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AMMIEN MARCELLIN (330-395)


Constance II (empereur de 337 à 361), à la tête de l'empire d'Orient, n'a pas l'occasion d'honorer Rome de sa présence : guerres et séditions le cantonnent au plus près des frontières, à Antioche ou à Milan. Pour autant, l'Urbs demeure le lieu par excellence des cérémonies grandioses ; aussi, en +357, décide-t-il d'aller avec l'impératrice y célébrer son triomphe sur Magnence. Sa visite commence le 28 avril 357 et dure un mois, au cours duquel il est impressionné par la majesté de la Ville. Le récit qu'en fait l'historien Ammien Marcellin insiste sur la pompe et la magnificence des cérémonies qu'il y donne. Avant de quitter, définitivement, la Ville, il va la parer d'un obélisque provenant de Karnak, qui va s'élever sur la spina du Circus Maximus (en 1588, il sera transporté sur la place Saint-Jean-de-Latran).

Texte dans Ammien Marcellin, Histoire de Rome, livre XVI, chap. X (traduction Nisard)


Enfin le voilà dans cette Rome, sanctuaire du courage et de la grandeur. Arrivé au Forum, et contemplant du haut de la tribune ce majestueux foyer de l'antique domination romaine, il reste un moment frappé de stupeur. Ses yeux, de quelque côté qu'ils se tournent, sont éblouis d'une continuité de prodiges. Après une allocution à la noblesse dans la salle du sénat, et une autre adressée au peuple du haut de son tribunal, il se rend au palais au milieu d'acclamations réitérées, et savoure enfin dans sa plénitude le bonheur objet de tous ses voeux.

En présidant les jeux équestres, il prit grand plaisir aux saillies du peuple, qui sut s'interdire les écarts sans renoncer à ses habitudes de liberté. Le prince lui-même observait un juste milieu entre la roideur et l'oubli de son rang. Il n'imposa pas, comme il faisait ailleurs, sa volonté pour limite aux plaisirs de la multitude, laissant, selon l'usage ordinaire, dépendre des circonstances du spectacle la durée de la représentation.

Il parcourut tous les quartiers construits de plain-pied ou sur les flancs des sept collines, sans oublier même les faubourgs, croyant toujours n'avoir rien à voir au-dessus du dernier objet qui frappait ses yeux. Ici c'était le temple de Jupiter Tarpéien, qui lui parut l'emporter sur le reste autant que les choses divines l'emportent sur les choses humaines; là les thermes, comparables pour l'étendue à des provinces; plus loin la masse orgueilleuse de cet amphithéâtre dont la pierre de Tibur a fourni les matériaux, et dont la vue se fatigue à mesurer la hauteur; puis la voûte si hardie du Panthéon et sa vaste circonférence; puis ces piles gigantesques, accessibles jusqu'au faîte par des degrés, et que surmontent les effigies des princes; et le temple de la déesse Rome, et la place de la Paix, et le théâtre de Pompée, et l'Odéon, et le Stade, et tant d'autres merveilles qui font l'ornement de la ville éternelle.

Mais quand il fut parvenu au forum de Trajan, construction unique dans l'univers, et digne, suivant nous, de l'admiration des dieux même, il s'arrêta interdit, cherchant par la pensée à mesurer ces proportions colossales, qui bravent toute description et qu'aucun effort humain ne saurait reproduire. Convenant de son impuissance à rien créer de pareil, il dit qu'il voulait du moins élever un cheval à l'imitation de celui de la statue équestre de Trajan, placée au point central de l'édifice, et qu'il en tenterait l'entreprise. […]

Au milieu de la stupéfaction dont le frappait cette réunion de prodiges, l'empereur se récriait contre l'insuffisance ou l'injustice des rapports de la renommée, si justement suspecte d'exagération en toute autre circonstance, et si fort au-dessous de la réalité dans tout ce qu'elle avait publié de Rome. Après une longue délibération sur la question de savoir ce qu'il pourrait faire pour ajouter aux magnificences de la ville, il s'arrêta à l'érection d'un obélisque dans le grand cirque.


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