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ALISE-SAINTE-REINE

LE SITE D'ALESIA OÙ CÉSAR A VAINCU VERCINGÉTORIX


 

ALÉSIA, L'ÉCHEC DE VERCINGÉTORIX

César avait besoin, pour des raisons politiques, de faire reconnaître ses talents de chef d'armée. Et la conquête de la Gaule du nord lui parut un objectif convenable, les Gaulois étant, pour les Romains, l'ennemi héréditaire (ils avaient pillé Rome en -390). Et il savait que, dans son projet de conquête, il pourrait profiter des divisions des Gaulois : les Arvernes détestaient les Éduens, qui détestaient les Lingons, etc.

Pendant six ans les Romains s'attaquent victorieusement à la Gaule

Dès l'an -58, le premier prétexte à une intervention est une demande de secours adressée à Rome par les Allobroges, alors envahis par les Helvètes. Le deuxième prétexte est une demande des Éduens et des Séquanes menacés par les Suèves d'Arioviste. Ayant été deux fois vainqueur, César laisse ses troupes dans le Jura, chez les Séquanes, ce que les Gaulois interprètent, à juste titre, comme une menace.

Dès les premiers engagements, dans le nord, les Gaulois cèdent sans combattre. Puis César emporte une victoire contre les Nerviens. Ensuite il assiège Atuatuca (Namur ?) en faisant construire une défense linéraire de plus de 4 kms, avec plusieurs fortins et une terrasse d'assaut : 4000 Gaulois périssent, 53000 sont vendus comme esclaves. Il a plus de mal pour vaincre les Vénètes sur mer. Mais il écrase facilement les Unelles (entre Avranches et Vire), les Morins et les Ménapes des Flandres, les Sotiates en Aquitaine…

Ensuite, toujours pour conforter auprès des sénateurs de Rome son image de nouvel Alexandre protégé par Vénus, il va faire campagne en Germanie et dans l'île de Bretagne. Puis il affronte avec succès les Trévires révoltés, les Eburons (sur la rive gauche du Rhin), les Nerviens, les Atuatuques, et à nouveau les Eburons (en dévastant leur pays). Puis César retourne en Italie. Toutes ces campagnes se sont déroulées entre -58 et -53.

Sous la direction de Vercingétorix, les Gaulois se révoltent, ce qui amène César à réagir violemment

Les Gaulois ont alors de plus en plus le sentiment qu'ils sont en train de perdre leur libertas : il leur faut obéir à des gouverneurs, appliquer le droit romain, voir leurs biens fonciers confisqués, fournir des recrues à Rome et payer tribut au vainqueur. Conscients qu'ils ont été vaincus à cause de leurs divisions, ils commencent à songer à trouver un fédérateur : c'est un jeune aristocrate d'environ 25 ans, Vercingétorix, qui sait s'imposer à Gergovie comme roi des Arvernes, puis comme chef de guerre des Gaulois révoltés.

Tout commence chez les Carnutes, à Cenabum, au début de l'année -52, à l'instigation d'un prêtre, le gutuater: de nombreux Romains sont massacrés, surtout des commerçants. Les Arvernes relayent la révolte en massacrant le plus grand nombre possible de Romains installés sur leur territoire, "à la ville et aux champs". Alors de nombreuses cités gauloises s'associent à ce mouvement de révolte, même les Bituriges, même les Éduens (pourtant alliés de longue date des Romains).

Vercingétorix avait été confirmé dans ses pouvoirs d'imperator, à Bibracte, par les représentants d'une quarantaine de peuples (sur une soixantaine que comptait la Gaule), la guerre devient un affrontement entre deux hommes ambitieux qui se connaissent : le jeune Gaulois avait environ 25 ans, le "vieux" Romain 48.

César-Vercingétorix-monnaies

Le plan de Vercingétorix était double: d'une part empêcher les Romains de se ravitailler en détruisant autour d'eux toutes les provisions, les entrepôts et même les villages ; d'autre part faire peser une forte menace sur la Provincia (vallée du Rhône, Provence et Languedoc), ce qui devait avoir pour effet de faire descendre les légions vers le sud.

Averti, César revient de Ravenne, demande le renfort de trois légions (15000 hommes) et fait venir des Germains (plus d'un millier de fantassins et surtout de cavaliers). Il met des troupes chez les Allobroges, les Helviens et les Volques Arécomiques, afin de les rassurer contre la menace des indépendantistes. Puis il va ravager le pays des Arvernes et gagna Agedincum (Sens). Après s'être emparé de Vellonodunum (Montargis ou Château-Landon ?) il va ravager Cenabum. Puis il s'empare d'Avaricum (Bourges), où étaient rassemblés 40000 hommes, et il tue tout le monde. Mais Gergovie (sur le site de Merdogne à Clermont-Ferrand) lui résiste (en mai-juin).

César se repliant vers le sud est attaqué par Vercingétorix

Après son échec devant Gergovie, César, ayant de graves difficultés d'approvisionnement, décide de se replier vers la Provincia, menacée par les Gaulois du nord. Du Senonais, il se dirige vers le pays des Séquanes en suivant, dit-il, la frontière des Lingons, pays ami ("cum Caesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret, quo facilius subsidium Provinciae ferri posset"). Bien que le texte ne le précise pas, il s'agit sans doute de la frontière passant à l'ouest de Langres (ligne Bar-sur-Aube, Bar-sur-Seine, Tonnerre, Dijon) plutôt que de la frontière de l'est (en gros la vallée de la Saône).

Vercingétorix, interprétant ce mouvement de l'armée romaine comme une fuite, décide de l’attaquer avec sa cavalerie, peut-être du côté de Montbard (thèse de Christian Goudineau) ou de Fain-les-Moutiers (thèse de Jean-Louis Voisin). C'est alors la seconde quinzaine d'août et les blés viennent d'être engrangés. L'armée gauloise, après avoir marché pendant trois jours (trinis castris), s'établit à une quinzaine de kms (10.000 pas) des Romains. Puis Vercingétorix attaque : il lance sa cavalerie, riche de nombreux cavaliers éduens, lui-même prenant position avec son infanterie près d'une rivière (flumen). Mais, grâce à ses cavaliers venus de Germanie, César met les cavaliers gaulois en déroute, ainsi que l’infanterie gauloise restée groupée autour de son imperator.

Vercingétorix s'enferme dans Alésia

Erhlmann-VercingVercingétorix, vaincu, sait qu'à une bonne vingtaine de kms de là, sur le territoire des Mandubiens, s'élève le site fortifié d'Alésia, considéré comme imprenable. Il décide de s'y replier et se met en route, poursuivi par César qui réussit à tuer trois mille hommes de son arrière-garde. Le lendemain, quand le jour se lève, César découvre Alésia, où l'armée de Vercingétorix s'est réfugiée. Il décide alors d'investir la place plutôt que de l’attaquer (il se souvient sans doute de son échec devant Gergovie)

Alésia était effectivement un site fortifié (oppidum), au sommet d'une colline assez élevée (in colle summo admodum edito loco). Le rempart est du type murus gallicus, avec une ossature en bois. Au pied de deux côtés de cette colline se trouvent deux cours d'eau (flumina). Devant cette colline s'étend une plaine de bonnes dimensions (environ  4,5 kms). De tous les autres côtés, se trouvent, à peu de distance, d'autres collines d'une altitude identique.

80.000 guerriers gaulois sont enfermés dans cette place avec, en plus, les cavaliers et les civils mandubiens qui habitaient là. Ils disposent d'une grande quantité de bétail. Le site permet de trouver l'eau nécessaire; mais ils n’ont de la nourriture (frumentum) que pour un mois environ. L'espace sur le plateau étant limité (97 hectares), une partie des fantassins campe sur le flanc ouest de la colline. Le point faible de la fortification étant le côté est, Vercingétorix fait aussitôt reforcer cet endroit, en dessous du rempart (murus), par un fossé et un mur assez grossier  (maceria) de moins de deux mètres de haut (six pieds).

Première bataille d'Alésia – Sans tarder, César fait commencer les travaux d’investissement (munitiones). Vercingétorix, prenant conscience du danger, tente une sortie en lançant sa cavalerie sur les défenses romaines du côté de la plaine. Mais la cavalerie germaine intervient avec succès. Les cavaliers gaulois, ayant le dessous, tentent de se replier sur Alesia, mais ils sont gênés par le mur (maceria) et le fossé qu'ils ont eux-mêmes établis et beaucoup sont tués. Vercingétorix n’a plus qu’à se replier dans la citadelle et à faire fermer les portes.
[Opere instituto, fit equestre proelium in planitie. Summa vi ab utrisque contenditur. Laborantibus nostris Caesar Germanos submittit legionesque pro castris constituit, ne qua subita irruptio ab hostium peditatu fiat. Praesidio legionum addito nostris animus augetur : hostes in fugam conjecti se ipsi multitudine impediunt atque angustioribus portis relictis coartantur. Germani acrius usque ad munitiones sequantur. Fit magna caedes : non nulli relictis equis fossam transire et maceriam transcendere conantur. Paulum legiones Caesar quas pro vallo constituerat promoveri jubet. Non minis qui intra munitiones erant perturbantur Gallo : veniri ad se confestim existimantes ad arma conclamant; non nulli perterriti in oppidum irrumpunt. Vercingetorix jubet portas claudi, ne castra nudentur. Multis interfectis, compluribus equis captis Germani sese recipiunt. (VII,70)]

Vercingétorix réussit à fixer les légions romaines autour d'Alésia

Alors Vercingétorix change de tactique. Le corps expéditionnaire romain dans sa totalité étant rassemblé autour de cette citadelle, il va essayer de le fixer à cet endroit, jusqu'à ce qu'arrive une armée gauloise de renfort pouvant prendre les Romains à revers. C'est pourquoi, profitant de l'état d'inachèvement des travaux d'investissement, de nuit, pendant la deuxième veille, il fait sortir en silence tous les cavaliers qui lui restent (et qui ne lui servent plus à rien). Ils ont mission d'aller dans les diverses régions de Gaule pour rassembler une armée et la mener, dans un délai d’un mois, jusqu’à Alésia. Alors les 50000 légionnaires romains, les 6000 cavaliers et les soldats fournis par les alliés (socii), pris en tenaille, devraient être submergés par la masse des Gaulois.

César, lui, est décidé à bloquer l'armée de Vercingétorix. Il répartit ses troupes dans plusieurs camps autour de la colline et va entourer celle-ci de fortifications sur un périmètre d'environ quinze kms (10 milles). Cette fortification consistera en un ou plusieurs fossés précédant un agger surmonté d'un vallum (rempart de bois). Sachant bien qu'il n'avait pas assez de soldats pour garnir toute cette ligne (nec facile totum opus corona militum cingeretur), il établit tout autour 23 fortins. Puis, informé de la sortie nocturne des cavaliers, il comprend quel est le plan de Vercingétorix. C’est pourquoi il fait ériger, autour de la ligne fortifiée de 10 milles, une seconde ligne de 14 milles, assez semblable à la première, mais orientée cette fois vers l’extérieur, l’objectif étant d'arrêter une éventuelle armée de renfort.

Bientôt, dans Alésia les vivres commencent à manquer pour les 80.000 combattants et les familles de Mandubiens. Un Arverne, Critognatos, encourage à la résistance et suggère que les vieux, devenus des bouches inutiles, pourraient servir de nourriture. Vercingétorix se contente de chasser vers les lignes romaines les vieillards, femmes et enfants mandubiens, ainsi que les soldats blessés. Comme César refuse de les recevoir et que Vercingétorix ne veut pas les reprendre, ils périssent misérablement de faim et de soif entre les flancs de la citadelle et les premières fortifications romaines. Ce spectacle des Gaulois agonisant contribua à démoraliser les assiégés, alors que l’attente devenait difficilement supportable, dans les deux camps.

Une armée gauloise de renfort vient prendre les légions à revers, mais sans succès

Pendant ce temps, l'armée gauloise de renfort s'était lentement constituée. Les cités participant à la lutte pour l’indépendance avaient fourni chacune un contingent plus ou moins important de combattants. César fournit la liste des contingents demandés à chaque cité; mais toutes les cités, surtout les plus lointaines, n'ont peut-être pas répondu à l'appel. Il y aurait eu en tout environ 7000 cavaliers et 240.000 fantassins, les Éduens et les Arvernes ayant fourni le plus gros des troupes. Le commandement était assuré par les Éduens Viridomaros et Époredorix, l'Atrébate Commios et l'Arverne Vercassivellaunos.

Vers le 20 septembre (hypothèse de J. Carcopino), cette armée gauloise arrive enfin à Alésia, par le sud-ouest. Elle s’arrête à 1,5 km (mille pas) des lignes ennemies et aménage plusieurs camps (castra) pour y abriter les tentes des fantassins et des cavaliers, ainsi que les emplacements réservés aux chevaux. Les assiégés, eux, se préparent à faire une sortie (eruptio) au moment le plus favorable. Mais, au lieu de s’élancer aussitôt, vague par vague, pour submerger les lignes romaines, l'armée gauloise va faire l'erreur de lancer trois assauts successifs pendant quatre jours, permettant ainsi aux Romains de récupérer après chaque engagement..

Deuxième bataille d'Alésia – Le premier jour, entre midi et le coucher du soleil, la cavalerie des Gaulois, appuyée par des archers et des fantassins, se répand dans la plaine. César envoie contre eux sa cavalerie. Le combat se déroule sous les yeux et sous les cris des soldats installés sur les hauteurs. Grâce à l’intervention des cavaliers germains, cet engagement se termine par une victoire romaine : les cavaliers s'enfuient et les archers sont massacrés. Les chefs gaulois n’avaient pas eu l’idée d’engager leur infanterie, ce qui eût permis à Vercingétorix de lancer une sortie et de prendre les Romains en tenaille.

Troisième bataille d'Alésia – Le surlendemain, à la faveur de la nuit, l'armée gauloise attaque avec force cris et hurlements; en même temps les assiégés font une sortie en faisant grand vacarme avec leurs trompettes. Des deux côtés on lance des pierres et des traits. Les Romains fléchissant, les hommes des fortins viennent en renfort. Ni les Gaulois de l'extérieur ni les Gaulois assiégés ne parviennent à faire tomber le rempart et tous, finalement, se replient.

Quatrième bataille d'Alésia – Les Gaulois décident alors d'attaquer sur trois points. Avant le lever du jour, ils envoient 60.000 hommes (dit César), commandés par l'Arverne Vercassivellaunos, se dissimuler derrière une colline, au nord, restée en dehors des lignes de fortifications romaines, en contrebas de laquelle se trouve un camp romain assez isolé avec deux légions (10.000 hommes). En même temps le reste de l’armée gauloise se déploie dans la plaine pour fixer les troupes romaines sur place. Simultanément, Vercingétorix organise une sortie contre le vallum avec claies, harpons et échelles. A midi, c’est l’attaque générale. Mais, dans la plaine de l'ouest, la cavalerie et l'infanterie gauloise n'aboutissent à rien d'efficace. Le véritable combat se déroule entre les Gaulois de Vercassivellaunos et les deux légions du camp nord, auxquelles César envoie sans cesse des renforts : plus de 33000 Romains contre moins de 60000 Gaulois… Les Gaulois attaquent le camp romain en faisant la tortue et en lançant javelots, flèches et glands de fronde. Ils réussissent à ouvrir une brèche dans le rempart. Mais ils sont pris à revers par Labiénus avec 39 cohortes et par César lui-même, revêtu du manteau rouge de général, avec 4 cohortes (2000 hommes). Les légionnaires commencent le massacre et les cavaliers poursuivent les fuyards. Les assiégés, découragés, se replient dans l'oppidum. La bataille a duré douze heures. C’est la fin de l’armée gauloise : environ 10.000 hommes ont péri pendant les combats.

La reddition – Le lendemain, Vercingétorix laisse les chefs gaulois décider de son sort. Ils lui conseillent d'aller se livrer à César. Celui-ci exige que tous les chefs gaulois et toutes les armes lui soient livrés. Les prisonniers sont rassemblés. 20.000 Héduens et Arvernes sont mis à part et les autres sont distribués comme butin, chaque soldat romain (environ 40.000 hommes) recevant un Gaulois.

Les légions romaines vont alors prendre leurs quartiers d’hiver et César, lui, pour signifier symboliquement la défaite gauloise, va s’installer dans la capitale des Éduens, à Bibracte.


LA BATAILLE D'ALÉSIA RACONTÉE PAR CÉSAR AU LIVRE VII DU DE BELLO GALLICO
traduction de L.-A. Constans

Vercingétorix est élu comme chef de la Gaule révoltée contre Rome

Quand on connaît la trahison des Héduens, la guerre prend une extension nouvelle. Ils envoient partout des ambassades; par tout ce qu'ils ont d'influence, d'autorité, d'argent, ils s'efforcent de gagner les cités; comme ils détiennent les otages que César avait laissés chez eux, leur supplice sert à terrifier ceux qui hésitent. Ils demandent à Vercingétorix de venir les trouver et de se concerter avec eux sur la conduite de la guerre. Celui-ci ayant consenti, ils prétendent se faire remet tre le commandement suprême, et comme l'affaire dégénère en conflit, une assemblée générale de la Gaule est convoquée à Bibracte. On s'y rend en foule de toutes parts. La décision est laissée au suffrage populaire; celui-ci, à l'unanimité, confirme Vercingétorix dans le commandement suprême. Les Rèmes, les Lingons, les Trévires ne prirent point part à cette assemblée; les premiers parce qu'ils restaient les amis de Rome, les Trévires parce qu'ils étaient trop loin et étaient menacés par les Germains, ce qui fut cause qu'ils se tinrent constamment en dehors de la guerre et n'envoyèrent de secours à aucun des deux partis. Les Héduens éprouvent un vif ressentiment à se voir déchus du premier rang, ils déplorent le changement de leur fortune et regrettent les bontés de César, sans oser toutefois, les hostilités étant commencées, se tenir à part du plan commun. Eporédorix et Viridomaros, qui nourrissaient les plus hautes ambitions, ne se subordonnent qu'à contre-cœur à l'autorité de Vercingétorix.

En privant les Romains de ravitaillement et en attaquant la Provincia, Vercingétorix veut amener leur armée à se replier vers le sud.

Vercingétorix commande aux autres cités de lui fournir des otages, et fixe un jour pour leur remise. Il donne l'ordre que tous les cavaliers, au nombre de quinze mille, se concen trent rapidement: "Pour l'infanterie, il se conten tera de ce qu'il avait jusque-là, il ne veut pas tenter la fortune ni livrer de bataille rangée; mais, puisqu'il dispose d'une cavalerie très nombreuse, rien n'est plus facile que d'empêcher les Romains de se procurer du blé et de faire du fourrage ; seulement. ils ne devront pas hésiter à rendre de leurs propres mains leurs blés inutilisables et à incendier leurs granges, tactique de destruction de leurs biens qui, ils le savent, leur assure pour toujours la souveraineté et la liberté." Ces mesures prises, il ordonne aux Héduens et aux Ségusiaves, qui sont à la frontière de la Province, de mettre sur pied dix mille fantassins; il y joint huit cents cavaliers. Il confie cette troupe au frère d'Eporédorix et lui commande d'attaquer les Allobroges. De l'autre côté, il lance les Gabales et les tribus arvernes de la frontière contre les Helviens, et envoie les Rutènes et les Cadurques ravager le pays des Volques Arécomiques. Cela ne l'empêche point de solliciter en secret les Allobroges par des courriers privés et des ambassades, car il espérait que les souvenirs de la dernière guerre n'étaient pas encore éteints dans leur esprit. Aux chefs il promet des sommes d'argent, et à la nation que toute la Province lui appartiendra.

La première réaction de César est de se constituer une cavalerie en faisant venir des soldats germains.

Pour faire face à tous ces dangers, on avait préparé une force défensive de vingt-deux cohortes, levée dans la Province même par le légat Lucius César et qui, de tous les côtés, s'opposait aux envahisseurs. Les Helviens livrent spontanément bataille à leurs voisins et sont battus; ayant perdu le chef de la cité, Caïus Valérius Domnotaurus, fils de Caburus, et un très grand nombre d'autres, ils sont contraints de se réfugier dans leurs villes, à l'abri de leurs remparts. Les Allobroges organisent avec soin et diligence la défense de leurs frontières, en disposant le long du Rhône une ligne serrée de postes. César, qui savait la supériorité de l'ennemi en cavalerie, et qui, toutes les routes étant coupées, ne pouvait recevoir aucun secours de la Province ni de l'Italie, envoie des messagers au-delà du Rhin en Germanie, chez les peuples qu'il avait soumis au cours des années précédentes, et se fait fournir par eux des cavaliers avec les soldats d'infanterie légère qui sont habitués à combattre dans leurs rangs. A leur arrivée, comme ils avaient des chevaux médiocres, il prend ceux des tribuns militaires, des autres chevaliers romains, des évocats, et les leur donne.

Voyant que l'armée romaine se replie en ordre de marche vers la Provincia, Vercingétorix décide de l'attaquer.

Sur ces entrefaites, les forces ennemies qui venaient de chez les Arvernes et les cavaliers que devait fournir toute la Gaule se réunissent. Vercingétorix forme de ceux-ci un corps nombreux et, comme César faisait route vers le pays des Séquanes en traversant l'extrémité du territoire des Lingons, afin de pouvoir plus aisément secourir la Province, il s'établit, dans trois camps, à environ dix mille pas des Romains; il réunit les chefs de ses cavaliers et leur déclare que l'heure de la victoire est venue : « Les Romains sont en fuite vers la Province, ils quittent la Gaule; cela suffit à assurer la liberté dans le temps présent; mais c'est trop peu pour la sécurité du lendemain; car ils reviendront avec des forces plus considérables, ils ne cesseront pas les hostilités. Il faut donc les attaquer tandis qu'ils sont en ordre de marche et embarrassés de leurs bagages. Si les fantassins essaient de secourir ceux qu'on attaque, et s'y attardent, ils ne peuvent plus avancer; si, ce qu'il croit plus probable, ils abandonnent les bagages pour ne plus penser qu'à leur vie, ils perdront en même temps leurs moyens d'existence et l'honneur. Quant aux cavaliers ennemis, il ne faut pas douter qu'il ne s'en trouve pas un parmi eux pour oser seulement quitter la colonne. Afin qu'ils aient plus de cœur à cette attaque, il tiendra toutes ses forces en avant du camp et intimidera l'ennemi. » Les cavaliers l'acclament, crient qu'il leur faut se lier par le plus sacré des serments: pas d'asile sous un toit, pas d'accès auprès de ses enfants, de ses parents, de sa femme, pour celui qui n'aura pas deux fois traversé à cheval les rangs ennemis. La proposition est approuvée : on fait prêter à tous le serment.

César, attaqué par l'armée gauloise, remporte la victoire grâce à sa cavalerie de Germains.

Le lendemain, les cavaliers sont répartis en trois corps et deux apparaissent soudain sur nos flancs tandis que le troisième, en tête de la colonne, s'apprête à lui barrer la route. Quand César apprend la chose, il ordonne que sa cavalerie, également partagée en trois, coure à l'ennemi. On se bat partout à la fois. La colonne fait halte; on rassemble les bagages au milieu des légions. S'il voyait nos cavaliers en difficulté ou en dangereuse posture sur quelque point, César faisait faire front et attaquer de ce côté-là; cette intervention retardait la poursuite des ennemis et rendait courage aux nôtres, qui se sentaient soutenus. Enfin les Germains, sur la droite, avisant une hauteur qui dominait le pays, bousculent les ennemis qui s'y trouvaient; ils les poursuivent jusqu'à la rivière, où Vercingétorix avait pris position avec son infanterie, et en font un grand carnage. Voyant cela, les autres craignent d'être enveloppés et se mettent à fuir. Partout on les massacre. Trois Héduens de la plus haute naissance sont faits prisonniers et conduits à César: Cotos, chef de la cavalerie, qui avait été en conflit avec Convictolitavis lors des dernières élections; Cavarillos, qui avait été placé à la tête de l'infanterie héduenne après la défection de Litaviccos, et Eporédorix, qui avant l’arrivée de César avait dirigé la guerre des Héduens contre les Séquanes.

L'armée gauloise, poursuivie par les Romains, se réfugie chez les Mandubiens, dans leur place-forte d'Alésia.

Après cette déroute de toute sa cavalerie, Vercingétorix qui avait disposé ses troupes en avant de son camp, les mit en retraite incontinent, et prit la route d'Alésia, ville des Mandubiens, en ordonnant qu'on se hâtât de faire sortir du camp les bagages et de les acheminer à sa suite. César, ayant fait conduire ses bagages sur la colline la plus proche et ayant laissé deux légions pour les garder, poursuivit l'ennemi aussi longtemps que le jour le lui permit, et lui tua environ trois mille hommes à l'arrière-garde; le lendemain, il campa devant Alésia. S'étant rendu compte de la force de la position, et voyant, d'autre part, que l'ennemi était terrifié, parce que sa cavalerie, qui était l'arme sur laquelle il comptait le plus, avait été battue, il exhorta ses soldats au travail et entreprit l'investissement de la place.

La colline d'Alésia étant difficilement prenable, César décide d'y bloquer l'armée gauloise en investissant la place.

La ville proprement dite était au sommet d'une colline, à une grande alti tude, en sorte qu'on voyait bien qu'il était impossible de la prendre autrement que par un siège en règle. Le pied de la colline était de deux côtés baigné par des cours d'eau. En avant de la ville une plaine s'étendait sur une longueur d'environ trois milles; de tous les autres côtés la colline était entourée à peu de distance de hauteurs dont l'altitude égalait la sienne. Au pied du rempart, tout le flanc oriental de la colline était occupé par les troupes gauloises et, en avant, elles avaient creusé un fossé et construit un mur grossier de six pieds. Les travaux qu'entreprenaient les Romains se développaient sur une longueur de dix milles. Les camps avaient été placés aux endroits convenables, et on avait construit, également en bonne place, vingt-trois postes fortifiés; dans ces postes, on détachait pendant le jour des corps de garde, pour empêcher qu'une attaque soudaine se produisît sur quelque point; pendant la nuit, il y avait dans ces mêmes postes des veilleurs, et de fortes garnisons les occupaient.

Vercingétorix lance sa cavalerie pour tenter de se dégager, mais cette tentative échoue.

Les travaux étaient en cours d'exécution quand a lieu un combat de cavalerie dans la plaine qui, comme nous l'avons expliqué tout à l'heure, s'étendait entre les collines sur une longueur de trois mille pas. L'acharnement est extrême de part et d'autre. César envoie les Germains au secours des nôtres qui fléchissent, et il range ses légions en avant du camp, pour prévenir une attaque soudaine de l'infanterie ennemie. L'appui des légions donne du cœur à nos combattants; les ennemis sont mis en déroute; leur nombre les gêne, et comme on a laissé des portes trop étroites, ils s'y écrasent. Les Germains les poursuivent vivement jusqu'aux fortifications. Ils en tuent beaucoup; un assez grand nombre abandonnent leurs chevaux pour tenter de franchir le fossé et d'escalader la muraille. César fait avancer un peu les légions qu'il avait établies en avant du retranchement. Un trouble égal à celui des fuyards s'empare des Gaulois qui étaient derrière la muraille: ils s'imaginent qu'on marche sur eux de ce pas, et ils crient aux armes; un certain nombre, pris de panique, se précipitent dans la ville. Vercingétorix fait fermer les portes, pour éviter que le camp ne se vide. Après avoir tué beaucoup d'ennemis et pris un très grand nombre de chevaux, les Germains se replient.

Vercingétorix fait sortir ses cavaliers avec mission de réunir une armée qui viendrait prendre les Romains à revers; puis il prend ses dispositions pour affronter un siège pendant plusieurs semaines.

Vercingétorix décide de faire partir nuitamment tous ses cavaliers avant que les Romains n'achèvent leurs travaux d'investissement. En se séparant d'eux, il leur donne mission d'aller chacun dans leur pays et d'y réunir pour la guerre tous les hommes en âge de porter les armes. Il leur expose ce qu'ils lui doivent, et les conjure de songer à son salut, de ne pas le livrer aux tortures de l'ennemi, lui qui a tant fait pour la liberté de la patrie. Il leur montre que s'ils ne sont pas assez actifs, quatre-vingt mille hommes d'élite périront avec lui. D'après ses calculs, il a tout juste trente jours de blé, mais il est possible, avec un strict rationnement, de subsister un peu plus longtemps encore. Après leur avoir confié ce message, il fait partir ses cavaliers en silence, pendant la deuxième veille, par le passage qui s'ouvrait encore dans nos lignes. Il réquisitionne tout le blé; il décrète la peine de mort contre ceux qui n'obéiront pas; il donne à chaque homme sa part du bétail, dont les Mandu biens avaient amené une grande quantité; le blé, il le distribue parcimonieusement et peu à peu; il fait rentrer dans la ville toutes les troupes qu'il avait établies sous ses murs. C'est par ces mesures qu'il s'apprête à attendre le moment où la Gaule le secourra, et qu'il règle la conduite de la guerre.

César fait déployer autour d'Alésia une double ligne de fortifications avec fossés, terrassement, palissade et divers pièges à hommes.

Mis au courant par des déserteurs et des prisonniers, César entreprit les travaux que voici. Il creusa un fossé de vingt pieds de large, à côtés verticaux, en sorte que la largeur du fond était égale à la distance entre les deux bords; il mit entre ce fossé et toutes les autres fortifications une distance de quatre cents pieds; il voulait ainsi éviter des surprises, car ayant été obligé d'embrasser un si vaste espace et pouvant difficilement garnir de soldats toute la ligne, il devait craindre soit que pendant la nuit l'ennemi ne se lançât en masse contre les retranchements, soit que de jour il ne lançât des traits contre nos troupes, qui avaient à travailler aux fortifications. Ayant donc laissé semblable intervalle entre cette ligne et la suivante, il creusa deux fossés larges de quinze pieds et chacun de profondeur égale; il remplit le fossé intérieur, dans les parties qui étaient en plaine et basses, d'eau qu'il dériva de la rivière. Derrière ces fossés, il construisit un terrassement surmonté d'une palissade, dont la hau teur était de douze pieds; il compléta celle-ci par un parapet et des créneaux, et disposa à la jonction de la terrasse et de la paroi de protection de grandes pièces de bois fourchues qui, pointées vers l'ennemi, devaient lui rendre l'escalade plus malaisée; il éleva sur toute la périphérie de l'ouvrage des tours distantes les unes des autres de quatre-vingts pieds.
Il fallait en même temps aller chercher des matériaux, se procurer du blé, et faire des fortifications aussi considérables, alors que nos effectifs étaient réduits par l'absence des troupes qui poussaient leur recherche assez loin du camp; en outre, à plus d'une reprise on vit les Gaulois s'attaquer à nos travaux et tenter des sorties très violentes par plusieurs portes à la fois. Aussi César pensa-t-il qu'il devait encore ajouter à ces ouvrages, afin de pouvoir défendre la fortification avec de moindres effectifs. On coupa donc des troncs d'arbres ayant des branches très fortes et l'extrémité de celles-ci fut dépouil lée de son écorce et taillée en pointe; d'autre part, on creusait des fossés continus profonds de cinq pieds. On y enfonçait ces pieux, on les reliait entre eux par le bas, pour empêcher qu'on les pût arracher, et on ne laissait dépasser que le branchage. Il y en avait cinq rangées, reliées ensemble et entrelacées : ceux qui s'engageaient dans cette zone s'empalaient à la pointe acérée des pieux. On les avait surnommés les cippes. Devant eux, on creusait, en rangées obliques et formant quinconce, des trous profonds de trois pieds, qui allaient en se rétrécissant peu à peu vers le bas. On y enfonçait des pieux lisses de la grosseur de la cuisse, dont l'extrémité supérieure avait été taillée en pointe et durcie au feu; on ne les laissait dépasser le sol que de quatre doigts; en outre, pour en assurer la solidité et la fixité, on comblait le fond des trous, sur une hauteur d'un pied, de terre qu'on foulait; le reste était recouvert de branchages et de broussailles afin de cacher le piège. On en fit huit rangs, distants les uns des autres, de trois pieds. On les appelait lis, à cause de leur ressemblance avec cette fleur. En avant de ces trous, deux pieux longs d'un pied, dans lesquels s'enfonçait un crochet de fer, étaient entièrement enfouis dans le sol ; on en semait partout et à intervalles rapprochés; on leur donnait le noms d'aiguillons.
Ces travaux achevés, César, en suivant autant que le lui permit le terrain la ligne la plus favorable, fit sur quatorze milles de tour une fortification pareille à celle-là, mais inversement orientée, contre les attaques du dehors, afin que même des forces très supérieures ne pussent, s'il lui arrivait d'avoir à s'éloigner, envelopper les postes de défense ou ne le contraignissent à s'exposer dangereusement hors de son camp; il ordonna que chacun se procure du fourrage et du blé pour trente jours.

L'armée gauloise se constitue difficilement à l'aide de contingents envoyés par différents peuples qui seront sous les ordres de quatre chefs.

Tandis que devant Alésia s'accomplissent ces travaux, les Gaulois, ayant tenu une assemblée des chefs, décident qu'il convient non pas d'appeler, comme le voulait Vercin gétorix, tous les hommes en état de porter les armes, mais de demander à chaque cité un contingent déterminé, afin d'éviter que dans la confusion d'une telle multitude il devienne impossible de maintenir la discipline, de distinguer les troupes des divers peuples, de pourvoir au ravitaillement. On demande aux Héduens et à leurs clients, Ségusiaves, Ambivarètes, Aulerques Brannovices, Blannovii, trente-cinq mille hommes; un chiffre égal aux Arvernes, auxquels on joint les Eleutètes, les Cadurques, les Gabales, les Vellavii, qui sont, par longue tradi tion, leurs vassaux; aux Séquanes, aux Sénons, aux Bituriges, aux Santons, aux Rutènes, aux Carnutes, douze mille hommes par cité; aux Bellovaques dix mille; huit mille aux Pictons, aux Turons, aux Parisii, aux Helvètes; aux Ambiens, aux Médiomatrices, aux Petrocorii, aux Nerviens, aux Morins, aux Nitiobroges, cinq mille ; autant aux Aulerques Cénomans; quatre mille aux Atrébates; trois mille aux Véliocas ses, aux Lexovii, aux Aulerques Eburovices; mille aux Rauraques, aux Boïens; vingt mille à l'ensemble des peuples qui bordent l'Océan et qui se donnent le nom d'Armoricains: Coriosolites, Redons, Ambiba rii, Calètes, Osismes, Umovices, Unelles. Les Bellovaques ne fournirent pas leur contingent, parce qu'ils prétendaient faire la guerre aux Romains à leur compte et à leur guise, et n'obéir aux ordres de personne; pourtant, à la prière de Commios, ils envoyèrent deux mille hommes en faveur des liens d'hospitalité qui les unissaient à lui.
Ce Commios, comme nous l'avons exposé plus haut, avait fidèlement et utilement servi César, dans les années précédentes, en Bretagne; en récompense, celui-ci avait ordonné que sa cité fût exempte d'impôts, lui avait restitué ses lois et ses institutions, et avait donné à Commios la suzeraineté sur les Morins. Pourtant, telle fut l'unanimité de la Gaule entière à vouloir reconquérir son indépendance et recouvrer son antique gloire militaire, que la reconnaissance et les souvenirs de l'amitié restèrent sans force, et qu'ils furent unanimes à se jeter dans la guerre de tout leur cœur et avec toutes leurs ressour ces.
On réunit huit mille cavaliers et environ deux cent quarante mille fantassins et on procéda sur le territoire des Héduens au recensement et au dénombrement de ces forces, à la nomination d'officiers. Le commandement supérieur est confié à Commios l'Atrébate, aux Héduens Viridomaros et Eporédorix, à l'Arverne Vercassivellaunos, cousin de Vercingétorix. On leur adjoint des délégués des cités, qui formeront un conseil chargé de la conduite de la guerre. Tous partent pour Alésia pleins d'enthousiasme et de confiance, car aucun d'entre eux ne pensait qu'il fût possible de tenir devant le seul aspect d'une telle multitude, surtout quand il y aurait à livrer deux combats à la fois, les assiégés faisant une sortie tandis qu'à l'extérieur paraîtraient des forces si imposantes de cavalerie et d'infanterie.

Derrière les murs d'Alésia, l'attente se prolonge et les vivres commencent à manquer; les vieillards, femmes et enfants mandubiens sont expulsés et vont agoniser devant les liges romaines.

Cependant les assiégés, une fois passé le jour pour lequel ils attendaient l'arrivée des secours, n'ayant plus de blé, ne sachant pas ce qu'on faisait chez les Héduens, avaient convoqué une assemblée et délibéraient sur la façon dont devait s'achever leur destin. Plusieurs avis furent exprimés, les uns voulant qu'on se rendît, les autres qu'on fît une sortie tandis qu'on en avait encore la force; mais je ne crois pas devoir passer sous silence le discours de Critognatos, à cause de sa cruauté singulière et sacrilège. Ce personnage, issu d'une grande famille arverne et jouissant d'un grand prestige, parla en ces termes: « Je ne dirai rien de l'opinion de ceux qui parlent de reddition, mot dont ils voilent le plus honteux esclavage; j'estime que ceux-là ne doivent pas être considérés comme des citoyens et ne méritent pas de faire partie du. conseil. Je ne veux avoir affaire qu'à ceux qui sont pour la sortie, dessein dans lequel il vous semble à tous reconnaître le souvenir de l'antique vertu gauloise. Mais non, c'est lâcheté, et non pas vertu, que de ne pouvoir supporter quelque temps la disette. Aller au-devant de la mort, c'est d'un courage plus commun que de supporter la souffrance patiemment. Et pourtant, je me rangerais à cet avis - tant je respecte l'autorité de ceux qui la préconisent - s'il ne s'agissait d'aventurer que nos existences; mais en prenant une décision, nous devons tourner nos regards vers la Gaule entière, que nous avons appe lée à notre secours. De quel cœur pensez-vous qu'ils combattront, quand en un même lieu auront péri quatre-vingt mille hommes de leurs familles, de leur sang, et qu'ils seront forcés de livrer bataille presque sur leurs cadavres? Ne frustrez pas de votre appui ces hommes qui ont fait le sacrifice de leur vie pour vous sauver, et n'allez pas, par manque de sens et de réflexion, ou par défaut de courage, courber la Gaule entière sous le joug d'une servitude éternelle. Est-ce que vous doutez de leur loyauté et de leur fidélité, parce qu'ils ne sont pas arrivés au jour dit? Eh quoi! pensez-vous donc que ce soit pour leur plaisir que les Romains s'exercent chaque jour là-bas, dans les retranchements de la zone extérieure? Si vous ne pouvez, tout accès vers nous leur étant fermé, apprendre par leurs messagers que l'arrivée des nôtres est proche, ayez-en pour témoins les Romains eux-mêmes: car c'est la terreur de cet événement qui les fait travailler nuit et jour à leurs fortifications. Qu'est-ce donc que je conseille? Faire ce que nos ancêtres ont fait dans la guerre qui n'était nullement comparable à celle-ci, une guerre des Cimbres et des Teutons: obligés de s'enfermer dans leurs villes et pressés comme nous par la disette, ils ont fait servir à la prolongation de leurs existences ceux qui, trop âgés, étaient des bouches inutiles, et ils ne se sont point rendus. N'y eût-il pas ce précédent, je trouverais beau néanmoins que pour la liberté nous prenions l'initiative d'une telle conduite et en léguions l'exemple à nos descendants. Car en quoi cette guerre-là ressemblait-elle à celle d'aujourd'hui? Les Cimbres ont ravagé la Gaule et y ont déchaîné un grand fléau : du moins un moment est venu où ils ont quitté notre sol pour aller dans d'autres contrées; ils nous ont laissé notre droit, nos lois, nos champs, notre indépendance. Mais les Romains, que cherchent-ils? Que veulent-ils? C'est l'envie qui les inspire: lorsqu'ils savent qu'une nation est glorieuse et ses armes puissantes, ils rêvent de s'installer dans ses campagnes et au cœur de ses cités, de lui imposer pour toujours le joug de l'esclavage. Jamais ils n'ont fait la guerre autrement. Si vous ignorez ce qui se passe pour les nations lointaines, regardez, tout près de vous, cette partie de la Gaule qui, réduite en province, ayant reçu des lois, des institutions nouvel les, soumise aux haches des licteurs, ploie sous une servitude éternelle. »
Après discussion, on décide que ceux qui, malades ou trop âgés, ne peuvent rendre de services, sortiront de la ville, et qu'on tentera tout avant d'en venir au parti extrême de Critognatos ; mais on y viendra, s'il le faut, si les secours tardent, plutôt que de capituler ou de subir les conditions de paix du vainqueur. Les Mandu biens, qui pourtant les avaient accueillis dans leur ville, sont contraints d'en sortir avec leurs enfants et leurs femmes. Arrivés aux retranchements romains, ils demandaient, avec des larmes et toutes sortes de supplications, qu'on voulût bien les accepter comme esclaves et leur donner quelque nourriture. Mais César disposa sur le rempart des postes de garde et interdisait de les recevoir.
Arrive enfin l'armée gauloise : sa cavalerie, lancée seule contre la cavalerie des Romains, subit une rude défaite sous les yeux de l'infanterie qui n'intervient pas.

Sur ces entrefaites, Commios et les autres chefs à qui on avait donné le haut commandement arrivent devant Alésia avec toutes leurs troupes et, ayant occupé une colline située en retrait, s'établissent à mille pas à peine de nos lignes. Le lendemain, ils font sortir leur cavalerie et couvrent toute la plaine dont nous avons dit qu'elle avait trois milles de long; leur infanterie, ils la ramènent un peu en arrière et l'établissent sur les pentes en la dérobant à la vue des Romains. D'Alésia, la vue s'étendait sur cet espace. Quand on aperçoit l'armée de secours, on s'assemble, on se congratule, tous les cœurs bondissent d'allégresse. Les assiégés font avancer leurs troupes et les établissent en avant de la ville; ils jettent des passerelles sur le fossé le plus proche ou le comblent de terre, ils s'apprêtent à faire une sortie et à braver tous les hasards.
César dispose toute son infanterie sur ses deux lignes de retranchement afin que, en cas de besoin, chacun soit à son poste et le connaisse; puis il ordonne que la cavalerie sorte du camp et engage le combat. De tous les camps, qui de toutes parts occupaient les crêtes, la vue plongeait, et tous les soldats, le regard attaché sur les combattants, attendaient l'issue de la lutte. Les Gaulois avaient disséminé dans les rangs de leur cavalerie des archers et des fantassins armés à la légère, qui devaient se porter au secours des leurs s'ils faiblissaient et briser les charges des nôtres. Blessés par eux à l'improviste, beaucoup de nos hommes abandonnaient le combat. Persuadés de la supériorité de leurs troupes, et voyant les nôtres accablés par le nombre, les Gaulois, de toutes parts, ceux qui étaient enfermés dans l'enceinte de nos lignes et ceux qui étaient venus à leur secours, encourageaient leurs frères d'armes par des clameurs et des hurlements. Comme l'action se déroulait sous les yeux de tous, et qu'il n'était pas possible qu'un exploit ou une lâcheté restassent ignorés, des deux côtés l'amour de la gloire et la crainte du déshonneur excitaient les hommes à se montrer braves. Le combat durait depuis midi, on était presque au coucher du soleil, et la victoire restait indécise, quand les Germains, massés sur un seul point, chargèrent l'ennemi en rangs serrés et le refoulèrent; les cavaliers mis en fuite, les archers furent enveloppés et massacrés. De leur côté nos cavaliers, s'élançant des autres points du champ de bataille, poursuivirent les fuyards jusqu'à leur camp et ne leur permirent pas de se ressaisir. Ceux qui d'Alésia s'étaient portés en avant, accablés, désespérant presque de la victoire, rentrèrent dans la ville.

Les Gaulois, après une journée de préparatifs, lancent une attaque de nuit conjointement avec les assiégés; c'est un nouvel échec.

Les Gaulois ne laissent passer qu’un jour et, pendant ce temps, fabriquent une grande quantité de passerelles, d'échelles et de harpons; puis, au milieu de la nuit, en silence, ils sortent de leur camp et s'avancent vers nos fortifications de la plaine. Ils poussent une clameur soudaine, pour avertir les assiégés de leur approche, et ils se mettent en mesure de jeter leurs passerelles. de bousculer, en se servant de la fronde, de l'arc, en lançant des pierres, les défenseurs du retranchement, enfin de déployer tout l'appareil d'un assaut en règle. Au même moment, entendant la clameur, Vercingétorix fait sonner la trompette pour alerter ses troupes et les conduit hors de la ville. Les nôtres rejoignent au retranchement le poste qui, dans les jours précédents, avait été attribué individuellement à chacun: avec des frondes, des casse-tête, des épieux qu'ils avaient disposés sur le retranchement, ils effraient les Gaulois et les repoussent. L'obscurité empêche qu'on voie devant soi, et les pertes sont lourdes des deux côtés. L'artillerie lance une grêle de projectiles. Cependant les légats Marcus Antonius et Caïus Trébonius, à qui incombait la défense de ce secteur, envoyaient sur les points où ils comprenaient que nous faiblissions, des renforts qu'ils empruntaient aux fortins situés en arrière.
Tant que les Gaulois étaient à une certaine distance du retranchement, la multitude de traits qu'ils lançaient leur assurait un avantage; mais lorsqu'ils furent plus près, les aiguillons les transperçaient soudain, ou bien ils tombaient dans des trous et s'y empalaient, ou bien du haut du retranchement et des tours les javelots de siège les frappaient mortellement. Ayant sur tous les points subi des pertes sévères sans avoir pu percer nulle part, à l'approche du jour, craignant d'être tournés par leur flanc droit si on faisait une sortie du camp qui dominait la plaine, ils se retirèrent sur leurs positions. Quant aux assiégés, occupés à faire avancer les engins que Vercingétorix avait préparés en vue de la sortie, à combler les premiers fossés, ils s'attardèrent plus qu'il n'eût fallu à ces manœuvres, et ils apprirent la retraite des troupes de secours avant d'être parvenus au retranchement. Ayant ainsi échoué dans leur tentative, ils regagnèrent la ville.

Les Gaulois lancent une attaque générale vers midi; elle met les Romains en grande difficulté.

Repoussés par deux fois avec de grandes pertes, les Gaulois délibèrent sur la conduite à tenir : ils consultent des hommes à qui les lieux sont familiers : ceux-ci les renseignent sur les emplacements des camps dominant la plaine et sur l'organisation de leur défense. Il y avait au nord une montagne qu'en raison de sa vaste superficie nous n'avions pu comprendre dans nos lignes, et on avait été forcé de construire le camp sur un terrain peu favorable et légèrement en pente. Il était occupé par les légats Caïus Antistius Réginus et Caïus Caninius Rébilus, à la tête de deux légions. Après avoir fait reconnaître les lieux par leurs éclaireurs, les chefs ennemis choisissent soixante mille hommes sur l'effectif total des cités qui avaient la plus grande réputation guerrière; ils déterminent secrètement entre eux l'objet et le plan de leur action; ils fixent l'heure de l'attaque au moment où l'on verra qu'il est midi. Ils donnent le commandement de ces troupes à l'Arverne Vercassivellaunos, l'un des quatre chefs, parent de Vercingétorix. Il sortit du camp à la première veille ; ayant à peu près terminé son mouvement au lever du jour, il se dissimula derrière la montagne et fit reposer ses soldats des fatigues de la nuit. Quand il vit qu'il allait être midi, il se dirigea vers le camp dont il a été question; en même temps, la cavalerie s'approchait des fortifications de la plaine et le reste des troupes se déployait en avant du camp gaulois.
Vercingétorix, apercevant les siens du haut de la citadelle d'Alésia, sort de la place; il fait porter en avant les fascines, les perches, les toits de protection, les faux, et tout ce qu'il avait préparé en vue d'une sortie. On se bat partout à la fois, on s'attaque à tous les ouvrages; un point paraît-il faible, on s'y porte en masse. Les Romains, en raison de l'étendue des lignes, sont partout occupés, et il ne leur est pas facile de faire face à plusieurs attaques simultanées. Ce qui contribue beaucoup à effrayer nos soldats, ce sont les cris qui s'élèvent derrière eux, parce qu'ils voient que leur sort dépend du salut d'autrui: le danger qu'on n'a pas devant les yeux est, en général, celui qui trouble le plus.

Se tenant en haut d'une colline, César dirige les mouvements de son armée.

César, qui a choisi un bon observatoire, suit l'action dans toutes ses parties; il envoie du renfort sur les points menacés. Des deux côtés règne l'idée que cette heure est unique, que c'est celle de l'effort suprême: les Gaulois se sentent perdus s'il n'arrivent pas à percer; les Romains pensent que s'ils l'emportent, c'est la fin de toutes leurs misères. Le danger est surtout grand aux fortifications de la montagne où nous avons dit qu'on avait envoyé Vercassivellaunos. La pente défavorable du terrain joue un grand rôle. Les uns jettent des traits, les autres s'approchent en formant la tortue; des troupes fraîches remplacent sans cesse les troupes fatiguées. La terre que tous les assaillants jettent dans nos ouvrages leur permet l'escalade et recouvre les obstacles que nous avions dissimulés dans le sol ; déjà les nôtres n'ont plus d'armes, et leurs forces les abandonnent.
Quand il apprend cela, César envoie Labiénus avec six cohortes au secours de ceux qui sont en péril ; il lui donne l'ordre, s'il ne peut tenir, de ramener des cohortes et de faire une contre-attaque, mais seulement à la dernière extrémité. Il se rend lui-même auprès des autres combattants, les exhorte à ne pas céder à la fatigue; il leur montre que de ce jour, de cette heure dépend le fruit de tous les combats précédents. Les assiégés, désespérant de venir à bout des fortifications de la plaine, car elles étaient formidables, tentent l'escalade des hauteurs; ils y portent toutes les machines qu'ils avaient préparées. Ils chassent les défenseurs des tours sous une grêle de traits, comblent les fossés avec de la terre et des fascines, font à l'aide de faux une brèche dans la palissade et le parapet.
César envoie d'abord le jeune Brutus avec des cohortes, puis son légat Caïus Fabius avec d'autres; à la fin, la lutte devenant plus vive, il amène lui-même des troupes fraîches. Ayant rétabli le combat et refoulé l'ennemi, il se dirige vers l'endroit où il avait envoyé Labiénus; il prend quatre cohortes au fort le plus voisin, et ordonne qu'une partie de la cavalerie le suive, que l'autre contourne les retranchements extérieurs et attaque l'ennemi à revers. Labiénus, voyant que ni terrassements ni fossés ne pouvaient arrêter l'élan de l'ennemi, rassemble trente-neuf cohortes, qu'il eut la chance de pouvoir tirer des postes voisins, et informe César de ce qu'il croit devoir faire.

Finalement, César s'étant engagé personnellement dans le combat, l'armée romaine remporte une victoire totale.

César se hâte pour prendre part au combat. Reconnaissant son approche à la couleur de son vêtement – le manteau de général qu'il avait l'habitude de porter dans l'action – et apercevant les escadrons et les cohortes dont il s'était fait suivre – car des hauteurs que les Gaulois occupaient on voyait les pentes que descendait César –, les ennemis, engagent le combat. Une clameur s'élève des deux côtés, et aussitôt y répond de la palissade et de tous les retranchements une clameur. Les nôtres, renonçant au javelot, combattent avec l'épée. Soudain les ennemis aperçoivent la cavalerie derrière eux. De nouvelles cohortes approchaient: ils prirent la fuite. Nos cavaliers leur coupent la retraite. Le carnage est grand. Sédullus, chef militaire des Lémovices et leur premier citoyen, est tué; l'Arverne Vercasivellaunos est pris vivant tandis qu'il s'enfuit; on apporte à César soixante-quatorze enseignes ; bien peu, d'une armée si nombreuse, rentrent au camp sans blessure. Apercevant de la ville le massacre et la fuite de leurs compatriotes, les assiégés, désespérant d'être délivrés, ramènent leurs troupes du retranchement qu'elles attaquaient. A peine entendent-elles le signal de la retraite, les troupes de secours sortent de leur camp et s'enfuient. Si nos soldats n'avaient été harassés pour être maintes fois intervenus en renfort et avoir été à la peine toute la journée, on aurait pu détruire entièrement l'armée ennemie. La cavalerie, lancée à sa poursuite, atteint l'arrière-garde peu de temps après minuit; beaucoup sont pris ou massacrés; les autres, ayant réussi à s'échapper, se dispersent dans leurs cités.

Vercingétorix vaincu se livre à César avec toute son armée.

Le lendemain Vercingétorix convoque l’assemblée : il déclare que cette guerre n'a pas été entreprise par lui à des fins personnelles, mais pour conquérir la liberté de tous; puisqu'il faut céder à la fortune, il s'offre à eux, ils peuvent, à leur choix, apaiser les Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu'on lui remette les armes, qu'on lui amène les chefs des cités. Il installa son siège au retranchement, devant son camp: c'est là qu'on lui amène les chefs; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds. Il met à part les prisonniers héduens et arvernes, pensant essayer de se servir d'eux pour regagner ces peuples, et il distribue les autres à l'armée entière, à titre de butin, à raison d'un par tête.

Avant l'hiver, César met la Gaule vaincue sous surveillance

Tout cela réglé, César part chez les Héduens : la cité fait sa soumission. Des ambassadeurs arvernes viennent l'y trouver, se déclarant prêts à exécuter ses ordres. Il exige un grand nombre d'otages. Il envoie les légions prendre leurs quartiers d'hiver. Il rend aux Héduens et aux Arvernes environ vingt mille prisonniers. Titus Labiénus, avec deux légions et la cavalerie, reçoit l'ordre de partir chez les Séquanes; il lui adjoint Marcus Sempronius Rutilus. Il place Caïus Fabius et Lucius Minucius Basilus avec deux légions chez les Rèmes, pour que ceux-ci n'aient rien à souffrir de leurs voisins les Bellovaques. Caïus Antistius Réginus est envoyé chez les Ambivarètes, Titus Sextius chez les Bituriges, Caïus Caninius Rébilus chez les Rutènes, chacun avec une légion. Quintus Tullius Cicéron et Publius Sulpicius sont cantonnés à Chalon et à Mâcon, chez les Héduens, sur la Saône, pour veiller au ravitaillement. Quant à lui, il décide de prendre ses quartiers d'hiver à Bibracte. Lorsque ces événements sont connus à Rome par une lettre de César, on célèbre des supplications de vingt jours.


QUELLE FUT LA STRATÉGIE DE VERCINGÉTORIX ?

Vercingétorix avait d’abord adopté une stratégie de harcèlement contre l’armée romaine en marche vers la Provincia, alors qu'elle était étirée en une longue file (agmen) et encombrée de ses bagages (impedimenta). Puis, ayant été vaincu par la cavalerie des Germains, il avait décidé d’aller mettre son armée à l’abri sur le plateau d’Alésia, un site qui était difficile d’accès et dont les druides lui avaient rappelé le caractère sacré. S’étant trouvé bloqué sur le plateau par une autre défaite, il changea de tactique et décida de s’enfermer dans la citadelle.

Cette décision a pu être considérée comme une erreur. C’est ce que dit Montaigne, qui s’étonne que Vercingétorix ait choisi délibérément de se laisser enfermer : "Un point, qui semble être contraire et à l’usage et à la raison de la guerre, c’est que Vercingétorix, qui était nommé chef et général de toutes les parties des Gaules révoltées, prit parti de s’aller enfermer dans Alexia. Car celui qui commande à tout un pays ne se doit jamais engager qu’au cas de cette extrémité qu’il y allât de sa dernière place et qu’il n’y eut rien plus à espérer qu’en la défense d’icelle ; autrement, il se doit tenir libre, pour avoir moyen de pourvoir en général à toutes les parties de son gouvernement." (Essais, II, 34)

En réalité, Vercingétorix avait pris conscience que, la majeure partie des légions romaines se trouvant rassemblée autour de l’oppidum, il suffirait que les peuples de Gaule, par une rapide levée en masse, constituent une immense armée qui viendrait envelopper et submerger les Romains pris entre l’armée assiégée et l’armée extérieure. D'ailleurs il avait sans doute prévu cette possibilité puisqu'il avait demandé aux gens de la région de faire monter dans l'oppidum une grande quantité de bétail ("pecus, cujus magna erat copia a Mandubiis conpulsa", VII,71).

C’est pourquoi Vercingétorix fit partir ses cavaliers à l’insu des Romains pour qu’ils aillent constituer cette armée. Mais les chefs des différentes nations gauloises réagirent sans enthousiasme et, réunis dans une sorte de concile, peu confiants dans la stratégie de Vercingétorix, ils refusèrent l’idée d’une levée en masse de tous les hommes en état de porter les armes : chaque peuple fournirait seulement un contingent déterminé. Les 44 peuples sollicités rassemblèrent 240.000 fantassins (pas toujours très bien équipés) et 8.000 cavaliers (essentiellement ceux qui s'étaient échappés d’Alésia), ce qui était finalement très peu par rapport à la capacité de chaque nation. L’aristocratie celtique a sans doute préféré garder ses forces vives pour la défense du territoire de chacun, en cas d’échec du plan de Vercingétorix.

Pendant tout le mois d’août, des colonnes de guerriers ont progressé vers les territoire éduen. Là, on a perdu du temps en procédant au recensement des troupes ; puis on a désigné les chefs du contingent de chaque peuple (praefectus) ; puis, comme on ne s’est pas accordé sur un commandement unique pour cette armée de renfort, on a préféré un commandement collégial composé d’un Atrébate, de deux Héduens et d'un Arverne, assisté du conseil des chefs délégués par les différents peuples. Ce n'était pas la solution la plus efficace et ce fut beaucoup de temps perdu en palabres.

Puis, une fois arrivés au contact de l’ennemi, les chefs gaulois ont commisl’erreur de ne pas attaquer en masse, simultanément avec les troupes de Vercingétorix, ce qui aurait permis de prendre les Romains en tenaille. Contrairement aux légionnaires romains, les combattants gaulois n’étaient pas des soldats de métier et ils ne pouvaient espérer vaincre que par leur masse.


LES FORTIFICATIONS ROMAINES

Un dispositif avait pour but d’empêcher toute tentative de sortie des troupes gauloises assiégées. César en donne une description théorique. Ce schéma fut ensuite modifié en fonction de la nature du terrain.

Fortifications

La fortification se composait d’abord d’un fossé à parois verticales de six mètres de large (20 pieds) séparé des autres fortifications (munitiones) de 120 mètres (400 pieds). Deux autres fossés étaient larges de quinze pieds, chacun ayant la même profondeur; dans les parties basses du fossé le plus rapproché de la place (fossa interior), on dériva les eaux d'une des deux rivières.

Derrière ces deux fossés, on éleva un terrassement (agger), fait de terre et de mottes d'herbe, surmonté d'une palissade (vallum) de douze pieds, avec un parapet en clayonnage (lorica) dans lequel étaient ménagés des créneaux (pinnae). En avant de l'agger des branches fourchues et acérées (cervi) devaient rendre difficile toute escalade. Sur tout le pourtour de ce dispositif, on construisit des tours en bois séparées les unes des autres par une distance de 80 pieds (24 m).

Entre les fossés, on installa des sortes de pièges à hommes : des "cippi" (des branchages aux extémités acérées dépassant du sol), des "lilia" (pieux taillés en pointe dissimulés dans des trous par des broussailles) et des "stimuli" (aiguillons métalliques fixés sur un pieu enfoui dans la terre). On sema aussi des tribuli métalliques à quatre pointes.

César estime la longueur des fortifications autour d'Alésia à 10000 pas (14 kms), avec plusieurs camps placés "oportunis locis" et 23 fortins (castella) occupés, le jour, par des corps de garde et, la nuit, par des veilleurs. L'archéologie a trouvé la trace sûre de trois grands castra et de trois castella.

Les difficultés pour les Romains étaient multiples : il fallait envoyer des hommes au loin pour chercher du bois et du ravitaillement; il fallait aussi contenir le harcèlement des Gaulois qui essayaient de perturber l'avancement des travaux. "Erat eodem tempore et materiari et frumentari et tantas munitiones fieri necesse deminutis nostris copiis quae longius ab castris prodiebantur. Ac non numquam opera nostra Galli temptare atque eruptionem ex oppido pluribus portis summa vi facere conabantur." [Il fallait en même temps rassembler des matériaux, du blé et construire de telles fortifications alors que nos effectifs étaient diminués par ceux qui devaient aller assez loin de leur camp; et plus d'une fois les Gaulois s'attaquaient à nos travaux et faisaient des sorties très violentes par plusieurs portes à la fois.] (B.G. VII,73)


COMMENT VERCINGÉTORIX FUT LIVRÉ À CÉSAR

César raconte la scène d’une manière très concise : Caesar in munitione pro castris consedit : eo duces producuntur, Vercingetorix deditur : "César prend place sur son siège (proconsulaire) dans le retranchement, devant son camp ; on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix".

Il faut imaginer, autour de lui, sa garde personnelle de Germains et, allant jusqu’aux portes d’Alésia, deux haies de légionnaires en armes entre lesquels défilèrent les chefs puis les troupes gauloises, dont les armes étaient jetées dans le fossé devant César. Et, à la fin, apparut Vercingétorix.

Cette scène sera embellie et « théâtralisée » par certains historiens.

• Au début du IIe siècle, FLORUS la raconte en ces termes (les manuscrits offrent un texte différent sur deux points) : Ipse ille rex, maximum victoriae decus, supplex quum in castra venisset, tum (ou equum) et phaleras et sua arma ante Caesaris genua projecit: "Habe (ou habes)", inquit, "fortem virum, vir fortissime, vicisti". (Abrégé de l’Histoire romaine, III,11). [Le roi, le plus beau fleuron de notre victoire, venu en suppliant dans le camp romain, jeta alors aux pieds de César ses ornements de harnais et ses armes [ou "jeta aux pieds de César son cheval, ses ornements de harnais et ses armes"] en disant : Tout cela est à toi; tu as vaincu un homme valeureux, toi le plus valeureux des hommes. [ou "tu as en ton pouvoir un homme valeureux ; pourtant tu as vaincu, ô le plus valeureux des hommes"]. Il n'est pas sûr, donc, que Florus ait imaginé Vercingétorix à cheval devant César.

• A peu près à la même époque, PLUTARQUE introduit clairement un cheval dans la scène : "Le plus grand nombre de ceux qui s'étaient sauvés par la fuite se renfermèrent avec leur roi dans la vile d’Alésia. César alla sur le champ l’assiéger, quoique la hauteur de ses murailles et la multitude des troupes qui la défendaient la fissent regarder comme imprenable. Pendant ce siège, il se vit dans un danger dont on ne saurait donner une juste idée. Ce qu'il y avait de plus brave parmi toutes les nations de la Gaule, s'étant rassemblé au nombre de trois cent mille hommes, vint en armes au secours de la ville ; ceux qui étaient renfermés dans Alésia ne montaient pas à moins de soixante-dix mille. César, ainsi enfermé et assiégé entre deux armées si puissantes, fut obligé de se remparer de deux murailles, l'une contre ceux de la place, l'autre contre les troupes qui étaient venues au secours des assiégés : si ces deux armées avaient réuni leurs forces, c'en était fait de César. Aussi le péril extrême auquel il fut exposé devant Alésia lui acquit, à plus d'un titre, la gloire la mieux méritée ; c'est de tous ses exploits celui où il montra le plus d'audace et le plus d'habileté. Mais ce qui doit singulièrement surprendre, c'est que les assiégés n'aient été instruits du combat qu'il livra à tant de milliers d'hommes qu'après qu'il les eut défaits ; et ce la vaisselle et des pavillons gaulois. Toute cette puissance formidable se dissipa et s'évanouit avec la rapidité d'un fantôme ou d'un songe ; car ils périrent presque tous dans le combat. Les assiégés, après avoir donné bien du mal à César, et en avoir souffert eux-mêmes, finirent par se rendre. Le chef suprême de la guerre, Vercingétorix, prit ses plus belles armes, para son cheval et franchit ainsi les portes de la ville. Après avoir caracolé en cercle autour de César qui siégeait, il sauta à bas de sa monture, jeta armes et décorations aux pieds de César et lui-même s’assit là, sans plus bouger, jusqu’à ce que César le fît emmener par la garde en vue du triomphe." (César, XXX)

 

Reddition
Alésia Motte
Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César,
de Lionel Royer, 1899 (au Musée Crozatier du Puy-en-Velay)

Vercingétorix se rendant à Jules César,
d'Henri Motte, 1860 (au Musée des Beaux-Arts du Puy)

• Au début du IIIe siècle, DION CASSIUS fait une mise en scène très différente : "Vercingétorix aurait peu s’échapper, car il n’avait pas été capturé ni blessé ; mais il espérait, pour avoir été en relations d’amitié avec César, obtenir son pardon. Aussi se présenta-t-il à lui sans se faire annoncer, surgissant devant lui alors que César siégeait sur son tribunal, et jetant l’effroi parmi l’assistance. Il était en effet de taille imposante et, avec ses armes, il avait une allure impressionnante. Le calme revenu, sans un mot, il tomba à genoux, les mains tendues en signe de supplication. Nombreux étaient ceux à qui il faisait pitié, au souvenir de son sort antérieur, par comparaison avec l’état de détresse où il se trouvait à présent. Mais César lui reprocha avec âpreté son attente du salut, à lui qui avait récemment transformé leur ancienne amitié en hostilité déclarée, et il lui montra l’étendue de sa faute. C’est pourquoi il ne manifesta aucune pitié à son égard, mais il le jeta aussitôt dans les fers et, par la suite, après l’avoir fait défiler à son triomphe, il le fit mettre à mort." (XL,41)

Dion Cassius était un sénateur de langue grecque qui a écrit, au début du IIIe siècle, une Histoire romaine. Pour parler de la conquête de la Gaule, il a utilisé un texte rédigé par un officier de César passé ensuite dans le camp des pompéiens.


OU SE SITUAIT ALÉSIA ?

César racontant l'épisode du siège d'Alésia n'était pas guidé par un souci de précision mais plutôt de simplification. Par exemple il décrit Alésia comme une butte entre deux rivières débouchant dans une plaine, ce qui est particulièrement vague. De même l'itinéraire suivi par son armée n'est pas indiqué par rapport à des points géographiques précis. C'est pourquoi s'est posé le problème de la localisation d'Alésia, source de nombreuses polémiques dans lesquelles s'affrontent encore les philologues, plus attachés au texte de César, et les archéologues, plus attachés aux études sur le terrain.

Jusqu'au XIXe siècle, la tradition situait Alésia à ALISE-SAINTE-REINE :

– En 1755, J.B. Bourguignon d’Anville se livre à un relevé précis du site et publie une carte.
– En 1784, Pierre Laureau, écuyer du comte d’Artois, fait des fouilles sur le mont Auxois et met au jour des monnaies et des inscriptions.
– En 1839 des fouilles mettent au jour sur le mont Auxois une inscription en langue gauloise du milieu du +Ier siècle mentionnant le nom d'Alisiia.

Mais pendant un siècle on hésita entre deux localisations d'Alésia, Alise ou Alaise :

• En 1855-1858, un architecte, Alphonse Delacroix, situe Alésia à ALAISE, dans le Jura, à 25 kms au sud de Besançon. Selon lui, le site d'Alaise correspondait mieux à la description d'Alésia par César. Cette thèse a convaincu Emile Desjardins, spécialiste de la géographie antique, et Jules Quicherat.
• En 1858, le duc d’Aumale (fils de Louis-Philippe), dans un article de la Revue des Deux-Mondes, situe Alésia à ALISE-SAINTE-REINE. Napoléon III, passionné d'artillerie et de poliorcétique, qui travaillait en outre à une Histoire de Jules César, y fait entreprendre des fouilles entre 1861 et 1865 ; elles apportent des éléments importants à l’appui de cette thèse : elle confirment qu’un oppidum s’est élevé sur le mont Auxois et que des travaux de fortifications ont été menés tout autour ; on a trouvé des armes romaines et gauloises du Ier siècle, ainsi que de nombreuses monnaies gauloises de la même époque.
• Georges Colomb, botaniste et maître de conférences en Sorbonne (l'auteur du Sapeur Camembert), soutient à nouveau la thèse d’ALAISE dans plusieurs publications : "La bataille de César contre Arioviste" in Revue Archéologique, 3° série, XXXIII, 1898 - L'énigme d'Alésia, Armand Colin, 1922 - Pour Alésia contre Alisiia, Armand Colin, 1926 - Vercingétorix, Arthème Fayard, 1945.
• En 1848-1849, il est question de commémorer le siège d’Alésia à Alise-Sainte-Reine (c'est le 2000e anniversaire). Mais, le président Vincent Auriol ne voulant pas prendre parti dans la querelle, la cérémonie du 11 septembre 1949 est plus modeste que prévu.
• En 1952-1954, des fouilles sont pratiquées à Alaise, mais elles ne révèlent rien. Alphonse Delacroix, convaincu, renonce à sa théorie.
• En 1955-1956, des sondages faits aux Laumes, près d'Alise, confortent les conclusions de Napoléon III et permettent à Jérôme Carcopino et à Jacques Harmand d'affirmer que c'est bien là que s'est déroulé le siège de -52.

Mérimée

Mérimée s'est amusé, dans une caricature, de la querelle entre Alisiens et Alaisiens

En 1962, un autre site est proposé, dans le Jura, LES CHAUX-DE-CROTENAY :

• André Berthier, archiviste paléographe en retraite, après une étude approfondie du texte de César, propose comme site pour Alésia LES CHAUX-DE-CROTENAY au sud de Syam. L’étude du terrain met au jour des accumulations de pierres (mais peut-être issues de l’épierrement des champs) et des céramiques (mais plutôt du +IIe siècle). Des photos aériennes dues à François Chambon ont pour but de vérifier la concordance du site avec le récit de César.
• Cette thèse a reçu l'appui de Pierre Grimal qui accepta d'être président d'honneur de l'association constituée en 1980. Elle est encore défendue par Danielle Porte, maître de conférences à la Sorbonne, dans Alésia citadelle jurassienne (2000), L'imposture d'Alésia (2004), L'imposture d'Alésia 2 l'imaginaire de l'archéologie (2010).
• Le texte de la Guerre des Gaules est assez imprécis pour permettre cette interprétation. Il ne dit pas si César longea la frontière est (côté Jura) ou la frontière ouest (côté Bourgogne) de ses alliés Lingons. Il donne du site d'Alésia une description assez vague, disant seulement que cet oppidum était difficilement prenable.

Entre 1991 et 1997, des fouilles confortent l'identification d'Alésia avec ALISE.

• René Gogey, spécialiste d'archéologie aérienne, repère à Alise-Sainte-Reine des éléments des lignes de défenses romaines, ainsi que l'emplacement de trois camps romains.
• Des campagnes de fouilles menées sous la responsabilité de Michel Reddé par des équipes franco-allemandes de 1991 à 1997 autour d'ALISE-SAINTE-REINE semblent conforter considérablement cette localisation. “Aucun des arguments avancés pour démontrer qu'Alise est bien le lieu qui vit s'affronter César et Vercingétorix n'apporte, à lui seul, une preuve suffisante. En revanche, le faisceau d'indices, la mise en série des arguments, leur complémentarité, constituent un phénomène tout à fait impressionnant, extrêmement rare en archéologie. On dispose de beaucoup plus d'indices pour dire qu'Alise est Alésia qu'on en a pour localiser Troie ou Mycènes de façon absolue.” (Michel Reddé, Alésia, l'archéologie face à l'imaginaire, 2003, p. 201-202).
• Quelques années plus tard, la construction, à Alise-Sainte-Reine, d'un "MuséoParc" est présentée par les "Alisiens" comme une conclusion définitive mettant fin à la polémique. Mais les partisans d'une Alésia jurassienne (les "Calmisiens") crient au scandale et dénoncent, avec Danielle Porte, l'argent investi pour la promotion d'une théorie qui, selon eux, n'est qu'une "imposture".
• En 2012, Yann Le Bohec publie chez Tallandier un Alésia qui se présente comme "l'expertise définitive".


LES ARGUMENTS EN FAVEUR D'ALISE-SAINTE-REINE

– Composée vers 480, la Vie de saint Germain, évêque d'Auxerre de 418 à 448, évoque son séjour “in alesiensi loco”; c'est la première mention, par une source locale, de la forme latine classique “Alesia” au sujet du mont Auxois.

– Vers 865, Éric, moine de Saint-Germain d’Auxerre, racontant le transfert des reliques de sainte Reine depuis Alise jusqu'à Flavigny, fait allusion au siège mené par César autour d’Alise.

Tu quoque Caesaris fatalis Alesia castris
haud jure abnuerim calamis committere nostris
quae quod alas proprios praepingui pana colonos
nominis adiectu quondam signata putaris
Te fines heduos et limina summa tuentem
Aggressus quondam saevo certamine Caesar
Paene tulit latias non aequo marte phalangas
expertus patriis quid Gallia posset in armis
nunc restant ueteris tantum uestigia castri.
Toi aussi, Alésia, fatale pour le camp de César *
j'aurais tort de refuser de te mettre dans mes écrits
toi qui, parce que tu nourris tes paysans d'un riche pain,
as jadis été, pense-t-on, désignée par le nom qu'on t'a donné. **
Toi qui protèges les pays héduen et ses frontières du nord,
César qui t'attaqua jadis dans un combat cruel
eut peine à maintenir les légions de Rome dans un combat qu'il ne maîtrisait pas,
expérimentant de quoi la Gaule était capable quand elle prend les armes de ses pères.
Aujourd'hui du vieux castrum il ne reste que des ruines.

* Eric présente curieusement Alésia comme une défaite de César (à moins qu'il faille traduire : "dont le destin a été fixé par les armées de César", ce qui est peu défendable). Il est vrai que, selon Tacite (Annales XI,23), lorsque l'empereur Claude eut l'idée de faire entrer des Gaulois au Sénat de Rome, certains voulaient en refuser l'accès à ceux qui avaient autrefois taillé en pièces les armées romaines et assiégé César à Alésia ("exercitus nostros ferro vique ceciderint, divum Iulium apud Alesiam obsederint").
** Fausse étymologie : Alesia viendrait du verbe alere (nourrir).

– Une inscription "In Alisiia" du +IIe siècle a été trouvée au nord du forum de la ville gallo-romaine, près d'un édifice organisé autour d'une cour à portiques comportant un sanctuaire et une salle souterraine; dans cet édifice ont été trouvées des offrandes métalliques dont un vase en bronze portant une dédicace en langue gauloise au dieu Ucuetis et à Bergusia.

MARTIALIS DANNOTALI
IEVRV VCVETE SOSIN
CELICNON ETIC
GOBEDBI DVGIIONTIIO
VCVETIN
IN … ALISIIA
Martialis, fils de Dannotalos
a offert à Ucuetis
ce bâtiment ("celicnon")
et cela avec les forgerons (datif pluriel "gobedbi")
qui honorent Ucuetis
à Alisia.

– Six tessères en plomb du IIe-IIIe siècle ont été découvertes à Alise-Sainte-Reine. Leur légende (ALI ou ALISIENS) confirme le nom des habitants (Alisienses) et, par conséquent, celui de l'agglomération. Il s'agit de ces jetons en plomb, présentant la forme de monnaies, qui portaient en général l'image d'une divinité et, au revers, le nom d'un peuple, le plus souvent abrégé. On n'en connaît pas l'usage (jetons d'entrée au théâtre ? jetons pour les participants à une cérémonie religieuse ? jetons pour des distributions d'aliments ?).

– Les fouilles ont confirmé l'existence, sur le mont Auxois, d'une agglomération gauloise défendue par un rempart de type murus gallicus (dont on a retrouvé des fragments).

– De grandes quantités de fragments de moules de bronziers ont été découvertes dans les fouilles de la ville gallo-romaine, une part importante se rapportant à la production en série d’éléments de harnachements civils et militaires en bronze argenté. Or on lit dans l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (XXXIV, 162-163): Album incoquitur aereis operibus Galliarum invento, ita ut vix discerni possit ab argento, eaque incoctilia appellant. Deinde et argentum incoquere simili modo coepere equorum maxime ornamentis iumentorumque ac iugorum in Alesia oppido. ("Selon une invention gauloise, le plomb blanc est appliqué à chaud sur des objets en bronze de telle sorte qu'on peut difficilement distinguer cela de l'argent. On appelle cela des vases étamés. Plus tard, dans l'oppidum d'Alésia, on s'est mis à appliquer de la même manière de l'argent à chaud, surtout pour les harnais des chevaux, des bêtes de somme et des attelages.")

– Les monnaies trouvées sur le site alisien constituent un indice significatif : 164 monnaies romaines émises entre 211 et 54 avant J.-C. ; 731 monnaies gauloises ayant appartenu aux Arvernes (une centaine), aux Séquanes, aux Eduens, aux Senons, aux Bituriges, aux Nerviens, aux Atuatuques, aux Atrébates, aux Trévires... Ces découvertes permettent de dater le siège et de connaître les peuples venus en renfort. Deux monnaies au nom de Vercingétorix ont été trouvées lors des fouilles de Napoléon III; elles sont en bronze mais ont été frappées avec des coins qui ne servaient que pour le monnayage d’or; elles ont dû servir à payer les troupes alors que l'on manquait d'or.

– Le matériel militaire découvert à Alise constitue le plus important arsenal d'armes celtiques et romaines jamais trouvé pour cette période. Les fragments réunis concernent plusieurs centaines de casques, boucliers, épées, glaives ou poignards, armes de jet, flèches, traits de catapulte, balles de frondes, boulets... S'y ajoutent d'autres types de matériel militaire tels qu'un fragment de tente de légionnaire en cuir et des centaines de clous de sandales romaines. Deux balles de fronde portent l'inscription T. LABI., interprétée comme "Titus Labienus", nom du principal lieutenant de César dont le camp était au nord-ouest du mont Auxois. Des umbos de bouclier en fer ont appartenu sans doute aux troupes auxiliaires germaines qui ont participé au siège d’Alésia aux côtés de l’armée romaine.
Les armes identifiées comme gauloises sont des boucliers de forme allongées ayant au centre une demi-spère de métal (l'umbo), des casques formée d'une demi-sphère renversée qui s'évasait en un rebord protecteur avec des protège-joues, des cottes de mailles, des épées de mauvaise qualité, en fer doux, avec une pointe arrondie (beaucoup moins efficaces que le gladius du légionnaire romain), des lances avec une pointe de métal d'environ 40 cm, des javelots équipés d'un cordon de cuir servant de propulseur.

– L’étude archéozoologique des restes osseux de chevaux découverts sur le site d’Alise-Sainte-Reine prouve la présence simultanée, et en grand nombre, de chevaux de cavalerie romains et gaulois, et peut-être germains.

– Les fouilles archéologiques menées autour du Mont-Auxois, au Second Empire et dans les années 1990, les photographies aériennes prises par René Goguey, ont révélé les traces d'un dispositif d'encerclement semblable à celui que décrit César dans ses Commentaires. Il est effectivement composé d'une ligne interne d'investissement, d'une ligne extérieure de défense et d'une série de camps installés sur les hauteurs autour de l'oppidum. La signature romaine de ces dizaines de kilomètres de fortifications ne fait aucun doute. Certes le dispositif théorique décrit par César n'avait été été établi sur la totalité du pourtour; par exemple on n'a retrouvé le triple fossé dont il parle que dans les parties les plus exposées. Les camps A et B, au sud, sur la "montagne de Flavigny", ont été bien repérés, le premier (dit "camp de César") de 2,3 ha, le second de 7 ha. Le camp C (dit "camp de Labiénus") sur la montagne de Bussy couvrait 7 ha et a fait l'objet de fouilles.

Alésia plan

En rouge, les forts et les castella qui ont été repérés par les archéologues soit en 1861-1865, soit en 1991-1997

Camp nord

A quoi devait ressembler le camp nord


POURQUOI LA LOCALISATION D'ALÉSIA EST-ELLE UN SUJET DE CONTROVERSES ?

Ceux qui veulent situer Alésia dans le Jura opposent aux partisans d'Alise un certain nombre d'arguments.

Les textes ne disent pas nettement dans quelle nation gauloise était Alésia :

• Alise était située sur le territoire des Eduens. Or Dion Cassius (40,39,1) écrit que Vercingétorix arrêta César "en Sekouanois", dans le pays des Séquanes, alors que César, lui, écrit qu'il fut arrêté par Vercingétorix alors qu'il allait vers les Séquanes, "in Sequanos" (VII,66).
• César écrit qu'une fois Alésia prise, il se rendit chez les Eduens ("in Haeduos proficiscitur", VII,90), ce qui prouverait qu'il n'y était pas.
• Dans son discours aux Gaulois (VII,77) Critignatos, faisant allusion à la Provincia (qu'il désigne par la formule "Gallia quae, in Provinciam redacta, premitur servitute"), la dit "finitima", c'est-à-dire limitrophe des Mandubiens, alors qu'Alise en est à plus de 250 km.

Le site du mont Auxois ne correspond pas bien à la description que fait César d'Alésia :

• César parle d'un oppidum s'élevant à une grande altitude ("admodum edito loco", VII, 69); Plutarque (Caes., 30) d'une ville "imprenable à cause de ses murailles"; or le site d'Alise paraît modeste avec ses 150 m d'altitude et des falaises calcaires seulement sur sa face sud.
• César parle d'une plaine de 3000 pas de longueur (4,5 km) devant l'oppidum que la cavalerie de l'armée gauloise venue en renfort couvrit entièrement ("equitatu omnem planitiem complent", VII, 79); or, à Alise, cette "plaine" est un espace limité (4,5 km sur 2 km) coupé en deux par la Brenne (dont César, curieusement, ne parle pas).
• Selon Florus (I,45,26) Alésia a été incendiée et rasée par César; or les fouilles montrent que la ville d'Alise s'est développée normalement dans la seconde moitié du -Ier siècle.

L'oppidum d'Alise paraît trop exigu pour avoir accueilli pendant plus d'un mois tant de gens :

• L'oppidum occupe une surface de 97 hectares (plus 40 hectares pour les terrasses et leurs contreforts). Vercingétorix y aurait enfermé 13.000 cavaliers, 13.000 chevaux, de nombreux écuyers, 80.000 fantassins, une partie de la population locale ("Mandubii cum liberis atque uxoribus", VII,78) que Diodore de Sicile (4,19) estime être celle d'une "très grande ville", avec du bétail pour nourrir 95.000 hommes pendant un mois (environ 40.000 têtes). L'entassement des hommes et des animaux sur le plateau d'Alise paraît peu concevable.
• Certes on avait pu creuser des puits jusqu'à la couche de marne; mais la seule source connue à Alise (à la Croix-Saint-Charles) n'aurait pu suffire aux besoins, alors que descendre jusqu'aux deux rivières c'était s'exposer aux tirs des assaillants.

Les camps établis par les Romains ne pouvaient accueillir toutes les troupes de César :

• Il fallait y loger 50000 légionnaires, 6000 cavaliers, (avec leurs chevaux) et les troupes des alliés, soit, au moins, 60000 hommes
• Si l'on s'en tient aux prescriptions de Polybe (Histoire romaine, VI, 27-32), il aurait fallu plus de cent hectares de camps et de fortins (à raison de 516 hommes à l'hectare).

Les travaux décrits par César paraissent peu vraisemblables :

• A Alise, on ne pouvait utiliser aucun obstacle naturel pour bloquer le site; il fallait donc une ceinture continue constituée de trois fossés, d'une butte de terre (agger) avec palissade, de tours et de pièges sur une longueur de 17 kms pour la contrevallation et de 21 kms pour la circumvallation, soit en tout 38 km.
• On a calculé qu'il aurait fallu remuer entre un million et deux millions de m3 de terre, couper, transporter et façonner 200.000 arbres (soit abattre 200 ha de forêt). Pour ce travail, réalisé en une quarantaine de jours, il aurait fallu deux fois plus d'hommes que ce dont César disposait, même en travaillant nuit et jour ("diem noctemque in opere versantur", VII,77)

Certains détails des opérations sont peu crédibles :

• Vercingétorix aurait réussi à faire passer de nuit 15.000 cavaliers entre les lignes des Romains sans qu'aucune sentinelle ne s'en aperçoive (VII,7,71)
• César disposait de 70000 hommes environ pour surveiller un périmètre de 36 kms, ce qui fait à peine deux hommes par mètre; on comprend mal que les Gaulois assiégés n'aient pu se frayer un passage…
• Les troupes gauloises étaient accumulées sur le flanc sud-est de la colline ("sub muro quas pars collis ad orientem spectabat", 7,69); à Alise, pour aller vers la plaine (vallée de la Brenne) où se sont déroulés les combats, les guerriers auraient dû longer tout le pied de la colline sous la menace immédiate des Romains.

La plaine des Laumes paraît trop exiguë pour les grandes batailles :

• On a calculé qu'il fallait aux 50000 légionnaires de César un terrain large de 4 kms et profond de 5kms pour manoeuvrer
• La plaine des Laumes a une dimension suffisante dans son développement nord-sud, mais elle est coupée dans sa longueur par le cours de la Brenne.


ALÉSIA AVANT LE SIÈGE

Alésia était pour les Gaulois avant tout un centre religieux.

Les fouilles et la photographie aérienne ont révélé les vestiges de neuf sanctuaires sur le Mont-Auxois. Tous ont fait l'objet d'aménagements importants à l'époque gallo-romaine. Toutefois, pour trois d'entre eux au moins, l'archéologie a prouvé une origine plus ancienne, qui remonte à la fin de la période gauloise. L'agglomération gauloise paraît s'être concentrée autour de deux de ces sanctuaires.

Le plus important devait être dédié à une divinité indigène dont le nom nous échappe mais qui devait recouvrir les fonctions du dieu Jupiter romain et peut-être aussi du dieu Mars. Il était implanté juste à côté d'une importante dépression naturelle qui marquait la surface de l'oppidum et la dominait. Sa position centrale, sa taille et l'attention dont il a fait l'objet tout au long de l'Antiquité indiquent qu'il s'agit du sanctuaire principal de l'agglomération et par là-même de toute la cité.

Le deuxième sanctuaire, proche du premier, était lui aussi relativement central par rapport au tissu de l'agglomération. Il était dédié au dieu Ucuetis et à la déesse Bergusia, divinités protectrices des activités métallurgiques dont tout indique qu'elles tenaient une place très importante dans l'économie locale.

Le troisième, dédié au dieu Moritasgus et à la déesse Damona, était situé à la pointe est de l'oppidum, sur une terrasse, en rupture de pente, à un point où jaillissaient des sources qui paraissent avoir justifié sa raison d'être.

Deux découvertes sont venues confirmer l'importance religieuse du site du Mont-Auxois. Il s'agit de deux patères en bronze dédiées au dieu Alisanos, "le dieu d'Alise". Sur l'une, trouvée en 1853 à Couchey (Côte-d'Or, à 70 km du Mont-Auxois), la dédicace est en langue celte écrite en caractères latin (gallo-latin). Sur l'autre, mise au jour en 1881 au hameau de Visignot, près d'Arnay-le-Duc (Côte-d'Or, à 50 km du Mont-Auxois), elle est écrite en latin. D'après des légendes irlandaises d'origine celte, on sait que les guerriers juraient par le dieu tutélaire de leur tribu; mais le fait de nommer le dieu seulement par son toponyme relevait d'un tabou.

Ces éléments corroborent l'assertion de Diodore de Sicile qui précise au sujet d'Alésia: «Les Celtes honorent, de nos jours encore, cette ville où ils voient le foyer et la métropole de toute la Celtique ». C'est sans doute cette charge religieuse qui explique, une fois l'indépendance gauloise perdue, la permanence du site de l'agglomération au sommet du Mont-Auxois, sur un site difficile d'accès, venté et beaucoup plus froid que la plaine qui s'étendait juste au pied, et ce durant toute la période gallo-romaine.


ALÉSIA APRÈS LE SIÈGE

Après le Siège, l’agglomération a connu une nette expansion et une certaine densification de l'habitat. Au centre, le temple a été reconstruit en pierre. Face à son entrée principale on a élevé un bâtiment rectangulaire ouvert avec un décor sculpté composé de têtes négroïdes massacrées et de guerriers gaulois. Les deux accès fortifiés aux extrémités est et ouest de l’oppidum ont été remaniés et intégrés dans de nouveaux dispositifs d’entrée conservant un caractère monumental.

La ville s'est romanisée de manière décisive dans les décennies suivantes. Les fortifications héritées de la période gauloise ont été abandonnées. Le réseau des rues a été régularisé autour du centre politique et religieux, dessinant un quadrillage dans lequel s’insèraient des îlots d’habitation (insulae). Un centre monumental a été progressivement organisé à l’est du sanctuaire principal autour d’un forum et d’une basilique civile, tandis qu'un théâtre était construit à l’ouest.

L'extrémité orientale du plateau (lieu-dit de la Croix-Saint-Charles) était dédiée à Moritasgus. A la période gallo-romaine, cette divinité prit le nom d’Apollon Moritasgus et le lieu de culte connut un important développement. Un grand fanum octogonal a été construit au sein d’un vaste sanctuaire où les populations venaient remercier le dieu pour la guérison accordée. L’ensemble était précédé par un vaste portique, long de plus de 40m, qui servait de porte d’entrée au complexe religieux, mais également de façade monumentale pour toute personne accédant à l’oppidum depuis la pointe est. La source proche a été associée au sanctuaire et aux cultes. Elle alimentait également un vaste complexe thermal constitué de diverses salles (palestre, édicule à la déesse, caldarium, tepidarium…).

Alésia a prospéré pendant deux siècles et demi. Elle a amorcé ensuite un lent déclin sous les effets de la crise économique et politique affectant l’Empire à partir de la fin du IIe-début du IIIe siècle.

Les premières invasions germaniques ont touché gravement la ville. Une première destruction est intervenue lors de l’invasion de 269 ; elle a été suivie immédiatement d’une reconstruction systématique. Mais la grande invasion de 276 a marqué un tournant : plus destructrice, elle n’a pas été suivie d’un programme de reconstruction à grande échelle.

L’agglomération s'est resserrée peu à peu autour du centre monumental, ne dépassant pas la surface qu’elle devait avoir à l’époque gauloise. La métallurgie du fer et du bronze, restée très prospère pendant toute l’occupation du site, a disparu. Le sanctuaire de Cybèle, longtemps très fréquenté, a été saccagé vers 370.

Les premiers témoignages chrétiens, liés à sainte Reine, datent de la même époque. Si quelques indices d’habitats datent encore du début du Ve siècle, il semble qu’à cette date Alésia soit déjà en ruines.

À l’époque mérovingienne, Alésia est mentionné comme chef-lieu de pagus (pays). Mais il faut sans doute situer son emplacement non plus sur la colline, mais sous le village actuel d’Alise-Sainte-Reine.


LA GAULE APRÈS ALÉSIA (d'après Paul M. Martin)

La révolte contre les Romains avait coûté cher à la Gaule : entre 400.000 et 1.000.000 de morts et presque autant devenus esclaves; un tribut à payer de 40 millions de sesterces (soit 38 tonnes d'argent); des centaines de villages détruits…

Après Alésia, les peuples gaulois insoumis ayant continué d'attaquer les légions romaines, les Bituriges et les Carnutes ont été les premiers châtiés. Puis César a dû s'imposer aux Bellovaques. Ensuite, harcelés un peu partout par des maquisards, les lieutenants de César ont répliqué "en dévastant tout le territoire, en détruisant tout, hommes, bâtiments, bétail" (B.G. VIII,24). Et César lui-même réduisit par la soif Uxellodunum (Le Puy-d'Issolu), faisant trancher les mains aux prisonniers. Pendant cette "pacification" de la Gaule, six ou sept cent mille combattants fiurent tués, sans compter les paysans, les femmes et les enfants. Il y eut aussi des centaines de milliers de prisonniers. Le dernier chef de la résistance gauloise fut non pas Vercingétorix, mais Komm l'Atrébate.

La guerre terminée, Rome s'efforça de développer la Gaule en la dotant d'une administration saine et en octroyant généreusement la citoyenneté romaine, et même le rang sénatorial, aux descendants des Gaulois révoltés. Cette politique d'intégration réussi. Les Gaulois découvrirent les avantages de la civilisation méditerranéenne et acceptèrent les valeurs civiques fondamentales des Romains. Les Romains ont laissé faire, sans rien imposer, sinon l'interdiction du druidisme et des sacrifices humains.

Vercingétorix incarnait le passé : il appartenait à une classe de chevaliers riches et puissants, véritablement féodale; il était roi à une époque où la Gaule se débarrassait de la monarchie; c'était aussi le bras armé d'un véritable intégrisme druidique. Si son entreprise avait réussi, l'évolution de la Gaule en aurait été retardée, ce qui aurait pu en faire une proie facile pour les Celtes de la grande forêt germanique.


StatueLA STATUE DE VERCINGÉTORIX

Pour commémorer le succès des recherches entreprises à Alésia, Napoléon III commanda au sculpteur Aimé Millet une statue colossale de Vercingétorix. Haute de 6,60 mètres, cette oeuvre en tôle de cuivre a été érigée en 1865. Son socle en pierre de 7 mètres a été dessiné par Viollet-le-Duc. La statue est creuse et formée de tôles de cuivre battues et repoussées fixées sur un bâti de poutrelles comme la statue de la Liberté de New-York. Elle a été construite à Paris et exposée au palais de l'Industrie lors du Salon de 1865 puis transportée et installée le 27 août 1865 à l'extrémité Ouest du mont Auxois.

Vercingétorix est représenté d'une façon romantique, tel que les Français de l'époque imaginaient les Gaulois : moustaches tombantes, longs cheveux hirsutes. Le sculpteur lui a donné le visage de Napoléon III jeune. On peut y relever de nombreux anachronismes : le collier de perles est de pure fantaisie, les bandelettes qui enserrent ses braies appartiennent au début du Moyen Âge, son épée et sa cuirasse sont copiées sur des modèles de l'âge du bronze antérieurs de plus de 500 ans à l'époque de Vercingétorix…

Sur un bandeau de bronze on peut lire une phrase qui se présente comme la traduction d'un passage du discours qu'aurait prononcé Vercingétorix devant ses troupes à Avaricum :

"La Gaule unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers".
Vercingétorix aux Gaulois assemblés (César, De Bello gallico, VII, 29).
Napoléon III, empereur des Français, à la mémoire de Vercingétorix".

En fait le texte de César est assez différent, et le mot "nation" n'y apparaît pas : …unum consilium totius Galliae effecturum, cujus consensui ne orbis quidem terrarum possit obsistere; idque se prope jam effectum habere. = "[Vercingétorix dit qu'] il unifiera la Gaule autour d'un dessein commun auquel l'univers entier ne pourra s'opposer; que c'est d'ailleurs déjà presque fait." (trad. Paul M. Martin). La "traduction" du texte latin est le reflet des tensions diplomatiques grandissantes entre la France et l'Allemagne. Après la défaite de 1871, la figure de Vercingétorix devint une icône du héros national, utilisée dans le sentiment de revanche contre les Allemands.

Au même moment, en effet, les Allemands érigeaient, en Rhénanie du Nord-Westphalie, une imposante statue d'Arminius, ce chef de guerre chérusque (appelé Hermann en allemand) sous le commandement duquel, dans la forêt de Teutberg, les tribus germaniques ont vaincu de manière décisive trois légions romaines de Varus en l'an 9 après J.-C.. L'inscription suivante figure sur le monument : Deutsche Einigkeit, meine Stärke - meine Stärke, Deutschlands Macht. [L'unité allemande (est) ma force - Ma force (est) la puissance de l'Allemagne]. Cette statue en bronze riveté est appelée le Hermannsdenkmal. Le monument, commencé en 1841, a été terminé en 1875, en pleine époque des nationalismes européens. Le mythe d'Arminius a engendré en réaction celui de Vercingétorix sur l'autre rive du Rhin.

Arminius

Le Hermannsdenkmal


ET SAINTE REINE ?


En 252, une jeune gauloise de seize ans prénommée Reine, convertie au christianisme, faisait paître ses moutons au pied du mont Auxois. Le gouverneur romain des Gaules, Olibrius (ou Olimbrius), voulut abuser d'elle, mais elle résista et refusa même le mariage pour ne pas abjurer sa foi. Elle fut martyrisée, et décapitée.

Le culte de sainte Reine est attesté dès la fin du IVe ou le début du Ve siècle par un service votif christianisé (un plat et trois coupes) découvert dans un puits sur le Mont-Auxois en 1909. La pièce principale est un plat orné d’un poisson et gravé de plusieurs graffites au nom de REGINA (Reine) ainsi que d’un chrisme.

Ce service a été trouvé à proximité des vestiges d’une église très ancienne qui s’est développée sur les ruines d’un quartier de la ville gallo-romaine à partir du Ve ou du VIe siècle. Cette église était au centre d’un cimetière du type nécropole ad sanctos (auprès du corps des saints). Elle a certainement abrité les reliques de sainte Reine jusqu’à leur transfert en 866 dans l’abbaye voisine de Flavigny-sur-Ozerain. Des textes de l’époque carolingienne racontent des miracles qui se sont produits auprès du tombeau de la sainte, d’abord sur le Mont-Auxois, puis à Flavigny.

Une Vie de sainte Reine, antérieure à 866, semble avoir été rédigée par un moine de Flavigny qui s'est contenté d’appliquer à la martyre locale la vie de sainte Marguerite d’Antioche. De la véritable sainte Reine nous ne savons donc rien.

À partir du XIIIe siècle, cette martyre fait partie des saints majeurs reconnus dans toute la chrétienté. Ensuite on lui a attribué des vertus de guérisseuse. Nous n’avons pas de documentation sur le culte de sainte Reine au Moyen Âge, mais les témoignages sont abondants à partir du XVIe siècle. Depuis cette époque, ils concernent la source qui jaillit face à l'église au centre du village d'Alise (les reliques étant conservées à Flavigny). Des pèlerins sont venus par milliers à Alise pour demander à la sainte la guérison de leurs maux. Au XVIIe siècle, des moines capucins établirent un couvent à côté de la source, puis un hospice a été créé par des personnes charitables pour les pèlerins pauvres. À l’occasion de la fête de sainte Reine, chaque 7 septembre, une procession apportait ses reliques depuis Flavigny et on jouait une pièce inspirée de la Vie de sainte Reine.

Diderot, dans son Salon de 1767, fait allusion aux "chapelles des gueux de Sainte-Reine" : "Avez-vous vu quelquefois au coin des rues de ces chapelles que les pauvres habitants de Sainte-Reine promènent sur leurs épaules de bourg en ville ? C'est une espèce de boîte cintrée qui renferme un tableau principal et dont les deux vantaux peints en dedans montrent chacun l'image d'un saint quand la boîte ou chapelle portative est ouverte." [éd. Bouquins, p. 750]

Ste-Reine boîte

Partie centrale d'une "boîte de sainte Reine", avec des personnages en cire
évoquant divers épisodes de la vie de la sainte
.

Aujourd’hui, le pèlerinage respectant les coutumes anciennes est uniquement pratiqué par des adeptes de la “Petite Église”, c’est-à-dire les descendants des catholiques qui ont refusé le concordat en 1801. Le couvent des capucins n’a pas survécu à la Révolution. L’hospice est devenu "l’hôpital Sainte Reyne". Mais la fête de sainte Reine demeure la fête d’Alise. Aujourd'hui encore, les habitants du village participent à la procession et rejouent la Tragédie de sainte Reine, un mystère dont le texte date de 1878.


QUELQUES OUVRAGES SUR ALÉSIA

Joël Le Gall, Alésia archéologie et histoire (1963)
Danielle Porte, Alésia citadelle jurassienne (2000)
Paul M. Martin, Vercingétorix (2000)
Michel Reddé, Alésia, l'archéologie face à l'imaginaire (2003)
André Berthier, André Wartelle, Jean-Michel Croisille, Alésia (2008)
Danielle Porte, L'imposture d'Alésia (2010)
Jean-Louis Brunaux, Alésia le tombeau de l'indépendance gauloise (2012)
Jean-Paul Savignac, Alésia (2012)
Jean-Louis Voisin, Alésia, un village, une bataille, un site (2012)
Yann Le Bohec, Alésia 52 avant J.-C. (2012)


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