourg clos" construit en forme de "carré long" a toujours sa belle muraille, son fossé d’eau large de vingt-sept pas. On y entre par trois portes principales aux arches de pierre, jadis fermées la nuit par des ponts-levis. L’une d’elles, la porte du Roy ou du Parc, conduit au château qui est à "une portée de mousquet de la ville".

Ce château a disparu. Aujourd’hui Richelieu n’est qu’une rue : quatorze pavillons de chaque côté ; à chaque bout de cette rue une place carrée, une fontaine au milieu, aux quatre coins des pavillons doubles ; sur la place voisine du château, une église, des Halles et un Palais de Justice. Ce fut, comme le dit Tallemant des Réaux, "dans les finances, dans les partis et dans la maison du Cardinal", qu’un certain nombre de personnages prirent la charge de construire ces pavillons. Le premier fut le Surintendant des Finances d’Effiat, le second, le Secrétaire d’État Bouthilier de Chavigny. A la fonda tion de l’église se trouve étroitement mêlé le nom de saint Vincent de Paul qui, à cette occasion, est venu plusieurs fois à Richelieu.

C’est sur la vieille place en face de l’église que la statue du Cardinal, oeuvre du sculpteur dijonnais Claude Ramy, inspirée par le célèbre portrait de Philippe de Champaigne, prend toute sa signification. Elle le représente enveloppé dans sa large simarre, tenant d’une main un livre et de l’autre faisant un geste de bienvenue. Il fait désormais les honneur de sa ville grandie autour de la maison paternelle, cette ville dont il a inspiré le dessin et surveillé la construction avec un zèle passionné.

L’œuvre de Richelieu est basée sur ces principes : "Symétrie, ordre classique, chaque chose à sa place, la religion en face de la justice, la paix dans les murailles guerrières, l’utile ornant le luxe qui le soutient."

Si la belle parure d’autrefois est tombée, les souhaits de La Fontaine : "Que Flore et les Zéphyrs ne bougent de ces lieux ; qu’ainsi que votre nom, leur beauté soit durable" ne sont pas restés vains.

Mais nous gardons une certaine nostalgie de ce merveilleux ensemble dont nous pouvons préciser les contours, revivre les jours de gloire et connaître tous les chefs-d’œuvre par les gravures de Perelle et de Marot qui ont immortalisé le château et les jardins. Elles nous aideront, avec les descriptions de quelques écrivains contemporains, à remettre dans le cadre évocateur toute cette statuaire, taches étincelantes qui animent la verdure, accusent les traits saillants du dessin.

L’histoire des jardins de Richelieu, c’est la beauté de la nature et le courage de I’artiste parvenus à la réalisation d’un chef-d’œuvre. Cette manifestation d’art contribuera à l’éclosion du style classique ; elle marquera cette période intermédiaire entre l’influence des deux reines florentines, Catherine de Médicis et Marie de Médicis, sur un art dont elles jouissaient comme d’un fruit de leur patrie, mais qui, à mesure qu’il s’éloignait de son origine italienne, se liait de plus en plus avec les manières françaises et le génie d’un Le Nôtre. Cet art tout royal, sous l’hégémonie de Louis XIV, ne donna-t-il pas un instant l’espoir de voir réaliser en Touraine les plans de M. de Vauban et de La Feuillade qui avaient étudié à Roche-Pinard un projet de château pour le Roi-Soleil ?

C’est dans un paysage plutôt aride, "ni beau, ni sain, où on ne s’habituait pas", dira Tallemant des Réaux, que Richelieu plia la nature à la volonté de l’homme. Et nous comprenons l’ironie du bon La Fontaine se demandant pour quelle raison on n’avait pas "fait transporter la Loire au pied de cette noble ville".

Le Cardinal n’a voulu d’abord "qu’ajouter un grand bâtiment à la maison de son père", mais, en août 1631, Louis XIII ayant érigé l’ancienne petite seigneurie de Richelieu en duché-pairie, "la plus belle distinction en dehors des offices de la Couronne", le modeste manoir à tourelles se transforma en édifice grandiose. Fidèle à ses premiers projets, le Cardinal fit dresser des plans en conservant une partie du logis ancien.

Toute une armée de travailleurs, d’artistes décorateurs, sous la direction de Jacques Le Mercier qui, après avoir étudié à Rome, était devenu architecte du roi Louis XIII, fut mobilisée pour la construction de ce palais "fait sur le modèle de celui de la Reine Mère du Roi à Paris", raconte Mathieu de Marques.

L’œuvre sera grandiose et en accord avec la dignité d’un personnage "qui tiendra plus de pace dans l’histoire que trente papes", selon le mot de La Fontaine. et Mme de Montpensier, fille de Gaston d’Orléans, sera éblouie "par le plus magnifique château et parc que l’on puisse voir". Les trésors d’art amassés dans le château, la beauté des eaux, la noblesse du parc en font un modèle du genre.

Toutes les ressources de l’art des jardins ont été condensées pour que cette transition entre le luxe des appartements appartements et la simple nature soit une belle réussite d’art et de beauté.

A Richelieu, comme à Rueil, c’est la même sagesse, le même choix, la même autorité. Le Cardinal, tout comme il ordonne le Royaume, ordonne les somptueuses résidences où il montrera un goût pour les œuvres antiques. Cet amour des collections ne reste pas l’apanage des rois. A I’exemple de François Ier et de Catherine de Médicis qui collectionnaient les statues, les bustes, les bas-reliefs, le Cardinal s’éprit de ce peuple de divinités gracieuses, de tous ces chefs-d’œuvre nés de notre sœur latine.
C’était l’époque où l’art s’ingéniait à donner une forme matérielle à toutes les abstractions que la littérature profane avait depuis longtemps déjà personnifiées.

Le Roman de la Rose n’est qu’une immense allégorie. Sous l’action de I’antiquité les sujets religieux disparurent. Il y eut alors une véritable floraison de la mythologie et de l’alIégorie qui devaient fournir un thème inépuisable à la statuaire.

"Jusqu’au XVe siècle, les sculpteurs, en exécutant des simulacres de divinités païennes, auraient craint de froisser les sentiments des fidèles. Seul Donatello avait eu le courage, dans son Cupidon, de donner au dieu de l’Amour les dimensions d’un être réel. Longtemps ses contemporains ou ses successeurs n’osèrent pas sortir, pour cet ordre de représentations, du bas-relief ou de la statuette. Voilà que, tout à coup, Michel-Ange prend pour sujet de statues de grandeur naturelle : Cupidon endormi, Cupidon bandant son arc, Bacchus et Apollon, auxquels font suite le Mercure de Bandellini, acheté par François Ier, et des Hercules sans nombre."

Pendant quinze ans, artistes et diplomates collaborèrent à Richelieu pour réunir la collection d’antiques qui devait y tenir une place éloquente et dépassait en valeur, dit-on, celle du palais Cardinal, le disputant comme importance à celle du comte d’Arundel en Angleterre, la plus fameuse du temps. Au château de Richelieu nous trouvons 194 sculptures, bustes et statues, dont une centaine sont antiques.

Le domaine de Richelieu est une grande leçon d’art des jardins. Il peut donner une idée de l’ampleur des parcs, de la hiérarchie des cours qui encadrent les magnifiques résidences du XVIIe siècle. Lemercier, comme le fera plus tard Le Nôtre et Mansard, leur donne une grande importance. Ils concevaient l’entrée du château comme faisant partie du plancher d’ensemble d’un beau jardin. La géométrie préside à l’ordonnance. Nous trouvons déjà là les éléments qui formaient la composition d’un parc à la grande époque du style français.

Le Cardinal, en dehors de ses goûts pour les beaux-arts, s’intéresse au jardinage, et il s’y connaît. Il en parle avec Jean Mignon, avec Nicolas Boutticourt qui travaillent à son parc de Rueil. Boutticourt est voisin de son confrère Le Nôtre dont le père est "jardinier des deux grands parterres à façon du grand pavillon des Tuileries". S’ils sont fait leur apprentissage ensemble, comme on le suppose, leur nom est aussi associé dans un recueil de planches gravées par Mariette représentant des parterres de l’Hôtel de Saint-Ponages, du Palais-Royal, de Louvois, de Bouillon, de Condé. Le parc de Rueil, ou se promène l’altier Cardinal, eut forcément une influence sur celui de Richelieu. Mais si leur créateur a la passion de la pierre, il a davantage encore celle des choses de la nature : il aime les bois, l’eau, les fleurs. Quand il examinait les plans que Lemercier lui soumettait, il pensait toujours au moyen de créer un jardin dans l’espace qu’on pouvait lui consacrer.

Une recommandation qui revient souvent dans ses lettres est de respecter les arbres, aussi il défend contre l’archevêque de Bordeaux, Sourdis, les hautes frondaisons de cette large allée d’ormes qui, avec ses contre-atIées, se terminent à la balustrade de la basse-cour.

A Richelieu "les eaux cherchent les eaux", dit Desmarets, dans ses Promenades à Richelieu et, avec Liancourt, ce furent les premières créations françaises où les jeux d’eaux eurent une si grande importance. Ce ne sont que douves, grands bassins, larges canaux, jets d’eau ; cascades et rocailles ajoutaient au mouvement et au pittoresque. Dans le parc c’est une profusion de fontaines.

Allons au chef-d’œuvre.

Par la porte de la ville, il se présente vu de profil :

L’on voit de grandes esplanades ;
Tout ce que l’œil découvre est beau ;
L’on entend le bruit des cascades
Qui forment un grand carré d’eau.

Nous arriverons plutôt par la route de Châtellerault.

Dès l’entrée, c’est magnifique. Une large allée d’ormes, avec contre-allée, arrive à une demi-lune formée par six pavillons. Une porte, avec l’écusson du Cardinal au fronton, donne accès à une basse-cour rectangulaire, longue de 144 mètres, bordée de bâtiments bas.

De chaque côté de ta basse-cour, deux arrière-cours servaient de champs d’exercice équestres et menaient aux écuries, si grandes que cent chevaux de front et cent carrosses pouvaient y être signés et remisés. Il n’était pas alors de maison importante sans bel équipage, luxe nouveau, car, sous Henri IV, le roi seul avait une haquenée. Et Richelieu aime les beaux équipages.

Suivait une anti-cour régulière, moins large, ornée au milieu d’un jet d’eau, une des plus belles du royaume, dit un contemporain ; une balustrade de pierre terminée par deux socles surmontés de deux lions et une autre du même genre à sa partie extrême lui servent de limites. Les deux grandes ailes de bâtiments sont surmontées en leur milieu d’un dôme, bel ornement avec un pavillon à chaque coin. Des écuries de luxe et des appartements y furent aménagés :

Ta blancheur digne qu’on l’admire
Éblouit nuit et jour.

Puis un espace vide. A ces deux extrémités une porte décorée des armes de l’Amirauté conduisait à droite dans le grand parc vers la forêt, à gauche dans le petit parc vers la ville.

C’est à dessein que l’architecte a reculé le château entouré d’un beau fossé large et profond où l’eau "laisse voir cent carpes dans le fond". On passait de l’anti-cour à la cour d’honneur par un pont orné à l’entrée de deux fleuves en marbre blanc coupé à une certaine distance ; un pont-levis s’abattait de la porte d’entrée du château.

Là c’était un

Incomparable point de vue
D’où l’œil perce Parc et Château.
La ville, la grande avenue,
Le petit Parc et le Rondeau.

Autour du château, un corridor en fausse-braye revêtu d’un balustre.

Tout cela est très beau ! Une porte à l’expression altière nous est grande ouverte. Elle est à fronton triangulaire, avec dôme dorique semblable à celui du baptistère de Louis XIII à Fontainebleau, surmontée d’une renommée d’airain "en vol soudain", une trompette de chaque main (du sculpteur Gilles Berthelot). Face à l’anti-cour, dans l’arcade centrale, s’élevait une statue en marbre de Louis XIII, grandeur nature et en Mars.

Et nous regardons toutes ces statues que l’ombre fait tourner. De chaque côté de la porte, sous la terrasse, un large corridor mène aux pavillons de la Chapelle et de la Marine.

Puisque nous avons suivi l’ordre hiérarchique, nous sommes maintenant dans la cour d’honneur, avec ses trois belles façades, encadrée de quatre pavillons d’angle. Un seul regard est comblé de beauté "quand le soleil s’insinue et anime de sa puissance tous ces marbres antiques dont les courbes ont été interprétées par les Grâces", dira Rodin, car "nul autre peuple plus que le peuple grec n’a eu cette souplesse vitale, cette jeunesse". Nous lisons leur leçon dans ces trois Hercules, très beaux antiques, dans ces Mars et Hercule, dans cet Apollon, dans cette Vénus tenant au bras un petit Cupidon.

Dix alvéoles décorent la terrasse : c’est Vénus déjà admirée, Vertumne, dieu de l’Automne, un dieu Terme, une prêtresse de Junon et un autre Terme. Dans la direction opposée un autre Vertumne, une Flore, un dieu Terme avec une autre statue, "tous antiques fort estimés". L’œil va des sculptures élégantes "qui sont de la plus superbe manière qu’on puisse imaginer" jusqu’au faîte garni de plomb délicatement ciselé. Une balustrade, des urnes et un élégant épi décorent la lanterne du Dôme et des niches encadrées de guirlandes de feuilles abritent des bustes d’Apollon et d’Hercule. Au balcon de la façade d’honneur apparaît le chef-d’œuvre de Michel-Ange, les deux Esclaves sculptés pour la tombe de Jules II, "les deux Plus rares pièces qu’on ait vues dans ce siècle", et que François Ier, les ayant reçus de Strozzi, donna au Connétable de Montmorency. A la mort du dernier de cette famille, en 1632, ils furent acquis par Richelieu.

L’appartement du Roi était le mieux situé, de ses fenêtres la vue se réjouissait des cours, du grand parterre, de la demi-lune, de la "Prérie" et du long canal.

Nous longeons les douves, levons les yeux vers le Pavillon de l’Éminence avec ses statues d’Apollon et d’Adonis. Le Pavillon du Roi, côté du parterre et du petit parc, s’embellit des statues de Somne, de Bacchus et de Mars, le Pavillon de Mademoiselle d’une statue de Vénus. Et combien d’autres encore !

Sur les façades alternent dieux et déesses, illustres personnages de l’antiquité, enfants, bustes en bronze sur piédouches, bustes dans des niches, médaillons. C’est une variété incomparable de sculptures et de disposition dans la décoration

Toute cette statuaire, plein air architectural qui partage la vie des arbres, des parcs et des plantes, est chargée d’éloquence, dans la souplesse de certaines lignes, dans la gravité des autres. "Les gestes humains libres sont beaux, mais ceux de ces statues, répétés durant tant de siècles, ont pris je ne sais quel caractère de majesté lente", disait Rodin.

Des jardins servent de cadre immédiat au château. Le grand parterre à droite du palais, au-delà des douves, le parterre des Romains, la demi-lune sur la rive droite du Mable sont des tapis chatoyants frangés d’allées verdoyantes. La discipline se fleurit de joie.

A la sortie du vestibule, par un pont jeté sur les douves, on descend au Parterre des Romains. Deux belles statues antiques, l’une de l’empereur Albinus, l’autre d’une Vénus, sont à l’entrée. A main droite sur le bord du canal, un Bacchus antique s’élève sur son piédestal ; à l’autre extrémité du parterre, Pertinax :

Pertinax naquit pauvre et fut grammairien,
Ce fut de la fortune un plaisant favori.
Moins à cette inconstante il témoigna d’attache,
Plus il en fut chéri.

L’entrée du petit pont qui va du Parterre dans le grand pré est gardée par deux antiques sur leurs piédestaux, Mars et Vénus ; celui qui va dans le sainfoin par Flore et Vertumne, un autre, du sainfoin dans le grand Parterre, est orné de deux petits enfants et de deux statues ; Isis, la tête en marbre blanc contrastant avec la draperie noire, fait pendant à Cérès :
On entend l’eau clapoter…

Au milieu du parterre une grande fontaine
Jette en l’air un torrent de sa seconde veine.
La figure est antique, un Neptune d’airain
Armé de son trident dompte un cheval marin :
Le Monstre, des naseaux, lance l’eau jusqu’aux nues.
(Desmarets, Les Visionnaires, acte III, scène 5)

L’organisation des eaux était fort bien disposée à Richelieu. Tallemant des Réaux écrivait à ce sujet : "On fait venir des eaux jaillissantes en grande quantité, les canaux sont de belle eau et les fossés aussi pleins qu’ils sauraient être." La tâche des ingénieurs hydrauliciens venait d’être facilitée par la connaissance des lois de la pression atmosphérique due à Torricelli en 1643. Jusqu’alors la question des eaux avait été complexe.

Les broderies des parterres sont dans le style de Jacques Boyceau, sieur de la Barauderie, qui dessina les parterres du Luxembourg et de l’ancien Versailles. Les uns sont de style arabesque, les autres à formes comparties. Les ornements des premiers sont compliqués : rinceaux, palmettes, volutes, enroulements. On imitait sur la terre les broderies des étoffes, des costumes des seigneurs dont les chamarrures brillaient au soleil.

Les parterres étaient faits de planches se rencontrant sur des formes parfaites ou semblables, dans lesquelles on employait des plantes rares, fleurs et herbes plantées en ordre, ou faisant des pelouses épaisses d’une ou plusieurs couleurs en forme de tapis de pied :

Que ce parterre en demy-lune
Est d’un aspect délicieux !

Il satisfait ceux qui demandent une vue étendue, car elle découvre le bois, le mail, les canaux et la ville.

Ce parterre est divisé en quatre compartiments de broderie de buis, "part bien ordonnée"; au milieu, un bassin avec un jet d’eau. Une haute bordure de charmes abrite dans ses vingt niches les déesses et les héros de l’antiquité, "cercle charmant" qui s’ouvre par deux Termes d’Homère et de Morphée. Du Fourny a remarqué deux Termes d’Hercule enveloppé dans une chlamyde "d’un seul bloc de marbre pentélique et entièrement antique" et deux Termes de Mercure "avec tête moderne". La réunion, dit-il, de quatre Termes sculptés exprès pour orner quelque ancien jardin est rare et curieuse.

Du centre de cette demi-lune trois grandes barrières dominent la perspective de trois allées du parc ; sur six grands piliers de pierre de taille ornés se trouvent encore six bustes antiques.

La palissade se terminait avec deux petits pavillons à frontons triangulaires où les têtes en relief de Bacchus, des grappes de fleurs et de raisins annoncent que les artistes sont des émules de notre Rabelais.

En redescendant du côté droit, le coup d’œil était séduisant; on errait au milieu de jardins arrosés de canaux, de belles pelouses, de délicieuses allées d’orangers. Si ce n’était pas là une des raretés de Richelieu, les arbustes néanmoins étaient les plus beaux de la province. La culture des orangers était un véritable secret de métier, l’apanage des "docteurs orangistes" : ainsi, au Louvre, "Nicolas Guérin recevait 800 livres par an pour leur donner des soins".

Enfin, le long de l’anti-cour, il est un jardin où le poète Vignier nous retient. L’art l’a fait si charmant, si pompeux et si riche! Riche des tulipes que les curieux au printemps venaient admirer, pompeux de tout l’éclat de leurs coloris qui sont ceux des soies d’Orient ; la tulipe était la fleur de prédilection du Cardinal qui se reposait de la politique en leur donnant des noms : "la Cardinale", "les Chancelières" à fleur violet et blanc. Il paraît que les amateurs aimaient surtout les tulipes à fond jaune panaché de rouge et de brun, toute tulipe à fond blanc était reniée des collections. – Trois siècles ne les ont pas encore démodées !
Et, quand le jardin commençait sa fête, tout y était parfumé, on y respirait :

La jonquille, l’œillet, la douce tubéreuse,
La fleur d’orange et le jasmin,
Pour emporter le prix le soir et le matin
Se font une guerre amoureuse.

Les fleurs s’y réjouissent au bruit des jets d’eau. Sur le bord d’un des bassins, un petit enfant de marbre tient un Dauphin qui répand l’eau dans une coquille de marbre ; à l’opposé un quadran marque les heures, que le soleil luise ou non.

Sur la porte ouvrant sur ce jardin, un petit madrigal recommande "à tous d’être sans mains, n’avoir que des yeux" ; à l’entrée d’une grotte encore quelques vers :

Mais on les voit flétrir et cesser d’être belles,
Quelque main que ce soit qui les puisse toucher.

On ne peut passer sous silence ces "surprises hydrauliques", agréments très appréciés des parcs et des jardins qui furent à la mode pendant deux siècles au moins. Les surprises hydrauliques, plaisanteries facétieuses dont on abusait parfois, faisaient les délices des grands seigneurs et le désespoir des dames.

Le visiteur de ces jardins fastueux s’exposait à être mystifié de diverses façons. Tantôt on l’égarait à dessein dans le dédale des allées d’un labyrinthe, il y en avait un à Richelieu, on ne pouvait en sortir sans guide. Tantôt une épreuve plus cruelle lui était réservée. Sans égard pour les dames ou pour le rang des promeneurs, on se plaisait, au moyen d’ingénieuses pièces mécaniques, à inonder les gens à l’improviste, "à mouiller les dames en marchant par dessus", suivant les expressions du maître des engins. Et laissant la parole à Montaigne : "Cependant que les dames sont amusées à voir jouer ce poisson, on ne fait que lâcher quelque ressort: soudain toutes ces pointes élancent de l’eau menue et roide jusques à la tête d’un homme, et remplissant les cotillons des dames…"

C’était alors une grosse joie pour le propriétaire de voir s’enfuir, éperdus, les malheureux mystifiés. A Richelieu il y avait une grotte où l’on ne pouvait entrer sans être mouillé des pieds à la tête.

Les Mémoires du temps nous ont conservé le souvenir de ces espiègleries du plus mauvais goût, qui étaient en usage dans le meilleur monde aux XVIe et XVIIe siècles. Déjà au Moyen-Age on connaissait ces mauvaises farces qui, sous le nom de "joyeulsetez", faisaient les promenades plaisantes! Ces surprises hydrauliques comme les arbres taillés, les vases, statues et autres ornements du jardin de style régulier ont eu leur précédent dans l’antiquité. Les Étrusques étaient d’habiles hydrauliciens, les Romains, leurs élèves, furent de remarquables fontainiers. "Bianco Capello, femme de François Médicis, duc de Toscane, orna les jardins de sa villa de Pratolino, puis de Florence, de surprises hydrauliques et en répandit la mode en Europe." Henri IV, voulant dans sa jovialité meubler les jardins de son nouveau château de Saint-Germain-en-Laye de belles fontaines et d’amusantes surprises hydrauliques, prit à son service un ingénieur florentin nommé Francini.

Le grave Bernard Palissy comprend les surprises hydrauliques dans le jardin idéal dont il a tracé le plan. S’il réprouve les pièges ouverts sous les pieds des promeneurs, il regarde comme une plaisanterie spirituelle la nymphe de marbre renversant son urne sur la tête du curieux absorbé par la lecture d’une inscription gravée sur Ie piédestal.

L’aspersion est un des éléments caractéristiques des mœurs du temps. Dans un ouvrage de Vredmann de Vries intitulé Hortorum viridariorumque elegantes du XVIe siècle, une planche montre "des groupes de seigneurs et de châtelaines, à fraises empesées, qui s’amusent à s’asperger sous une fontaine à vasque devant un joli jardin de style flamand. L’un des gentilshommes est maintenu renversé par une dame, tandis que l’autre l’inonde à pleines mains".

Le règne de Louis XIII fut l’âge d’or des surprises hydrauliques en France; elles abondaient à Rueil où grottes et fontaines avaient été aménagées dans le goût italien par l’ingénieur Francini.

Le fond du jardin qui nous a conduits à évoquer ce goût puéril était une grotte curieuse et pittoresque. Des tableaux représentaient l’ermite saint Antoine et les tentations, et d’ingénieux jets d’eau sortaient de la bouche, des oreilles, des narines d’animaux. Un satyre antique tenait une coquille de nacre continuellement remplie d’eau, tandis qu’un baril dissimulé dans le rocher contenait du vin. Le satyre endure le supplice de Tantale dans un lieu de délices où les Florestes "tour à tour boivent leurs santés".

La Fontaine disait que l’ennui naît de l’uniformité : aussi variait-on à l’infini la disposition de ces appareils d’aspersion. Ces échantillons de l’ingéniosité des hydrauliciens du vieux temps qui rentrent plutôt dans les jeux et divertissements de jardins ne jouent pas le rôle décoratif des jets permanents des fontaines et des bassins.

Mais revenons à la demy-lune : au-dessus des rinceaux il n’y a que le soleil et l’ombre, les lignes rigides et pourtant souples des buis s’élancent les unes dans les autres, s’éclairent, donnant l’idée "d’un dessin fait d’un coup". Et nous pensons à tous ces hommes armés de ciseaux, penchés sur ces bordures, objets de luxe, dans tous ces jardins symétriques où il faut sans cesse sauvegarder aux différents compartiments la grâce et la précision des contours.

On ne craignait pas alors les grandes œuvres, celles-ci coûtaient pourtant tant d’efforts… mais nous ressentons la joie de ces artistes et artisans d’il y a trois siècles, cœurs sensibles qui, dans le travail, dans l’art, trouvaient le but de leur vie.

Toute cette armée de jardiniers, du matin au soir, travaillait sous la direction d’architectes jardiniers, disciples de Bernard Palissy ou précurseurs de Le Nôtre. Leur tâche journaIière était illuminée, divinisée par le Soleil! En 1634, c’est Ambroise Peltier qui est "maistre jardinier à Richelieu", mais le premier rang est occupé par "Messire Jacques de la Cour, jardinier du château". Vers la moitié du XVIIIe siècle, Pierre Naudin "maître jardinier du château" transmet sa charge en 1732 à son fils Philippe, garde-chasse ou plutôt, comme on disait alors, « garde des plaisirs » de Monseigneur le duc de Richelieu. En 1725, François Peigné occupe la charge "d’entrepreneur des jardins de Monseigneur le Duc". En J748 c’est Jean Parmentier qui remplit la fonction "d’Inspecteur des jardins" du duc de Richelieu.

Ces mouvements répétés dans les dessins des parterres, des allées, dans les palissades, décuplent leur grâce. Cette régularité dans la répétition constitue le fond des belles choses. "C’est une loi, dit le grand sculpteur Rodin, le roman et le gothique en sont esclaves : colonnes, balustres, etc."

Ces colonnes, nous les trouvons dans le parc de Richelieu, dans l’allongement des avenues, où le rêve s’enfonce dans les taillis, ou monte vers le ciel. Ainsi, dans le petit parc, une grande allée, autrefois un mail, s’aligne jusqu’au Rondeau. "Elle a des deux côtés une palissade de buis et des bois de haute futaie admirablement beaux." Proche de l’extrémité elle fait une patte d’oie, rencontre une autre allée couverte dont les palissades sont d’aubépine. Vers le milieu de cette belle avenue d’ormes se trouve une belle chapelle bâtie par les aïeux du Cardinal en l’honneur de saint Nicolas. Dans ces parages, clos de hautes murailles, voici le verger très vaste. "Le fruit y vient en abondance," il est beau et bon.

Mais la pomme surtout et les fruits à noyau
Sont de la dernière excellence.

Pour les plantations, Richelieu s’est assuré le concours de célèbre curé d’Hénouville, l’abbé Legendre, le fameux spécialiste qui vint lui-même faire exécuter et surveiller les plantations. Ce jardin fruitier devait être bien approvisionné car chaque table avait quatre plats de fruits soir et matin. Il y a des espaliers, des contre-espaliers séparés par de larges allées ; il se divise alors en six allées bordées d’arbres en buissons qui font une étoile an milieu. "Le dedans des quarrez est rempli d’arbres fruitiers en plein vent plantés en quinconces."

Non seulement le maître d’hôtel s’occupe de dresser les pyramides de fruits, mais il distille toutes sortes de baies, de fruits, d’écorces de plantes aromatiques pour préparer les essences qui servent de base à la grande variété des eaux, des liqueurs, et sirops de collation dont il garde les recettes jalousement. C’est le ratafia blanc et rouge ; l’orgeat, la fenouillette, le rossoly mis à la mode par les Italiens de la maison de la Reine-Mère. A Richelieu on peut appliquer ce dicton populaire : Bons fruits, bons esprits, bons vins !

Collation, chasse, promenade en carrosse se faisaient dans le parc dessiné par l’architecte Jacques Lemercier. Il était immense avec ses trois lieues de tour. Des allées couraient le long de la muraille "tant dedans que dehors" faisant un effet merveilleux, pour l’embellissement et le plaisir des promeneurs. Ce parc est planté d’ormes, de charmes. de chênes, peuplé de cerfs et de biches que l’on voit passer par bandes de dix ou douze espèces toutes différentes ; les uns ont les pieds et la tête blancs, les autres une étoile blanche au milieu du front.

La correspondance du Cardinal nous fait assister à la plantation du parc. Nous savons ainsi que les arbres qui formèrent les allées et le labyrinthe furent fournis par les pépiniéristes Pierre Driaux et Michel Collin, à Orléans. L’archevêque Sourdis fit un marché pour acheter en 1631 "1280 ormes gros de 4 pouces, 127.300 pieds de charmes, 150.400 pieds de grosse charmille, etc."

Dans ce parc retentit le joyeux hallali des équipages poursuivant cerfs et chevreuils : Louis XIV y goûta les plaisirs de la chasse à l’endroit où le bon La Fontaine rêvait et composait une élégie à la gloire du Grand Armand. En l’année 1650, vers le 15 juillet, le duc fit en effet les honneurs de son château à Louis XIV. Les distractions les plus attrayantes furent ménagées au souverain et à la cour ; "ici des promenades joyeuses au travers des bosquets enchanteurs et sur le bord des riants cours d’eau ; là des exercices plus actifs au manège ou à la paume ; tantôt les oreilles du prince étaient charmées par un concert de chambre et tantôt sous les fenêtres et dans les jardins, il était salué par une sérénade « de violons, musette du Poitou et d’autres instruments de musique". Le parc qui est "tout un pays" lui plut beaucoup. Il y courut deux fois le cerf "en une calesche ou carrosse découvert accompagné de la Reyne, de Monsieur, son frère unique, de Mademoiselle et de son Éminence. Cette calesche en broderie d’or était attelée de six beaux chevaux d’Espagne".

Le 20 septembre 1640,Richelieu avait obtenu de Louis XIII des lettres patentes portant la création dans sa ville d’une académie et d’un collège royal "en faveur de la noblesse étrangère, afin que ce nom de Richelieu leur serve d’aiguillon à la vertu". De son vivant même il y avait envoyé les maîtres de talents d’agréments les plus distingués de toute la France.

On venait à Richelieu prendre des leçons de goût. On y conduisait les jeunes gens trop peu fortunés pour aller étudier à Rome. C’est dans ce but que le 22 avril 1699 "sur les 3 heures après midy" neuf élèves du collège de La Flèche accompagnés de deux Pères Jésuites et de M. Herbais de la Hamaïde arrivèrent à l’auberge du "Puits Doré". – "Le château est un chef-d’œuvre", écrit M. Herbais de la Hamaïde. Ils descendent au jardin, au parc giboyeux où "nos collégiens qui étaient de bonne maison obtinrent la permission de courir les cerfs".

Richelieu, venu poser la première pierre de cette œuvre maîtresse, tomba malade et mourut au moment où il voulait y mener le Roi pour lui remettre sa maison. La duchesse d’Aiguillon, sa nièce, hérita du domaine, qui, conservé pendant la Révolution,fut restitué au duc de Richelieu, ministre de Louis XVIII. A sa mort, en 1822, ses sœurs, mesdames de Jumilhac et de Montcalm, lotirent les terres et le parc. En 1835 le château fut vendu et démoli. M. Heine, sous la troisième République racheta beaucoup du domaine disparu et reconstitua une partie du parc. Son petit-fils, le duc de Richelieu, devait en faire le don magnifique à l’Université de Paris.

La belle parure d’autrefois est tombée et il faut aller maintenant la chercher dans les Musées : dans celui de Tours, un buste de "Mercure" tête antique, "Diane" tête antique en marbre de Paros, "Un jeune homme" en albâtre. Des colonnes de marbre surmontées de bustes d’empereurs romains ont pris place dans la cour d’Honneur de la Préfecture, ancien cloître des Visitandines. A la dispersion des œuvres d’art, vers 1807, une acquisition fut faite par l’impératrice Joséphine, sept statues antiques et deux colonnes rostrales ; l’Auguste passa de la Malmaison dans la collection Pourtalès aujourd’hui à Berlin.

La Renommée paraissait encore sur le Dôme en 1835 ; selon le P. Lacroix, une Renommée ressemblant en tous points à celle de Richelieu serait au Louvre.

De tant de magnificences, il reste un pavillon de l’anti-cour dit Le Manège, la demi-lune de l’entrée, les grottes du rond-point, les douves rétablies.

Le parc se repose dans de grandes lignes, grandes comme un style qu’on ne peut pas changer. Car, à Richelieu, il reste une sensation de style. Pour reprendre le mot de M. Gabriel Hanotaux : "Richelieu venu en son siècle et le dominant, c’est un classique."

Il est difficile parfois de penser dans le sens de la tradition. Le Nôtre saura le faire et il sera, comme Richelieu, un grand ordonnateur.

Au grand domaine il reste encore de belles masses d’ombre, de lumières et de demi- teintes. Il reste les reflets et les ombres de cette œuvre ineffaçable. Il reste ses allées qui ont pris de lui un caractère altier et religieux.

 


LE CHÂTEAU DE RICHELIEU
« Petit Journal » de l’exposition Richelieu à Richelieu de 2011.

Le grand chantier du cardinal

La construction du château, commencée au printemps 1631, dure jusqu'à la mort du cardinal fln 1642, laissant certaines parties inachevées. Maître de l'ouvrage "par correspondance", Richelieu n'est venu sur les lieux que trois fois en 1632 et 1633.
Les dessins de l'édifice sont confiés à l'architecte Jacques Lemercier (vers 1585-1654), qui a travaillé au Louvre et au Luxembourg pour Marie de Médicis, mère de Louis XIII. Chargé d'agrandir le Palais-Cardinal en 1628, de reconstruire le collège de la Sorbonne et sa chapelle à dôme autour de 1629-1630, il est choisi pour superviser la ville neuve (25 ha) et le château familial de Richelieu en Poitou. La conduite du chantier est confiée à ses deux demi-frères, Pierre et Nicolas Lemercier, également architectes, qui s'installent sur place.
Lemercier imagine un grand axe de près de trois kilomètres sur lequel il dispose, pour la première fois en France à une telle échelle (450 ha), les différentes pièces de la composition : avenue plantée, demi-lune d'entrée et portail principal, ensemble de communs en miroir, château, parterre et demi-lune du jardin, enfin grande allée percée dans la forêt.

Les acteurs

Richelieu, puissant et fortuné, est le principal auteur du vaste programme architectural qui englobe la construction du château et de la ville neuve. Construit à partir de la demeure commencée par son père, le nouvel édifice est destiné à glorifier les origines familiales du cardinal en faisant de ce domaine un lieu de gloire et de mémoire qui rassemble une des plus belles collections d'œuvres d'art en Europe.
Peu présent, Richelieu s'appuie sur Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux (1594-1645) pour diriger ce vaste projet, puis, à la fin du chantier, sur François Sublet de Noyers, devenu en 1638 surintendant des Bâtiments du Roi, alors le conseiller le plus proche du cardinal en matière de bâtiment.
L'architecte Jacques Lemercier, assisté sur place de ses deux demi-frères, a recours à un grand nombre d'artisans : l'entrepreneur de maçonnerie Nicolas Durand, le menuisier Jean Langlacé, le marbrier François Le Conte, les peintres Bourgeois, Mathieu Lesot et Nicolas Prévost, les sculpteurs Mathieu Lespagnandelle et Guillaume Bertelot, et encore des charpentiers, couvreurs, serruriers… Parmi les matériaux, sont utilisés le tuffeau provenant de carrières voisines pour la maçonnerie, l'ardoise d'Angers pour la couverture des combles, le bois de chêne pour les charpentes et les menuiseries, les marbres noir et rouge des carrières de Laval.

Rome 1630 : la fabrique des antiques

Le cardinal de Richelieu a constitué la plus grande collection française de sculptures antiques de la première moitié du XVIIe siècle, une des toutes premières en Europe à rivaliser avec les grandes collections italiennes (Barberini, Giustiniani, Borghèse, Ludovisi, etc) formées dans la Rome d'avant 1630. La collection du cardinal l'emporte en qualité et en quantité sur celle de son successeur le cardinal Mazarin qui ne peut réunir plus d'une vingtaine de statues de taille naturelle, ou de celle de Louis XIV.
Richelieu rassemble dans ses demeures de Limours, de Bois-le-Vicomte ou de Saujon, mais surtout au Palais-Cardinal à Paris et Richelieu en Poitou environ 400 pièces, dont plus de 250 pièces pour le seul château de Richelieu.
La correspondance des agents et secrétaires au service du cardinal ainsi que le précieux Album Canini relié aux armes du cardinal nous renseignent très précisément sur les opérations de prospection, d'achat et du transport en 1633 depuis Rome, en passant par Civita Vecchia, Marseille, le cours du Rhône jusqu’à Lyon, Roanne, le cours de la Loire et de la Vienne, pour atteindre le château de Richelieu en 1634.
Le choix des sculptures antiques cherche à rivaliser avec les meilleures pièces connues en Italie à cette époque. Les pièces font l'objet d'interprétations et sont complétées par comparaison avec les grandes antiques, "statues et médailles" connues à Rome vers 1620-1630.
Selon les pratiques de l'époque, les fragments antiques sont complétés et même transformés pour fournir des séries de divinités et des portraits d'hommes et de femmes illustres de l'Antiquité. Ces compléments modernes imitent souvent des modèles antiques connus, diffusés par la gravure et le dessin : dans le Groupe de Vénus et Cupidon, la tête de Vénus s'inspire de la Vénus Médicis. Les ateliers de sculpture n'hésitent pas à associer des fragments d'origine diverse, recomposant des figures intégrales à partir d'éléments variés (Groupe de Vénus et Cupidon, Vénus de Praxitèle).
Ces pratiques d’atelier révèlent l’existence de têtes, membres et fragments de statues antiques nécessaires aux remontages. De cette manière, les sculpteurs fournissent des antiques, copies d'antiques et des œuvres réalisées d'après l'antique. Les identifications des statues et bustes ainsi recomposées révèlent tout un travail d'érudition nourri de la connaissance des monnaies antiques et des textes.

Les décors : commandes et achats des antiques

Le recueil de dessins, établi par Giovanni Angelo Canini, décrit les achats des sculptures antiques effectués à Rome par le cardinal avant leur transport (1633) et leur installation en Poitou. Il réunit cent douze dessins : 50 statues, 51 bustes, 5 vases et 4 médaillons, soit à peu près la moitié des sculptures présentes au château de Richelieu au XVIIe siècle. Il s'agit des dessins de Romains et Romaines illustres, des dieux et des héros de la mythologie antique.
L'album Canini constitue avant tout un document de travail exceptionnel qui informe sur la pratique de Richelieu, grand collectionneur, et de ses intermédiaires recherchant les meilleures pièces connues en Italie à cette époque. Les dimensions des pièces et la mention des emplacements sont autant d'informations utiles pour l'installation des antiques à Richelieu. La correspondance adressée au cardinal pendant cette période constitue une autre source d'information. Les lettres écrites par ses agents Gueffier, Lopez et Bonnefoy de Rome, Paris ou Marseille soulignent l'intérêt du cardinal pour l'acquisition des antiques ou des copies d'antiques, mais surtout les diverses tractations engagées pour leur paiement, leur autorisation de sortie de Rome, leurs transport par voie de terre, mer et fleuve jusqu’à Richelieu.

Décors et jardins

Outre les vastes espaces du Grand-Parc, forêt de chênes, et du Petit-Parc planté d'arbres fruitiers et de charmes, le domaine comporte des jardins comparés au "paradis terrestre" par les voyageurs contemporains, mêlant harmonieusement la présence de l'eau et de la végétation.
Traversés par la rivière du Mâble canalisée et organisés selon deux axes perpendiculaires, le parterre des Romains et le jardin fleuriste ou jardin de plaisance sont les seuls jardins agrémentés de statues. Le parterre des romains, organisé en carrés, est orné de massifs de végétation aux formes de broderies, de bassins et de fontaines, de canaux, de ponts et d'un grand jet d'eau face au château. Le jardin de plaisance, en demi-lune, est bordé d'une charmille qui abrite des antiques : les termes des quatre saisons, deux statues d'Hercule (figurant l'hiver et l'automne) et deux statues de Mercure (figurant le printemps et l'été), ornaient l'entrée des jardins.

Décors des façades et de la cour du château

Après l'entrée en demi-lune, la basse cour et ses communs, l'anti-cour et ses écuries et logements, se dresse le château, résidence du cardinal-duc, situé au cœur du domaine. Le plan du château s'inscrit dans la tradition française des logis articulés en quadrilatère avec des pavillons aux angles : un corps de logis central encadré de deux ailes et fermé par un mur portant un étroit passage comportant un pavillon central permettant d'accéder dans la cour.
Une fois franchi le porche d'entrée, la cour pavée ouvre sur les façades rythmées par les ornements des niches abritant au rez-de-chaussée les bustes, au premier étage les statues antiques ainsi que, de part et d'autre de la baie centrale de l'étage, les deux Esclaves de Michel-Ange (musée du Louvre), acquis en 1632.

Porche d'entrée du château

C'est un imposant porche qui accueille à pied ou à cheval les visiteurs du lieu. Le pavillon d'entrée s'élève sur deux niveaux et est coiffé d'un dôme comme les pavillons voisins.
Hommage aux bienfaits de son souverain, Richelieu passe commande à Guillaume Bertelot d'une sculpture figurant le roi Louis XIII vêtu à la romaine en 1635, ainsi qu'une Renommée en bronze en 1639, deux sculptures très en vue pour l'entrée du château aux allures triomphales. Placé sous un arc qui ajoure le porche d'entrée, la statue du roi victorieux, cuirassé et lauré, apparaît à côté des figures de Mars et d'Hercule dans des niches latérales, tandis que la Renommée surmonte le dôme. Côté cour, à droite, le groupe de Vénus et Cupidon accueille le visiteur avec un Apollon.
Au dessus du porche, encadrant le dôme central, dont la niche abrite la statue de Louis XIII, les deux colonnes rostrales sont des commandes contemporaines. Elles rappellent la nomination de Richelieu en 1626 et sa fonction de surintendant général de la navigation et de gouverneur des ports du royaume. Elles sont ornées de cordages de marine et d'ancres, de proues de navires (les rostres) terminées par des têtes de lion. Ces trophées pris à l'ennemi vaincu sont aussi une manière pour le cardinal d’afficher ses victoires maritimes.

La galerie

La grande galerie (70 mètres de long et 10 mètres de large), éclairée par onze fenêtres de chaque côté, est la pièce d'apparat située au premier étage de l'aile nord du château, dédiée à la gloire des campagnes militaires conduites par Louis XIII et Richelieu entre 1625 et 1636. Vingt tableaux à l'origine, disposés entre les croisées, illustrent le double but poursuivi par Richelieu : la restauration de l'autorité royale et l'établissement de la prépondérance française en Europe. A l'intérieur du pays, il s'agit de lutter contre les grands qui troublent la puissance royale et parallèlement contre les protestants ; à l'extérieur, la politique étrangère se traduit par la lutte contre l'empire des Habsbourg et le roi d'Espagne.
Dans chaque tableau de bataille, le soin et la précision accordés à la représentation des opérations militaires règlent la composition des scènes vues à vol d'oiseau, caractérisées par leur grande taille et un traitement topographique développé. Ces vues, relativement exactes et bien documentées, s'appuient sur des travaux préalables inspirés par les gravures de Jacques Callot, Abraham Bosse, Melchior Tavernier et d'autres encore.
Le décor de la voûte, consacré à la représentation des travaux d'Ulysse comparés à ceux du cardinal, sont peints dans onze ovales encore partiellement conservés en 1835.

Le salon

Prolongeant l'espace remarquable de la galerie, la pièce suivante, appelée "salon" dès 1634, carrelée de marbre blanc et noir, s'élève sur deux niveaux que couvre une coupole.
Le dôme est orné de grandes toiles marouflées de Martin Fréminet, Les Quatre Évangélistes et Les Quatre Pères de l'Église complétées au centre par Dieu le père entouré d'anges.
L'entrée dans le salon se fait par un arc triomphal soutenu par deux colonnes de marbre noir, entre lesquelles on aperçoit la statue d'Alexandre Sévère à droite et à gauche, en pendant, celle de Germanicus. Dans le salon même, se trouvent d'autres statues et bustes antiques groupés par deux, dont celui de Commode (non localisé) et de Pyrrhus, héros de l'histoire grecque. Sur les cheminées se trouvent encore deux tableaux représentant des batailles navales (1637) de Richelieu, remplacés plus tard par le portrait équestre du duc (deuxième duc de Richelieu et neveu du cardinal) et celui de son épouse.
Chapelle ou salon ? Décrit au XVIIIe siècle comme "l'ancienne chapelle haute", le salon a pu connaître une transformation, un changement de fonction en cours de chantier. La juxtaposition de tableaux religieux et de sculptures profanes dans le même lieu laissent à penser que Richelieu et l'architecte Lemercier ont décidé de modifier les plans arrêtés en 1630-1631.

Le récit des voyageurs

De nombreux voyageurs se sont déplacés aux XVIIe et XVIIIe siècles pour découvrir le château du cardinal de Richelieu construit par Jacques Lemercier : un grand nombre de curieux anonymes, gentilshommes, poètes et architectes viennent voir ce somptueux palais digne d'un roi. Leur témoignage est d'autant plus précieux aujourd'hui que le château a entièrement disparu au début du XIXe siècle.
Les premiers visiteurs sont français et contemporains de la construction du château ; viennent ensuite les Anglais, plutôt enclins jusque là à visiter l'Italie, désireux de découvrir l'architecture française classique, les Allemands et les Hollandais.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la visite du château fait partie du tour de France des lieux en vogue qu'il faut avoir vus. Benjamin Viguier, gouverneur du château, rédige en 1676 un petit guide populaire à l'usage des nombreux visiteurs, qui préconise un programme et un sens de visite, dont le merveilleux et le sensationnel font partie du parcours. La diffusion des gravures de Jean Marot, d'Israël Silvestre et de Adam Pérelle contribuent également à immortaliser le château qui n'attire plus seulement les amateurs, mais aussi les érudits et les artistes. La Fontaine, John Locke sont parmi les hôtes de passage qui gardent un souvenir élogieux de l'endroit.

Le château au XIXe siècle et la dispersion des collections

L'histoire de la démolition du château si convoité, puis abandonné, commence avec les troubles de la Révolution. Armand Emmanuel du Plessis (1766-1822), cinquième duc de Richelieu, est alors engagé aux côtés des Russes qui assiègent Ismaïl dans le delta du Danube. Considéré comme émigré par le gouvernement français, les propriétés de la famille Richelieu sont saisies comme bien national. Commence une longue bataille juridique qui oppose les héritiers, le cinquième duc, et ses deux demi-sœurs au gouvernement de la Convention. Finalement, en 1805, le domaine est partagé entre les trois héritiers qui vendent successivement leur part à Joseph-Alexandre Bontron, en 1805, et à l'armateur nantais Hippolyte Collineau, en 1808 et 1810.
Le château est alors très vite démoli et sert de carrières de matériaux. La dispersion des collections suit le démantèlement du domaine.
Si l'on excepte les œuvres enlevées par les commissaires du gouvernement et du département, entre 1793 et 1805, et les œuvres prélevées par les héritiers, d'autres restent encore sur place avant d'être vendues sans laisser de traces.
A Orléans, Louis-Auguste Pilté (1764-1842), riche négociant, en faisant deux dons importants (1824 et 1825) au tout nouveau musée, est à l'origine de la collection Richelieu.
Après la tentative de reconstitution par le banquier parisien Michel Heine (1819-1904) au profit de son gendre, le septième duc de Richelieu, et de sa fille unique, le domaine de Richelieu est donné en 1930 par le huitième et dernier duc de Richelieu (1880- 1952), fils du précédent, à la Chancellerie des Universités de Paris.


L'essentiel de la documentation se trouve dans Richelieu à Richelieu, architecture et décors d'un château disparu, catalogue de 537 pages édité à l'occasion de l'exposition qui a été présentée en 2011 aux musées d'Orléans, de Richelieu et de Tours.

Voir aussi :

Actes du colloque Richelieu, une ville nouvelle au XVIIe siècle ou comment le Cardinal a bâti une cité idéale, 2005, sous la coordination de Guy du Chazaud, édition du Conseil général d’Indre-et-Loire
Jardins en Touraine, de Jean-Louis Sureau, édition du Conseil général d’Indre-et-Loire
Richelieu, le château & la cité idéale, de Christine Toulier.

On pourra également regarder en DVD :

"Le château de Richelieu", dans le Catalogue de l'exposition "Richelieu à Richelieu" (2011)
– L'émission "Cardinal de Richelieu, le Ciel peut attendre" dans la série "Secrets d'histoire" (2013)


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