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MICHEL LE VASSOR

(1646-1718)


Michel Le Vassor est né à Orléans en 1648 dans une famille bourgeoise. Sa mère, Catherine Pâris, était fille d'un conseiller au présidial d'Orléans ; un de ses frères fut aussi Conseiller au présidial. Poussé par son père vers la vie religieuse, il prit l'habit de novice successivement aux Cordeliers et dans la maison de chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, avant d'entrer à l'Oratoire, où, sous la direction du P. Martin, il étudia les oeuvres des Pères de l'Église, en particulier saint Augustin. Après avoir été professeur dans plusieurs collèges, il enseigna la théologie à Paris au séminaire de Saint-Magloire.

Il prépara alors une Paraphrase sur l'évangile de saint Mathieu (1688), une Paraphrase sur l'évangile de saint Jean, sur l'épître de saint Paul aux Romains, sur celle aux Galates et sur l'épître catholique de saint Jacques (1689), des ouvrages où il ne manque pas de critiquer les écrivains protestants.

Il publia surtout un Traité de la véritable religion, dédié à l'Archevêque de Paris.:

Dans le livre I, il pose pour fondement qu'il y a un Dieu et que le monde a commencé. Puis il conduit la Religion jusqu'à la révélation faite à Abraham. Dans le livre II, il établit la mission et les miracles de Moïse, et répond aux critiques des libertins qui nient la vérité de ces miracles ; il justifie la sainteté de la Loi contre les hérétiques et contre les incrédules qui veulent la faire passer pour une imitation de la religion des Égyptiens ; il défend l'antiquité du Pentateuque et prouve qu'il est de Moïse, attaquant les systèmes de Spinoza, du P. Simon et de Jean le Clerc. Dans le livre III, il prouve la vérité des livres Prophétiques et Sapientiaux et montre que les prophéties conviennent à Jésus-Christ. Dans le livre IV, il prouve la mission de Jésus-Christ et la vérité de la Religion par la pureté de sa morale ; il traité de l'autorité des livres du Nouveau Testament et de l'inspiration des apôtres.

Ce traité lui ayant valu quelques critiques de la part de ses supérieurs, il commença à s'éloigner de la doctrine des Oratoriens en se rapprochant du protestantisme et en adhérant aux thèses du théologien Jacobus Arminius, qui tendait à modérer les idées de Calvin. Puis, n'ayant pu obtenir un bénéfice, sur les revenus duquel il comptait vivre, il rompit avec l'Oratoire en 1690 et partit en Hollande en 1695, où il se retrouva au milieu de calvinistes chassés par la révocation de l'édit de Nantes.

En 1697, il se fixa à Londres et il adhéra aussitôt à l'anglicanisme, qui se voulait un compromis entre le calvinisme et le catholicisme. Il publia alors en 1697 un Traité de la manière d'examiner les différends de religion, dédié au roi de Grande Bretagne Guillaume III, dans lequel il justifie la Réformation d'Angleterre. Il est aussi l'auteur de Lettres et Mémoires de François de Vargas, de Pierre de Malvenda et que quelques Évêques d'Espagne touchant le Concile de Trente, traduits de l'espagnol, avec des remarques (Amsterdam, 1699). Dans le texte de la dédicace, il parle de « l'attachement inviolable » qu'il a voué à l'Église anglicane.

Il eut alors pour protecteur l'évêque de Salisbury, l'Écossais Gilbert Burnet, connu pour ses attaques violentes contre le catholicisme. En 1698, il publia une traduction du Sermon prêché en présence de S.M.B. le jour d'actions de grâces pour la paix par M. l'évêque de Salisbury. Burnet, reconnaissant, lui fit avoir une pension  et le proposa au Roi pour enseigner l'histoire au duc de Glocester (mais celui-ci mourut). Alors il lui ouvrit la maison de Hans Willem Bentinck, un ancien page du stathouder de Hollande, devenu comte de Portland, pair d'Angleterre et ambassadeur de France en 1698. Le Vassor fut chargé d'enseigner l'histoire au fils aîné du comte, Henry Bentinck, duc de Portland, titré vicomte de Woodstock (né en 1682). Il passa ainsi quelque temps à La Haye, puis il passa en Angleterre.

Parallèlement à son enseignement, Michel Le Vassor travailla surtout à une grande Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de Navarre, qu'il dédia à son élève "mylord vicomte de Woodstock" (10 volumes, datés entre 1700 et 1710, et réimprimés tous trois ou quatre fois).

Cet ouvrage était plus une satire contre tout le monde qu'un véritable histoire. C'est peut-être pour cette raison que ses protecteurs l'abandonnèrent : il fut contraint de quitter la maison de lord Portland et de renoncer à l'amitié du pasteur de l'Église wallonne Jacques Barnave. Il passa quelque temps chez Mylord Wharton ; puis mylord Montaigu le fit nommer à un bénéfice, qui lui permit d'ajouter quelques revenus à la pension de 100 livres sterling dont le roi l'avait gratifié dès 1697.

Il vécut encore quelques années, loin de sa ville natale, alors qu'en France Philippe d'Orléans, régent, avait succédé à Louis XIV.

Il mourut dans le comté de Northampton, dans l'été 1718.


La préface de son Histoire de Louis XIII contenait de vives attaques contre le despotisme exercé par Louis XIV (on a dit qu'il craignit une réaction du roi qui aurait pu le faire enlever et le ramener en France) :

"Mon but principal c'est de représenter la manière dont, après la mort d'Henri IV, on a travaillé à ruiner le peu de liberté qui restait en France, à opprimer le clergé, la noblesse et le peuple, enfin à jeter les fondements de cette puissance énorme qui a fait peur en nos jours à toute l'Europe. […]
Je pense du Cardinal de Richelieu tout autrement que ses flatteurs, car enfin je ne puis regarder qu'avec horreur un prélat qui sacrifie à son ambition la liberté de sa patrie et le repos de toute l'Europe. […]
Dans un gouvernement absolu et tyrannique, tout se fait pas la volonté du Prince. Le Favori, la Maîtresse ont leur autorité. Quand ils sont une fois bien établis, le fer, le poison, les fausses accusations, la violence sont les seuls moyens qu'on emploie pour se défaire de ses ennemis, et pour se maintenir. […]
Dès que Louis XIV est venu au but que Richelieu et Mazarin s'étaient proposé et auquel ils lui ont ouvert le chemin, tout se fait, tout se distribude par le moyen d'un ou de deux Ministres, d'une Maîtresse ou d'une certaine Dame. […] Les Princes, les Grands Seigneurs, les Parlements, tout est dans le respect et le silence. Les guerres, les alliances, les grandes affaires se résolvent avec les Ministres, la Maîtresse, ou la Dame. On ne s'avance, on n'obtient de l'emploi et des dignités que par l'un de ces trois canaux. […] Tout se fait à force d'argent, ou par menaces. […] Il n'en est pas tout à faite de même sous le règne de son Père. […]
Dois-je souhaiter que la France devienne la maîtresse de toute l'Europe ? Dois-je approuver l'ambition démesurée du Prince qui la gouverne? Dis-je louer mes compatriotes de ce qu'ils travaillent eux-mêmes à forger les fers dont ils sont accablés? […]
Aimer ce qu'on appelle en France "la puissance et le gloire du Roi", ce serait travailler à l'établissement de la Tyrannie. Depuis que les principes de la détestable politique de Machiavel se sont inytroduits en Europe, un Prince se croit puissant et glorieux quabd il a trouvé le moyen de se rendre sûrement le Maître absoku de la vie et des biens de son peuple et de s'agrandir impunément aux dépens de ses voisins. Si ce n'est pas là une véritable tyrannie, tous les hommes du monde se sont trompés. […] Que les gens nés pour l'esclavage me traitent, s'ils veulent, d' "auteur sédicieux" (c'est aini qu'on parle mainteant de ceux qui aiment encore la liberté, dans un pays où elle est entièrement éteinte) je ne m'en mets pas en peine."

La préface de son Traité de la manière d'examiner les différends de religion contenait une critique sur la police de la pensée sous le rège de Louis XIV, surtout en matière religieuse :

"Que peut-on espérer désormais sous un Gouvernement qui a établi une espèce d'Inquisition secrète qui ne gêne pas moins les esprits qu'en Espagne et en Italie ? Ceux qui ont de la lumière et de bonnes intentions à peine peuvent-ils penser librement. On censure les choses les plus innocentes, les plus véritables. Les demi-savants, les dévots s'effraient de tout. Dès qu'un homme sincère veut dire la vérité et combattre la moindre erreur populaire, on crie à l'Hérétique. Ceux qui devraient l'appuyer sont les premiers à le condamner et à le persécuter. Les plus équitables le plaignent en secret."


Voltaire a contesté beaucoup ds affirmations de Le Vassor, ainsi que son style :

« Le Vassor, compilateur grossier, qui a fait un libelle en dix-huit volumes de l'histoire de Louis XIII, dit que "l'établissement de l'Académie est une preuve de la tyrannie du cardinal. Il ne put souffrir que d'honnêtes gens s'assemblassent librement dans une maison particulière". On sent bien que cette imputation ne mérite pas d'être réfutée, mais on ne doit pas perdre ici l'occasion de remarquer que cet écrivain aurait dû mieux profiter des premières leçons de l'Académie ; elles lui auraient appris à écrire d'un style moins barbare, avec un fiel moins révoltant, d'une manière plus judicieuse, et à ne pas blesser à la fois la vérité, la langue et le bon sens. » (Histoire du Parlement, chap. 52).

« Levassor (Michel), de l'Oratoire, réfugié en Angleterre. Son Histoire de Louis XIII, diffuse, pesante, et satirique, a été recherchée pour beaucoup de faits singuliers qui s'y trouvent ; mais c'est un déclamateur odieux qui, dans l'Histoire de Louis XIII, ne cherche qu'à décrier Louis XIV, qui attaque les morts et les vivants ; il ne se trompe que sur peu de faits, et passe pour s'être trompé dans tous ses jugements. Mort en 1718. » (Siècle de Louis XIV, Catalogue des écrivains français).


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