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Michel Le Vassor
DE LA VÉRITABLE RELIGION
1688

PRÉFACE


 

Si l'on s'était mis en peine d'apprendrc aux Chrétiens les preuves de leur Religion, et de leur montrer la certitude des promesses de Jésus-Christ, je ne crois pas que la charité se fût tant refroidie dans ces derniers siècles, ni que l'on trouvât ce grand nombre de Libertins et d'Incrédules qui nous épouvante maintenant. Quoique la mémoire des miracles de Jésus-Christ et des Apôtres fût fort récente du temps des Eusèbes, des Chrysostomes, des Augustins, et que le sang des Martyrs fumant encore, pour ainsi dire, excitât les Chrétiens à suivre leur vocation, ces savants Prélats ne laissaient pas de parler souvent au Peuple de l'accomplissement des prophéties, de la vérité de la Résurrection de Jésus-Christ et de son exaltation dans le Ciel, du progrès inconcevable de la prédication des Apôtres, et des autres preuves que nous employons contre les Incrédules.

On croit que les Saints Pères en usaient ainsi parce que les Chrétiens se trouvant mêlés parmi les Païens, et les Juifs qui étaient en fort grand nombre dans toutes les Provinces de l'Empire Romain, et qui n'oubliaient rien de ce qui pouvait détourner les gens du Christianisme, il fallait s'opposer aux efforts continuels des Ennemis de Jésus-Christ, et prévenir ses Serviteurs contre ce qu'on leur disait sans cesse pour les dégoûter de leur Religion. J'avoue qu'un livre de la vérité de la Religion était alors plus nécessaire, et que les Prédicateurs de l'Évangile ne pouvaient presque se dispenser de la prouver dans leurs discours, à cause de la grande quantité de Catéchumènes qui demandaient le Baptême, et parce que les Juifs et les Païens avaient souvent la curiosité d'entendre tant de grands Hommes qui ont été l'admiration de leur siècle. Mais si l'on refléchit un peu plus sur la conduite des Saints Pères, on trouvera qu'ils avaient d'autres raisons d'imprimer fortement dans l'esprit des Fidèles les preuves de la vérité du Christianisme, et qu'ils auraient composé les mêmes livres, et fait les mêmes sermons à peu près, quand ils n'auraient eu ni Juifs, ni Païens à combattre.

Nous avons dans nous-mêmes un malheureux fonds d'incrédulité, et un éloignement secret des vérités de l'Évangile, que l'on ne peut vaincre qu'après de très grands efforts, à moins que l'on ne soit du nombre de ces âmes choisies que Dieu préserve heureusement de la corruption du siècle. Sans cela, il n'est pas si facile de renoncer au plaisir, à l'ambition, à ce que le Monde appelle la belle passion de l'honneur et de la gloire, dans l'espérance des promesses de Jésus-Christ, dont on n'attend point l'accomplissement dans cette vie. On regarde le Paradis et l'Enfer dans un point de vue fort éloigné, parce que l'on n'a presque point de foi, et que l'on ne pense pas à se persuader de l'infaillibilité des promesses de Dieu.

Ceux qui ont une foi vraiment Chrétienne regardent les choses qu'ils espèrent comme présentes (1) : ils en sont aussi parfaitement convaincus que s'ils les apercevaient par les sens. Mais avant que d'en venir là, n'a-t-il pas fallu se mettre au dessus de tout ce qui peut rendre la vie douce et agréable, et s'enraciner dans l'amour des biens éternels ? C'est le seul moyen de résister à cette tentation délicate des objets sensibles qui nous disent finement que le plaisir présent vaut mieux que celui dont on nous parle dans le Catéchisme, et que l'on espère sur la bonne foi des Prédicateurs. Comment veut-on que des Gens qui n'ont pas été prévenus d'une grâce particulière dès leur plus tendre jeunesse fassent un sacrifice qui coûte extrêmement à notre cœur corrompu, si on ne leur dit jamais les raisons que nous avons de croire, et si on ne leur fait point voir que le même Dieu qui a parlé autrefois à nos Pères en diverses occasions et en diverses manières par les Prophètes, nous a parlé en ces derniers temps par son Fils ? (2)

Cette nuée d'illustres Témoins dont l'Apôtre nous propose l'exemple dans l'Épître aux Hébreux (3) ne se sont regardés comme des étrangers sur la Terre, et n'ont préféré l'ignominie et les souffrances de Jésus-Christ aux richesses et aux plaisirs du Monde, que parce qu'ils s'occupaient continuellement des promesses que Dieu leur avait faites de leur donner une meilleure Patrie et une Cité permanente. Un esprit raisonnable n'aura pas de peine à demeurer d'accord que si Dieu nous a certainement promis un bonheur éternel après cette vie, à condition que nous lui sacrifierons quelques plaisirs courts et passagers, on doit se reposer sur la parole d'un Dieu incapable de nous tromper, et tout puissant pour donner ce qu'il promet. Mais quelque persuadé que l'on soit de la vérité de cette conséquence, l'amour propre nous la fera oublier à la première occasion : l'esprit deviendra la dupe du cœur, si l'on n'a pas soin de se confirmer dans la Religion par de fréquentes réflexions sur ces armes puissantes (4) que Dieu a mises dans la main des Apôtres, pour détruire les vains raisonnemens que l'on oppose à la sagesse de Dieu, et pour soumettre tous les esprits à l'obéissance de Jésus-Christ, l'auteur et le consommateur de notre foi. (5)

Plût à Dieu que l'on eût fait plus d'atention à cette dernière raison que les Saints Pères ont eue de composer des livres sur la Religion, et de parler fortement dans leurs prédications de ce qui peut dissiper les doutes que l'on n'a que trop souvent sur les faits qui fervent de fondement au Christianisme. Il y aurait plus de foi, et plus de solide piété dans ces derniers temps. La superstition ne serait pas devenue si commune, et l'on se serait beaucoup plus occupé de la prédication de Jésus-Christ, de son sacrifice, de sa médiation, de son sacerdoce, de ses promesses, et des autres vérités qui font la consolation et l'espérance des véritables Chrétiens. Ceux que l'on nomme Dévots n'auraient pas donné dans je ne sais quelles méditations alambiquées. Au lieu de courir après la prétendue Théologie mystique de quelques spéculatifs, on aurait eu plus de goût pour l'Évangile, et pour la véritable Théologie de Saint Paul, que les anciens Docteurs de l'Église ont si solidement expliquée, et que les Dévots des premiers siècles de l'Église ont étudiée sans relâche. Enfin, les méchants Livres des Libertins n'auraient pas perverti un si grand nombre de personnes. Convaincus de la vérité des faits racontés dans les Livres du Vieux et du Nouveau Testament, ceux qui n'avaient pas tout à fait secoué le joug auraient eu de quoi se défendre des argumens captieux des Libertins contre la création du Monde, contre les miracles et la mission de Moïse, contre l'accomplissement des prophéties, contre la résurrection de Jésus-Christ, et contre le témoignage que les Apôtres et les Martyrs ont rendu à la vérité de l'Évangile.

Outre ces raisons qui prouvent la nécessité des livres sur la Religion en tout temps, il y en a d'autres qui me persuadent que l'on en a un extrême besoin dans ce siècle, et qu'un Théologien ne peut rendre un service plus utile à l'Église que de s'appliquer à faire connaître des vérités importantes que l'on a trop négligées. On ne parle que de raison, de bon goût, de force d'esprit, de l'avantage de ceux qui savent se mettre au dessus des préjugés de l'éducation et de la société où l'on est né. Le Pyrrhonisme est à la mode sur beaucoup de choses : on dit que la droiture de l'esprit consiste à ne pas croire légèrement, et à savoir douter en plusieurs rencontres. Tout cela est vrai en un sens. Il faut apprendre à faire usage de sa raison ; il faut acquérir le bon goût ; il faut avoir de la force d'esprit pour ne donner son consentement que lorsque l'évidence de la vérité nous y oblige ; il faut se défaire des préjugés de la naissance et de l'éducation en mille occasions ; il faut être Pyrrhonien lorsqu'on ne trouve que des conjectures ; enfin, il faut qu'un Homme véritablement habile sache douter, et qu'il soit moins décisif qu'un demi-savant. Ces maximes bien appliquées sont admirables, et l'on serait le plus content du monde de vivre dans un siècle où l'on ferait profession de les suivre exactement. Mais, par un renversement d'esprit extraordinaire, on doute quand il ne faut pas douter, on se pique de force d'esprit quand il faut donner son consensement, on fait l'incrédule sur des choses qu'un Homme raisonnable ne peut pas se dispenser de croire.

Qu'y a-t-il de plus insupportable et de plus chagrinant que de voir nos prétendus Esprits forts se vanter de ne rien croire, et traiter les autres de simples et de crédules, eux qui n'ont pas peut-être examiné les premières preuves de la Religion, et qui ne savent pas ordinairement l'état de la question entre les Chrétiens et leurs Adversaires. On se moque de notre crédulité : mais a-t-on prouvé que notre Religion n'est appuyée que sur de simples conjectures ? Si le libertinage n'a rien dit de raisonnable contre nous, je ne vois pas où est la force d'esprit de ceux qui font les incrédules, sans pouvoir rendre raison de leur incrédulité.

Spinoza s'est tué à force de rêver sur les moyens d'établir l'Athéisme et l'Irréligion. Qu'a-t-il trouvé enfin, ce rare et sublime génie ? Une Métaphysique, où l'on ne comprend rien, certains principes qu'il lui plaît de poser comme incontestables, d'où il prétend conclure que le Monde est éternel, et que les miracles sont impossibles. Mais comment n'a-t-il pas vu que si on lui niait ses principes, toutes ses conséquences tomberaient par terre ? A-t-il pu se flatter qu'il ferait croire l'éternité du Monde, et qu'il renverserait les miracles de l'un et de l'autre Testament, en disant que tout cela est impossible selon sa nouvelle Philosophie ? S'il est certain par la révélation de Dieu, et par le rapport de plusieurs témoins irréprochables, que le Monde a été créé depuis un temps, et que Jésus-Christ est ressuscité, un Homme de bon sens hasardera-t-il son salut sur la Métaphysique de Spinoza ? Que les Sectateurs de cet Impie méditent tant qu'il leur plaira, prouveront-ils jamais que notre foi n'est pas prudente, je veux dire que nous n'avons pas du moins autant de raison de croire les faits principaux qui servent de fondement à notre Religion que l'on en a de croire les grands événements de l'Histoire des Grecs et des Romains ? Or tant qu'il sera vrai que nous ne sommes pas imprudents de croire ce qui est dans l'Évangile, un esprit bien fait embrassera toujours une Religion où il y a tant à gagner et si peu à perdre.

Il est donc de la dernière importance de faire voir en ce temps-ci qu'il n'y a rien de moins raisonnable que la prétendue force d'esprit, dont quelques gens se piquent contre les preuves de la Religion. Si l'on ne convertit pas les Incrédules, on aidera ceux qui sont dans je ne sais quel milieu entre la foi et l'incrédulité ; on en confirmera d'autres qui croient, s'il m'est permis de le dire, sans savoir pourquoi. Je ne parle pas des Gens de bien simples et ignorants, à qui Dieu donne souvent une foi aussi vive et aussi éclairée en ce qui regarde la conduite de la vie qu'à ceux qui ont longtemps étudié l'Écriture sainte et la Théologie. Je veux désigner seulement ceux qui croient faiblement, parce qu'ils ont toujours entendu dire qu'il fallait croire. Une personne de ce caractère est en danger de succomber à la première tentation ; et la charité veut qu'on la tire d'un état si périlleux en lui exposant les raisons que nos Pères ont eues de renoncer à leur ancienne Religion pour embrasser le Christianisme. Enfin, quand on n'aurait pas tous ces motifs d'écrire sur la Religion et d'en parler plus qu'on ne fait ordinairement dans la Chaire, on y serait obligé pour consoler les bons Chrétiens. Quelle joie, quel contentement pour ceux qui marchent dans la voie étroite de l'Évangile de pouvoir dire comme Saint Paul avec connaissance de cause : je sais quel est celui en qui je me confie, et je suis assuré qu'il est assez puissant pour accomplir ce qu'il m'a promis ! (6)

Le libertinage déclaré n'est pas ce qui fait le plus de mal en ce siècle corrompu. La plus grande partie du Monde en a horreur, et le seul nom d'un Homme sans Religion empêche souvent qu'on ne l'écoute. Certains sentiments hardis sur l'Écriture sainte, sur l'inspiration des Auteurs sacrés, sur l'interprétation des Prophéties et sur la Loi de Moïse, que l'on a débités depuis quelque temps avec beaucoup d'adresse et d'érudition, sont infiniment plus dangereux. Je ne prétends pas accuser les Auteurs de ces opinions d'avoir eu dessein d'insinuer l'Irréligion et le Déisme ; mais je sais bien que si on veut recevoir leurs différents systèmes, il n'y aura guères de religion dans le Monde. Où en sommes-nous, par exemple, si le Pentateuque n'est pas de Moïse et si les Livres sacrés ne sont que des extraits d'autres livres, tels que le Sanhédrin des Juifs a jugé à propos de les donner, qu'il a revus et corrigés en différents temps selon les raisons qu'il en a eues ? On fait semblant de mettre la Religion à couvert, en disant que ce Sanhédrin était un Collège de Prophètes inspirés de Dieu ; mais un Libertin adroit voit bien ce que l'on a voulu dire, si l'on a eu mauvaise intention. Il conclut d'abord qu'il en était des Juifs comme des autres Peuples d'Orient, qu'ils avaient leurs Écrivains et leurs Orateurs publics, dont on mettait les Livres et les Harangues dans les Archives, et que ces Écrivains et ces Orateurs ont été appelés Prophètes, sans que l'on puisse bien prouver qu'ils ont prédit l'avenir.

Où en sommes-nous encore si les Prophètes et les Historiens sacrés n'ont pas eu d'autre inspiration que celle qui leur est attribuée dans un certain Mémoire que l'on réfute dans cet Ouvrage ? Ce sentiment est si outré et si inouï parmi les Chrétiens que celui qui l'a donné au Public a été obligé de reconnaître que l'on pourait accuser l'Auteur d'être un Déiste. Où en sommes-nous enfin si la circoncision était avant Abraham, et si la Loi de Moïse n'est qu'une imitation de la Morale et de la Religion des Égyptiens avec qui Moïse avait longtemps vécu ? Ne poura-t-on pas dire que la Loi de Moïse n'est qu'une invention de ce Législateur qui a accommodé la Religion des Égyptiens aux maximes des Israëlites, qui adoraient un seul Dieu Créateur du Ciel et de la Terre ? Moïse aura tout pris en Égypte : il n'aura fait que changer d'objet, en ordonnant que l'on rendrait à un seul Dieu le culte que les Égyptiens rendaient à plusieurs Divinités. La Religion eut-elle jamais des Ennemis plus dangereux que ces prétendus Savants ? Si nous croyons que les Saints Pères ont eu raison d'écrire pour la défendre, et d'en prouver la vérité dans leurs sermons, à cause des Juifs et des Païens mêlés parmi les Chrétiens, n'en doit-on pas parler maintenant dans les Livres et dans la Chaire, pour empêcher le mauvais effet que des Ouvrages si pernicieux, répandus dans toute l'Europe, sont capables de faire ?

Les Protestants seraient plus louables d'avoir publié de bons livres pour prouver la vérité de la Religion et d'avoir composé des commentaires et quelques traités particuliers, pour répondre aux difficultés que les Incrédules de ce temps ont formées, si la Réforme n'avait pas donné occasion à certains Critiques de débiter leurs sentiments libres et leurs conjectures hardies sur nos Livres sacrés. De manière que si les Protestants ont écrit pour défendre la Religion, et la vérité de l'un et de l'autre Testament, ils semblent y avoir été contraints pour guérir le mal que les principes de leur Communion avaient causé, et pour prévenir celui qu'ils pouraient faire encore dans la suite. Ce n'est pas qu'il n'y eût de l'Athéisme et de l'incrédulité avant la Réforme ; mais c'était un Athéisme plus grossier, et une incrédulité moins raffinée. Depuis que l'on s'est mis dans la tête d'examiner tout par soi-même et de ne rien croire que ce qui est clairement défini dans l'Écriture: sainte, on a vu des gens renouveler les blasphèmes de Paul de Samosate et de Photin, et renverser les principaux fondements du Christianisme. On a dit que, pour être Chrétien, il sufit de croire en Dieu et de pratiquer ce qui est ordonné dans l'Évangile. Cela supposé, on a entrepris d'examiner avec la critique la plus rigoureuse les Livres de l'un et de l'autre Testament. On a cherché en quoi consiste leur inspiration, et l'on s'est donné la liberté de tout dire, comme si c'en était assez de sauver le Symbole des Apôtres, et la nécessité de croire en Dieu, et en Jésus-Christ. Les Libertins n'ont pas manqué de profiter des prétendues découvertes des Critiques modernes ; et, en ramassant leurs sentiments diférents, on attaque la Religion d'une manière plus subtile et plus spécieuse qu'elle ne l'a été jusqu'à présent.

Dieu a voulu que dans la Communion qui a été, pour parler avec toute la modération possible, la cause innocente du mal, on y ait souvent découvert le remède. Mais hélas ! loin de le guérir, les Savants qui s'y sont appliqués n'ont pas reconnu seulement qu'une Réforme qui a des suites si fâcheuses ne peut venir de l'Esprit de Dieu. Il est difficile de retenir les Esprits libres, quand on a levé la barrière de la Tradition et de l'autorité de l'Église, qui les arrêtait. Dieu permet souvent que ceux qui voient et qui déplorent le mal que leur schisme et leur innovation font dans la Religion ne tirent pas la conséquence qu'ils en devraient tirer naturellement, pour se réunir à l'Église dont ils se sont injustement séparés. La Théologie des Protestants étant fondée uniquement sur l'Écriture fainte, ils ont été moins partagés que les Catholiques qui croient devoir se régler encore sur la Tradition, et sur ce qui a été défini dans les Conciles. De sorte que les Protestants ayant eu plus de temps pour étudier l'Écriture Sainte, ceux qui aimaient la Religion n'ont pas manqué de s'appliquer à réfuter les sentiments pernicieux de certains Auteurs de leur Communion. Voilà pourquoi on a cité dans cet Ouvrage quelques Protestants modernes. Comme ces Messieurs ont beaucoup travaillé à éclaircir le texte de l'Écriture sainte, et que d'habiles Gens d'entr'eux ont répondu fort heureusement aux objections des Incrédules, on a cru pouvoir profiter de leurs remarques dans une cause commune. Je leur rends toute la justice que je leur dois, et reconnais volontiers que j'ai lu leurs Ouvrages avec plaisir, et que j'en ai profité. Fasse le Ciel que le long schisme qui nous sépare cesse à la fin ; et que les Savants de l'une et de l'autre Communion se réunissent pour travailler tous ensemble au rétablissement du Règne de Jésus-Christ. Dieu ne semble-t-il pas nous y inviter, en bénissant les armes des Chrétiens contre les Indidèles, et nous montrer un champ où il y a une ample moisson à faire, si nos divisions domestiques ne nous empêchent pas de travailler de concert ?

L'empressement que l'on a eu parmi nous de lire le Traité de M. Abbadie sur la vérité de la Religion Chrétienne m'a fait croire que l'on était bien aise de la connaître et que l'on aimait à se confirmer dans la Foi. C'est ce qui a achevé de me déterminer à écrire sur cette matière que j'étudiais depuis quelque temps, persuadé qu'un Prêtre doit entendre l'Écriture Sainte et se rendre capable de l'expliquer aux autres selon les talents que Dieu lui a donnés.

La plus grande partie de nos habiles Gens emploient tout leur temps à éclaircir ce qui regarde l'Histoire et l'ancienne Discipline de l'Église : et s'il y en a qui étudient l'Écriture sainte,. c'est pour y trouver seulement des moralités, ou pour en découvrir le sens grammatical. Ces études ont leur utilité ; et l'on ne peut assez louer ceux qui s'appliquent à établir l'ancienne Tradition de l'Église, ou à nous montrer les divers changements arrivés dans sa police extérieure. C'est rendre un fort grand service à la Religion que de donner l'intelligence du texte de l'Écriture, et d'en expliquer la lettre. Le sens moral console les Fidèles, et leur fournit d'excellentes règles de conduite. Le grammatical encourage ceux qui se rebutent de la lecture des Livres Sacrés à cause des difficultés qu'ils rencontrent, et de la peine qu'ils ont à entendre le dessein et la suite des Livres les plus importants du Vieux et du Nouveau Testament.

Mais outre ces deux manières de lire et d'expliquer l'Écriture Sainte, il y en a une qui est encore plus nécessaire, et que les Théologiens et les Prédicateurs négligent un peu trop parmi nous, si l'on veut bien me permettre de dire librement ma pensée. C'est d'y chercher Jésus-Christ et la Religion, sans donner trop dans l'allégorie et dans ce que l'on apelle le sens mystique. Il n'y a rien de plus beau et de plus édifiant que la lettre de l'un et de l'autre Testament ; mais au lieu de ne s'appliquer qu'à la grammaire et à la critique du texte et de l'histoire, ne vaut-il pas mieux remarquer le rapport et l'analogie des deux Testaments, voir comment Jésus-Christ a été prédit et figuré, découvrir les preuves et les caractères de divinité qui sont dans ces Livres qui nous ont été donnés pour être la régie de nos mœurs et le fondement de notre espérance ? Saint Paul veut que nous lisions ainsi les saintes Lettres qui peuvent nous instruire pour le salut par la Foi qui est en Jésus-Christ. Toute Écriture divinement inspirée, dit-il, est utile pour instruire,pour convaincre, pour corriger, et pour conduire à la piété et à la juflice, afin que l'Homme de Dieu soit parfait, et toujours bien disposé à toutes sortes de bonnes œuvres. (7) En effet, qu'y a-t-il de plus consolant, de plus utile pour soi-même et pour les autres, en cas que l'on soit obligé de parler ou d'écrire, que de lire les Saintes Lettres dans la vue de s'instruire pour le salut, et de se confirmer de plus en plus dans la Foi en Jésus-Christ, de se rendre capable de convaincre les Incrédules, et de répondre à ceux qui nous demandent raison de ce que nous faisons profession de croire, de s'imprimer fortement dans l'esprit ce qui peut nous redresser et nous corriger, de sçavoir enfin parfaitement ce qui nous conduit à la piété et à la justice ? Heureux, si je ne perds jamais de vue ces divines paroles de l'Apôtre en étudiant l'Écriture Sainte, et si je puis inspirer à ceux qui liront cet Ouvrage l'envie de suivre une méthode si bonne et si sûre.

Pour ce qui est du dessein que l'on s'est proposé, et de l'ordre que l'on y a gardé, voici le plan de tout l'Ouvrage. On expose les faits principaux qui servent de fondement à notre sainte Religion, on en fait voir la vérité, et l'on représente les manières différentes dont Dieu a voulu être servi depuis la création du Monde. C'est pourquoi j'ai intitulé l'Ouvrage de la véritable Religion et non pas simplement de la vérité de la Religion Chrétienne. Ce premier essai comprend l'état de la véritable Religion depuis Adam jusqu'à Abraham, depuis Abraham jusqu'à Moïse et depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ qui lui a donné sa dernière perfection. J'aurais souhaité de prouver contre les Sociniens que la perfection de notre culte consiste à adorer un seul Dieu Père, Fils et Saint Esprit, de montrer que l'Apôtre et le Pontife de notre Religion est Dieu et Homme tout cnsemble, et que c'est par là que nous avons accès auprès de Dieu, d'expliquer plus au long la différence des alliances que Dieu a faites avec les Hommes, et de mettre dans leur jour les principes de la Morale que Jésus-Christ a prêchée. Mais parce qu'un dessein si vaste demande plusieurs volumes, il m'a semblé que je devais donner d'abord un essai, pour savoir plus certainement si mes études peuvent être utiles à l'Église, et si Dieu m'appelle à un si grand travail. Je le connaîtrai par la bénédiction qu'il donnera à cet Ouvrage, et par les ordres et les avis que je recevrai de la part de ceux qui ont le pouvoir de conduire les ouvriers qui travaillent dans la vigne du Seigneur.

La véritable Religion n'étant que la manière dont Dieu veut être servi, nous ne pouvons la connaître que par sa révélation. Les preuves philosophiques ne sont donc pas d'un grand usage dans une matière où il est question de savoir si Dieu a déclaré sa volonté aux Hommes ou non. L'existence de Dieu se démontre indépendamment de la révélation ; mais c'est une vérité prouvée une infinité de fois dans les principes de l'ancienne et de la nouvelle Philosophie. Devais-je répéter ce que l'on dit depuis si longtemps ? Je parle donc de la révélation de Dieu à Abraham, après avoir fait quelques remarques sur la Religion naturelle, et sur ce que l'Écriture sainte nous apprend du culte que les premiers Serviteurs de Dieu lui ont rendu. Voilà le sujet du premier Livre.

Je divise le suivant en trois parties. On parle dans la première de la Mission et des Miracles de Moïse, dont je prouve la vérité. La seconde est employée à justifier la sagesse et la sainteté de la Loi de Moïse contre les anciens Hérétiques qui l'ont rejetée comme mauvaise, et contre les Incrédules de ce temps qui la veulent faire passer pour une imitation bizarre de la Religion des Égyptiens.

J'avoue que j'aurais pu citer en cet endroit, et en plusieurs autres, les Pères de l'Église qui ont défendu la divinité du Vieux Testament contre les Marcionites et les Manichéens, et qui ont si bien réfuté les Juifs et les Païens. Mais j'ai cru que dans un Ouvrage où je combats le plus souvent des Gens qui ne reconnaissent pas même l'autorité de l'Écriture sainte, il suffisait de prendre les argumens des Pères, et de les mettre dans leur force, puisque leur nom et leur autorité ne pouvaient pas faire impression sur l'esprit de mes Adversaires. Le Lecteur voudra bien me faire la justice de croire que j'ai tout le respect possible pour les Saints Pères. Je suis persuadé que ce qu'il y a de bon dans cet Ouvrage est tiré de leurs livres, et de quelques Savants modernes. Le mal vient uniquement de moi ; et je crains d'avoir souvent manqué du discernement nécessaire pour profiter des bons livres que j'ai lus.

Dans la troisième partie du second livre, on tâche de défendre l'antiquité et l'inspiration du Pentateuque, et de quelques autres Livres Historiques du Vieux Testament contre Spinoza et contre deux Auteurs modernes, dont l'un est Catholique et l'autre Protestant. Je n'ai pas voulu les nommer, pour leur marquer que j'attaque seulement leurs sentiments. On espère que Dieu leur fera connaître que des conjectures qui donnent une si grande atteinte au fonds de la Religion sont insoutenables, et qu'ils répareront le scandale que leurs Ouvrages ont causé dans l'une et l'autre Communion.

J'ai l'honneur d'être d'un Corps qui aurait grand sujet de se plaindre des mauvaises plaisanteries qu'un de ces deux Écrivains s'est avisé de faire dans la Satire qu'il a imprimée contre un des premiers Hommes de l'Oratoire, et contre toute notre Congrégation, sous prétexte de donner la vie du Savant Père Morin. On a cru devoir mépriser un libelle qui ne pouvait faire tort qu'à celui qui le publiait. Mais puisque je rencontre ici l'Auteur en mon chemin, ne veut-il pas bien que je lui demande s'il a oublié les bienfaits de l'Oratoire ? Il y a de l'aparence qu'il ne serait pas devenu un si habile Homme si l'on n'avait pas eu la charité de l'y recevoir, dans l'espérance qu'il se rendrait capable de servir l'Église. Plût à Dieu que l'Auteur eut répondu aux bonnes intentions de ceux dont il parle si mal à propos dans une Satire fade et ridicule. S'il avait écouté les bons avis que tant d'Honnêtes Gens lui ont donnés, il n'aurait pas la confusion de voir ses paradoxes désavoués et rejetés de tous ceux qui aiment la Religion. Au reste, je serais bien fâché que le Public crût que j'attaque l'Auteur de l'Histoire Critique du Vieux Testament pour venger l'Oratoire de l'ingratitude d'un Homme qui y a trouvé de si grands secours. Il est visible que l'on ne pouvait se dispenser d'examiner son Système dans cet Ouvrage. Loin de vouloir rendre le mal pour le mal, on aime l'Auteur si sincèrement que nous serons les premiers à l'exciter, et à lui applaudir, quand il fera un meilleur usage de ce qu'il a pu apprendre chez nous.

Comme Dieu a envoyé un grand nombre de Prophètes pour confirmer les Juifs dans la Religion que Moïse leur avait préscrite et pour les préparer à celles que le Messie devait établir, on parle dans le troisième Livrce des Prophéties du Vieux Testament et de leur accomplissement en Jésus-Christ. Il est divisé pareillement en trois parties. J'emploie la première à prouver l'autorité et l'inspiration des Livres Prophétiques et de ceux que l'on appelle Sapientiaux. Je tâche de démêler dans la seconde les diverses Prophéties du Vieux Testament. Après avoir remarqué comment elles se soutiennent les unes les autres, je décris l'état de la Religion et de la République des Juifs au temps de la naissance du Messie. Cela était nécessaire pour bien prouver dans la troisième partie que les Prophéties du Messie conviennent parfaitement à Jésus-Christ.

Je suis dans le quatrième livre la méthode que je m'étais proposée dans le second, pour expliquer la Religion des Juifs. Je démontre dans la première partie la vérité de la Mission de Jésus-Christ par le témoignage de Saint Jean, par les miracles et par la résurrection de Jésus-Christ même, par la descente du Saint Esprit sur les Apôtres, par leurs miracles, et par le progrès de l'Évangile dans tout le Monde, par le témoignage des Martyrs et des grands Hommes convertis parles Apôtres, ou par leurs Disciples.

J'ai cru qu'il suffisait d'exposer simplement les préceptes de la Morale de Jésus-Christ, pour en faire voir la sainteté. Il y a dans les Écrits des Apôtres certains caractères de divinité qui se font sentir à ceux qui ont été ébranlés par les preuves que l'on a données auparavant. C'est ce qui m'a obligé de rapporter le plus simplement qu'il m'a été possible ce que Jésus-Christ et les Apôtres disent de plus précis sur les principaux devoirs de l'Homme envers Dieu, envers le Prochain, et envers lui-même. Il y aurait beaucoup de remarques à faire sur les promesses, et sur le culte de la Religion Chrétienne, mais l'ouvrage serait trop long. Il faut donc se contenter de dire les choses assez succinctement. J'avoue que j'ai beaucoup de regret de ne pouvoir m'étendre assez sur une si belle preuve de notre Religion. Elle me paraît doutant plus importante qu'elle va droit au cœur, qui ne manque jamais d'entraîner l'esprit en certaines occasions, surtout lorsque l'esprit semble n'oser faire la première démarche, et attendre que le cœur se mette de la partie.

Pour suppléer ce qui manque à cet endroit du quatrième Livre, j'ai cru que je ne ferais pas mal de donner une Paraphrase littérale sur les Livres du Nouveau Testament, où j'explique, le plus nettement et le plus brièvement qu'il m'est possible, le sens des Évangiles et des Épîtres des Apôtres que je regarde comme les premières Apologies de la Religion Chrétienne. C'est pourquoi je tâche d'y faire remarquer comment ces Hommes divins en ont prouvé la vérité contre les Juifs et contre les Ennemis de Jésus-Christ. Il est évident qu'ils nous ont conservé les sermons et les paraboles de Jésus-Christ pour nous faire sentir qu'une Morale si pure, qu'une Doctrinc si relevée, qu'une manière de servir Dieu si digne de lui a dû être apportée du Ciel. Le premier volume de cette Paraphrase paraîtra dans quelques jours. Si l'on trouve qu'elle puisse être utile au Public, on en donnera la suite de temps en temps.

Enfin, la troisième partie du quatrième Livre contient les preuves de l'autorité, et de l'inspiration des Livres sacrés du Nouveau Testament. lmprimez, Seigneur, dans le cœur de tous les Chrétiens, et dans le mien, les vérités que je tâche d'établir dans ce premier Ouvrage. Effrayé de ce reproche terrible de votre Prophète : Dieu a dit au Pécheur : pourquoi parles-tu de mes Commandements ? Qui t'a mis les paroles de mon alliance dans la bouche ? Effrayé, dis-je, d'un reproche qui me regarde plus qu'aucun autre, je vous demande, Seigneur, la grâce d'une conversion sincère. Ne permettez pas que je sois couvert de confusion au jour que vous jugerez le Monde selon la justice. À vous soit gloire, magnificence, force et empire par Jésus-Christ Notre Seigneur, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Amen. (8)

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(1) Épître aux Hébreux : 11.1.
(2) Épître aux Hébreux : 1.1.
(3) Épître aux Hébreux : 12.1.
(4) Deuxième épître aux Corinthiens : 10.4-5.
(5) Épître aux Hébreux : 12.2.
(6) Deuxième épître à Timothée : 1.12.
(7) Deuxième épître à Timothée : 3.15-16-17.
(8) Épître de saint Jude : 1.25.


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