<== Retour

HUYSMANS AU CHÂTEAU DE LOURPS (Seine-et-Marne)


— Bourreau, "Un romancier en villégiature, Huysmans au château de Lourps", dans Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Provins, 1937
— Henry LEFAI, "Huysmans à Lourps", dans Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, n° 26, 1953.
— Robert BALDICK, La Vie de J.-K. Huysmans, trad. 1958, Denoël (deuxième partie, chap. 2, "Le Campagnard", p. 118-133)
— HUYSMANS, En rade; préf. de Jean Borie (Gallimard, Folio n°1609, 1984)
— HUYSMANS, A rebours - Le Drageoir aux épices (UGE, 10/18 n°975, 1975)


Georges Charles Marie Huysmans est né à Paris, rue Suger (près du quartier de Saint-Séverin) en 1848; il descendait, par son père, d'une lignée de peintres flamands. Petit fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, c'est à la suite d'un voyage en Hollande qu'il prend les prénoms de Joris-Karl.

Il commence à écrire des poèmes en prose (Le Drageoir aux épices), puis un roman, Marthe histoire d'une fille, qui le fait remarquer de Zola : il collabore aux "Soirées de Médan" et écrit un second roman, Les Soeurs Vatard (1879).

Mais il se sent un peu en marge parmi des écrivains naturalistes débordant de vigueur et de confiance dans les forces élémentaires de la vie. Petit bourgeois hépatique et pessimiste, il exhale quant à lui son écoeurement devant le monde moderne qu'il considère composé en majorité "de sacripants et d'imbéciles". C'est ce désespoir devant les misères dérisoires de la vie quotidienne qu'il exprime dans d'autres romans comme En ménage (1881) ou A vau-l'eau (1882).

Littérateur fervent et fonctionnaire ponctuel, il partageait son existence entre le Ministère de l'Intérieur et son modeste logis, au numéro 11 de la rue de Sèvres. Ce célibataire grognon vivait paisiblement au milieu de ses livres et de ses tableaux, en compagnie d'un chat. Il n'aimait pas la campagne et n'était sensible qu'au "charme dolent des banlieues". A propos de la Bièvre, cette rivière en guenilles", il écrit: "La nature n'est intéressante que débile et navrée. Je ne nie point ses prestiges et ses gloires alors qu'elle fait craquer par l'ampleur de son rire son corsage de rocs sombres et brandit au soleil sa gorge aux pointes vertes, mais j'avoue ne pas éprouver devant ses ripailles de sève, ce charme apitoyé que font naître en moi un coin désolé de grande ville, une butte écorchée, une rigole d'eau qui pleure entre deux arbres grêles."

Son portrait par Robert Caze: "Un régulier en apparence, un calme dans là vie privée, un monsieur à qui vous donneriez le bon Dieu sans confession. Mais regardez bien la tête singulière de l'homme, les cheveux poivre et sel, drus, en broussaille, les yeux clairs et malicieux, le nez busqué, cassé; la barbe blonde aux moustaches de chat. Gare! le félin griffe, démolit à coups d'ongle la bêtise humaine qu'il a observée de très près."

Son portrait par Gustave Geffroy : "Sa personne physique est en parfait accord avec sa personnalité littéraire; il est grand, maigre, blond, grisonnant; le visage est singulier, creusé, tiré ; sur cette physionomie intelligente, toutes les émotions, toutes les sensations se peignent par des tiraillements, par des froncements; mais toutes ces contractions, ces horripilations se fondent dans In jolie expression riante des yeux, et si Huysmans parle, on est alors conquis par la grâce à la fois goguenarde et mélancolique de sa conversation..."


1882 : Huysmans découvre Lourps (prononcer "Lour"), près de Provins.

Huysmans avait pour ami un certain Maillepied, propriétaire, à Jutigny, du château de Lourps (alors en ruines). Son régisseur, Simonot, devenu fleuriste à Paris, l'acheta pour exploiter le domaine, la ferme étant louée à un couple de cultivateurs, Jules et Honorine Legueux. D'autre part Huysmans avait une maîtresse, Anna Meunier, qui habitait à Paris, 21 rue du Cardinal-Lemoine et qui travaillait dans la couture ou la passementerie. Elle avait pour camarade d'atelier une certaine Virginie, qui avait été élevée à Jutigny. Cette Virginie épousa le graveur Louis Bescherer, qui habitait dans le même immeuble qu'Anna. Ce sont les Bescherer qui ont aiguillé Anna et Huysmans vers le Simonot de Jutigny, puis, par Simonot, vers Lourps, qu'il découvrit en 1882.

Huysmans y était parti à Jutigny sans enthousiasme, à en juger par ce fragment de lettre au critique Emile Hennequin : "Je vais pour la dixième fois tenter de boire de l'air sédatif dans de la véritable campagne, et j'ai bien peur que cela ne me réussisse pas plus que les fois précédentes. Je vais probablement m'embêler ferme au bout de deux jours. Je vais voir à cuire dans la gargamelle de mon cerveau mon travail sur Moreau. Au fond la nature est excellente pour me faire aimer l'oeuvre de l'homme." (cité dans le "Bulletin de la Société Huysmans", mai 1936.)

De Jutigny il traçait alors ce croquis : "Un village planté au pied des collines, un petit tas de maisonnettes coiffées de bonnets de chaume parsemés de joubarbe et de bouquets de mousse." Un après-midi il avait pris le un "chemin en lacet", le chemin du Feu, comme on l'appelait à Jutigny, pour gravir la colline où se dresse la vieille église de Lourps avec le cimetière à ses pieds. Derrière il avait découvert le château abandonné.


En juillet 1884, Huysmans décida de passer seul à Jutigny son congé annuel. Il logea chez un certain Vincent Mignot, parent de Simonot.

Il écrit à Mallarmé : "Je pars demain pour un authentique village; j'y resterai une vingtaine de jours, à moins que l'ennui ne devienne trop fort, car le sens de la campagne n'est pas très développé en moi et j'ai toujours rêvé art et artifices devant les grands horizons."

Il écrit à Zola,le 20 juillet: "J'ai débarqué le 12 à Jutigny, canton de Donnemarie, où une hutte de paysan, imitant le décor de l'Auberge des Adrets, avec la grande cheminée, les poutres au plafond, les hauts buffets à ferrures, était prête. Je suis maintenant installé et je savoure le plaisir de ne rien faire du tout, de causer avec les paysans qui sont vraiment intéressants dans ce pays. Au fond, je regrette un peu Paris, car je n'ai pas précisément le sens de la campagne. Mais cela me fait du bien, et je cataplasmise mes nerfs pour Paris. Je prends une potion de grand air, quelquefois ennuyeuse et amère à avaler, mais guérissante. […] Je ne fais rien du tout pour mon compte; je prends seulement des notes sur les étonnantes gens qui m'entourent. Ils en valent la peine. J'ai été avec l'un d'eux acheter un veau au marché de Bray-sur-Seine. O la belle opération! Ça dure une heure, arrosée de vin blanc; on s'insulte puis on tombe d'accord sur le veau choisi tout d'abord. Ce qu'ils sont tout à la fois roublards et bêtes..."

Pour passer le temps, Huysmans prenait des notes sur les habitants de Jutigny, sur les paysans rencontrés au marché ou à l'auberge. Il observait aussi le vieux ménage de cultivateurs qui avait loué à Simonot la ferme de Lourps. Le château abandonné le fascinait au point que, le 6 août, avant de regagner Paris, il se fit concéder la location de quelques pièces dans le château où il comptait revenir l'été suivant.

Le roman qu'il écrit alors, A Rebours, est dédié à Léon Bloy avec ces mots : "A Monsieur Léon Bloy, A Rebours, cette haine du siècle". Le héros, des Esseintes, est supposé né au château de Lourps. C'est le type même du "décadent", chercheur d'imaginations bizarres et d'excentricités morbides, qui réalise le voeu du jeune Barrès de se "réfugier dans l'artificiel".

A Rebours, pages 47 à 57 :

A en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille des Floressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d'athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres. Serrés, à l'étroit dans leurs vieux cadres qu'ils barraient de leurs fortes épaules, ils alarmaient avec leurs yeux fixes, leurs moustaches en yatagans, leur poitrine dont l'arc bombé remplissait l'énorme coquille des cuirasses. […] De cette famille naguère si nombreuse qu'elle occupait presque tous les territoires de l'Ile-de-France et de la Brie, un seul rejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans, anémique et nerveux. […] La mère, une longue femme, silencieuse et blanche, mourut d'épuisement; à son tour, le père décéda d'une maladie vague; des Esseintes atteignait alors sa dix-septième année.
Il n'avait gardé de ses parents qu'un souvenir apeuré, sans reconnaissance, sans affection. Son père, qui demeurait d'ordinaire à Paris, il le connaissait à peine; sa mère, il se la rappelait, immobile et couchée, dans une chambre obscure du château de Lourps. Rarement, le mari et la femme étaient réunis, et de ces jours-là il se remémorait des entrevues décolorées, le père et la mère assis, en face l'un de l'autre, devant un guéridon qui était seul éclairé par une lampe au grand abat-jour très baissé, car la duchesse ne pouvait supporter sans crises de nerfs la clarté et le bruit; dans l'ombre, ils échangeaient deux mots à peine, puis le duc s'éloignait indifférent et ressautait au plus vite dans le premier train.
Chez les jésuites où Jean fut dépêché pour faire ses classes, son existence fut plus bienveillante et plus douce. […] Aux vacances d'été, il partait pour le château de Lourps; sa présence ne tirait pas sa mère de ses rêveries. […] Les domestiques étaient ennuyés et vieux. L'enfant, abandonné à lui-même, fouillait dans les livres, les jours de pluie; errait, par les après-midi de beau temps, dans la campagne.
Sa grande joie était de descendre dans le vallon, de gagner Jutigny, un village planté au pied de collines, un petit tas de maisonnettes coiffées de bonnets de chaume parsemés de touffes de joubarbe et de bouquets de mousse. Il se couchait dans la prairie, à l'ombre des hautes meules, écoutant le bruit sourd des moulins à eau, humant le souffle frais de la Voulzie. Parfois, il poussait jusqu'aux tourbières, jusqu'au hameau vert et noir de Longueville, ou bien il grimpait sur les côtes balayées par le vent et d'où l'étendue était immense. Là, il avait d'un côté, sous lui, la vallée de la Seine, fuyant à perte de vue et se confondant avec le bleu du ciel fermé au loin; de l'autre, tout en haut, à l'horizon, les églises et la tour de Provins qui semblaient trembler, au soleil, dans la pulvérulence dorée de l'air.
Il lisait ou rêvait, s'abreuvait jusqu'à la nuit de solitude; à force de méditer sur les mêmes pensées, son esprit se concentra et ses idées encore indécises mûrirent. Après chaque vacance, il revenait chez ses maîtres plus réfléchi et plus têtu. […]
Il vécut ainsi, parfaitement heureux, sentant à peine le joug paternel des prêtres; il continua ses études latines et françaises, à sa guise, et, encore que la théologie ne figurât point dans les programmes de ses classes, il compléta l'apprentissage de cette science qu'il avait commencée au château de Lourps, dans la bibliothèque léguée par son arrière-grand-oncle Dom Prosper, ancien prieur des chanoines réguliers de Saint-Ruf. […]
Le moment échut pourtant où il fallut […] vendre le château de Lourps où il n'allait plus et où il n'oubliait derrière lui aucun souvenir attachant, aucun regret. […] Il fouilla les environs de la capitale, et découvrit une bicoque à vendre, en haut de Fontenay-aux-Roses, dans un endroit écarté, sans voisins, près du fort.


En août 1885, Huysmans vint passer quelques semaines à Lourps, en compagnie de sa maîtresse Anna Meunier, venue avec Antonine, l'une de ses deux filles, et sa soeur Joséphine. Dans une lettre à son ami Alexis Orsat Huysmans évoque ainsi le château de Lourps : "Une ruine romantique, parfaite comme silence et solitude, mangée de mousse et de lierre, une bâtisse immense avec caveaux et colombiers, pullulant de pigeons et d'hirondelles, battue à tous vents, ayant en somme grand air dans sa détresse". En fait, dans "ce domaine délabré des vieux marquis de Saint-Phale", cinq ou six pièces seulement étaient habitables; il fallait puiser l'eau dans le puits de la cour; le boucher refusait d'y livrer sa viande; le boulanger, de même, déposait le pain dans une hotte au bas de la longue avenue qui montait au château.

Huysmans écrit : "Je vous vois frémir, mon cher ami, à ce résumé peu gargantualesque; mais, somme toute, nous mangeons de la viande et des oeufs chaque jour, en nous y prenant bien. Par contre, la bourgeoise est éreintée pour l'instant. Elle ne dort pas, et est prise de terreur, la nuit, dans cette ruine abandonnée où rien ne ferme. Les gigantesques corridors noirs, l'écho de tous les pas là-dedans, les boucans d'oiseaux l'effraient, quand la pleine nuit arrive. J'espère pourtant qu'elle va se remettre et ne pas écouter les balivernes des paysans qui ne sont pas bien certains que ce château ne soit hanté depuis la mort des vieux Saint-Phale. Joséphine pionce, moi aussi, et Tonine, esquintée de jouer, roupille à poings fermés. Voilà le bilan. Ces jours-ci, nous avons dîné en ville à Jutigny et bu un peu plus que de coutume. La journée, je rêvasse dans de délicieuses allées de bois, je lis sur les pelouses, je vis dans une parfaite quiétude. Le soir, quand nous sommes seuls, le bésigue tue les heures et d'ailleurs le lit est là…"

Dans une lettre à ses amis parisiens Landry et Léon Bloy, on retrouve de nombreux détails utilisés dans le roman.
"Ce que je deviens, mes chers amis, je suis mal et bien romantiquement et naturalistement. J'ai pris possession du château mort de Lourps, un château d'assez bel air, avec un pigeonnier, ses anciens fossés, ses deux cents chambres. Le parc, saccagé et acheté bribes à bribes par des paysans, est encore délicieux, revenu à l'état de nature, poussant des fleurs au hasard, plein d'allées de bois délicieuses pour des promenades lentes — un beau rêve de verdure ensoleillée, une orgie de lierre mangeant des sapins bleus, une débauche de colombes et d'hirondelles vacarmant dans les combles du château des marquis de Saint-Phale, abandonné, ruiné, émietté, exquis avec ses caveaux des vieux temps, ses espaliers, sa porte donnant sur une vieille église envahie de mousse et habitée par des corbeaux. Voilà le côté romantique — je le savoure fort, rêvassant dans ces jardins solitaires et détraqués, passant de quiètes heures sur des gazons où l'on aperçoit les traces d'anciennes corbeilles rases...
Quant au côté naturaliste, il est autre. C'est le radeau de la Méduse ! On est plus loin de tout que si l'on était dans une île, loin de tout continent. Pour avoir du pain, il faut mettre une hotte en bas de l'immense avenue seigneuriale, éreintée, hélas! par de sombres coupes. Le boulanger laisse un pain qu'on va chercher le soir — même contre argent la bouchère ne veut pas gravir le coteau où je suis juché. Et quant au vin, j'ai du faire venir une demi-feuillette ne pouvant me procurer du vin au litre. D'autre part, sur les deux cents chambres du château, cinq ou six sont habitables, les autres s'effondrent ou sont habitées par les oiseaux. Et l'installation est désolante. Impossible d'avoir des chaises en nombre; on n'a pas l'idée d'une sauvagerie de pays pareille! La question de la mangeaille prend des proportions inouïes et, chose plus grave, la question pécuniaire devient simplement effrayante. Les pièces vingt francs s'émiettent à faire trembler — tout est à acheter — depuis la vaisselle jusqu'au pain. Ça va mal finir. Bref, le côté naturaliste est purement ipécacuanesque! — ajoutez à cela que, dans cet isolement, rien ne ferme, ni fenêtres ni portes, que nous sommes entourés de bois, que la bourgeoise a peur, la nuit, dans cette bâtisse mal hantée, suivant les dictons du pays. Voilà le bilan de la petite fête — une vraie balance de quiétudes et chieries! — au fond, je la prends tout de même du côté de la quiétude, car il y a l'air tonique merveilleux et des apaisements d'esprit que l'on ne pourrait trouver ailleurs. Et vous? et Bloy? Je ne cesse de penser à lui. — Où en est-il — opère-t-il dans les cochonailles religieuses de la veuve Lebel (Bouasse) — arrive-t-il à surnager dans la tinette liquide qu'est l'abominable vie? — Je le veux ici, car le souverain bromure de cette campagne pourrait, seul, le pacifier et le remettre des affreuses secousses qu'il a supportées. — Je me débats pour cela. La nourriture n'est rien, avec de savantes combinaisons, on y arriverait. C'est la question du coucher qui est la plus ardue. Je vais essayer de trouver au moins une paillasse et des draps — je pense y arriver — mais des couvertures et un oreiller, c'est impossible ! Ne pourrait-il en faire un petit ballot, s'il venait? — Au reste, je vais aller dans un autre village demain, voir si je trouverais des ressources à ce propos. L'auberge dont nous avons parlé est trop loin, trop incommode, ça n'est possible qu'en couchant au château — les chambres tenables y existant. Je voudrais, mon cher Landry, vous voir aussi, car ce château en ruines vous délecterait — j'en suis sûr — songez-y donc — pour une nuit, on s'arrangerait toujours. Il ne s'agit que de vouloir. A part tout cela, je dégueule mentalement sur l'humanité, les journaux que je reçois activent ma fureur, me fouettent l'esprit! Ah! Bloy! je suis plein de rage, prêt à vomir à pleins pots avec vous, sur la salauderie contemporaine — Nous aurions de bien bonnes journées à passer ensemble — se serait quand même, en dépit du dépotoir pécuniaire où une diabolique providence nous plonge, comme des mouillettes dans un oeuf, un havre de quelques secondes, une rade provisoire, mais réelle — une halte contre les poursuites de la grande muflerie. Donnez-moi des nouvelles de M. d'Aurevilly, de Mlle Read, — dites-moi si quelque événement n'est pas survenu dans la monotonie de votre existence rasée, si — impur Landry — de fangeuses délices ne vous ont pas surpris, depuis mon départ, le jour consacré aux charmes vénéréiques, le samedi. Ecrivez-moi, mes chers amis, — j'attends de vous, auxquels je pense, quand les heures que je voudrais vous faire partager sont bonnes, des nouvelles — A bientôt, n'est-ce pas? Votre, Huysmans. Anna, Josephine, Tonine me chargent de vous embrasser — ce que je fais ».

Georges Landry, retenu à Paris par ses occupations de comptable, ne put accepter cette invitation. Léon Bloy – qui travaillait alors dans une officine à enluminer des souvenirs de première communion – débarqua donc à Jutigny le 2 ou 3 septembre, apportant un oreiller et des couvertures et dévisageant d'un air féroce les villageois ahuris.

Ils passèrent ensemble quatre journées de plein air et d'entière liberté. Tous deux aimaient les jardins, Léon Bloy comme un sylvestre, Huysmans en amateur de fleurs phénoménales. Près du puits, assis, de peur des aoûtats, sur des pliants de jardin, ils discutaient littérature, Huysmans s'efforçant en vain de faire partager son admiration pour Stéphane Mallarmé; le soir, ils se lisaient à tour de rôle un roman de Joséphin Péladan, Curieuse, qui paraissait alors en feuilleton, et les vieux murs du château retentissaient de leur rire homérique.

Mais la pluie vint gâter cette partie de campagne et, ne se résignant ni à patauger dans la boue ni n s'enfermer tout le jour dans des pièces humides, les deux amis quittèrent Lourps le 7, après avoir prié le bon Landry de les "récolter" à la gare de l'Est le dimanche soir (René Martineau. Promenades biographiques, p. 73-79).

Léon Bloy écrit à propos de cette escapade à Lourps :
– Le 5 septembre 1885, dans une lettre aux Montchal de Genève: "Huysmans, qui me désirait, m'avait envoyé quelques sous, mais cela ne suffisait pas. Je ne me suis trouvé libre qu'un instant avant de partir et j'ai failli manquer le train. Tout cet effort de deux hommes malheureux pour arriver à ce pauvre résultat de me faire quatre jours à peine de solitude et de paix."
– Le 5 septembre dans une lettre à Mme L'Huillier: Le souffrant des Esseintes va reprendre, lui aussi, ses tourments, comme homme de génie attelé à la charrette de vidangeur de l'administration. Quelle monstrueuse destinée!"
– Ailleurs  : "Ce vieux manoir seigneurial, complètement abandonné depuis un demi-siècle est actuellement la propriété d'un ami de Huysmans qui lui donne l'hospitalité chaque année à l'époque des vacances. Hospitalité peu onéreuse d'ailleurs pour ce rustre, qui ne donne absolument que le local, entièrement disponible à cause du délabrement et de l'insécurité. Sur trois cents chambres, une demi-douzaine au plus sont habitables. Le reste est occupé par des familles de chats-huants, de corbeaux, de rats et de pigeons. Je vous écris en ce moment sous les ailes déployées d'un aigle empaillé suspendu au plafond ruineux d'une immense chambre lambrissée où tiendraient à l'aise tous les médiocres princes de l'Europe contemporaine — symbole poussiéreux de leur majesté décrépite..."
– Ailleurs, il dira de Lourps qu'il fut "un chenil sinistre", "une rade de malédiction".


A la fin de l'été 1886, Huysmans retourna passer quelques semaines au château de Lourps.  Il s'était aménagé, premier étage au du château, presqu'à l'extrémité du grand couloir, un cabinet de travail attenant à sa chambre à coucher.

Il n'a que 37 ans, mais il se sent las. Non seulement il est inquiet pour Anna Meunier, vainement soignée, mais il souffre lui-même d'une dépression morale que confirment ses lettres et son oeuvre, A Rebours, mais aussi Un Dilemme, "cette simple histoire, dit-il, destinée à témoigner une fois de plus de l'inaltérable saleté de la classe bourgeoise". Par surcroît des soucis financiers le hantent, car son affaire de brochage, à Paris, rue de Sèvres, est en déconfiture, et s'il y a demain faillite, il perdra, de ce fait, sa maigre position au Ministère. Il est anxieux, désolé, exaspéré, plus que jamais pessimiste et acerbe.

Il commença alors à écrire En Rade, s'inspirant de son séjour de l'année précédente : lui-même prendra le nom de Jacques Marles (d'après Marles-en-Brie, à 20 km au sud-ouest de Coulommiers), Anna Meunier (cette Anna aux yeux bleus, dont Gustave Guiches parle dans Le Banquet de 1826) sera sa femme Louise, Jules et Honorine Legueux deviendront Antoine et Norine. Et le désarroi des deux Parisiens en vacances, c'est celui de l'écrivain et de sa maîtresse.


.En Rade est le récit du séjour dans le domaine de Lourps de deux malheureux Parisiens, Jacques Marles et sa femme Louise. En proie aux soucis d'argent, à toutes les misères de la vie, ils se sont exilés dans la solitude auprès d'un oncle, régisseur du château. Mais le château est en ruine, la campagne est sinistre et l'oncle est une patibulaire canaille. Le thème du roman est l'inconfort et les déceptions de la vie à la campagne. Les idées fausses du vulgaire et les illusions des romantiques y sont battues en brèche. Les paysans qu'il décrit, le père Antoine et tante Norine, ne sont pas les idylliques créatures de George Sand, ni les satyres bavards de Zola, mais des brutes rusées et silencieuses. Les blés d'or de la tradition ont pour lui "une couleur d'orange sale" et les moissonneurs chéris des poètes et des peintres y sont présentés comme "des gens dépoitraillés et velus, puant le suint et qui sciaient en mesure des taillis de rouille".

Huysmans a présenté ainsi son livre : "Si l'âme de l'auteur est complexe, la fiction de son livre est, en revanche, d'une ingénuité linéamentaire... C'est l'histoire pure et simple d'un pauvre diable d'homme distingué, mais faiblement doué du génie des affaires, qui, ruiné de la veille par la faillite judicieuse d'un alerte banquier, espère trouver un peu de relâche à ses tourments dans une solitude de la Brie où les parents de sa femme, paysans peu connus de lui, ont offert l'hospitalité d'un amas de décombres à ces Parisiens décavés dont ils ignorent la détresse. Jacques Marles ne tarde guère à découvrir l'ignoble cupidité de ses hôtes qui ne l'ont attiré dans leur taudis que dans l'espoir de le carotter à cœur de journée, et ceux-ci, non moins rapides à subodorer sa pénurie, ne se donnent bientôt plus la peine de dissimuler leur cannibalisme de naufrageurs. On voit d'ici la charmante villégiature de ce malheureux dévoré d'inquiétude pour le plus prochain avenir, bourrelé par sa femme malade qui ne lui pardonne pas ses imprévoyances, forcé de disputer à chaque instant ses dernières ressources à la sordide improbité de tout un pays, casemate dans un chenil inhabitable et sinistre qui n'offre même pas la compensation d'un intérêt archéologique, opprimé par de démentielles hallucinations nocturnes qui paraissent tenir aux aitres inexpliqués de ce château défunt, enfin, réduit à prendre la fuite pour échapper à la démontante horreur de cette rade de malédiction."

Dans ce récit féroce, Huysmans a introduit curieusement le récit des trois rêves, sans doute pour faire la leçon aux Naturalistes à qui il reprochait de "rejeter le suprasensible, de nier le rêve" et de ne pas comprendre que "la curiosité de l'art commence là où les sens cessent de servir". Il voit apparaître Esther et Assuérus, il fait un voyage onirique dans la lune et un cauchemar à Paris dans le quartier de Saint-Sulpice.

"Il y avait pour l'infatigable rêveur des nuits plus sereines. En compagnie de sa femme, Louise, il explora, toujours pendant son sommeil, le monde lunaire. « C'était, dit-il, au-delà de toutes limites, dans une fuite indéfinie de l'oeil, un immense désert de plâtre sec, un Sahara de lait de chaux figé, dans le centre duquel se dressait un mont circulaire, gigantesque, aux lianes Jahoteux, troués comme des éponges, micacés de points étincelants comme des points de sucre, à la crête de neige dure, évidée en forme de coupe..." Suivent des pages de descriptions à ravir un Camille Flammarion. On sent que le naturalisme ne suffisait plus au romancier; il tendait chaque jour à s'évader davantage de ce monde matériel qui ne l'avait jamais satisfait complètement, mais qu'il décrira toujours d'un style si personnel.

Léon Bloy accueillit le livre par un article louangeur : "Une occasion superbe de baver se présente inopinément. Que la multitude des visqueux soit dans l'allégresse : En Rade vient de paraître!… Jamais les paysans n'avaient été peints dans cette éclairante et vigoureuse tonalité. Ils se démènent, gueulent et bâfrent à la façon des Flamands de Téniers et de Van Ostade…"

Zola reprocha à Huysmans d'avoir mélangé les genres : "J'aurais préféré les paysans d'un côté, les rêves de l'autre… Il me semble que l'opposition que vous avez voulue ne se produit pas, ou du moins se produit avec une confusion que n'est pas de l'art". (lettre du 1er juin 1887). Huysmans lui répondit qu'il était d'accord avec ces critiques : "Quant à votre opinion sur les jambes différentes de ce pantalon, l'une réelle, l'autre en l'air, elle est hélas! la mienne. Vos réflexions sont absolument justes. Je me suis mis dedans, en vertu d'une idée préconçue, d'une division arrêtée d'avance : le jour, la réalité; la nuit, le rêve. Et remarquez, étant donné cette idée, que j'eusse infiniment mieux fait de l'appliquer dans toute sa rigueur, de faire, alternativement, un chapitre de réalité et un de songe. Ça n'aurait pas été meilleur et ça n'aurait pas empêché le cahotage, mais ça aurait toujours mieux valu que de semer ces trois grands diables de chapitres qui ont un peu l'air de venir à l'hazard de la fourchette."


ANALYSE DU ROMAN

Voici d'abord l'oncle Antoine et Norine : "C'était un tout petit vieillard, maigre comme un échalas, noueux comme un cep, boucané comme un vieux buis. La face ratatinée, vergée de fils roses sur les pommettes, était trouée de deux yeux glauques, flanquant un nez osseux, court, pincé, tordu à gauche, sous lequel s'ouvrait une large bouche hersée de den's aiguës très fraiches. Deux bouts de favoris, en pat tes de lapin, descendaient de chaque côté des oreilles écartées du crâne; partout, sur la figure, au-dessus des lèvres, dans les salières des joues, dans les fosses du nez, sur les creux du col, des poils durs poussaient, fermes comme des poils de brosse, poivre et sel comme ses gros cheveux qu'il rabattait avec les doigts sous sa casquette. Debout, il était un peu courbé, et, de même que la plupart des paysans de Jutigny qui ont travaillé dans les tourbières, il avait des jambes de cav ilier, évidées en cercle. Au premier abord, il semblait rétrignolé, chétif, mais à regarder l'arc tendu du buste, les bras musculeux, la tenaille tannée des doigts, l'on soupçonnait la force de ce criquet que les fardeaux les plus pesants ne pouvaient plier. Et Norine, sa temme, était plus robuste encore; elle aussi avait dépassé la soixantaine; plus grande que son mari, elle était encore plus maigre; ni ventre, ni gorge, ni râble et des hanches en fer de pioche; rien en elle ne rappelait la femme. Le visage jaune, quadrillé de rides, )aviné de raies comme une carte routière, chiné de même qu'une étoffe tout le long du cou, s'allumait de deux yeux d'un bleu clair étrange, des yeux incisifs, jeunes, presque obscènes, dans cette face dont les sillons et les grilles marchaient, au moindre mouvement des paupières et de la bouche. Avec cela, le droit pointait nez en lame et remuait du bout en même temps que le regard. Elle était à la fois inquiétante et falote, et la bizarrerie de ses gestes ajoutait encore au malaise de sesyeux trop clairs et au recul de sa bouche dépourvue de dents. Elle paraissait mue par une mécanique, sans jointure, se levait d'un seul morceau, marchait tel qu'un caporal, tendait le bras ainsi que ces automates dont on pousse le ressort; et, assise, sans s'en douter, elle affectait des poses dont le comique finissait par énerver; elle se tenait dans l'attitude rèveuse des dames représentées dans les tableaux du premier Empire, l 'oeil au ciel, la main gauche sur la bouche, le coude soutenu par la paume de la main droite."
*
La première nuit Jacques Marles crut le château hanté. "Il entendit, dans l'escalier, au travers de la porte mal jointe, un bruit de pas, frôlant d'abord légèrement les marches, puis titubant presque, se cognant enfin avec lourdeur contre les barreaux de la rampe. Il sauta du lit. saisit une boite d'allumettes, ouvrit la porte. "Voyons, se dit-il, scrutant l'étage au-dessus, il ne faudrait pourtant pas se faire couper la retraite. Il hésitait; un bruit bref qu'il entendit en dessous, dans le vestibule le décida; il s'arrêta, étreignant sa canne et, au tournant de l'escalie, il plongea en bas. Rien. – Dans les lueurs louvoyantes de la bougie, son ombre seule remuait..." Après une chasse éperdue dans les différentes pièces du château, "découragé, il se décidait à remonter quand un bruit d'orage retentit soudainement au-dessus de sa tête dans l'escalier; il s'avança. En l'air quelque chose d'énorme emplissait en la ventilant, la cage. La bougie, comme secouée par une bourrasque, coucha sa flamme, dardant d'acres jets de fumée, éclairant à peine; il n'eut que le temps de se reculer, de s'arc-bouter sur une jambe, de cingler à toute volée, de sa canne d'épine dure à côtes, la masse tourbillonnante qui s'affaissa dans un cri strident... Dans un souffle ronflant de forge, deux rouelles de phosphore en flamme se jetaient sur lui. Alors il recula et frappa, piquant comme avec une épée dans deux trous de feu, coupant comme avec un sabre, tapant de toutes ses forces sur la masse hurlante qui se débattait, butant contre les murs, ébranlant la rampe. Il s'arrêta exténué enlin, regarda, stupide, le cadavre d'un énorme chat-huant dont les serres crispées rayaient le bois ensanglanté de gouttes."
*
Au début de son séjour, Jacques visita minutieusement le château et ses dépendances, "découvrant que l'étage et le toit dataient du siècle dernier (XVIIIe), alors que les assises remontaient au temps du moyen âge". En entrant dans le pigeonnier, vrai colombier briard "alvéolé comme un dedans de ruche, muni au centre d'une échelle montée sur pivot", il fut étourdi par "un immense effroi d'ailes s'entrechoquant... en même temps qu'un vorace fumet d'ammoniaque lui picorait la muqueuse du nez et la frange des yeux.
*
Sensation toute différente de celle qu'il éprouva dans l'ancien cabinet de toilette de la marquise de Saint-Phalle. "Une étrange odeur s'échappait de cette pièce, une odeur de poussière tiède, au fond de laquelle filtrait comme un parfum très effacé d'éther. Ce relent l'attendrit presque, car il suscitait en lui les dorlotantes visions d'un passé défait; il semblait la dernière émanation des senteurs oubliées du XYlIIe siècle, de ces senteurs à base de bergamote et de citron, qui, lorsqu'elles sont éventées, fleurent l 'étlier. L'âme des flacons autrefois débouchés revenait et souhaitait une plaintive bienvenue au visiteur de ces chambres mortes.
*
Dans l'ancienne bibliothèque du château, "les armoires avaient perdu leurs vitres dont les éclats craquaient souliers, sous ses dès qu'il bougeait; le plafond se cuvait par places, s'écaillait, pleuvait les pellicules de ses plâtres sur la poudre du verre qui sablait le plancher de petites lueurs; derrière lui, le jeune homme s'aperçut qu'un sureau poussait, au travers d'une fenêtre crevée, dans la pièce et époussetait de ses branches les loupes et les cloques soulevées par l'humidité des murs. En bas, en haut, tout s'avariait, se porphyrisait, s'écalait, se cariait, tandis qu'en l'air d'énormes araignées de grange, estampées sur le dos d'une croix blanche, se balançaient, dansant de silencieuses chaconnes, les unes en face des autres, au bout d'un fil."
Le jardin à l abandon offrait l'aspect d'un «jardin fou, une ascension d 'arl)res, montant en démence dans le ciel. » La forme des parterres subsistait à peine. « Des plants de buis, ... les uns étaient morts et les autres avaient poussé, ainsi que des arbres, et ils semblaient, comme dans les cimetières, ombrager des tombes perdues dans l'herbe. »
*
Au-delà de la propriété passait "une route chinée de raies de soleil". Dès que Jacques eut atteint le chemin, il "se sentit allégé; les talus d'herbe étaient secs; il s'assit, et, d'un coup d'oeil, enfila les tours, les vergers, les bois, oublia ses ennuis, imprégné qu'il fut subitement par l'engourdissante tiédeur de ce paysage dont les souterraines effluves lui déglaçaient l'àme". Au retour il s'amusait à regarder picorer les poules, s'intéressait aux canards "faisant clapoter la pince citron de leur bec contre un morceau de vieux bois", puis, s'étendant sur une pelouse du jardin, s'endormait "le dos douillettement emboîté dans la ouate des mousses, la face lentement rafraîchie par l'éventail résineux des pins."
*
L'après-midi parfois, las de sa solitude, il quittait le château et allait se promener sur les côtes de la Renardière. C'était au commencement de la moisson. "Jacques demeura ébloui par le soleil, suant des averses, ébahi de voir ces Belges parfaitement secs, coupant le blé, d'une main, le couchant, de l'autre, sur leurs crochets. Quelle fournaise ! pensa le jeune homme, qui s'assit en tailleur et se tassa, cherchant à s'abriter le corps dans le cercle d'ombre projeté par les ailes de son large chapeau de paille. Et quelle blague que l'or des blés ! se dit-il, regardant au loin ces bottes couleur d'orange sale, réunies en tas. Il avait beau s'éperonner, il ne pouvait parvenir à trouver que ce tableau de la moisson si constamment célébré par les peintres et les poètes, fùt vraiment grand. C'était, sous un ciel d'un imitable bleu, des gens dépoitraillés et velus, puant le suint, et qui sciaient en mesure des taillis de rouille. Combien ce tableau semblait mesquin en face d'une scène d'usine ou d'un ventre de paquebot, éclairé par des feux de forges !"
*
De retour au château, les préoccupations l'assiégeaient avec la maladie de sa femme et la difficulté des approvisionnements. Il fallut faire venir de Bray une feuillette de vin; mais le père Antoine, sous prétexte de le mettre en bouteilles, l'avait fortement additionné d'eau. "C'était une zélée piquette qui s'empressait à rappeler tout d'abord le goût du raisin, puis qui vous laissait, quand on l'avait bu, un fumet de futaille rincée sous une pompe". S'ajoutaient àcela des difficultés avec le boulanger et le boucher, augmentant les tracas du malheureux ménage.
*
Puis la grande chaleur éclata, infligeant d'indicibles tortures à ces nerveux. Ils souffrirent des piqûres d'aoutats jusqu'à ce que la pluie vînt les en délivrer. Mais, après deux jours d'averses, l'humidité rendit le château intenable. La pluie entra de toutes parts, les chambres suèrent; la nourriture resserrée dans les placards moisit et une odeur de souffla dans l'escalier vase en larmes".
*
La distribution du courrier constituait l'événement du jour. Le facteur, du nom de Mignot, était "un fabuleux pochard" qu'un verre de vin avalé d'un seul coup "creusait", selon son expression, et qui engloutissait sans se faire prier un bloc de pain fourré d'un morceau de viande. "Il était coiffé d'un immense chapeau de paille, entouré d'un ruban noir sur lequel était peint à l'huile, en lettres rouges, le mot 'poste', et sur sa blouse en toile bleue, à parements garance, il portait une sacoche". Sa conversation égayait un peu les Parisiens. Une année d'élections législatives, le père Mignot, ayant fait une chute sérieuse dans un fossé sur la route de Donnemarie, les deux candidats lui envoyèrent chacun leur médecin jusqu'à deux fois par jour. On lui apportait "du bon bordeaux, du chenu". Et le digne facteur d ajouter : "Une fois les votes finis, aussi vrai que je vous le dis, j'ai jamais vu les médecins et le vin; et qu'il a fallu que je me soigne à mes frais encore !"
*
Le triste couple s'ennuyait et fut heureux d'accueillir le chat de la tante Norine, "un grêle matou, mal nourri et laid, mais affectueux". Cette distraction devait être de courte durée et devenir vite, pour Louise surtout, l'occasion d'atroces émotions. L'agonie du pauvre animal empoisonna la fin de leur séjour.
*
Bientôt le temps revenu au beau permit quelques promenades. Jacques visita les villages alentour, mais y prit peu d'intérèt. Il vit Savins, mais ne paraît pas avoir remarqué l'église pourtant si curieuse. Il ne poussa même pas jusqu'à Provins, dont il apercevait les tours à l'horizon.
*
Un dimanche après-midi, le père Antoine l'emmena au café à Jutigny, ce qui nous vaut une description pittoresque et malicieuse de l'endroit.
*
Pour se distraire Jacques résolut d'explorer les caves du château de Lourps. "Il emprunta une lanterne à l'oncle Antoine qui poussa de hauts cris, déclarant que cela portait malheur d'entrer sous le château. Energiquement il refusa de suivre Jacques". Celui-ci "descendit la spirale tiède et humide des marches et aboutit à une sorte de porche, taillé en ogive, soutenu par des colonnes dont les blocs d'un gris jaunâtre, piquetés de points noirs, étaient semblables à ces pierres, lissées par l'usure des temps, qui éclairent les masses austères des vieux portails. L'antiquité de ce château dont la fondation remontait à la période de l'art gothique, s'affirmait dès l'entrée de cette cave. Il ambula dans de longs cachots aux murs énormes et aux plafonds en arc, hérissés d'artichauts de fer et de crocs pareils à des fers de gaffe... Il regardait étonné, la surprenante épaisseur de ces murs dans lesquels apparaissaient,'de temps à autre, au bout d'un creux d'au moins deux mètres, des soupiraux, debout, en forme d'I. Toutes ces caves étaient identiques, rejointes entre elles par des portes sans battants et vides. Mais, se dit-il, toutes ne sont point là; et, en effet, étant donnée la superficie du château, cette rangée de pièces occupait le dessous de l'une de ses ailes. D'autre part, le terrain frappé sonnait le creux; tout était bouché. Il chercha la place des allées de communication; mais les murailles étaient d'un deuil uniforme et le sol semblait en terre battue de suie; d'ailleurs la lanterne éclairait trop mal pour qu'il put examiner attentivement la soudure des moellons et vérifier les patines des pierres. Somme toute, il avait cru découvrir des corridors immenses, des souterrains à perte de vue ; tout cela était clos. — Mais, sans doute, mon neveu, qu'il y a des souterrains et ils sont connus dans le pays. Je compte qu'ils vont tant qu'à Séveille, le village qu'est à une portée de fusil loin de Savin. On dit aussi qu'ils emmènent sous l'église ; oh ! c'est bouché depuis tant d'ans qu'on ne sait plus... Plusieurs fois, Jacques revint à la charge, espérant décider le vieux à pratiquer des brèches, car, à défaut des trésors auxquels il ne croyait guère, le jeune homme souhaitait de déterrer de curieux vestiges... Mais il dut renoncer à ses fouilles devant l'effroi du père Antoine et c'est vraiment dommage. "Il y a, disait le bonhomme, des airs coléreux là-dedans qui suffoquent".
*
le père Antoine, tombé malade, s'alita durant quelques jours. Jacques alla lui faire visite dans sa chaumine, s'amusant à examiner l'unique pièce "avec ses vieux chaudrons de cuivre, ses antiques landiers sur lesquels se tordaient les rouges serpents des bourrées sèches, ses deux alcôves garnies chacune d'une couchette, séparées par un gigantesque buffet de noyer ciré, son coucou à fleurs, ses assiettes barbouillées de rose et de vert, ses larges poêles de fonte noire, à queues munies d'une boucle, longue d'une aune. Tous ces pauvres ustensiles s'étaient accordés avec le temps qui avait adouci la crudité des tons et marié le brun chaud du noyer plein, au noir velouté de suie des coquemars et au jaune froid et clair des bassines."
*
Mais sa plus agréable impression du pays, c'est vers la fin de son séjour, dans une prairie immense qu'il l'éprouva. "Jacques demeura surpris par l'étendue de ce paysage, couché à plat, sous un firmament dont la courbe semblait atteindre la terre à l'horizon, là-bas, dans un lointain bouqueté par des touffes d'arbres. Au milieu de cette prairie courait un sentier bordé de saules, aux troncs bas, aux feuillages bleuàtres dégageant comme une fumée dès que le vent soufflait. En avançant, il s'aperçut qu'entre cette haie serrée de saules coulait une minuscule rivière, la Voulzie, moirée de cercles de bistre par les sauts capricants des araignées d'eau La rivière célébrée par Hégésippe Moreau serpentait en de délicieux et frais méandres, se lovait à certaines places en des boucles toutes bleues au fond desquelles frétillaient, en tournant sur eux-mêmes, les feuillages dédoublés des rives, puis elle se déroulait, s'allongeait en ligne droite, emmenant avec elle tout un courant de ciel entre ses deux bords. Un rayon de soleil dora le pelage du pré ; le vent accéléra la course des nuages qui se grumelaient comme un lait caillé, au loin, et il les poussa au-dessus de la Voulzie dont l'azur se pommela de taches blanches. Une odeur frigide d'herbes, une senteur fade, légèrement salée d'ocre, monta de ce sol vert estampé de marques brunes par les sabots du bétail".
*
Il apprécia aussi le cimetière de Lourps, "ce petit coin si placide et si douillet; il lui sembla que là seulement il pourrait pactiser avec ses transes et bercer l'insomnie de ses pensées tristes. On était si loin de tout, si caché, si seul !
*
"Il suivit, dans les hautes herbes, un hésitant sentier qui menait à une porte creusée dans le flan de l'église, il l'ouvrit et déboucha dans une nef badigeonnée au lait de chaux. Cette église était en longueur, sans transept..., fermée simplement par quatre murs le long desquels de minces colonnes disposées en faisceaux s'élançaient jusqu'aux arceaux des voûtes. Elle était éclairée par des rangées de fenêtres se faisant face, des fenêtres en ogive à courtes lancettes, mais dans quel état ! les pointes des lancettes cassées, rafistolées avec des morceaux de ciment et des bouts de briques, les verrières remplacées par des vitres divisées en de taux losanges de papier de plomb ou laissées, telles quelles, vides, la voûte éraillée perdant les eschares de sa peau de plâtre, pliant, surmenée sous la pesée du toit. Il se trouvait dans une ancienne chapelle de style gothique démolie par le temps et mutilée par des maçons. "Les chats-huants et les corbeaux entraient librement dans l'église par les trous des vitres... Sur le pavé du sanctuaire, sur les stalles pourries de bois, sur les bancs de l'autel même, c'était un amas de blanches immondices, une vidange d'oiseaux carnivores, ignoble !"
*
Jacques Marles ne fait qu'exprimer tous les dégoûts de Huysmans qui ne trouva pas en province ("la province m'horripile" dira-t-il) la détente qu'il espérait. Les séjours à la campagne ne parvenaient pas à tuer son angoisse : "Encore une semaine et il faudra reboucler les malles, gagner la ville et chercher des fiacres. Puis ce sera l'étourdissante trémie d'un wagon gorgé d'un tas d'êtres dont les faces répugnent; ce sera la rentrée dans Paris, et, après un somme dépaysé, le lendemain recommenceront tous les dégoûts d'une existence meurtrie par les douloureux trafics de la pensée, par les conjectures sans cesse trompées des sens, par les perspicaces antipathies qu'il faudra tâcher de vaincre pour manger du pain et payer un terme!"


QUELQUES EXTRAITS DE EN RADE

En Rade opère une véritable transfiguration littéraire du domaine de Lourps. Le héros, Jacques Marles, le découvre d'abord, la nuit, comme une demeure fantastique, dans laquelle il erre à travers des enfilades de chambres muettes et chancies. Puis, au soleil du matin, il fait connaissance avec le verger dominé par la masse de l'église, avec la cour et son vieux puits surmonté d'une sorte de pagode en tôle terminée par un croissant de fer posé sur une boule, dont le treuil eût avantageusement figuré parmi les instruments de torture du Moyen Age, avec la maison elle-même composée d'une aile d'un étage, d'une tour carrée contenant l'escalier puis, en retour d'équerre, d'une autre aile avec les croisées du bas taillées en ogive. [Cette aile "en retour d'équerre" a été détruite pendant la dernière guerre; il n'en reste que la trace cimentée sur le sol de la cour.]
Les jours suivants, Jacques se livre à de véritables explorations : dans le pigeonnier isolé dans la basse-cour, dans le jardin retourné à l'état sauvage, dans le château, véritable labyrinthe où il découvre l'ancienne bibliothèque et la chambre de la marquise de Saint-Phal, dans les caves, longs cachots aux murs énormes avec des promesses de souterrains et de trésors cachés, dans le cimetière, si placide et si douillet, dans l'église enfin, où il découvre les pierres tombales des anciens seigneurs de Lourps.

P. 41 à 50

Le soir tombait; Jacques Marles hâta le pas; il avait laissé derrière lui le hameau de Jutigny et, suivant l'interminable route qui mène de Bray-sur-Seine à Longueville, il cherchait, à sa gauche, le chemin qu'un paysan lui avait indiqué pour monter plus vite au château de Lourps.
La chienne de vie! murmura-t-il, en baissant la tête; et désespérément il songea au déplorable état de ses affaires; […] chez lui, une meute de créanciers, flairant la chute, aboyant à sa porte avec une telle rage qu'il avait dû s'enfuir; à Lourps, Louise, sa femme, malade, réfugiée chez son oncle régisseur du château possédé par un opulent tailleur du boulevard qui, en attendant qu'il le vendît, le laissait inhabité, sans réparation et sans meubles.
C'était là le seul refuge sur lequel lui et sa femme pussent maintenant compter; abandonnés de tout le monde, dès la débâcle, ils pensèrent chercher un abri, une rade, où ils pourraient jeter l'ancre et se concerter, pendant un passager armistice, avant que de rentrer à Paris pour commencer la lutte. Jacques avait été souvent invité par le père Antoine, l'oncle de sa femme, à venir passer l'été dans ce château vide. Cette fois, il avait accepté. Sa femme était partie pour la commune de Longueville sur les confins de laquelle s'élève le château de Lourps; lui, était resté dans le train jusqu'à la station des Ormes où il était descendu, dans l'espoir de recouvrer quelques sommes. […]
L'extérieur spectacle du paysage refoula pour quelques minutes les visions internes. Ses yeux s'arrêtèrent sur la route, cherchèrent à voir et leur attention détourna les transes du coeur qui se turent. A sa gauche, il aperçut enfin le sentier qu'on lui avait signalé, un sentier qui montait, en serpentant, jusqu'à l'horizon. Il longea un petit cimetière aux murs bordés de tuiles roses et s'engagea dans un chemin creusé de deux ornières glacées par des fers de roues. Autour de lui s'étendaient des enfilades de champs dont le crépuscule confondait les limites, en les fonçant. Sur la côte, au loin, une grande bâtisse emplissait le ciel, pareille à une énorme grange aux traits noirs et durs, au-dessus de laquelle coulaient des fleuves silencieux de nuées rouges.
— J'arrive, se dit-il, car il savait que, derrière cette grange qui était une vieille église, se cachait dans ses bois le château de Lourps.
Il reprenait un peu courage, regardant s'avancer vers lui ce bâtiment percé de fenêtres qui, se faisant vis-à-vis au travers de la nef, flambaient traversées par l'incendie des nuages.
Cette église noire et rouge, à jour, ces croisées semblables, avec leurs rosaces étoilées de filets de plomb, à de gigantesques toiles d'araignées pendues au-dessus d'une fournaise, lui parurent sinistres. Il regarda plus haut; des ondes cramoisies continuaient à déferler dans le ciel; plus bas, le paysage était complètement désert, les paysans tapis, les bestiaux rentrés; dans l'étendue de la plaine, en écoutant, l'on n'entendait, au loin, sur des coteaux, que l'imperceptible aboiement d'un chien. […]
Parvenu en haut de la côte, il se retourna. La nuit était encore tombée. L'immense paysage, sans profondeur pendant le jour, s'excavait maintenant comme un abîme; le fond de la vallée, disparu dans le noir, semblait se creuser à l'infini, tandis que ses bords rapprochés par l'ombre paraissaient moins larges; un entonnoir de ténèbres se dessinait là où, l'après-midi, un cirque descendait de ses étages en pente douce.
[…] Il songea à sa femme, frissonna, reprit sa marche. Il touchait à l'église; près du portail, au coude du chemin, il aperçut, à deux pas devant lui, le château de Lourps. Cette vue dissémina ses angoisses. La curiosité d'un château dont il avait longtemps entendu parler, sans l'avoir vu, l'étreignit, durant une seconde; il regarda. Les nuées guerroyantes du ciel s'étaient enfuies; au solennel fracas du couchant en feu avait succédé le morne silence d'un firmament de cendre; çà et là, pourtant, des braises mal consumées rougeoyaient dans la fumée des nuages et éclairaient le château par derrière, rejetant l'arête rogue du toit, les hauts corps de cheminée, deux tours coiffées de bonnets en éteignoir, l'une carrée et l'autre ronde. Ainsi éclairé, le château semblait une ruine calcinée, derrière laquelle un incendie mal éteint couvait. Fatalement, Jacques se rappela les histoires débitées par le paysan qui lui avait indiqué la route. le chemin en lacet qu'il avait parcouru s'appelait le chemin du Feu parce que jadis il avait été tracé, à travers champs, la nuit, par le piétinement de tout le village de Jutigny qui courait au secours du château en flammes.
La vision de ce château, qui paraissait brûler sourdement encore, exaspéra son état d'agitation nerveuse qui, depuis le matin, allait croissant. Ses sursauts d'appréhensions interrompues et reprises, ses saccades de transes, se décuplèrent. Il sonna fébrilement à une petite porte, percée dans le mur; le bruit de la cloche qu'il avait tirée l'allégea. Il écoutait, l'oreille plaquée contre le bois de la porte; aucun bruit de vie derrière cette clôture. Ses frayeurs galopèrent aussitôt; il se pendit, défaillant, au cordon de la cloche. Enfin, sur un craquement de graviers, des galoches claquèrent; un crissement de ferraille s'agita dans la serrure; on tirait vigoureusement la porte qui tressaillait, mais ne bougeait point.
— Poussez donc! fit une voix.
Il lança un fort coup d'épaule et pencha avec le battant qui céda, dans le noir. […]
Ils pénétrèrent dans un couloir de prison. Aux lueurs d'une allumette qu'il fit craquer, Jacques aperçut d'énormes murailles en pierre de taille, fuligineuses, trouées de portes de cachots, surplombées d'une voûte en ogive, abrupte, comme taillée dans le roc. Une odeur de citerne emplissait ce couloir dont les carreaux de pavage oscillaient à tous les pas.
Le corridor fit coude et il se trouva dans un gigantesque vestibule dont les panneaux peints en marbre pelaient, devant un escalier à rampe forgée de fer; et il monta, regardant la cage carrée de pierre, percée de très petites fenêtres à double croix.
Par les vitres brisées, le vent s'engouffrait, remuant l'ombre amoncelée sous la voûte, secouant les portes dont les battants geignaient, à des étages supérieurs, en l'air. […]
Revenu sur le palier, Jacques entrebailla les portes de gauche à droite; il aperçut d'immenses corridors, sans fond, sur lesquels se dégageaient des pièces; c'était l'abandon le plus complet, la glace du sépulcre, la dissolution des murs battus par le vent et les averses.
Il descendit l'escalier, mais subitement il s'arrêta; un vacarme de chaînes rouillées, des roues criant sans cambouis, un grincement de grincheuse poulie rompaient la nuit muette.
— Qu'est-ce que cela ?
— C'est l'oncle qui tire de l'eau, dit-elle en riant et elle expliqua que l'eau était rare à cette hauteur, qu'un gigantesque puits, creusé dans la cour, alimentait seul le château; il faut cinq minutes, montre en main, pour remonter le seau; ce que tu entends, c'est le bruit de la corde que scie le treuil.
— Eh là ! cria le père Antoine, dès qu'il furent dans la cour, en v'là de l'eau et de la fraîche, car elle sort de la craie; et il empoigna le seau de bois, clapotant et énorme. […]

P. 68 à 75

Debout, il regarda par la fenêtre. […] Le soleil était mûr; — la montre marquait cinq heures. Il eut un soupir de soulagement, prit son chapeau et descendit sur la pointe des pieds afin de ne point réveiller sa femme.
Il demeura ébloui sur le pas de la porte. Devant lui s'étendait une vaste cour bouillonnée par des bulles de pissenlits s'époilant au-dessus de feuilles vertes qui rampaient sur de la caillasse, hérissées de cils durs. A sa droite, un puits surmonté d'une sorte de pagode en tôle terminée en un croissant de fer posé sur une boule; plus loin, des files de pêchers écartelés le long d'un mur et, au-dessus, l'église dont le profil d'un gris tiède disparaissait, à certaines places, sous la résille vernie d'un lierre, à d'autres, sous le velours jaune souci d'un amas de mousses.
A gauche et derrière lui, le château, immense, avec une aile d'un étage percée de huit fenêtres, une tour carrée contenant l'escalier, puis, en retour d'équerre, une autre aile, avec les croisées du bas taillées en ogives.
Et cette bâtisse, cassée par l'âge, tressaillée par les pluies, minée par les bises, élevait sa façade éclairée de croisées à triple croix gondolées de vitres couleur d'eau, coiffée d'un toit en tuiles brunes jaspées de blanc par des fientes, dan un fluide de jour pâle qui blondissait sa peau hâlée de pierres.
Jacques oubliait la funèbre impression ressentie la veille; un coup de soleil fardait la vieillesse du château dont les imposantes rides souriaient, comme aurifiées de lumière, dans les murs frottés de rouille par les Y de fer également espacés sur le rugueux épiderme de son crépi.
Ce silence inanimé, cet abandon qui lui avaient étreint le coeur, la nuit, n'existaient plus; la vie terminée de ces lieux que dénonçaient des fenêtres sans rideaux ouvrant sur des corridors nus et des chambres vides sembalit prête à renaître; il allait certainement suffire d'aérer les pièces, de réveiller par des éclats de voix la sonorité endormie de ces chambres pour que le château revécût son existence arrêtée depuis des ans.
Puis, tandis que le jeune homme l'examinait, inspectant la façade, découvrant que l'étage et le toit dataient du siècle dernier, alors que les assises remontaient au temps du moyen âge, un grand bruit le fit se retourner et, levant la tête, il constata que cette tour ronde, entrevue la veille, n'attenait point au château, comme il l'avait cru. Elle était isolée dans une basse-cour et servait de pigeonnier. Il s'approcha, gravit un escalier en ruine, tira le verrou d'une porte et passa le cou.
Un immense effroi d'ailes s'entrechoquant, éperdues, en haut de la tour, l'étourdit, en même temps qu'un vorace fumet d'ammoniaque lui picorait la muqueuse du nez et la frange des yeux. Il recula, entrevit à peine, au travers de ses larmes, l'intérieur de ce pigeonnier, alvéolé comme un dedans de ruche, muni au centre d'une échelle montée sur pivot, et, se retirant, il aperçut une neige de blanc duvet qui tournoyait dans une écharpe de lumière, déroulée d'une lucarne ouverte au sommet de la tour, au ras du sol. […]
Jacques tourna le dos au château et,
en face de lui, au bout de la cour, il vit un jardin fou, une ascension d'arbres, montant en démence dans le ciel. […] Il aboutit à une grille en fer. Somme toute, ce jardin n'était point, ainsi qu'il le paraissait, très vaste, mais ses dépendances commençaient derrière la grille; une allée seigneuriale, dévisagée par des coupes, descendait à travers bois vers une simple porte, à claire-voie, de chêne, communiquant avec le chemin de Longueville. […] Alors il aperçut des traces d'anciens fossés dont quelques-uns avaient encore gardé des lambeaux de gargouilles aux gueules bâillonnées par des pariétaires, aux cols ficelés par les cordons des volubilis et les lanières en spirale des lambrusques. […]
Il rebroussa chemin, suivit la lisière du bois et longea les derrières du château qu'il n'avait point vus. Ce côté, privé de soleil, était lugubre. Vu devant, le château demeurait imposant […]; vu de dos, il apparaissait morne et caduc, sordide et sombre. […] En bas, un perron fracassé de six marches, creusé en dessous d'une niche ébouriffée d'herbes accédait à une porte condamnée dont les ais fendus étaient rejoints et comme bouchés par le noir du vestibule fermé, situé derrière.

P. 135

Il se remémora tout à coup qu'il fallait, pour les besoins du ménage, tirer de l'eau. Il s'achemina vers le puits et jugea que le treuil eût avantageusement figué parmi les instruments de torture du Moyen Age; il fallai se pendre après lui, s'arc-bouter, en tournant la manivelle, pour empêcher la dégringolade effarée du seau dans l'abîme, de peur de détacher la corde retenue par un seul clou dans le tambour en bois du treuil; puis il fallait tourner en sens inverse et remonter, la tête abasourdie par les cris de la poulie sèche, le seau qui pesait bien cent livres

P. 140

Jacques s'assit sur le talus et contempla ce même paysage qu'il avait entrevu, dans la brume, le jour de son arrivée à Lourps. — Voyons, se dit-il, se rappelant le nom des coteaux dont il avait les oreilles quotidiennement rebattues grâce à Norine, voici, au loin, tout au loin, les futaies de Tachy, puis Grateloup et la butte des Froidsculs; par ici, où je suis, les versants de la Renardière et de la Graffignes et en bas, au fond de ce cirque liséré de bois, le petit village blanc et rouge de Jutigny, avec ses murs peints au lait de chaux et ses toits de tuiles, puis, presque derrière moi, le pays noir et vert de Longueville, avec ses tourbières et ses arbres; enfin, traversant ainsi qu'une bande de craie le sol labouré du cirque, la monotone et plate route qui mène à Bray.

P. 179

Le château avait autrefois appartenu à des nobles; le pays se rappelait une famille de Saint-Phal qui possédait également un château dans le voisinage, à Saint-Loup; elle était enterrée derrière l'église, mais les tombes étaient abandonnées et les descendants de cette lignée, en admettant qu'ils existassent, n'avaient jamais reparu dans le pays; depuis quatre-vingt-ans le château avait été dépecé de ses futaies et de ses terres achetées par des paysans, vendu tel quel à des gens de Paris qui ne s'étaient jamais décidés à le réparer et s'efforçaient constamment de le revendre.

P. 200

Le curé, venu le dimanche à Lourps, avait laissé la clef de l'église chez l'oncle Antoine. Jacques l'emprunta.
Cette clef n'enfonçait pas dans la grande porte de l'église qui s'ouvrait, près du château, sur le chemin. Il dut contourner le portail, pénétrer dans le cimetière, enclos de palis, plein d'herbes folles et de croix en bois noir et en fonte mangée de rouille. Il chercha les sépulcres de ces Marquis dont parlait le père Antoine, mais il ne parvint pas à les trouver; de serpigineux ulcères de lichens et de mousse rongeaient les tombes dont les creuses inscriptions étaient depuis longtemps comblées; peut-être était-ce sous l'une de ses pierres que gisaient les restes abandonnés des Saint-Phal ?
Ce cimetière était pimpant dans le coup de soleil qui le frappait. C'était une bagarre d'herbes, une cohue de branches au milieu desquelles s'épanouissaient sur des tiges onglées de griffes les boutons du rose indolent des églantiers. Dans ce terrain, abrité par l'église, l'air paraissait plus tiède. […]
Jacques regretta de n'avoir pas connu plus tôt ce petit coin, si placide et si douillet. […] Il suivit, dans les hautes berbes, un hésitant sentier qui menait à une porte creusée dans le flanc de l'église; avec sa clef il l'ouvrit et déboucha dans une nef badigeonnée au lait de chaux.
Cette église était en longueur, sans transept simulant les bras d'une croix, formée simplement par quatre murs le long desquels de minces colonnes disposées en faisceaux s'élançaient jusqu'aux arceaux des voûtes. Elle était éclairée par des rangées de fenêtres en ogive à courtes lancettes, mais dans quel état! les pointes des lancettes cassées, rafistolées avec des morceaux de ciment et des bouts de briques, les verrières remplacées par des vitres divisées en de faux losanges de papier de plomb ou laissées, telles quelles, vides, la voûte éraillée perdant les eschares de sa peau de plâtre, pliant, surmenée, sous la pesée du toit.
Il se trouvait dans une ancienne chapelle de style gothique démolie par le temps et mutilée par des maçons. Au-dessus du choeur, une poutre carrée traversant l'édifice, d'une croisée à l'autre, supportait un immense crucifix dont le bas était vissé dans la poutre par des écrous de fer. Le Christ barbarement taillé, enduit d'une couche de peinture rose, avait l'air d'un bandit barbouillé de sang pauvre; mal attaché sur sa croix, il tanguait au moindre vent, en criant sur ses clous qui jouaient. […]
Jacques allait partir lorsque ses yeux s'arrêtèrent sur le pavé du choeur; parmi des carreaux d'inégales grandeurs, il remarqua des dalles régulières qui ressemblaient à des tables couchées de tombes. Il s'agenouilla, les gratta, découvrit des inscriptions en caractères gothiques, les unes complètement usées, les autres visibles encore autour de vagues écussons et de figures étendues à plat, les pieds rapprochés et les mains jointes.
Il retourna au château, rapporta une écuelle d'eau et un torchon et, dans la boue qu'il frotta, les lettres remplies parurent. Mot à mot, il déchiffra sur l'une de ces pierres :
"Cy gist Louys Le Gouz, escuyer, en son vivant Seigneur de Loups en Brye et de Chimez en Thouz. Le 21e jo de décembre mil cinq cent vingt-cinq. Pz Dieu pour lui." Sur une autre, il lut : "Ci gist Charles de Champagne, chevalier, baron de Lours, quy décéda le 2 de febvrier mil six cent cinquante-cinq, quy était fils de Robert de Champagne, chevalier, Seigneur de Séveille et Saincte Colombe, etc. Requiescat in pace." Quant aux autres, plus anciennes sans doute, elles était tellement effacées qu'il ne put, malgré tous ses efforts, reformer les lettres.
Il demeura un peu surpris. Personne dans le pays ne connaissait ces tombes à peine foulées, le dimanche, par un négligent prêtre, et par d'indifférentes ouailles. Il marchait sur les anciens suzerains oubliés dans leur vieille chapelle du château de Lourps. Comme cela mettait loin! le nom même avait varié. Loups et Lours avaient fini par se fondre et par d'écrire Lourps. Ah! si l'oncle Antoine permettait de desceller les caves et de pénétrer par les souterrains dans la crypte de l'église, peut-être bien qu'on y découvrirait de curieux restes!

P. 206

Ils aboutirent à une prairie immense. Jacques demeura surpris par l'étendue de ce paysage, couché à plat, sous un firmament dont la courbe semblait atteindre la terre à l'horizon, là-bas, dans un lointain bouqueté par des touffes d'arbres. Au milieu de cette prairie courait un sentier bordé de saules, aux troncs bas, aux feuillages bleuâtres dégageant comme une fumée dès que le vent soufflait. En avançant, il s'aperçut qu'entre cette haie serrée de saules coulait une minuscule rivière, la Voulzie, moirée de cercles de bistre par les sauts capricants des araignées d'eau. La rivière célébrée par Hégésippe Moreau serpentait en de silencieux et frais méandres, se lovait, à certaines places en des boucles toutes bleues au fond desquelles frétillaient, en tournant sur eux-mêmes, les feuillages dédoublés des rives, puis elle se déroulait, s'allongeait en ligne droite, emmenant avec elle tout un courant de ciel, entre ses deux bords. Un rayon de soleil dora le pelage du pré; le vent accéléra la course des nuages qui se grumelaient comme un lait caillé, au loin, et il les poussa au-dessus de la Voulzie dont l'azur se pommela de taches blanches. Une odeur frigide d'herbes, une senteur fade, légèrement salée d'ocre, monta de ce sol vert estampé de marques brunes par les sabots du bétail. Ils passèrent la Voulzie sur un pont de planches et alors, derrière le rideau franchi des saules, une autre partie du pré s'étala, piétinée de toutes parts, par un troupeau de vaches.

P. 221

Il descendit, se promena dans le jardin; et peu à peu, à mesure qu'il marcha, sa haine de Lourps et ses souhaits de départs s'amollirent.
Il faisait si bon sur cette pelouse, si tiède derrière ces grilles ouvragées de feuilles! Tamisé par les sapins, le vent soufflait l'odeur affaiblie des térébenthines et des gommes; une senteur tannique d'écorce montait de la mousse remuée du sol et le tonifiait ainsi que des émanations respirées de sels. Le château, ranimé par un bain de soleil, se défublait de ses mines grognonnes, rajeunissait, s'affétait, coquettait, pour son départ. Ces pigeons même, si sauvages qu'on ne pouvait réussir à les toucher, se pavanaient maintenant dans la cour et le regardaient, sans fuit à son approche. C'était, en quelque sorte, un adieu câlin qu'exhalaient ces lieux abandonnés où il avait égoutté de si mélancoliques heures.
Il se sentit le coeur serré, en passant pour la dernière fois sous le berceau des allées désertes, en regardant les grelots des grappes de vigne enroulées dans les pagodes à clochettes des vieux pins. C'était fini; le soir même, il rentrerait à Paris et son existence changerait !


L'été 1888 fut douloureux pour Huysmans (alors que Paris préparait l'Exposition Universelle) : "Bloy travaille mais n'est guère heureux. Villiers passe son temps à prôner, parmi les imbéciles, entre des piles de bocks, dans des brasseries. Le pauvre Verlaine est très malade de corps et d'âme. D'Aurevilly s'éteint de vieillesse, après la maladie qui l'a récemment frappé. Je ne vois que douleurs et ruines chez les gens que j'aime autour de moi."

Quand vint le moment de son congé annuel, il n'osa pas retourner à Lourps, où les villageois, qui avaient lu En Rade, furieux, voulaient lui faire un mauvais parti : les Legeux, modèles de Norine et du Père Antoine, le facteur assoiffé, le mastroquet (le père Fricot), la bouchère et d'autres ont pu se trouver peu flattés dans les portraits du roman. Un Provinois déclara même : "l'ignoble livre d'En Rade doit être brûlé solennellement devant les autorités constituées de Provins... et qu'on n'en parle plus!"


HUYSMANS APRÈS EN RADE

Son prochain livre devait être Là-bas (1891) où s'exprime toutes sa curiosité pour les phénomènes surnaturels. De plus en plus, il vit entouré de pressentiments, de menaces mystérieuses; il se croit victime des vengeances diaboliques des Rose-Croix.

En 1893, sa maîtresse, Anna Meunier, qui était malade depuis longtemps, est atteinte de paralysie générale; Huysmans la fait soigner à l'hôpital Sainte-Anne où elle mourra le 12 février 1895.

Bientôt, en 1898, il prendra sa retraite de fonctionnaire. Viendra ensuite la conversion : séjours à la Trappe d'Igny, à Solesme, à Saint-Wandrille, à Ligugé. Et des ouvrages comme En Route, La Cathédrale, L'Oblat, Les Foules de Lourdes. Puis la mort, chez les Bénédictines de la rue Monsieur, en mai 1907.



LE SITE DE LOURPS

wiki-Marie-Lan Nguyen-2017

wiki-Thor19-2013


LE CHÂTEAU

wiki-Marie-Lan Nguyen-2017

wiki-Pierre Poschadel-2018

La découverte du domaine

On retrouve le seuil où s'arrête, ébloui, face au jardin fou, à la pelouse ensoleillée, Jacques Marles désemparé. Voilà le puits profond, avec ses tôles en pagode. Là-bas, le pigeonnier, cette tour ronde, et dans la tour carrée l'escalier, où l'assaille, dès sa première nuit, un furieux chat-huant. Le portail Louis XV, au sommet de l'avenue, près des douves, ne ferme guère mieux que jadis. L'horizon est intact, de Savin, à l'ouest, à la tour de Provins et sur l'autre versant où s'attarde la Voulzie nonchalante.

La petite cour est restée telle. Il l'a connue, avec son pigeonnier, vide aujourd'hui de locataires, mais alvéolé toujours, "comme un dedans de ruche". L'escalier est toujours en ruines, que monta Jacques. Et sans doute est-ce ici la maison du régisseur, celle de Norine et du Père Antoine. Par cette entrée latérale, Jacquespénètre dans la cuisine, "pareille à un cachot de théâtre", et dans d'autres "casemates" moisies, aux portes voûtées, qui mènent vers l'escalier du chat-huant. Cette cage d'escalier est fort reconnaissable. On y peut reconstituer très bien toute la scène nocturne du combat. Sur Ies marches du vestibule dut reposer la demi-feuillette de vin aigre qui tient une si grande place dans les démélés du couple avec les madrés paysans, leurs hôtes. La chambre de l'étage, face à l'escalier, paraît très semblable encore à celle que nous décrit Huysmans. On remarque l'alcôve, les trois portes, la chambre attenante, le dallage, la vue sur les bois. Le labyrinthe des pièces, couloirs, alcôves, reste impressionnant, et l'étage supérieur avec ses salles vides, ses grandes charpentes, ne l'est pas moins.

Huysmans — et aussi Léon Bloy — exagèrent beaucoup en parlant des deux cents ou même trois cents chambres de Lourps: cinquante suffisent. Encore connurent-ils, sur l'emplacement de cette récente terrasse, une aile en équerre, fort vétuste, rasée depuis. Huysmans l'habita, si nous en croyons René Martineau, qui pensa y retrouver ses "deux chambres au nord, ayant vue sur les bois". Mais deux autres pièces, subsistantes, paraissent aussi fort possibles. Huysmans décrit (sans doute dans cette partie détruite) les appartements moisis, la bibliothèque saccagée de la marquise de Saint-Phal, l'authentique châtelaine du XVIIIe siècle, dont il se plaît à évoquer les charmes, dont il croit retrouver les parfums: "L'âme des flacons autrefois débouchés revenait et souhaitait une plaintive bienvenue au visiteur de ces chambres mortes..." C'est là qu'il s'aventure dans des caves, ou cachots, toujours accessibles, muni de la lanterne de l'oncle Antoine, à la recherche de souterrains du Moyen Age, qu'il ne trouve pas. La partie ouest, Huysmans l'a connue telle, mais vide. Les vaste combles, et des boiseries, font penser qu'au XVIIIe la vieille bâtisse, des XVe et XVIe peut-être en ses bases, fut soigneusement restaurée et aménagée. L'abandon du domaine n'a commencé qu'après le dernier des marquis de Saint-Phal, vers 1841.

Le puits du château


L'ÉGLISE

wiki-Pierre Poschadel-2018

wiki-Thor19-2012

wiki-Thomas Clouet-2011

Le nom de Lourps est diversement orthographié dans les documents anciens : Loes, Loors, Lours, Lurus, Lupis.
La chapelle, dont la construction remonte à la fin du XIIe siècle, était sous le vocable de Saint-Menge, premier évêque de Châlons-sur-Marne, dont on disait qu'il guérissait de la gale; il était dénommé Sanctus Memmius de Lupis en 1468 et Sanctus Mengius en 1639.
Orientée normalement, sans transept ni clocher, c'est une grange haute du XIIIème, avec des murs en petit appareil et de puissants contreforts qui l'ont sauvée.
Cette chapelle dépendait du château jusqu'à la Révolution. En 1788 la paroisse relevait de l'archidiaconé et doyenné de Provins. En 1808, elle dépendait de l'Eglise de Savins. Elle obtiendra le titre de chapelle vicariale en 1880.
La chapelle de Lourps  a été fermée au public en 1966 suite à l'effondrement de la voûte du chœur, pour être ouverte de nouveau au public en 1998 après 12 années de restauration.

 – Sur le portail occidental (fin XIIe-début XIIIe) , les voussures moulurées en plein-cintre encadrent un tympan trilobé avec une représentation de l'Agneau Pascal (Huysmans ne le signale pas).
– Trois voûtes sexpartites couvrent un plan régulier à nef unique dont les travées sont rythmées par une alternance de piles engagées et de colonnettes. Quatorze fenêtres identiques en arcs brisés  éclairent l'intérieur au dessus d'un cordon mouluré en amande.
– Il ne reste pratiquement rien du mobilier médiéval, à l'exception des fonts baptismaux.
–  Trois sculptures en bois polychrome du XVIe siècle : une Vierge à l'Enfant, un Saint-Evêque, un Christ.
Dalle funéraire du XVIe siècle abritant les sépultures de l'officier Louis le Gouz,  mort en 1535,  et de sa femme (es traits d'un chien, représenté couché aux pieds de la femme, restent visibles dans la partie inférieure ; il symbolise la fidélité au-delà de la mort).
Peintures murales ornementales du XIIIe siècle dans les deux dernières travées et de la fin du XVe siècle sur tout le reste des parois intérieures de l'édifice : faux appareil, frises florales et géométriques, fleurs de lys, armoiries et animaux;
Un vitrail du chevet, une Crucifixion, portait cette inscription:" Donné par M. Gaillard, propriétaire du Château de Lourps" (vers 1855).


<== Retour