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ANET (Eure-et-Loir) : SON CHÂTEAU ET SES POÈTES


Anet

wikimedia-commons-Binche

• Il ne reste que quelques éléments du château construit au milieu du XVIe siècle par Philibert Delorme pour la belle Diane de Poitiers.
• Le corps de logis central et l’aile droite ont été détruits au début du XIXe siècle. L’aile gauche subsiste, mais elle a été remaniée à la fin du XVIIe siècle, en même temps que le cryptoportique qui donnait sur les jardins, transformés par Le Nôtre.
• La chapelle Saint-Thomas, inspirée de monuments antiques, a dû supporter une façade du XIXe siècle. Mais la chapelle funéraire du XVIe a été remise en état et elle a retrouvé le tombeau de Diane de Poitiers.
• Le célèbre groupe de Diane au cerf, qui ornait une fontaine, se trouve au Louvre. Mais on a pu restituer le portail d’entrée du château avec sa statue de Diane chasseresse et sa dédicace.


AU XVIe SIÈCLE, HENRI II CONSTRUIT ANET POUR SA MAÎTRESSE DIANE DE POITIERS

Vers 1484, le vieux manoir d'Anet, construit sous Louis XI, était échu à Louis de Brézé, sénéchal de Normandie. A l'âge de 56 ans, en 1515, il épousa Diane de Poitiers, fille de Jean de Poitiers, qui en avait seulement 16. De ce fait, la jeune Diane devient dame d'honneur de la reine Claude de France, la première femme de François Ier. A ce titre, elle assista au départ des enfants de France qui partaient en Espagne comme otages de François Ier libéré, et elle réconforta surtout le cadet, Henri de Valois, qui redoutait particulièrement cette captivité.

Quand il revint de cet exil, à l'âge de 15 ans, Henri de Valois trouva Diane veuve. On le maria à la fille du duc de Toscane, Catherine de Médicis, qui avait exactement le même âge que lui. Mais il ne tarda pas à prendre pour maîtresse officielle la belle veuve, qui avait alors 36 ans, 20 ans de plus que lui.

Et Brantôme, plus tard, dans ses Dames galantes, bâtit, à partir des amours d'Henri II et de Diane, toute une théorie sur l'union entre un homme jeune et une femme beaucoup plus âgés que lui :

"J'ai vu beaucoup de gallants et braves gentilhommes aussi affectionnés en l'amour des vieilles, voire plus que des jeunes; et l'on me disait que c'était pour en tirer des commodités. Aucuns en ai-je vus aussi qui les aimaient d'une très ardente amour, sans en tirer rien de leur bourse, sinon de celle de leur corps; ainsi que nous avons vu autrefois un très grand prince souverain qui aimait si ardemment une grande dame veuve âgée qu'il quittait et sa femme et toutes autres tant belles fussent-elles et jeunes, pour coucher avec elle. Mais en celle-là il avait raison, car c'était un des belles et aimables dames que l'on eût su voir; et son hiver valait plus certes que les printemps, étés et automnes des autres".

Quand Diane comprit — la santé de François Ier déclinant — que son amant avait toutes les chances de devenir roi de France, elle songea à se faire construire à Anet un château plus vaste et plus moderne. Dès qu'il fut roi (en 1543), Henri II assuma toute la construction. A partir de 1547, les travaux furent dirigés par un jeune architecte lyonnais, Philibert Delorme. La pierre porta, un peu partout, le signe de Diane sous forme de croissants et de carquois. Sur la porte, une inscription dédicatoire : "Phoebo sacrata est almae domus ampla Dianae verum accepta cui cuncta Diana refert" ["cette ample demeure a été consacrée par Phébus (Henri II) à la douce Diane qui, en retour, lui est reconnaissante de tout ce qu'elle a reçu de lui"]. Dans le monogramme royal, volontairement ambigu, on pouvait voir à la fois les initiales de Diane et celles de Catherine.

En février 1549, Henri II laisse Catherine de Médicis à Saint-Germain-en-Laye (elle venait d'accoucher du duc d'Orléans), vient à Anet et écrit à la reine une épître qu'en fait il a commandée à Mellin de Saint-Gelais :

Il retrace les beautés…
de l'élégant et louable édifice
qui monstre bien en mesure et haultesse
la modestie et bon sens de l'hostesse.

Il célèbre les jardins…
Puis au sortir de l'oeuvre des maçons
Qu'on void jardins de quatre ou cinq façons,
Qui font trouver, en leurs plans tout divers,
La primevère aux plus gellés hyvers.
Trop, faudrait parlant temporiser
Si tout voulois particulariser.

Enfin, il invite bien sûr la reine à venir elle-même :
Avec l'espoir de venir quelque jour
Expressément ici faire séjour
Pour vous montrer, en plus belle saison,
Ce qui de beau est en ceste maison
Que trouverez lors mieux édifiée.

En 1559, la mort d'Henri II, tué dans un tournois, entraîna la disgrâce de Diane de Poitiers, à qui Catherine, veuve et régente, fit rendre ses bijoux et son château de Chenonceau.

Exilée à Anet, Diane songea alors à sa mort et fit entreprendre, par l'architecte Claude de Foucques, la construction d'une chapelle funéraire destinée à abriter son tombeau. Elle mourut en 1566, à l'âge de 65 ans, et son corps ne sera inhumé dans cette chapelle qu'en 1577.

Anet-Diane

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Le jardin, la fontaine de la "Diane au cerf" attribuée à Jean Goujon, la chapelle avec son dôme sphérique et ses flèches pyramidales suscitèrent l'admiration de Du Bellay qui, à son retour d'Italie en 1557, célébra à deux reprises ce qu'il appelle "le Paradis d'Anet" (Les Regrets, V, p. 277):

De votre Dianet (de votre nom j'appelle
Votre maison d'Anet) la belle architecture,
Les marbres animés, la vivante peinture,
Qui la font estimer des maisons la plus belle,
Les beaux lambris dorés, la luisante chapelle,
Les superbes donjons, la riche couverture,
Le jardin tapissé d'éternelle verdure,
Et la vive fontaine à la source immortelle :
Ces ouvrages, Madame, à qui bien les contemple,
Rapportant de l'antique le plus parfait exemple,
Montrent un artifice et dépense admirable.
Mais cette grand douceur jointe à cette hautesse,
Et cet Astre bénin joint à cette sagesse,
Trop plus que tout cela vous font émerveillable.

Olivier de Magny (1530-1561) a consacré quelques vers au jardin, dû à Philibert de l'Orme et à Jacques Mollet :

Toujours Phébus en son réveil
Alors que d'un pourpre vermeil
Le sommet des monts il redore,
Redore ce jardin encore,
Quoi que l'architecte savant
Ne l'ait fait asseoir au levant,
Car tant de vertu il admire
De la dame de ce jardin
Qu'aussitôt qu'il sort au matin
Il ne faut jamais d'y reluire.
Cettuy-là qui l'a divisé
L'a de parterres composé
Où plusieurs armes il a mises
Et plusieurs chiffres et devises,
Le tout en herbe si bien feint
Qu'on dirait presque qu'il est peint. […]
Ici voit-on un grand croissant
De peu à peu, se remplissant,
Et là est en même apparence
L'écusson des armes de France.


AU XVIIe et XVIIIe SIÈCLES, ANET ACCUEILLE POÈTES ET BEAUX ESPRITS

Par héritage, le château passa aux mains de Charles II de Lorraine, duc d'Aumale, farouche ligueur, qui le laissa à l'abandon. En 1594, son épouse Marie de Lorraine y reçut — fort mal, semble-t-il — le duc de Sully qui raconta en ces termes la nuit qu'il passa au château : "Le souper fut si long à apprêter que je crus qu'il ne viendrait jamais, et il fut si maigre, si mal accommodé, les viandes si dures, le pain et le vin si mauvais et le linge si sale et si moite que je ne mangeai quasi point… On me donna pour coucher une chambre grande, belle et bien marbrée, mais en laquelle il faisait si froid qu'on n'y pouvait quasi durer, car c'était sur la fin de février, et, pour se réchauffer, presque toutes les verrières étaient rompues; le lit n'avait qu'une couverture et des rideaux de taffetas fort minces… Je ne pus avoir que des fagots de houx et de genièvre tout frais coupés et pour les allumer, je pensai brûler toute la paille de mon lit et n'en pus tirer d'autre plaisir qu'un nombre infini d'escopéteries et, pour comble d'incommodité, je trouvais les draps si humides que je fus contraint de me rhabiller et de dormir dans ma robe de nuit…"


Bientôt le château fut vendu et acheté par Marie de Luxembourg. C'est ainsi qu'il échut à César de Vendôme (le fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrée), puis à Louis-Joseph de Vendôme en 1669.

Comme il était la plupart du temps aux armées, Louis-Joseph de Vendôme ne put s'occuper de son château d'Anet qu'à partir de 1681. Il décida alors de le moderniser avec l'aide de Le Nôtre et de son neveu l'architecte Charles Desgots.

Anet devint alors une véritable cour de jeunes viveurs et de beaux esprits qui partageaient leur temps entre la table, la chasse, le jeu et la galanterie : citons Chaulieu, Chapelle, La Fontaine, Lulli, Dangeau, Campistron, le duc de Nevers, et bien d'autres. Ces gens, qui se piquaient tous de poésie, multiplièrent les petits vers pour célébrer la demeure qui les accueillait si bien :

Chaulieu
Lieux où jadis la reine de Cythère
Vint établir son empire et sa cour.

La Fontaine
On dit qu'elle et ses soeurs [les Muses], par l'ordre d'Apollon,
Transportent dans Anet tout le Sacré Vallon.

Chapelle
Anet, lieu plein de jeux
Et de bons vins, les plus fameux
De France et des îles voisines.

Dangeau
Les jours que vous passez dans Anet, dans Evreux
Ne sont-ils pas les plus heureux
Qu'on puisse passer dans la vie ?

En 1686, une visite du dauphin Louis fut l'occasion d'une fête magnifique au cours de laquelle Lulli donna la première représentation de sa dernière oeuvre Acis et Galatée. Dangeau y alla de son poème :

Superbe Anet, ornement de la France,
De nos dauphins séjour jadis chéri,
Notre Louis, plus grand que notre Henri,
Vient embellir ces lieux de sa présence:
Redoublez donc votre magnificence.

En 1710, Vendôme épousa la fille du prince de Condé. Puis il partit en Espagne pour rendre sa couronne à Philippe V qui devait faire face à une coalition montée par l'archiduc Charles d'Autriche, coalition qui groupait l'Autriche, l'Angleterre et la Hollande et avait l'appui de l'Aragon, de Valence et de la Catalogne. Louis-Joseph de Vendôme mourut là-bas et ne revit jamais Anet.


En 1732, le château d'Anet échut à Louise-Bénédicte de Bourbon, épouse du duc du Maine (fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan). Cette duchesse du Maine avait groupé autour d'elle une véritable cour littéraire dans son château de Sceaux, où elle reçut Voltaire après ses déboires de Versailles. Anet verra donc souvent venir les beaux esprits de Sceaux, et Voltaire comme les autres.

wikimedia-commons-Musée des Beaux Arts d'Orléans

La Duchesse du Maine par François de Troy (1645-1730)

Déjà dans la Henriade (1728) Voltaire cite le château d'Anet, mais en termes très vagues qui ne permettent pas de dire qu'il connaissait déjà le château. Il imagine que la Discorde, voulant amollir le courage de Henri IV, a décidé de le rendre amoureux de Gabrielle d'Estrées; pour cela elle a été chercher l'Amour en Idalie et elle l'envoie jusqu'aux "campagnes d'Ivry" ; au passage, l'Amour aperçoit Anet (chant IX) :

Il voit les murs d'Anet bâtis au bord de l'Eure ;
Lui-même en ordonna la superbe structure :
Par ses adroites mains avec art enlacés
Les chiffres de Diane y sont encor tracés.
Sur sa tombe en passant les Plaisirs et les Grâces
Répandirent les fleurs qui naissaient sur leurs traces.

En 1746 et 1747, Voltaire vint à Anet avec Mme du Châtelet.

Mme du Châtelet

wikimedia-commons-château de Breteuil à Choisel (Yvelines)

Quentin de La Tour, Madame du Châtelet

On dit qu'ils se rendirent alors assez désagréables à tous. On leur reprochait de rester tout le jour enfermés dans leur chambre, l'une commentant Newton et l'autre écrivant Zadig. Comme on ne les voyait apparaître que vers dix heures le soir pour le souper et le spectacle, on les appelait "les revenants". Toutefois, les 24 et 25 août 1747, Voltaire fit représenter deux comédies à Anet, Le Comte de Boursoufle et La Prude. Dans le prologue de cette dernière comédie, Voltaire dialogue avec sa principale actrice : celle-ci refuse de jouer une farce qu'elle trouve indigne de "la baronne de Sceaux" et Voltaire lui répond :

Mais pour être baronne, est-on si difficile ?
Je sais que sa cour est l'asile
Du goût que les Français savaient jadis aimer;
Mais elle est le séjour de la douce indulgence.
On a vu son suffrage enseigner à la France
Ce que l'on devait estimer :
On la voit garder le silence,
Et ne décider point alors qu'il faut blâmer […]
C'est une étrange femme : il faut, ne vous déplaise,
Quitter tout dès qu'elle a parlé.
Dût-on être berné, sifflé,
Elle veut à la fois le bal et comédie,
Jeu, toilette, opéra, promenade, soupé,
Des pompons, des magots, de la géométrie.
Son esprit en tout temps est de tout occupé;
Et jugeant les autres par elle,
Elle croit que pour plaire on n'a qu'à le vouloir;
Que tous les arts, ornés d'une grâce nouvelle,
De briller dans Anet se feront un devoir,
Dès que Du Maine les appelle […].
Allons, soumettons-nous : la résistance est vaine.
Il faut bien s'immoler pour les plaisirs d'Anet.
Vous n'êtes dans ces lieux, messieurs, qu'une centaine:
Vous me garderez le secret.


En 1775, c'est le duc de Penthièvre, Louis Jean Marie de Bourbon, petit-fils de Louis XIV et de Mme de Montespan, qui acheta le château. Il y vécut simplement avec sa fille Marie-Adélaïde et sa belle fille la princesse de Lamballe.


Le chevalier Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) — qui avait reçu les encouragements de Voltaire à Ferney — était le protégé favori du duc de Penthièvre. A Anet, il était chargé de répartir aux pauvres chaque année la moitié des revenus du duc, soit quatre millions de livres.

Florian

wikimedia-commons-BNF

Le futur auteur des Fables (1792) consacra alors un poème aux propriétaires successifs du château d'Anet :

Vallon délicieux, asile du repos,
Bocages toujours verts, où l'onde la plus pure
Roule paisiblement ses flots
Et vient mêler son doux murmure
Aux tendres concerts des oiseaux,
Que mon coeur est ému de vos beautés champêtres!
J'aime à me rappeler, sous ces riants berceaux,
Qu'en tout temps Anet eut pour maîtres
Ou des belles ou des héros.
HENRI bâtit ses murs, monuments de tendresse ;
Il y grava surtout le nom de sa maîtresse ;
Chaque pierre offre encor des croissants, des carquois,
Et nous dit que Diane, ici, donna des lois.
VENDOME, couronné des mains de la Victoire,
Sous ces antiques peupliers
A longtemps reposé sa gloire,
Et, lorsque de Philippe il guidait les guerriers,
Qu'il faisait fuir l'Anglais et soumettait l'Ibère,
Accablé sous le poids des grandeurs, des lauriers,
Vendôme, seul soutien d'une Cour étrangère,
A regretté d'Anet le vallon solitaire. […]
DU MAINE vint après, Du Maine, nom fameux,
Qui rappelle les arts, l'esprit, la politesse ;
Sur les gazons d'Anet, théâtre de leurs jeux,
Des immortelles Soeurs la troupe enchanteresse
Suivit et chanta sa princesse.
Enfin de ces beaux lieux PENTHIEVRE est possesseur ;
Avec lui la Bonté, la douce Bienfaisance,
Dans le palais d'Anet habitent en silence ;
Les vains Plaisirs ont fui, mais non pas le Bonheur.
Bourbon n'invite pas les folâtres bergères
A s'assembler sous les ormeaux ;
Il ne se mêle point de leurs danses légères,
Mais il leur donne des troupeaux. […]
Que ton orgueil, Anet, sur ces titres se fonde ;
D'avoir changé de Maître, eh quoi! te plaindrais-tu ?
Toi seul tu possédas tous les biens de ce monde,
Amour, Gloire, Esprit et Vertu.


Après la mort du duc de Penthièvre, en 1793, le domaine fut vendu comme bien national et dépecé. Il fut racheté en 1820 par la fille du duc de Penthièvre, la duchesse d’Orléans, puis progressivement restauré.


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