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Marie-Anne Barbier

TOMYRIS

tragédie


 

A SON ALTESSE SERENISSIME MADAME LA DUCHESSE DU MAINE

Princesse, digne sang de ces nobles aïeux
Que la gloire a placés au rang des demi-dieux,
Reçois l'humble tribut d'une Muse timide.
Du sort de mes pareils c'est ton goût qui décide :
D'un accueil favorable honore Tomyris ;
Un seul de tes regards en fera tout le prix.
Je n'ai pu lui choisir de retraite plus sûre
Pour la mettre à couvert des traits de la censure.
Hé, n'est-ce pas chez toi qu'on voit de toutes parts,
Comme en un lieu d'asile, accourir les beaux-arts ?
Fugitifs, effrayés des horreurs de la guerre,
Ils semblent se bannir du reste de la Terre ;
Et les neuf doctes Sœurs, par l'aveu d'Apollon,
Du beau séjour de Sceaux font leur sacré vallon.
C'est-là qu'avec plaisir on te voit, sur la scène,
Imiter tour à tour Thalie et Melpomène.
Quelles grâces alors, que d'attraits à la fois
Prête aux plus faibles vers la douceur de ta voix !
Mais puis-je m'arrêter (et sans m'en faire un crime)
À ce qui n'est qu'un jeu de ton esprit sublime,
Lorsqu'un si vaste champ s'ouvre devant mes pas ?
Que ne puis-je y courir ! que n'y verrais-je pas !
Quels secrets à nos yeux dérobe la nature,
Dont tu n'oses percer la nuit la plus obscure !
Quel abîme profond s'offre à l'esprit humain,
Dont tu ne te sois pas aplani le chemin ?
Mais quels sont les projets où ma Muse s'égare ?
Quoi ? je vais dans les airs me perdre avec Icare ?
J'oserois te chanter ! que j'en suis encor loin !
Non, ce n'est pas à moi qu'appartient un tel soin.
Heureuse, si je puis, pour le prix de mes veilles,
Occuper un moment tes yeux et tes oreilles !
Mais plus heureuse encor (je n'ose m'en flatter)
Si tu chéris mes vers jusqu'à les réciter !
Quel serait mon destin ! Une gloire si belle
D'une nouvelle ardeur animerait mon zèle.
Tous mes vers, à ton nom consacrés désormais,
Seraient trop assurés de ne vieillir jamais.


ACTEURS

 
TOMYRIS, Reine des Messagètes.
CYRUS, Roi de Perse.
ARYANTE, Roi des Issedons.
MANDANE, Princesse des Mèdes.
ARTABASE, Ambassadeur de Cyrus.
ARIPITHE, Capitaine des Gardes de Tomyris.
ORONTE, Général des Issedons.
GELONIDE, Confidente de Tomyris.
CLEONE, Confidente de Mandane.
GARDES.

La scène est en Scythie, dans la tente de Tomyris.



ACTE I

 

Sont en scène TOMYRIS, ARIPITHE et GELONIDE. – I,1– page 175

TOMYRIS
Oui, malgré les transports que ma douleur m'inspire,
Apprenons quelles lois Cyrus veut nous prescrire.
C'est son ambassadeur qui demande à me voir.
Je veux bien l'écouter : allez le recevoir,
Aripithe, et qu'il soit introduit dans ma tente.

 

ARIPITHE sort. – I,2 – page 176 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

GÉLONIDE
Daigne le juste Ciel répondre à mon attente !
Puisse le fier vainqueur nous accorder la paix !

TOMYRIS
Ne me fais pas rougir par d'indignes souhaits.
Cyrus est mon vainqueur. De ses sanglantes rives
L'Araxe a vu partir mes troupes fugitives ; [10]
Et de mes ennemis ce camp environné
Ne laisse aucun espoir au Scythe consterné. [*12]
Mais en vain je prévois ma perte inévitable ;
Le cœur de Tomyris est toujours indomptable.

GÉLONIDE
Ah, Madame ! ce cœur, fût-il encor plus fier,
Peut-il de vos États voir le ravage entier ?
Mais au moins partagez nos mortelles alarmes ;
Écoutez nos soupirs, voyez avec nos larmes
Tant de sang qui pour vous en ces lieux a coulé.

TOMYRIS
Achève, et parle-moi de mon fils immolé. [20]
Ranime mon courroux par ces honneurs funèbres
Que je viens de lui rendre au milieu des ténèbres.
Montre-moi ce bûcher dont la noire vapeur
Élevait jusqu'au ciel mes vœux et ma douleur.
Ce tombeau, cette cendre et cette urne funeste
De Spargapise , hélas ! c'est tout ce qui me reste,
Ô mon fils !

GÉLONIDE
                        Ah ! Madame, il n'y faut plus songer.

TOMYRIS
Dis plûtôt que je dois périr, ou le venger.
Cyrus nous fait trembler, mais qu'il tremble lui-même :
Je tiens en mon pouvoir la Princesse qu'il aime ; [30] [*30]
Et lorsqu'il se promet de triompher de moi,
Je me trouve en état de lui faire la loi.

GÉLONIDE
Ah ! plutôt de ces lieux qu'il parte avec Mandane ;
Qu'il repasse l'Araxe et revoie Ecbatane. [*34]
Prévenez notre perte et calmez son courroux.
Nous avons trop gémi sous le poids de ses coups.
Le seul nom de Cyrus est l'effroi de la terre :
Qu'il porte loin d'ici le flambeau de la guerre.

TOMYRIS
Quels que soient les malheurs que tu me fais prévoir,
Je ne me repens pas d'avoir fait mon devoir. [40]
Peut-être je me suis attiré cet orage.
Mais tu sais que Cyrus me donnait de l'ombrage.
A l'hymen de Mandane il élevait ses vœux.
Cet hymen m'alarma. D'indissolubles nœuds
Unissaient contre moi Cyrus et Ciaxare. [*45]
Des Mèdes, tu le sais, l'Araxe nous sépare.
Que n'auraient ils point fait, soutenus des Persans,
Ces voisins qui sans eux n'étaient que trop puissants ?
Toujours la liberté fut chère aux Massagètes.
Non, pour porter des fers nos mains ne sont point faites, [50]
Gélonide, et je crus qu'il fallait prévenir
Un malheur que mes yeux lisaient dans l'avenir.
Tout me favorisait. Frappé de jalousie,
Crésus contre Cyrus armait toute l'Asie. [*54]
Je prends ce temps heureux, j'assemble des vaisseaux ;
Spargapise est chargé de traverser les flots :
Il s'embarque et, suivi d'une nombreuse escorte,
Mouille devant Sinope où l'Euxin le transporte. [*58]
Des douceurs du repos Cyaxare enivré,
A ce revers du sort n'était point préparé. [60]
Dénué de soldats, que peut-il entreprendre ?
Il songe à se sauver ne pouvant se défendre.
Il fuit, il abandonne, agité de frayeur,
La Princesse sa fille au pouvoir du vainqueur. [*64]
Ainsi, de tant d'États l'orgueilleuse héritière
Au milieu de sa Cour devint ma prisonnière ;
Et, conduite en ces lieux par les soins de mon fils,
Le destin de l'Asie en mes mains fut remis.
Les armes à la main, Cyrus nous la demande ;
Mais il en frémira s'il faut que je la rende. [70]

GÉLONIDE
Vous pourriez…

TOMYRIS
                            Il suffit ; et bientôt tu vas voir
Ce que peut Tomyris réduite au désespoir.
La seule ambition n'est pas ce qui m'anime.
Cyrus m'ose outrager ; mais je tiens ma victime.
Je t'en atteste ici, Flambeau de l'Univers :
La mort, la seule mort pourra briser ses fers.

 

Entre ARIPITHE – I,3 – page 179 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE, ARIPITHE

ARIPITHE
Madame, de Cyrus l'Ambassadeur s'avance.

TOMYRIS
                                                        Qu'il entre.

 

ARIPITHE sort. Entre ARTABASE – I,4 – page 179 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE, ARTABASE, suite.

ARTABASE
Le vainqueur, pressé par sa clémence,
Aux droits de sa victoire est prêt à renoncer,
Madame ; c'est à vous enfin à prononcer [80]
Du sort de vos sujets l'arrêt irrévocable.
Cependant, quand son bras peut vous perdre à jamais,
Il en suspend les coups pour vous offrir la paix.
Rendez sans différer Mandane à Cyaxare :
Le crime est pardonné, pourvu qu'on le répare.

TOMYRIS
Que parlez-vous de crime ? Et de quel front, Seigneur,
Pouvez-vous me vanter les bontés d'un vainqueur
Qu'on a vu jusqu'ici, de sang insatiable,
Par d'éclatants forfaits se rendre mémorable ?
Quoi ? ne peut-il souffrir Mandane entre nos mains ? [90]
Lui qui, bravant les lois des Dieux et des humains,
Sur de pompeux débris vient d'élever son trône ?
N'a-t-il pas mis aux fers Sardis et Babylone
Et, semant en tous lieux l'épouvante et l'horreur,
Jusqu'aux murs de Memphis étendu sa fureur ? [*95]
Dans quel coin de l'Asie est-il encor des Princes
Dont il n'ait par le fer ravagé les provinces ?
Il traîne après son char vingt captifs couronnés.
Qui lui donne ce droit sur ces infortunés ?
Cependant il se plaint, il accuse, il condamne : [100]
C'est un crime, dit-il, que retenir Mandane :
Tandis qu'il foule aux pieds tant de Rois abatus
Et qu'il met ses fureurs au nombre des vertus,
Pour obtenir de moi la Princesse qu'il aime,
Aux trônes usurpés qu'il renonce lui-même. [*105]
Que, par un noble exemple, il ose m'exciter,
Et je verrai, Seigneur, si je dois l'imiter.

ARTABASE
Je suis surpris, Madame, et je ne puis m'en taire.
Vous blâmez un Héros que l'Univers révère.
Cependant ses vertus, malgré vos soins jaloux, [110]
Ont fait assez de bruit pour venir jusqu'à vous.
Mais il en faut ici rappeller la mémoire
Puisque l'on me réduit à défendre sa gloire.
Vous savez de Cyrus quels furent les aïeux :
Il les voit remonter jusqu'au Maître des Dieux.
Il fit trembler les Rois même avant que de naître. [*116]
L'Asie en frémissant le reconnut pour Maître,
Et, pour nous annoncer sa future grandeur,
Le Dieu qui nous éclaire en perdit sa splendeur.
Je ne vous parle point des fureurs d'Astyage [120]
Qui, pour trancher ses jours, choisit la main d'Arpage. [*121]
Cyrus fut garanti de cette affreuse loi
Et, par le soin des Dieux, il vécut, il fut Roi.
Ce Roi dont la naissance avait troublé le monde,
Se bornait à régner dans une paix profonde
Lorsque des Lydiens le Maître ambitieux [*126]
Se chargea d'accomplir les volontés des Dieux.
Crésus fut le premier à nous faire la guerre :
Son trône par Cyrus d'abord fut mis par terre.
Le fils de Nitocris partageant sa fureur [130] [*130]
Bientôt dans Babylone eut part à son malheur.
De ces deux Rois unis tel fut le sort funeste :
Ils tombèrent ; leur chute entraîna tout le reste.
Et Cyrus, signalant la douceur de ses lois,
Fait autant de sujets que l'Asie eut de Rois.
D'un sort commun à tous j'excepte Cyaxare ;
Mais à quitter le sceptre enfin il se prépare.
De son père Astyage il condamne l'erreur [*138]
Et donne à ses États Cyrus pour successeur.
Charmé de ses exploits, il voit sans jalousie [140]
Qu'il mérite lui seul l'Empire de l'Asie ;
Il cède, il reconnaît que les Dieux tout-puissants
Le veulent transporter des Mèdes aux Persans
Et, content de régner encor dans sa famille,
Il destine à Cyrus et son trône et sa fille.
Enfin avec les Dieux tout semble consentir.

TOMYRIS
Et moi seule aujourd'hui je veux le démentir.
Cyrus aspire en vain au trône d'Ecbatane, [*148]
S'il ne doit y monter qu'en épousant Mandane.
Si je laissais unir deux Empires si grands, [150]
Bientôt dans mes voisins je verrais mes tyrans.
Je suis libre et, plutôt que me voir asservie,
Je perdrai, s'il le faut, et le trône et la vie.

ARTABASE
Cyrus, de ses exploits prêt à borner le cours,
Vous laisse votre sceptre et respecte vos jours.
Il vous offre la paix : acceptez-la, Madame.
N'attirez plus sur vous et le fer et la flamme.
Pour avoir de mon Roi négligé les avis, [*158]
Il vous en a coûté le sang de votre fils.

TOMYRIS
Et contre ce cruel c'est-là ce qui m'anime. [160]

ARTABASE
Des rigueurs du destin lui faites-vous un crime ?
Votre fils n'est pas mort de la main de Cyrus. [*162]
Le voyant expiré, que pouvait-il de plus ?
Pour permettre à vos pleurs d'en arroser la cendre,
Dans un pompeux cercueil il vient de vous le rendre.

TOMYRIS
Vains honneurs ! faux respects ! Ah ! je dois l'en punir.
Ma fureur plus longtemps ne peut se contenir
Et Cyrus a pris soin de la rendre implacable.
En vain au monde entier son nom est redoutable,
En vain sous sa puissance il pense m'accabler : [170]
S'il ne quitte ces lieux, c'est à lui de trembler.
Fier des sanglants effets de sa valeur cruelle,
Il me brave, il insulte à ma douleur mortelle.
Le barbare ! il me rend mon fils dans un cercueil.
Qu'il s'éloigne, ou bientôt, pour punir son orgueil,
Dans le même cercueil je lui rendrai Mandane.
S'il balance, elle est morte, et lui seul la condamne.

ARTABASE
Dieux ! qu'entends-je ! Ah ! craignez le courroux de Cyrus.

TOMYRIS.
Portez-lui ma réponse, et ne répliquez plus.

 

ARTABASE sort. – I,5 – page 184 –En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

GELONIDE
Qu'avez-vous fait, Madame ? Ô Ciel ! quelles tempêtes [180]
Cette horrible menace assemble sur nos têtes !

TOMYRIS
Hé, crois-tu que Cyrus, par un funeste effort,
De Mandane aujourd'hui veuille avancer la mort ?
Non ; pour sauver ses jours il mettra bas les armes,
Et bientôt son départ va calmer tes alarmes.

GÉLONIDE
Laisser Mandane aux fers, ou lui ravir le jour,
Quel arrêt pour Cyrus ! quel sort pour son amour !

TOMYRIS
Tu le plains ! justes Dieux ! Je suis bien plus à plaindre.

GÉLONISE
Il ne tiendrait qu'à vous de n'avoir rien à craindre.

TOMYRIS
Hélas !

GÉLONIDE
                  Jusqu'aujourd'hui la fière ambition [190]
Fut de votre grand cœur l'unique passion ;
Et la perte d'un fils n'est pas irréparable,
Aryante vous reste.

TOMYRIS
                                   Et c'est ce qui m'accable. [*193]
Le jeune Spargapise, à mes ordres soumis,
Ne me montra jamais qu'un sujet dans un fils.
Aryante, plus fier, n'est pour moi qu'un rebelle ;
Son frère mort lui donne une fierté nouvelle.
En vain des Issedons je l'ai déclaré Roi :
Il n'est pas satisfait, s'il ne règne sur moi.

GÉLONIDE
C'est pour vous secourir qu'il est venu, Madame. [200]

TOMYRIS
Je perce mieux que toi les secrets de son âme.
Il a beau se cacher ; j'entrevois tous les jours
A quel prix il me prête un importun secours.
Il adore Mandane, il s'oppose à ma haine.

GÉLONIDE
Je le vois : vous craignez qu'il ne la fasse Reine
Et qu'un jour, Cyaxare appuyant son dessein,
Ne vous fasse tomber le sceptre de la main.

TOMYRIS
Non, d'un si vain projet je ne m'alarme guère.
Plût aux Dieux qu'à mon fils désormais moins contraire
Mandane consentît à le voir son époux ! [210]
J'aurais bien plus d'espoir, et bien moins de courroux.
Cyrus serait trahi ; je serais trop vengée.
Mais enfin trop avant je me suis engagée ;
Il est temps que mon cœur se montre tout entier.
Gélonide, ce cœur qui te paroit si fier,
Quand il poursuit Cyrus, crois-tu qu'il le haïsse ?

GÉLONIDE
Quoi, Madame… ?

TOMYRIS
                         L'amour fait mon plus grand supplice.

GÉLONIDE
Dieux ! que m'apprenez-vous ? Quoi ! Cyrus aurait pu
Vous inspirer…

TOMYRIS
                        Hélas ! tu sais que je l'ai vu.
Pour l'aimer, Gélonide, en faut-il davantage ? [220]
D'un seul de ses regards ma flamme fut l'ouvrage.
Tu te souviens du jour où ce fier conquérant
Sur ces bords malheureux parut comme un torrent.
Il me fit demander un moment d'entrevue :
J'y consentis ; mon âme en est encore émue.
Mon cœur, à ce héros en esclave soumis,
N'osa plus le compter entre ses ennemis.
Il demanda Mandane, et tu peux bien comprendre
Si je fus jamais moins en état de la rendre.
Tu sais quel fut le fruit d'un si long entretien : [230]
Cyrus demandait trop, et je n'accordai rien.
La nuit nous sépara : mais l'amour qui m'enflamme
Avait gravé ses traits dans le fond de mon âme.
J'en perdis le repos ; que te dirai-je enfin ?
On offrit à Cyrus ma couronne et ma main. [*235]
De maximes d'État je couvris ma faiblesse,
Et mon ambition parla pour ma tendresse.
Quel en fut le succès ? Cyrus, l'ingrat Cyrus,
Pour prix de mes bontés m'accabla d'un refus.

GÉLONIDE
Ah ! rappellez ici la fierté de votre âme : [240]
Il faut punir Cyrus, mais par l'oubli, Madame.

TOMYRIS
Hé puis-je oublier ? Crois-tu que mon amour,
Comme il s'est allumé, s'éteigne dans un jour ?
Que tu le connais mal ! Mais connais-je moi-même,
Dans ce que j'entreprends, si je hais ou si j'aime ?
Sais-je bien si je dois aux transports de mon cœur
Donner le nom d'amour ou le nom de fureur ?
Hélas ! en éloignant Cyrus de ma rivale,
J'exerce une vengeance à mon amour fatale.
Mon cœur en gémira. Je le sais, je le vois ; [250]
Mais ma rivale au moins gémira comme moi.
Ma peine partagée en sera moins affreuse.
Je ferai mon bonheur de la voir malheureuse.
Du départ de Cyrus voilà ce que j'attends ;
Mais qu'il parte aujourd'hui : demain il n'est plus temps.
Ma fureur souffre trop à se voir suspendue.
Qu'il se hâte, l'ingrat, ou Mandane est perdue.

GÉLONIDE
Ah ! Madame, craignez que le Roi votre fils…
Vous savez qu'à vos lois son cœur est peu soumis.
Que ne fera-t-il point pour sauver ce qu'il aime ? [260]

TOMYRIS
S'il ose l'entreprendre, il est perdu lui-même.

Mais il vient, et je dois me contraindre à ses yeux.

 

Entrent ARYANTE, fils de Tomyris et roi des Issedons, et ORONTE, général des Issedons. – I,6 – page 188 – En scène : TOMYRIS, ARYANTE, ORONTE, GELONIDE.

ARYANTE
Quelles sont les horreurs qu'on m'apprête en ces lieux,
Madame ? Si j'en crois ce qu'on vient de me dire,
À me donner la mort votre vengeance aspire.
Car j'adore Mandane, et c'est vous dire assez
Qu'il faut d'un même fer que nos cœurs soient percés.

TOMYRIS
Hé ! qui vous fait aimer ma mortelle ennemie ?
Dois-je étouffer ma haine au gré de votre envie ?
Et ne pourrai-je enfin venger la mort d'un fils, [270]
Qu'autant que par son frère il me sera permis ?
Pour vous avoir fait Roi, ne serai-je plus Reine ?
Prince, défaites-vous d'une fierté si vaine,
Songez que de ma main votre sceptre est un don : [274]
Je veux régner ici ; régnez dans Issedon.

ARYANTE
Ainsi donc, je ne dois qu'aux bontés d'une mère
Un sceptre qui me fut destiné par un père,
Madame. Ce dépôt, que vous m'avez rendu,
Était donc votre bien, et ne m'était pas dû ?
Un fils plus fier que moi vous répondrait peut-être [280]
Que, même dans ces lieux, il peut parler en maître
Et qu'autrefois son père, ayant nommé deux Rois,
D'un frère qui n'est plus lui transmit tous les droits.
Non, régnez, j'y consens ; et chez les Massagètes,
Jusqu'au dernier soupir, soyez ce que vous êtes.
Mais ne me forcez pas, par une injuste loi,
À cesser d'être fils pour n'être plus que Roi
Et ne menacez plus les jours de ma Princesse,
Lorsqu'à la protéger tant d'amour m'intéresse.

TOMYRIS
Je devrais n'écouter que mon ressentiment ; [290]
Mais je pardonne au fils les fautes de l'amant.
Sachez que vous n'avez que grâces à me rendre,
Que j'ai plus fait pour vous que vous n'osiez prétendre
Et que, si le succès répond à mes desseins,
Mandane pour toujours demeure entre vos mains.
Adieu ; mais désormais par plus d'obéissance
Montrez ce que sur vous peut la reconnaissance.

 

TOMYRIS et GÉLONISE sortent. – I,7 – page 189 –  En scène : ARYANTE, ORONTE.

ARYANTE
Oronte, qu'en crois-tu ? Tu l'entends, tu le vois.
Son orgueil se dément pour la première fois.
Dois-je être en sûreté pour moi, pour ce que j'aime ? [300]

ORONTE
Je l'avouerai, Seigneur, ma surprise est extrême,
Et je connaîtrais mal le cœur de Tomyris
Si d'un tel changement je n'étais pas surpris.

ARYANTE
Je le connais trop bien pour m'y laisser surprendre ;
Je sais de ses bontés ce que je dois attendre.
Non, ma superbe Mère a beau dissimuler :
Plus elle me rassure, et plus je dois trembler.
N'ai-je pas vu cent fois son cœur, de sang avide,
Ne prendre en ses projets que sa fureur pour guide
Et, sacrifiant tout à ses moindres soupçons, [310]
Tracer à ses enfants de sanglantes leçons ?
Je frémis des horreurs que mon esprit rassemble.
Mais, si je dois trembler, qu'à son tour elle tremble.
Du sang de Tomyris j'ai déjà la fierté.
Si je vais quelque jour jusqu'à sa cruauté,
Jusqu'à suivre ses pas si jamais je m'égare,
Je serai digne fils d'une mère barbare.

ORONTE
Ne précipitez rien, Seigneur, et gardez-vous
D'attirer sur vous-même un funeste courroux.

ARYANTE
Ah ! qu'il tombe sur moi ce courroux si terrible, [320]
Sans frapper de mon cœur l'endroit le plus sensible !
Je sais que je devrais, aimant sans être aimé,
À défendre Mandane être moins animé.
Je te dirai bien plus : je vois que, si j'éclate,
Pour mon heureux rival je sauverai l'ingrate.
Mais enfin je l'adore et, quel que soit mon sort,
Je ne puis consentir qu'on lui donne la mort.
Et, si le coup partait de la main de ma Mère,
Plus loin que je ne veux j'étendrais ma colère ;
Mon cœur au désespoir n'examinerait rien ; [330]
Mon pouvoir en ces lieux ne cède pas au sien.
Ses sujets, qu'un beau zèle en ma faveur enflamme,
Ne vivent qu'à regret sous les lois d'une femme.
Ils font sonder mon cœur par de secrètes voix :
Si je les en avoue, ils soutiendront mes droits.
D'ailleurs mes Issedons, pleins d'une noble envie,
Pour me rendre mon rang perdront cent fois la vie.
Et Tomyris enfin, malgré tout son orgueil,
En soulevant les flots, peut trouver un écueil.
Elle n'a pas besoin que ma fureur s'irrite, [340]
Et je ne sens que trop…

                                    Mais que veut Aripithe ?

 

Entre ARIPITHE, la Capitaine des gardes de Tomyris – I,8 – page 192 – En scène : ARYANTE, ORONTE, ARIPITHE.

ARIPITHE
AH ! Seigneur, accourez. Nos Scythes éperdus
N'osent plus soutenir les efforts de Cyrus.

ARYNTHE
Dieux ! Qu'est-ce que j'entends ?

ARIPITHE
                                                 Cyrus est dans nos tentes.

ARYANTE
Dans nos tentes, ô Ciel !

ARIPITHE
                                       Ses armes éclatantes,
Au milieu des Persans le montrent à nos yeux ;
Mais ses terribles coups nous l'annoncent bien mieux.

ARYANTE
Viens, Oronte, suis-moi, hâtons-nous, le temps presse,
Allons à mon rival disputer ma Princesse.



ACTE II

Après son attaque contre le camp d'Aryante et de Tomyris, Cyrus,vaincu par les Issedons, est retenu prisonnier, la Reine ayant empêché son fils Aryante de le mettre à mort.

Sont en scène ARYANTE et ORONTE. II,1 – page 193 – En scène : ARYANTE, ORONTE

ARYANTE
Non, ne condamne pas un si juste courroux… [350]
Mais en vain Tomyris a suspendu mes coups,
Je saurai de mon frère achever la vengeance,
Puisque son meurtrier est en notre puissance.

ORONTE
Contentez-vous, Seigneur, d'avoir mis dans les fers
Un Roi qui menaçait d'y mettre l'Univers,
Et jouissez en paix du fruit d'une victoire,
Qui doit vous élever au comble de la gloire.

ARYANTE
J'ai vaincu mon rival ; mais, s'il ne perd le jour,
J'ai tout fait pour ma gloire et rien pour mon amour.
Tu connais sa valeur : plus elle est éclatante, [360]
Plus à ma sûreté sa mort est importante.
Oui, je dois l'immoler, puisqu'enfin je le puis ;
Et je le crains encor, tout vainqueur que je suis.
Tu l'as vu comme moi. Quel courage intrépide !
Combien de jours tranchés par son fer homicide !
Tout tombait sous les coups qui partaient de sa main :
Ils étaient au-dessus de tout l'effort humain.
Je ne puis sans frayeur m'en retracer l'image :
À travers mille horreurs se frayant un passage,
Terrible et tout couvert de poussière et de sang, [370]
Ce guerrier furieux volait de rang en rang.
Partout, devant ses pas, marchait la mort horrible :
Les siens étaient vaincus, lui toujours invincible.
Et si mes Issedons ne l'avaient arrêté,
C'en était fait : Mandane était en liberté.
Dieux ! par combien d'exploits leur foi s'est signalée !
La valeur de Cyrus, par le nombre accablée,
N'a pu le garantir du plus affreux revers.
Mais c'était peu pour moi de lui donner des fers :
J'en voulais à sa vie, Oronte ; et, sans ma Mère, [380]
J'apaisais par sa mort les mânes de mon frère.
Tomyris l'a sauvé de mon premier transport ;
Elle m'a défendu de lui donner la mort.
Quel est donc l'intérêt qu'elle prend à sa vie ?
Croit-elle sa fureur faiblement assouvie,
Si l'ennemi cruel, que sa haine poursuit,
Descend par un seul coup dans l'éternelle nuit ?
Veut-elle, pour répondre à l'horreur qui l'anime,
Au milieu des tourments immolant sa victime,
Arroser de son sang le tombeau de son fils ? [390]

ORONTE
Non, elle est moins cruelle et, s'il m'était permis,
Seigneur, de pénétrer dans le cœur d'une Reine,
Peut-être j'y verrais plus d'amour que de haine.

ARYANTE
Que dis-tu ? Quoi, ma Mère aimerait mon rival ?

ORONTE
Oui, Seigneur.

ARYANTE
                   Cet amour lui deviendra fatal.
Mais dois-je ajouter foi…

ORONTE
                                   Vous avez vu vous-même
Et son empressement et sa frayeur extrême
Quand, le fer à la main prêt d'immoler Cyrus,
Vous n'aviez qu'à frapper pour ne le craindre plus :
"Arrête, a-t-elle dit ; garde-toi de poursuivre, [400]
Ou toi-même avec lui tu vas cesser de vivre."
Seigneur, à son amour ce mot est échappé.

ARYANTE
Hé, moi j'ai pu l'entendre et je n'ai pas frappé !
Ah ! j'ouvre enfin les yeux. Par un rapport sincère
On m'avait informé des projets de ma Mère.
Elle offrait, disait-on, et son sceptre et le mien
Pour s'unir à Cyrus d'un éternel lien.
Je rejetais ce bruit. Hé ! Le moyen de croire
Qu'une Reine à ce point pût oublier sa gloire ?
Il faut donc que Cyrus partout soit mon rival ! [410]
Ah ! Ciel… Des deux côtés l'attentat est égal.
Qu'il cherche à m'enlever mon sceptre ou ma Princesse,
Ma main l'en punira : tout le veut, tout m'en presse.
Oui, de tous ses desseins j'arrêterai le cours,
Dût ma Mère en fureur s'armer contre mes jours.

ORONTE
Contre des jours plus chers craignez qu'elle ne s'arme :
Tremblez pour la Princesse.

ARYANTE
                                        Ah ! c'est ce qui m'alarme.
Si j'étais sans amour, je serais sans frayeur.
Et, de mon ennemi prêt à percer le cœur,
Jusques dans sa prison j'irais, malgré la Reine, [420]
Éteindre dans son sang mon implacable haine.

ORONTE
Cachez donc avec soin ce dangereux courroux.
Montrez à Tomyris à suspendre ses coups.
Sa main prête à frapper consultera la vôtre
Et pour l'objet aimé vous craindrez l'un et l'autre.

ARYANTE
Dieux ! il me faudra donc trembler à tous moments ?

Mais je vois Tomyris : cachons nos sentiments.

 

Entre TOMYRIS. – II,2 – Page 197 – En scène : TOMYRIS, ARYANTE, ORONTE.

TOMYRIS
Du destin de Cyrus qui vous a fait l'arbitre ?
De grâce, expliquez-vous. Dites-moi par quel titre,
Au mépris de mon rang, de mon autorité, [430]
Sur sa vie, à mes yeux, vous avez attenté ?

ARYANTE
Hé, sur quoi fondez-vous cette injuste colère ?
Cyrus nous a privés, vous d'un fils, moi d'un frère ;
Et, lorsqu'entre mes mains le Ciel remet son sort,
Il ne m'est pas permis de lui donner la mort ?
Spargapise erre encor sur le rivage sombre :
Cyrus sacrifié doit apaiser son ombre.
Puisqu'un même intérêt nous en fait une loi,
Qu'importe qui l'immole, ou de vous ou de moi ?

TOMYRIS
Vous parlez d'immoler !… O Ciel ! qu'osez-vous dire ? [440]
Songez-vous de Cyrus combien vaste est l'empire ?
Combien de Rois unis fondraient sur nos États ?
Combien de bras enfin vengeraient son trépas ?
Que dis-je ? de Cyrus la redoutable armée
Par sa seule prison est assez animée ;
Et, si quelques Persans ont péri par nos coups,
Il n'en reste que trop pour nous immoler tous.
Prêts de voir éclater de nouvelles tempêtes
Gardons entre nos mains de quoi sauver nos têtes.

ARYANTE
C'est à moi d'approuver vos ordres souverains. [450]
Cependant, si j'osais dire ce que je crains…

TOMYRIS
Parlez, je le permets : expliquez votre crainte.

ARYANTE
Oui, puisqu'il m'est permis de parler sans contrainte,
Je crains que ce captif, un jour, par votre choix,
Ne soit assez puissant pour m'imposer des lois.
Vous avez sur un fils des droits que je respecte ;
Mais de mon ennemi la grandeur m'est suspecte ;
Et si de vos secrets je suis bien informé,
Je ne puis sur ce point être assez alarmé.

TOMYRIS
Vous êtes bien servi ; mais ceux qui me trahissent, [460]
Pour lire ces secrets dont ils vous éclaircissent,
Jusqu'au fond de mon cœur ont-ils porté les yeux ?
Cyrus, vous le sçavez, est un ambitieux.
Si l'hymen l'unissait un jour avec Mandane,
Rien ne balancerait la puissance Persane.
Et, s'il faut qu'à mon tour je ne vous cache rien,
Pour rompre cet hymen j'ai proposé le mien.
Mais avez-vous pensé qu'une honteuse chaîne
Dût m'unir pour jamais à l'objet de ma haine ?
J'ai voulu désunir Cyaxare et Cyrus, [470]
Traverser leurs projets, les rompre, et rien de plus.

ARYANTE
Madame, pardonnez, si mon âme séduite…

TOMYRIS
Je devrais vous punir d'éclairer ma conduite.
Mais en vain à mes lois vous êtes peu soumis ;
Je ne puis m'oublier que vous êtes mon fils.
Oui, malgré vos froideurs, je sens que je vous aime
Et je veux vous forcer à le sentir vous-même.
Je ne vois qu'à regret que l'intérêt du rang
Étouffe en votre cœur les tendresses du sang.
Mes desseins, quels qu'ils soient, vous donnent de l'ombrage. [480]
Hé bien, il faut vous mettre au-dessus de l'orage.
Tant que vous me craindrez, vous ne m'aimerez pas,
Et les bienfaits suspects ne font que des ingrats.
Pour bannir les soupçons dont votre âme est remplie,
Je veux qu'avec Mandane un nœud sacré vous lie.

ARYANTE
Avec Mandane ! ô Ciel ! de quoi me flattez-vous ?

TOMYRIS
Oui, je vous le promets, vous serez son époux.
Voyez quelle sera pour lors votre puissance !
Combien d'États soumis à votre obéissance.

ARYANTE
Croyez-vous que Mandane approuve…

TOMYRIS
                                                      Vaine erreur ! [490]
Aspirez à son Trône et non pas à son cœur.
De Cyrus à ce prix je veux mettre la tête.
Elle l'aime, il suffit ; et si sa main n'est prête,
Bien loin de condamner votre ressentiment,
Je me joins avec vous pour perdre son amant.
Allez.
aux Gardes :
         Auprès de moi, Gardes, que Cyrus vienne.
Surtout que sans témoins ici je l'entretienne.

 

ARIANTE et ORONTE sortent – II,3 – Page 200 – En scène : TOMYRIS, seule.

TOMYRIS
Je vais donc le revoir ce funeste vainqueur.
Quels troubles, justes Dieux ! s'élèvent dans mon cœur ?
Est-ce haine ? est-ce amour ? ou tous les deux ensemble ? [500]
Je désire, je crains, je soupire, je tremble.
C'est ce même Cyrus qui vient de m'offenser.
Je veux l'entretenir ; mais par où commencer ?
Montrerai je à ses yeux la honte de ma flamme ?
Soutiendrai-je si mal la fierté de mon âme ?
Non, c'est trop t'abaisser, superbe Tomyris.
Songe que, pour ton cœur, c'est assez d'un mépris.
Par ses premiers refus tu n'es que trop punie.
D'un outrage nouveau préviens l'ignominie.
L'inflexible Cyrus ajouterait enfin [510]
Le refus de ton cœur au refus de ta main.
C'est à toi, mon courroux, c'est à toi de paraître :
Éclate, et de mon cœur rends-toi l'unique maître.
Que Cyrus immolé… Que dis-je ? Quel transport !
Quoi ? moi-même à Cyrus je donnerais la mort ?
Ah ! ne vaut il pas mieux que Mandane périsse ?
Est-il pour mon ingrat de plus cruel supplice ?

Mais on vient : c'est lui même. Endurcis-toi, mon cœur.
Tu ne peux le punir avec trop de rigueur.

 

Entre CYRUS – II,4 – Page 201 – En scène : TOMYRIS, CYRUS.

CYRUS
Pourquoi m'appelle-t-on ? Fière de ma défaite, [520]
N'en goûtez-vous encor qu'une joie imparfaite ?
Pour rendre votre gloire égale à mes revers,
Dois-je offrir à vos yeux la honte de mes fers ?
Ou plutôt pensez-vous qu'un lâche effroi me glace
Et me jette à vos pieds pour vous demander grâce ?
D'un triomphe si vain cessez de vous flatter.
Dans l'abîme où le sort m'a su précipiter,
Je garde assez d'orgueil pour braver son caprice.
Il vient de me trahir : telle est son injustice.
Mais dussé-je m'attendre au plus affreux trépas, [530]
Je réponds que mon cœur ne me trahira pas.
Mes jours sont en vos mains : disposez-en, Madame.

TOMYRIS
Seigneur, n'irritez pas les transports de mon âme.
Par un nouvel orgueil cessez de m'outrager :
C'est déjà trop pour moi que d'un fils à venger.
C'est à vous de calmer la fureur qui m'anime.
Vous savez que son sang demande une victime.
Je ne vous parle plus de l'offre de ma foi :
La main de mon captif n'est pas digne de moi.
Non, Prince ; et vous voyez par quel revers étrange [540]
De vos premiers refus la fortune me venge.
Mais comme elle pourrait à mon tour m'abaisser,
A l'hymen de Mandane il vous faut renoncer.

CYRUS
À l'hymen de Mandane !

TOMYRIS
                                   Hé, pouvez-vous prétendre
Qu'après avoir vaincu, je veuille vous la rendre,
Moi qui l'ai fièrement refusée à vos vœux,
Quand le sort du combat était encor douteux ?
Je vous l'ai déjà dit, nous fuyons l'esclavage.
Des voisins trop puissants nous donnent de l'ombrage.
Nous regardons l'hymen dont on vous a flatté [550]
Comme l'écueil fatal de notre liberté.
Non, ne l'espérez point. Ce n'est pas tout encore :
Mandane est dans mes fers ; Aryante l'adore ;
C'est en les unissant que je veux désormais
Assurer à mon peuple une constante paix.
Oui, que mon fils l'épouse et la guerre est finie.

CYRUS
Qu'il l'épouse ! Ah ! plutôt qu'il m'arrache la vie !

TOMYRIS
Sans moi déjà sa main vous eût ravi le jour :
Il avait à venger son frère et son amour ;
Et sa bouche en ces lieux vient de me faire un crime [560]
D'avoir à sa fureur dérobé sa victime.
Il s'abuse, et je veux qu'il avoue aujourd'hui
Que, lorsqu'il faut punir, je frappe mieux que lui.
Je laisse à d'autres cœurs la vengeance ordinaire.
Non, votre sang versé n'eût pu me satisfaire.
Un cœur comme le mien sait, par un digne effort,
Inventer des tourments plus cruels que la mort.
L'ambition vous guide, et l'amour vous enflamme :
Ah ! par ces deux endroits je veux frapper votre âme
Et vous livrer en proie au tourment sans égal [570]
De voir sceptre et maîtresse au pouvoir d'un rival.

CYRUS
Ce rival n'aime point, ou je ne dois pas craindre
Qu'en adorant Mandane il ose la contraindre.
Mais, Madame, je veux qu'oubliant son devoir
Il exerce sur elle un injuste pouvoir.
Quels que soient ses projets, croit-il que Cyaxare
Souffre que de son trône un étranger s'empare ?
Si son cœur pour mes feux se déclare aujourd'hui,
Je ne le dois qu'au sang qui m'unit avec lui.
Ou plutôt, si j'aspire au trône d'Ecbatane, [580]
Je fonde tous mes droits sur le cœur de Mandane.
Il est inébranlable, et j'ose me flatter
Qu'aucun rival sur moi ne pourra l'emporter.

TOMYRIS
L'approche de la mort est assez effroyable
Pour faire chanceler ce cœur inébranlable.

CYRUS
Grands Dieux !

TOMYRIS
                       À m'obéir il faut la préparer,
Seigneur, ou vous résoudre à la voir expirer.
A lui percer le sein trop de fureur m'anime :
Elle mourrait, vous dis-je.

CYRUS
                                     Hé ! quel est donc son crime ?

TOMYRIS
Quoi ? pour ses intérêts je viens de perdre un fils [590]
Et vous me demandez quel crime elle a commis ?
Ne me contraignez pas d'en dire davantage,
Et, s'il m'échappe un mot, craignez tout de ma rage.

CYRUS
Inhumaine, éclatez ; je l'attends sans effroi.
Mais épargnez Mandane et ne perdez que moi.

TOMYRIS
Non ; et de l'immoler ma main impatiente…
Pour la dernière fois, qu'elle épouse Aryante.
Je vais vous l'envoyer. Noubliez pas, Seigneur,
Que je vous ai chargé d'y préparer son cœur.

CYRUS
Juste Ciel !

TOMYRIS
              Je conçois quel est votre supplice. [600]
Mais je vous fais peut-être un plus grand sacrifice.
Au point que je la hais, ce n'est pas sans effort
Que je puis me priver du plaisir de sa mort.
Enfin vous l'allez voir, lui parler et l'entendre.
Et j'en ai dit assez pour vous faire comprendre
Que du sort de ses jours vous allez décider,
Qu'il importe surtout de la persuader.
N'oubliez aucun soin, s'il le faut, auprès d'elle.
Prenez les noms honteux d'ingrat et d'infidèle.
Adieu. Pour la sauver, ménagez les instants [610]
Et, le fer à la main, songez que je l'attends.

 

TOMYRIS sort. – II,5 – Page 205  – En scène : CYRUS resté seul

CYRUS
Frappé, saisi d'horreur à cet arrêt terrible,
À tout autre revers je demeure insensible
Et j'ai presque oublié qu'après tous mes exploits
Je viens d'être vaincu pour la première fois.
Grands Dieux ! qu'auprès de vous les Puissances mortelles
Doivent se préparer à de chutes cruelles !
J'ai fait voler mon nom aux plus lointains climats,
J'ai fait trembler les Rois, j'ai détruit leurs États,
Rien n'a pu s'opposer aux désirs de mon âme [620]
Et je me trouve enfin vaincu par une femme.
Mais ce n'est rien encor. Cette femme en fureur,
Après m'avoir vaincu, m'inspire la terreur.
Ma fermeté s'étonne et ma raison s'égare.
Que venais-je chercher dans ce climat barbare ?
Ô toi qu'on veut priver de la clarté du jour
Et qui n'as d'autre crime ici que mon amour,
Ne viens-je de si loin faire éclater mon zèle
Que pour te dire enfin : Je suis un infidèle ?
Cependant il le faut, j'en ai reçu l'arrêt. [630]
Pour te donner la mort le fer est dejà prêt.

Mais on vient. Justes Dieux ! C'est Mandane elle-même.
Peut-on plus tristement recevoir ce qu'on aime ?

 

Entrent MANDANE et CLÉONE. – II,6 – Page 206 – En scène : CYRUS, MANDANE, CLEONE.

MANDANE
Il est donc vrai, Seigneur, vous êtes en ces lieux ?

CYRUS
Oui, c'est Cyrus captif qui se montre à vos yeux,
Madame ; et le destin, jadis si favorable,
Du plus heureux des Rois fait le plus misérable.

MANDANE
Après cette rigueur qu'il exerce sur vous,
Je ne puis murmurer de ressentir ses coups.
Cyrus chargé de fers doit soulager mes chaînes ; [640]
Cyrus infortuné doit adoucir mes peines.

CYRUS
Madame, du destin contre nous irrité
Vous ne connaissez pas toute la cruauté.

MANDANE
Non ; ses plus rudes coups ont beau frapper mon âme,
Vous pouvez seul…

CYRUS
                          Hélas ! hé, que puis-je, Madame ?

MANDANE
M'aimer, et c'est assez pour combler mes désirs.
Renouvelons l'ardeur de nos premiers soupirs ;
Rappellons cette foi si saintement jurée,
Cet amour dont le temps respecte la durée,
Cet hymen qui devait à jamais nous unir, [650]
Quels maux n'adoucit point un si cher souvenir ?
Mais quoi ? vous vous troublez. Vous gardez le silence.
Vous détournez les yeux.

CYRUS, à part.
                                    Dieux ! quelle violence !

MANDANE
Ah ! que vous m'alarmez ! expliquez-vous, Seigneur ;
Votre cœur n'a-t-il plus pour moi la même ardeur ?

CYRUS
Ah ! Madame…

MANDANE
                        Parlez. Mon âme impatiente
Ne peut plus soutenir…

CYRUS
                                  Épousez Aryante.

MANDANE
Que j'épouse Aryante ! Ah, cruel ! est-ce vous
Qui devez m'inspirer le choix d'un autre époux ?

CYRUS
Je sais qu'à mon hymen vous êtes destinée. [660]
Mais que sert cette foi que vous m'avez donnée,
Si mon cœur…

MANDANE
                      Achevez.

CYRUS
                                      Reprenez votre foi.
Je ne mérite pas que vous brûliez pour moi.
Ôtez-moi votre amour, donnez-moi votre haine,
Je suis…

MANDANE
               Poursuivez.

CYRUS
                             Ciel !… Gardes, qu'on me remène.

 

CYRUS sort. – II,7 – Page 209 – En scène : MANDANE, CLEONE.

MANDANE
Que deviens-je, Cléone et quel sort est le mien ?
Que m'a-t-on annoncé ? Quel funeste entretien !
Cyrus, dont j'attendais ici ma délivrance,
Cyrus, dans mes malheurs ma dernière espérance,
Cyrus que j'implorais dans mon funeste sort, [670]
Ce Cyrus vient enfin pour me donner la mort.
En faveur d'un rival tu vois ce qu'il m'inspire.
Hélas ! en me quittant qu'a-t-il voulu me dire ?
Il est… Ah ! le cruel n'a parlé qu'à demi.
Du coup qu'il me portait sans doute il a frémi.
Mais de cet entretien tout ce que je rappelle
Ne m'annonce que trop qu'il est un infidèle.

CLÉONE
Madame, pardonnez. Sur un simple soupçon
Vous accusez trop tôt Cyrus de trahison.
Non ; d'un crime si noir son cœur n'est pas capable. [680]

MANDANE
Hé, tu veux l'excuser ! il n'est que trop coupable.
N'as-tu pas vu toi-même avec quelle froideur
Il a reçu l'aveu de ma constante ardeur ?
Quel trouble il a fait voir ! quel désordre, Cléone !
Non, je n'en puis douter : le cruel m'abandonne.
Et, plus barbare encor pour moi que Tomyris,
Il veut… Mais quel soupçon vient frapper mes esprits ?
Si j'en crois Aryante, au perfide que j'aime
La Reine offre sa main avec son diadème.
Aurait-il accepté… Puis-je en douter, grands Dieux ? [690]
Cyrus n'est pas amant, il est ambitieux.
Si du fond de l'Asie il vient briser mes chaînes,
Mon Trône est le seul prix qu'il propose à ses peines.
Cet espoir le flattait ; le sort l'a démenti,
Et dans ce grand revers il a pris son parti.
L'ingrat ne m'aime plus.

CLÉONE
                                   Dites plutôt, Madame,
Qu'il ne brûla jamais d'une plus belle flamme ;
Qu'étouffant un amour qui vous serait fatal,
Son cœur, pour vous sauver, vous cède à son rival.
Captif, il est contraint de céder à l'orage. [700]
Il sait de Tomyris tout ce que peut la rage.
Il prévoit les malheurs qui vont tomber sur vous.

MANDANE
Que ne m'épargnait-il le plus cruel de tous !
Croit-il donc que l'exil, la prison, la mort même
Approche du malheur de perdre ce qu'on aime ?
Que de tout autre sort mon cœur soit alarmé
Hélas ! s'il le peut croire, il n'a jamais aimé.
Mais tu prétends en vain me rendre l'espérance.
Je n'ai vu dans ses yeux que de l'indifférence.
L'ingrat pour Tomyris garde tout son amour. [710]
Ma rivale triomphe ; et peut-être en ce jour…
Non, ne le souffrons pas. Viens ; qu'on cherche Aryante.
S'il m'aime, qu'il me serve au gré de mon attente.
Ah ! s'il ose arracher Cyrus à Tomyris,
Il peut tout espérer ; ma main est à ce prix.



ACTE III

 

Sont en scène ARYANTE et ORONTE. – III,1 – Page 211 – En scène : ARYANTE, ORONTE.

ORONTE
Oui, Seigneur, Tomyris m'a chargé de vous dire
Qu'à combler tous vos vœux Cyrus même conspire.
Pour arracher Mandane aux plus funestes coups,
Feignant d'être infidèle, il a parlé pour vous.
La Princesse alarmée, interdite, incertaine, [720]
Pour mieux être éclaircie, a demandé la Reine.
Et vous rendrez bientôt grâces à Tomyris
De tout ce que pour vous ses soins ont entrepris.

ARYANTE
Ce que tu dis, Oronte, a-t-il quelque apparence ?
Et dois-je, sur ta foi, reprendre l'espérance ?
Quoi ! je pourrais… hélas ! que j'aime à me tromper !
Si le destin me rit, c'est pour me mieux frapper.
Du bien qu'il me promet l'agréable mensonge
Sans doute en un moment s'enfuira comme un songe,
Et mon heureux rival… ah ! j'en frémis d'horreur. [730]
Mon espoir en mourant ranime ma fureur.
Fortune, de tes coups c'est ici le plus rude.
J'avais fait de mes maux une longue habitude ;
Mais, si près d'un bonheur où je n'osais penser,
Malheur à mon rival, s'il m'y faut renoncer.
Mais on vient…

 

Entre ARIPITHE. – III,2 – Page 212 – En scène : ARYANTE, ARIPITHE, ORONTE.

ARIPITHE
                     En ces lieux Cyrus, prêt à se rendre,
Vous demande, Seigneur, un moment pour l'entendre,
Et la Reine consent…

ARYANTE
                              Aripithe, il suffit.
Aripithe se retire.
Qu'il vienne. Justes Dieux ! quel trouble me saisit !
Le seul nom de Cyrus rallume ma vengeance [740]
Et comment sans horreur soutenir sa présence ?

 

Entre CYRUS. – III,3 – Page 213 – En scène : CYRUS, ARYANTE, ORONTE.

CYRUS
Vous triomphez, Seigneur, de tenir sous vos lois
Un Roi qui commandait aux plus superbes Rois,
Avant que les destins, vous donnant la victoire,
L'eussent précipité du faîte de la gloire.
Mais quoi que ce triomphe ait pour vous d'éclatant,
La fortune ennemie, en me précipitant,
Vous en offre un nouveau, que vous n'osiez attendre.
Oui, jusqu'à vous prier elle me fait descendre :
Malgré tout mon orgueil je m'y trouve réduit [750]
Et c'est le seul dessein qui vers vous me conduit.
Vous savez pour quels jours je vous demande grâce ;
D'une Reine en fureur vous savez la menace,
Mandane doit périr ou vous voir son époux ;
Il faut qu'elle choisisse entre la mort et vous.
Je prévois ses refus, j'en prévois la vengeance,
Et c'est à vous, Seigneur, à prendre sa défense,
Car je ne pense pas qu'à lui donner la mort
Avec ses ennemis son amant soit d'accord.
Et quand de son trépas l'épouvantable image [760]
Lui ferait accepter un hymen qui l'outrage,
Ce bien eût-il pour vous mille fois plus d'attraits,
J'ose m'en assurer, vous ne voudrez jamais
Qu'une grande Princesse en secret vous accuse
D'arracher une main que son cœur vous refuse.

ARYANTE
Et sur quoi croyez-vous qu'en acceptant ma foi,
Sans l'aveu de son cœur, sa main se donne à moi ?
Le trône que j'occupe est-il indigne d'elle ?
Mon amour ne peut-il en faire une infidèle ?
Et tout ce que j'ai fait pour lui sauver le jour [770]
Serait-il trop payé par un tendre retour ?

CYRUS
Quoi ? Mandane pourrait… Non, je ne le puis croire :
Pour trahir ses serments elle aime trop sa gloire
Et du don de son cœur je serais peu jaloux,
S'il s'était oublié jusqu'à brûler pour vous.

ARYANTE
A quel point osez-vous vous oublier vous-même ?
Quoi ? tout chargé de fers… Dieux ! quel orgueil extrême !
Vaincu, jusqu'au mépris vous portez votre cœur ;
Que feriez-vous de plus si vous étiez vainqueur ?

CYRUS
Si le destin sur vous m'eût donné la victoire, [780]
Mon cœur à s'abaisser eût mis toute sa gloire.
N'en doutez point, Seigneur ; des Rois tels que Cyrus
Ne sont jamais plus fiers que lorsqu'ils sont vaincus.

ARYANTE
Mais savez-vous, Seigneur, qu'une fierté si vaine,
À quelque éclat enfin pourrait porter ma haine
Et qu'il est dangereux d'irriter mon courroux ?

CYRUS
Oui, tout mon sort dépend de la Reine et de vous.
Mais ce même destin qui vous en fait l'arbitre
Ne peut-il pas sur vous me donner même titre ?
Quels Rois, quels conquérants se sont jamais flattés [790]
D'avoir fixé le cours de leurs prospérités ?
Tant que l'astre du jour roule encor sur nos têtes,
Notre bonheur chancelle ainsi que nos conquêtes ;
Tout notre sort dépend du dernier de nos jours
Et vous n'ignorez pas que, sans un prompt secours,
Un Roi qui du destin défiait le caprice
Expirait à mes yeux dans un honteux supplice.
Mais n'allez pas chercher des exemples si loin :
Cyrus peut aujourd'hui vous épargner ce soin.
Plus je fus élevé, plus ma chute est terrible. [800]
Et mon dernier malheur sert de preuve infaillible
Que le sort me gardait ses plus perfides coups,
Puisqu'il m'abaisse assez pour me soumettre à vous.

ARYANTE
Ah ! c'en est trop enfin, et ce sanglant outrage…
Mais à vous épargner, trop d'intérêt m'engage ;
Et si mon bras diffère à venger vos mépris,
Rendez grâce aux bontés qu'a pour vous Tomyris :
Elle attache à vos jours les jours de la Princesse.

CYRUS
Ah ! Seigneur, à ce nom toute ma fierté cesse.
Si vous ne la sauvez, Mandane va périr [810]
Et c'est à vous enfin que je dois recourir.
Vous me devez, Seigneur, quelque reconnaissance
D'avoir su condamner mon amour au silence.
Oui, pour porter Mandane à vous donner la main,
J'ai pris soin d'étouffer mes soupirs dans mon sein.
Voilà ce que j'ai fait pour vous, contre moi-même.
Et que ne fait-on pas pour sauver ce qu'on aime !
Un poignard dans son sang allait être trempé ;
Un mot, un seul regard, un soupir échappé
Eût été de sa mort l'arrêt irrévocable. [820]
Pour vous la conserver, j'ai feint d'être coupable.
Il ne tient pas à moi qu'elle ne soit à vous.
Mais si, de Tomyris bravant tout le courroux,
Elle aime mieux la mort qu'un funeste hyménée,
Songez que vous l'aimez, qu'elle est infortunée
Et que, dans le péril qui menace ses jours,
Ce n'est plus que de vous qu'elle attend du secours.

Mais je dois vous quitter, Seigneur, je vois la Reine.

 

ORONTE sort. – III,4 – Page 217 – En scène : TOMYRIS, CYRUS, ARYANTE

TOMYRIS, arrêtant Cyrus
Non, ne me fuyez pas, ne craignez plus ma haine.
Nos différends, Seigneur, vont finir pour jamais [830]
Et Mandane consent à nous donner la paix.

CYRUS
Qu'entends-je ?

TOMYRIS
                         Avec mon fils elle doit être unie,
Et c'est par cet hymen que la guerre est finie.

CYRUS
Et Mandane y consent ?

TOMYRIS
                                   Elle en fait son bonheur.

CYRUS
Dieux ! de quel nouveau trait me percez-vous le cœur ?
À Tomyris.
Barbare, triomphez, livrez-vous à la joie,
Jouissez des tourments où mon âme est en proie.
Moi-même j'ai porté Mandane à me trahir.
Pour trop l'aimer, hélas ! je m'en suis fait haïr.
Plus que je ne voulais je l'ai persuadée. [840]
Et par moi votre rage est si bien secondée
Que d'un affreux hymen qui m'ouvre le tombeau
J'ai de ma propre main allumé le flambeau.
Achevez votre ouvrage : après ce coup funeste,
Je demande la mort ; c'est tout ce qui me reste.
Mon rival est heureux ; ne me condamnez pas
Au supplice de voir Mandane entre ses bras.
Et pour vous et pour lui ma mort est nécessaire.
Oui, Madame ; et surtout gardez qu'on la diffère.
Un moment peut changer votre sort et le mien. [850]
Je vous laisse y penser ; mais consultez-vous bien ;
Et si votre fureur rit de mon impuissance,
Craignez cent mille bras armés pour ma vengeance.

 

CYRUS sort. – III,5 – page 218 – En scène : TOMYRIS, ARYANTE.

ARYANTE
Vous l'entendez, Madame ; et notre sûreté
Nous fait de son trépas une nécessité.
Pour arrêter ces bras dont la vengeance est prête,
Au milieu de son camp faisons porter sa tête.
Dès qu'il ne sera plus, tous ces peuples soumis,
Loin d'être ses vengeurs, seront ses ennemis
Et de leurs fers brisés viendront nous rendre grâces, [860]
Plutôt que d'accomplir ses superbes menaces.
Ne différez donc pas.

TOMYRIS
                               Détrompez-vous, Seigneur :
Craignez tout des efforts d'une première ardeur.
Tous ces peuples soumis sont faits à l'esclavage ;
Et de la liberté quand nous perdons l'usage,
Le temps seul dans nos cœurs en réveille l'amour.
Non, non, ce n'est point là l'ouvrage d'un seul jour.
Cyrus, à son courage égalant sa prudence,
Prend soin sur ses bienfaits de fonder sa puissance.
Moi-même je l'ai vu de vingt Rois entouré : [870]
Quel respect ! quel amour ! il en est adoré.
Je ne rends qu'à regret ce tribut à sa gloire.
Mais on adorera jusques à sa mémoire ;
Et s'il perd, par nos mains, la lumière des cieux,
Mille fleuves de sang inonderont ces lieux.
Je vous l'ai déjà dit : les Persans, pleins de rage,
Bientôt de sa prison viendront venger l'outrage.
Malgré tous mes captifs qu'ils offrent pour Cyrus,
Ils n'ont pu de ma part obtenir qu'un refus.
Pour prévenir les maux où le Ciel nous condamne, [880]
Il faut sans différer vous unir à Mandane.
Je l'ai laissée en proie à ses soupçons jaloux ;
Elle veut un moment s'expliquer avec vous,
Sans doute par Cyrus se croyant outragée,
Sa dernière espérance est de se voir vengée.
Si sa bouche pour vous se déclare une fois,
Cyrus, tout fier qu'il est, respectera son choix ;
Ou plutôt, pour jamais renonçant à sa flamme,
À la seule grandeur il livrera son âme.

ARYANTE
Non, ne nous flattons pas de le voir en ce jour [890]
Pour se rendre à sa gloire oublier son amour.
Pour Mandane un tel sort ne fut jamais à craindre :
Elle allume des feux que rien ne peut éteindre.
Et l'ingrate à mon cœur ne l'a que trop appris,
Puisque je l'aime encor après tous ses mépris.

TOMYRIS
Hé bien, de ses mépris punissez l'insolence
Et dans un prompt hymen cherchez-en la vengeance.

ARYANTE
Ah ! s'il faut me venger, c'est plutôt d'un rival,
Qui seul de mon bonheur est l'obstacle fatal :
Tant qu'il verra le jour, point d'hymen à prétendre. [900]
Pour en briser les nœuds, il peut tout entreprendre.
Fier même dans les fers, si jamais il en sort,
Il sacrifiera tout à son jaloux transport.
Il faut le perdre enfin, ou ma perte est certaine.

TOMYRIS
Vous parlez en rival, je dois agir en Reine.
Si ce fameux captif périssait aujourd'hui,
Tout mon peuple aussitôt périrait après lui.
Cependant je vois trop que, pour vous satisfaire,
En vain je veux agir moins en Reine qu'en mère.
Il est temps de me rendre au bien de mes sujets : [910]
Je ne puis les sauver qu'en acceptant la paix.
Mais songez à quel prix Cyrus me la propose :
De tous nos différends il faut ôter la cause,
Il faut remettre enfin Mandane en liberté.
Votre cœur sur ce point s'est-il bien consulté
Et peut-il, sans frémir, perdre tout ce qu'il aime ?

ARYANTE
Dieux ! à quoi me résoudre ?

TOMYRIS
                                        À vous vaincre vous-même,
À servir un rival, à couronner ses feux,
À mourir, puisqu'enfin vous n'osez être heureux.
J'avais pour votre amour signalé ma prudence, [920]
Il ne vous en coûtait qu'un peu de violence.
Vous n'avez pas voulu. Soupirez, gémissez ;
Venez voir d'un rival les feux récompensés.
Mais n'accusez que vous d'un hymen si funeste.

ARYANTE
Moi, je pourrais former des nœuds que je déteste !
C'en est fait, je me rends. Le bonheur d'un rival
Est de tous les malheurs pour moi le plus fatal.
Oui, sans plus différer, achevons notre ouvrage,
Pour devenir heureux mettons tout en usage ;
Et vous, ne cessez point d'exercer vos bontés, [930]
Madame.

TOMYRIS
                  J'en ai plus que vous ne méritez.
Mandane par mon ordre à vos yeux va paraître.
Confirmez les soupçons qu'en son cœur j'ai fait naître ;
Étalez de Cyrus l'outrage sans égal,
Le mépris d'une main qu'il cède à son rival.
Surtout, faites sentir à son âme jalouse
Qu'il m'aime ; et, s'il le faut, dites-lui qu'il m'épouse.
Déjà dans sa prison j'ai fait semer ce bruit,
Répondez à des soins dont vous aurez le fruit.

Mais je la vois venir, je vous laisse.

 

TOMYRIS sort. MANDANE entre. – III,6 – Page 222 – En scène : ARYANTE, MANDANE, Gardes.

ARYANTE
                                                    Ah ! Madame, [940]
Dois-je en croire aux transports que je sens dans mon âme ?
Et lorsque dans ces lieux on vous ose outrager,
Serais-je assez heureux pour pouvoir vous venger ?

MANDANE
Oui, Seigneur ; on me fait une mortelle offense,
Et je veux vous charger du soin de ma vengeance.
Jusques dans ma prison un bruit injurieux
M'annonce que Cyrus va régner en ces lieux ;
L'ingrat pour Tomyris me quitte et me dédaigne.
Mais vous-même, Seigneur, souffrirez-vous qu'il règne ?
Verrez-vous un rival malgré vous s'établir [950]
Dans un rang que vous seul avez droit de remplir ?

ARYANTE
Hélas ! que j'oublirais aisément cette audace
S'il ne me disputait que cette seule place !
Mais mon destin, Madame, aura bien plus d'horreur
S'il occupe à la fois mon trône et votre cœur.

MANDANE
Mon cœur ! Et vous pouvez me tenir ce langage ?
Non, il n'aura jamais ce superbe avantage.
Je ne vous cache point que l'auteur de mes jours
N'ait fait naître pour lui mes premières amours
Et que, par mille exploits éblouissant mon âme, [960]
Cyrus jusqu'aujourd'hui n'ait accru cette flamme.
Mais que je l'aime encore après sa lâcheté !
Non, mon cœur n'est point fait pour cette indignité :
Je ne vois plus en lui que l'objet de ma haine.

ARYANTE
Ah ! Dieux ! que n'est-il vrai ! sa mort serait certaine ;
Et son sang…

MANDANE
                  Arrêtez, modérez ce transport,
Ce serait l'épargner que lui donner la mort.
Qu'il vive dans vos fers, que pour prix de son crime
D'un éternel remords son cœur soit la victime.

ARYANTE
Et vous le haïssez ?

MANDANE
                            Si je le hais ! grands Dieux ! [970]
A-t-il rien oublié pour se rendre odieux ?
Mais, Seigneur, je le vois, en vain de ma vengeance
Mon cœur sur votre amour a fondé l'espérance,
Et j'ai trop présumé de mes faibles appas
Quand j'ai cru…

ARYANTE
                       Juste Ciel ! je ne vous aime pas !
Ah ! depuis le moment que mon âme éperdue
A pris dans vos beaux yeux cet amour qui me tue,
Vos rigueurs, vos mépris, le bonheur d'un rival
Ont-ils éteint l'ardeur d'un poison si fatal ?
Pour vous mettre à couvert des fureurs de ma mère, [980]
Prête à venger sur vous tout le sang de mon frère,
N'ai-je pas dévoué ma tête à son courroux.
Helas ! combien de fois ai-je tremblé pour vous !

MANDANE
Hé bien, si vous m'aimez, osez tout entreprendre.
Pour mettre votre amour en droit de tout prétendre,
Si ma main est pour vous un assez digne prix,
Arrachez à Cyrus celle de Tomyris.

ARYANTE
Dieux ! que m'ordonnez-vous ?

MANDANE
                                           Vous balancez !

ARYANTE
                                                                 Cruelle !
S'il ne faut que mourir pour vous prouver mon zèle,
Parlez, mon sang est prêt, il brûle de sortir. [990]
Mais d'un affreux trépas qui peut vous garantir ?
Et que n'osera point une Reine barbare
Si contr'elle aujourd'hui pour vous je me déclare ?
Ne précipitons rien, il est d'autres secours ;
Je puis briser vos fers sans exposer vos jours.
Pour les mieux assurer, différons nos vengeances.
Jusqu'en votre prison j'ai des intelligences.
Oui, Madame, et bientôt tout me sera permis
Si le succès répond au soin de mes amis.
Assuré de vos jours, je n'aurai plus d'alarmes, [1000]
Pour soutenir mes droits j'aurai recours aux armes.
Et vous verrez Cyrus contraint à renoncer
Au vain espoir d'un trône où je dois vous placer.

MANDANE
Quel supplice pour lui ! Je goûte par avance
Le plaisir que mon cœur attend de ma vengeance.
Il y manque un seul point, c'est qu'il en soit instruit.
S'il pouvait l'ignorer, j'en perdrais tout le fruit.
Quel triomphe pour moi, si l'ingrat qui m'outrage
Peut savoir que sa chute est mon unique ouvrage !
Qu'il l'apprenne, Seigneur. Avant de le punir, [1010]
Pour la dernière fois je veux l'entretenir,
Et dans cet entretien lui montrer tant de haine,
Qu'en cherchant qui le perd, il me trouve sans peine.

ARYANTE
Vous voulez, dites-vous !… Non, ne le voyez pas.

MANDANE
Que craignez-vous ?

ARYANTE
                                Je crains vos dangereux appas.
Je ne connais que trop que tout leur est possible.
Cyrus même autrefois n'y fut que trop sensible.
Et si ses premiers feux allaient se r'allumer,
Vous l'aimeriez encor…

MANDANE
                                  Moi, je pourrais l'aimer ?
Que vous connaissez mal la fierté de mon âme ! [1020]
Qu'il vienne ; et mon courroux à vos yeux…

ARYANTE
                                                           Non, Madame,
Je n'y puis consentir. Pour punir un ingrat,
Le plus profond silence est plus sûr que l'éclat.

MANDANE
Vous ne voulez donc pas répondre à mon envie ?

ARYANTE
Ce funeste plaisir vous coûterait la vie.
Tout m'alarme, Madame ; et je crains en ce jour
La haine de ma mère autant que votre amour.

MANDANE
Non ; ces vaines raisons n'ont rien qui m'éblouisse ;
Et je vois vos refus malgré votre artifice.
Mais enfin je vous viens d'expliquer mes souhaits : [1030]
Si je ne vois Cyrus, ne me voyez jamais.

 

MANDANE sort avec les Gardes. – III,7 – page 227 – En scène : ARYANTE resté seul.

ARYANTE
QUel coup de foudre, ô Ciel ! détruit mon espérance !
D'un bonheur trop charmant ô trop vaine apparence !
Ô revers imprévu qui confond mes esprits !
Allons sur ce malheur consulter Tomyris.



ACTE IV

 

TOMYRIS, GELONIDE et ARYANTE sont en scène – IV,1 – Page 228 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE, ARYANTE.

TOMYRIS
Non, ne permettons pas leur fatale entrevue :
La princesse à jamais pour vous serait perdue,
En vain à votre hymen j'aurais su la porter,
Un éclaircissement ferait tout avorter.
Cyrus triompherait ; il est temps qu'il périsse. [1040]
Reposez-vous sur moi du soin de son supplice.
Mais les Persans pourraient empêcher son trépas :
Allez à leur fureur opposer votre bras.

ARYANTE
Ah ! de tous les Persans perdons le plus terrible.
Assuré de sa mort, je vais être invincible.

TOMYRIS
Allez combattre et vaincre, et j'atteste les Dieux
Que vous ne verrez plus de rival en ces lieux.

ARYANTE
Mais…

TOMYRIS
            Ne répliquez plus ; hâtez-vous, le temps presse.

ARYANTE
Oui, Madame, j'y cours.
À part
                                 Songeons à ma Princesse.

 

ARYANTE sort. – IV,2 – page 229 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

GÉLONIDE
Vous allez donc, Madame, immoler votre amant ? [1050]

TOMYRIS
Du cœur de Tomyris juge plus sainement.
C'est d'un sang odieux que ma main sera teinte.
Pour éloigner mon fils j'ai recours à la feinte.
Enfin je ne vois plus d'obstacle à ma fureur,
Et ma rivale ici n'a plus de protecteur.

GÉLONIDE
Mais, Mandane au tombeau, qu'espérez-vous, Madame ?

TOMYRIS
Je te l'ai déja dit : les transports de mon âme
Tiennent de la fureur autant que de l'amour ;
L'un et l'autre en tyrans y règnent tour à tour.
Et, s'il faut t'avouer lequel des deux l'emporte, [1060]
Je sens que la fureur est enfin la plus forte.
L'amour a beau parler, je ne l'écoute plus,
Et je ne réponds pas que j'épargne Cyrus.
Commençons toutefois par immoler Mandane.
Au destin qui l'attend c'est lui qui la condamne.
Tu vois, par l'entretien qu'elle ose demander,
Si l'ingrat a pris soin de la persuader.
Je veux bien cependant, ayant qu'elle périsse,
Garder pour son trépas quelque ombre de justice.
Elle trompe Aryante et, loin de m'obéir, [1070]
Avec elle Cyrus conspire à me trahir.
Il faut qu'ils soient tous deux convaincus de leur crime,
Et pour lors ma fureur choisira sa victime.
Mandane et son amant en ces lieux vont venir ;
Sans témoins, par mon ordre, ils vont s'entretenir.
C'est où je les attends. Qu'ils viennent, Gélonide :
De leur sort et du mien cet entretien décide.
Mandane l'a voulu ; j'y consens à mon tour.
Mais, ô plaisir funeste ! elle en perdra le jour.

On ouvre, je la vois ; dissimulons encore. [1080]

 

MANDANE entre. – IV,3 – Page 230 – En scène : TOMYRIS, MANDANE, GELONIDE.

TOMYRIS
Je cède aux volontés d'un fils qui vous adore,
Madame, et je veux bien risquer en sa faveur
Tout le droit que Cyrus m'a donné sur son cœur.
Je ne me flatte point : je sais que ma conquête
Peut encor m'échaper, si ma main ne l'arrête ;
Et mon hymen peut-être aurait dû prévenir
L'entretien que mon fils vous a fait obtenir.
Vous allez voir Cyrus. Si vous l'aimez, Madame,
Par des reproches vains n'accablez point son âme.
Il n'est que trop puni de vous manquer de foi ; [1090]
Il perd bien plus en vous qu'il ne retrouve en moi.
Surtout, gardez-vous bien d'ajouter à la plainte
Le soin de rallumer une espérance éteinte.
Je le connais, je sais qu'il est ambitieux,
Que la seule grandeur peut éblouir ses yeux,
Et qu'il vous donnerait toute la préférence
Si mon trône et le vôtre entraient en concurrence.
Mais songez qu'il perdrait et le vôtre et le mien
Et que, pour l'agrandir vous ne pouvez plus rien.

MANDANE
Ah ! de grâce, quittez ces injustes alarmes, [1100]
Madame. Hé ! pensez-vous qu'au défaut d'autres charmes
Je daigne avoir recours à l'éclat des grandeurs
Pour éblouir les yeux et captiver les cœurs ?
Cyrus, je le confesse, autrefois sut me plaire.
J'avais cru qu'il m'aimait : cette erreur me fut chère.
Mais mon cœur, aussitôt libre que détrompé,
Est enfin tout entier de sa gloire occupé.
Oui, Madame, Cyrus peut croire que je l'aime.
Il faut de son erreur le détromper lui-même ;
Que surtout par ma bouche il en soit éclairci ; [1110]
Et c'est dans ce dessein que je l'attends ici.

TOMYRIS
Ou je suis fort trompée, ou j'entrevois, Madame,
À travers ce dépit quelque reste de flamme.
L'objet qui la causa pourrait la rallumer.
Non, ne le voyez point.

MANDANE
                                   C'est trop vous alarmer.
Pour rappeler à moi l'ingrat qui m'abandonne,
Je ne puis, comme vous, donner une Couronne.

TOMYRIS
Vous pourriez lui donner un malheureux amour
Qui peut-être à tous deux vous coûterait le jour.
Craignez une vengeance où ma gloire m'engage. [1120]
Songez que je suis Reine, et sensible à l'outrage ;
Qu'enfin…
               Mais Cyrus vient.

 

Entre CYRUS – IV,4  – Page 232 – En scène : TOMYRIS, CYRUS, MANDANE, GELONIDE.

CYRUS
                                         Qu'exigez-vous de moi ?
Faut-il redire encor que j'ai trahi ma foi ?
Pourquoi redemander un aveu qui me blesse ?
N'avez-vous pas déjà celui de la Princesse ?

TOMYRIS
Elle a voulu, Seigneur, s'expliquer avec vous ;
Et mon fils y consent, loin d'en être jaloux.
Achevez d'étouffer une funeste guerre.
Vous savez de quel sang j'ai vu rougir la terre.
Je veux bien l'oublier ; songeons à nous unir : [1130]
Mon fils est à l'autel, hâtez-vous d'y venir.
(à Mandane)
Vous ne pouvez trop tôt répondre à sa tendresse.
(à Cyrus)
Vous, Seigneur, vous savez quelle est votre promesse.

 

TOMYRIS et GÉLONIDE sortent – IV,5 – page 233 – En scène : CYRUS, MANDANE.

CYRUS
Vous allez donc combler les désirs de son fils ?

MANDANE
Je tiendrai, comme vous, tout ce que j'ai promis.

CYRUS
Je l'ai voulu, Madame, et je ne puis m'en plaindre.
Mais, puisqu'il m'est permis de ne me plus contraindre,
Mon cœur, je l'avouerai, se flattait en secret
Qu'on me perdrait du moins avec quelque regret.

MANDANE
Hé sur quoi fondiez-vous cette vaine espérance ? [1140]
Devais-je être fidèle après votre inconstance ?
En me sacrifiant, vous étiez-vous flatté
Du barbare plaisir de vous voir regretté ?
Ah ! vous jouiriez trop de votre sacrifice ;
Et moi, je traiterais avec trop d'injustice
L'ardeur d'un tendre amant ou plutôt d'un époux
Qui d'un cœur sans partage est plus digne que vous.

CYRUS
Ô Ciel ! il est donc vrai ? votre cœur infidèle
Brûle pour mon rival d'une flamme nouvelle.
Mais que dis-je, nouvelle ? Un si parfait amour [1150]
N'est pas dans votre cœur formé depuis un jour ;
Et tantôt mon rival… Dieux ! je n'osais le croire.
Hé, pouvais-je penser, sans blesser votre gloire,
Que, tandis que Cyrus, au seul bruit de vos fers,
Abandonnait pour vous cent triomphes divers,
Et, dans un vaste champ ouvert à ses conquêtes,
Négligeait de cueillir des palmes toutes prêtes
Pour venir en ces lieux vous consacrer ses jours,
Votre cœur lui gardât de perfides amours ?

MANDANE
Hé de quoi m'a servi l'ardeur de votre zèle ? [1160]
N'avais-je pas assez de ma douleur mortelle ?
Fallait-il redoubler l'horreur de ma prison
Par l'horreur du parjure et de la trahison ?
Que ne me laissiez-vous dans un long esclavage ?
J'aurais pu me flatter que votre grand courage
Gardait, pour le dernier de ses fameux exploits,
L'honneur de m'arracher à de barbares lois.
Ou du moins votre cœur m'aurait permis de croire
Qu'il n'oubliait l'amour que pour suivre la gloire.
Mais, hélas ! vous venez, vous volez en ces lieux, [1170]
Pourquoi ? Pour étaler vos mépris à mes yeux.
Et vous portez si loin votre injustice extrême
Qu'aux mains d'un autre époux vous me livrez vous-même.

CYRUS
Cruelle ! il fallait donc vous conduire à l'autel,
Et vous laisser tomber sous un couteau mortel ?
D'une Reine en fureur vous étiez la victime.
J'ai voulu vous sauver : voilà quel est mon crime.
Oui, réduit à vous voir, par un arrêt fatal,
Dans les bras de la mort ou dans ceux d'un rival,
Je n'ai point balancé. Vous savez tout le reste. [1180]
Chargé de proposer un hymen si funeste,
Quel tourment ! De moi-même il m'a fallu garder ;
Il m'importait surtout de vous persuader.
Je l'ai fait. Vous allez épouser Aryante,
Et moi je vais mourir. Régnez, vivez contente.
Mais pour sauver vos jours, quand je cours au trépas,
Si vous ne me plaignez, ne me condamnez pas.

MANDANE
Qu'ai-je entendu ? grands Dieux ! que je suis criminelle !
Quoi ! j'ai pu soupçonner l'amant le plus fidèle,
Tandis qu'il s'immolait pour me prouver sa foi. [1190]
Ah, Seigneur ! si jamais vous brulâtes pour moi
Et si vous connaissez l'amour et sa puissance,
Pardonnez une erreur qui lui doit sa naissance.
Vous savez qu'un cœur tendre est toujours alarmé
Et j'aurais moins failli si j'avais moins aimé.
J'avouerai, s'il le faut, que je n'ai pas dû croire
Qu'un Héros, jusqu'ici couvert de tant de gloire,
En eût terni l'éclat par une trahison.
Mais pouvais-je vous perdre et garder ma raison ?

CYRUS
Ah ! c'en est trop, Madame. Aryante lui-même [1200]
Ne peut qu'être jaloux de mon bonheur extrême.
Allez à ce rival engager votre foi.
Je triomphe de lui : votre cœur est à moi.

MANDANE
Moi, je pourrais souffrir qu'une fatale chaîne
Me livrât pour jamais à l'objet de ma haine !
Mais vous-même, Seigneur, pourriez-vous le souffrir ?
Il m'attend à l'autel : j'y vais, mais pour mourir.

CYRYS
Pour mourir ! justes Dieux ! quel funeste langage !

MANDANE
Heureuse, si mon sang peut expier l'outrage
Dont j'ai voulu flétrir l'amour le plus parfait ! [1210]
Puis-je trop en répandre ?

CYRUS
                                        Hélas ! qu'ai-je donc fait ?
Cruelle, n'ai-je pas dû, sans rompre le silence,
Vous laisser de mon cœur soupçonner la constance ?
De votre hymen mon crime allumait le flambeau ;
Et vous sortez d'erreur pour descendre au tombeau.
Ah ! s'il faut à ce prix recouvrer votre estime,
Reprenez votre erreur, et rendez-moi mon crime.

MANDANE
Hé quoi ! vous avez cru que j'allais à l'autel,
De tous mes ennemis cherchant le plus cruel,
Des caprices du sort victime infortunée, [1220]
Lui donner une main qui vous fut destinée ?
Détrompez-vous, Seigneur. Par un noble transport,
Aux pieds de Tomyris j'allais chercher la mort.
J'allais à ses fureurs m'offrir en sacrifice.
Ne vous plaignez donc plus quand je cours au supplice,
De me donner la mort en m'ôtant mon erreur.
Loin de me la donner, vous m'en ôtez l'horreur.
Oui, Seigneur, je sentais une horreur sans égale
De voir en expirant triompher ma rivale.
Je n'en mourrai pas moins : mais mon sort est trop beau, [1230]
D'emporter avec moi votre cœur au tombeau.

CYRUS
Quoi, vous allez mourir, et vous croyez, cruelle,
N'emporter que mon cœur dans la nuit éternelle ?
Non ne l'espérez pas. Pour nous y devancer,
Je porte à Tomyris tout mon sang à verser.

MANDANE
Ô Ciel ! où courez-vous ? Non, Seigneur…

 

Entre TOMYRIS – IV,6 – Page 238 – En scène : TOMYRIS, CYRUS, MANDANE.

MANDANE, à Tomyris
                                                             Ah ! Madame,
Un affreux désespoir s'empare de son âme :
Il prétend s'accuser. Mais ne l'en croyez pas.
Pour me sauver la vie, il cherche le trépas.

TOMYRIS
Dieux ! qu'est-ce que j'entends ?

MANDANE
                                             C'est moi qui suis coupable, [1240]
Il a beau me prier, je suis inexorable.
Ah ! si vous aviez vu quels efforts il a faits
Pour servir votre fils au gré de vos souhaits…
Non, il ne pouvait mieux vous tenir sa promesse.

CYRUS, à Tomyris
Apprenez à la fois mon crime et ma faiblesse,
Madame. C'est moi seul que vous devez punir.
Mandane à votre fils était prête à s'unir.
Du bonheur d'un rival les funestes approches
M'ont, malgré ma promesse, arraché des reproches.
Vous en voyez l'effet ; vengez-vous, perdez-moi. [1250]
C'est à mon seul trépas à dégager sa foi.

TOMYRIS
Oui, je me vengerai de votre perfidie.
Holà, Gardes, à moi. Tremblez, fière ennemie :
Il en est temps. Réglez l'arrêt de votre sort :
Choisissez de mon fils enfin, ou de la mort.

MANDANE
Qu'on me donne la mort.

TOMYRIS
                                       Oui, ta perte est certaine.
Qu'au sortir de ces lieux on l'immole à ma haine.

CYRUS
Arrêtez, inhumains.

TOMYRIS
                                 Gardes, obéissez.

 

MANDANE sort. – IV,7 – page 239 – En scène : CYRUS, TOMYRIS.

CYRUS
Reine barbare ! Et vous, Dieux qui me trahissez !
Êtes-vous comme moi captifs et sans puissance [1260]
Quand vous voyez le crime accabler l'innocence ?
Qu'attendez-vous ? Frappez, vengez-moi, vengez-vous.
Faites tomber la foudre au défaut de mes coups.
Mais, hélas ! ils sont sourds ; et l'objet de ma flamme
Peut-être en ce moment… J'en frémis… Ah ! Madame,
De grâce révoquez un si terrible arrêt.
Qu'exigez-vous de moi ? Commandez, je suis prêt.
Mes Persans, s'il le faut, renonçant à leur gloire,
Vont par un prompt départ vous céder la victoire.
Rendez-leur ma Princesse et redoublez mes fers. [1270]

TOMYRIS
Tu penses la sauver et c'est toi qui la perds.
L'ardeur de ton amour ranime ma vengeance.

Mais enfin c'en est fait. Aripithe s'avance.

 

Entre Aripithe – IV,8 – page 240 – En scène : TOMYRIS, CYRUS, ARIPITHE.

ARIPITHE
AH Madame ! Aryante…

TOMYRIS
                                 Hé bien, expliquez-vous.

ARIPITHE
Il vient de dérober la victime à nos coups.

CYRUS
Dieux puissants !

TOMYRIS
                      Et pour prix de cette audace extrême,
Deviez-vous balancer à l'immoler lui-même ?

ARIPITHE
J'aurais pu le punir dans mes premiers transports,
Mais il a triomphé, malgré tous mes efforts.
Mandane au fer vengeur déjà livrait sa tête, [1280]
Le coup allait tomber ; un cri perçant l'arrête ;
Et soudain votre fils, écartant mes soldats,
Vole, joint la Princesse, et l'arrache au trépas.
Par mes soins, mais en vain, ma troupe rassemblée,
En bravant le péril pour vous s'est signalée.
J'ai vu par le succès son zèle démenti,
Et d'un fils révolté tout a pris le parti.
De votre prisonnière, enfin, il est le maître.

TOMYRIS
À ma juste fureur qu'on immole ce traître.
Mais il pourrait plus loin porter sa trahison. [1290]
(à Aripithe)
Allez, et remettez Cyrus dans sa prison.
(à Cyrus)
Toi, ne crois pas Mandane à couvert de ma rage.

CYRUS
Dieux qui l'avez sauvée, achevez votre ouvrage.

 

CYRUS et ARIPITHE sortent. Entre GÉLONIDE – IV,9 – Page 241 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

TOMYRIS
Non, ne t'en flatte pas.
                                 Mais sans plus différer,
Des mains de ce rebelle allons la retirer.

GÉLONIDE
Madame, le voici.

 

Entre ARYANTE – IV,10 – Page 242 – En scène : TOMYRIS, ARYANTE, GELONIDE.

TOMYRIS
                           Quelle est donc votre audace ?
Déjà sur mes sujets régnez-vous en ma place ?
Rendez-moi ma captive ; ou bientôt ma fureur
Va, pour vous l'arracher, remplir ces lieux d'horreur.

ARYANTE
Hé, puis-je à plus d'horreur me préparer encore ? [1300]
Sur le bord du tombeau j'ai vu ce que j'adore.
Ô Mère impitoyable ! ô Fils infortuné !
C'est donc là cet hymen qui m'était destiné ?
Quoi ? vos bontés pour moi n'ont été qu'une feinte
Pour porter à mon cœur la plus cruelle atteinte ?
Ah ! c'en est trop enfin ; et ces perfides coups
Étouffent tout l'amour qui me restait pour vous.

TOMYRIS
Hé que m'importe, ingrat, ton amour ou ta haine ?
Ne cherche plus en moi qu'une Mère inhumaine.
Va, tu n'es plus mon fils. Sans toi, sans ton secours, [1310]
Un fer de ma rivale aurait tranché les jours.
De ma rivale ! Ô Ciel ! qu'ai-je dit ! quelle honte !
Quoi ? je puis avouer que l'amour me surmonte ?
Il fut toujours secret ce malheureux amour :
Tu le forces, cruel, à se montrer au jour.
Mais je vais te punir, en perdant ta Princesse,
De m'avoir arraché l'aveu de ma faiblesse.

ARYANTE
Vous voulez donc la perdre ? Hé bien, je vois enfin
Qu'il faut l'abandonner à son triste destin.
Hé pourquoi la défendre ? et qu'est-ce que j'espère ? [1320]
Cet odieux rival que son cœur me préfère,
De toutes mes bontés profiterait un jour.
Mais, Madame, du moins servons-nous tour à tour.
Et, puisqu'il faut frapper, frappons d'intelligence.
Oui, servez ma fureur, je sers votre vengeance.
Dans nos justes transports ne nous traversons plus :
Je vous livre Mandane, immolez-moi Cyrus.

TOMYRIS
Sais-tu bien, Aryante, à quoi ton cœur s'engage ?
Tu crois que mon amour est plus fort que ma rage.
Tu t'abuses. Je vais, par un dernier effort, [1330]
Offrir à mon ingrat ou mon sceptre ou la mort.
Mais malgré mes bontés s'il veut que je l'immole,
Je viens te demander l'effet de ta parole.

ARYANTE
Vous pourriez immoler l'objet de votre amour ?
Grands Dieux ! de quelle Mère ai-je reçu le jour !
Jugeant de votre ardeur par celle qui m'anime,
J'ai cru que, frémissant au nom de la victime,
Vous sauveriez Mandane en faveur de Cyrus.
Mais, puisque tous mes soins enfin sont superflus,
Sachez que c'est en vain que Mandane inhumaine [1340]
Autant que j'ai d'amour veut m'inspirer de haine ;
Qu'un seul de ses regards suffit pour m'attendrir,
Et que si, par vos coups, je la voyais périr,
Que sais-je ? ma fureur… Toute autre que ma Mère
Me paieroit de son sang une tête si chère.

TOMYRIS
Il faut donc t'animer à marcher sur mes pas.
Oui, je veux, en livrant ce que j'aime au trépas,
T'apprendre à te venger d'une beauté cruelle.
Mais, si le lâche amour dont tu brûles pour elle
À mes ressentimens s'obstine à l'arracher, [1350]
Dans le fond de ton cœur ma main l'ira chercher.

 

TOMYRIS et GÉLONIDE sortent. – IV,11 – Page 244 – En scène : ARYANTE resté seul

ARYANTE
Quel exemple barbare ! Hé, je pourrais le suivre !
Ah ! plutôt par ta main que je cesse de vivre.
Viens, Mère impitoyable, au gré de ta fureur
Arracher à ton fils et Mandane et le cœur.
Mais suis-je encor ton fils lorsque, de sang avide,
Tu portes tes horreurs jusques au parricide ?
Quels horribles projets viens-tu de mettre au jour ?
Sourde à la voix du sang, à celle de l'amour,
Tu ne balances pas à franchir les limites [1360]
Qu'aux plus sauvages cœurs la nature a prescrites.
Prévenons l'inhumaine, et commençons d'abord…

 

Entre ORONTE – IV,12 – Page 245 – En scène : ARYANTE, ORONTE.

ORONTE
Ah, Seigneur ! les Persans font un dernier effort.
Tout fuit devant leurs pas ; nos troupes avancées
Dans leurs retranchemens viennent d'être forcées.
Accourez ; ou bientôt préparez-vous à voir
Et Mandane et Cyrus remis en leur pouvoir.

ARYANTE
Dieux ! d'un coup si cruel vous frapperiez mon âme ?
Viens, allons signaler ma fureur et ma flamme ;
Et si de ce combat le succès m'est fatal, [1370]
Revenons en ces lieux pour perdre mon rival.



ACTE V

 

Sont en scène TOMYRIS et ORONTE. – V,1 – page 246 – En scène : TOMYRIS, ORONTE.

TOMYRIS
Enfin je suis vaincue, et le destin barbare
Me trace à chaque pas la mort qu'il me prépare.
Ces lieux où j'ai régné n'offrent à mes regards
Que morts et que mourants de tous côtés épars.
Et, parmi tant de traits où je me vois en butte,
Je ne puis espérer qu'une éclatante chute :
C'est auprès de Cyrus que je viens la chercher.
Si les Persans vainqueurs veulent me l'arracher,
Qu'ils osent pénétrer ces nombreuses cohortes [1380]
Dont j'ai de sa prison environné les portes.

GÉLONIDE
De grâce, à leur fureur ne vous exposez pas.
Sauvez-vous : Issedon vous tend encor les bras.
Partez avec Cyrus ; qu'Aryante vous suive :
Il ne peut qu'en fuyant conserver sa captive.

TOMYRIS
Ah ! m'accablent plutôt mes cruels ennemis !
Quoi ! j'irais obéir où règnerait mon fils ?
Moi qui, foulant aux pieds les droits de sa naissance,
Lui retiens en ces lieux la suprême puissance ?
Non ; mon ambition aurait trop à souffrir : [1390]
J'ai vécu sur le Trône et je veux y mourir.
Je te dirai pourtant que ma chute infaillible
Des malheurs que je crains n'est pas le plus terrible.
Deux amants que je laisse au comble de leurs vœux,
Des maux que je ressens voilà le plus affreux.
Ô cruel désespoir ! nécessité fatale
De mourir sans donner la mort à ma rivale !
Par un fils odieux dérobée à mes coups,
L'orgueilleuse triomphe et brave mon courroux.
Triomphons à mon tour. Immoler ce qu'elle aime, [1400]
C'est toujours immoler la moitié d'elle-même.
Sacrifions Cyrus. On va me l'amener :
De son sort et du mien c'est à lui d'ordonner.
Malgré moi, ses regards ont surpris ma tendresse.
Mais jusqu'à l'avouer si jamais je m'abaisse,
S'il me dédaigne enfin, c'est par un fer vengeur
Qu'il me verra chercher le chemin de son cœur.

Il vient. Dieux tout puissants qui voyez mon supplice,
Ne me condamnez pas à ce grand sacrifice.

 

Entre Cyrus. – V,2 – Page 248 – En scène : TOMYRIS, CYRUS, GELONIDE, Suite.

TOMYRIS
La victoire, Seigneur, se déclare pour vous ; [1410]
Mais ne prétendez pas me voir à vos genoux.
Le sang de mes sujets, dont la terre est couverte,
À ma juste fureur demande votre perte ;
Pour ce sang répandu le vôtre doit couler.
Oui, Seigneur, c'est vous seul qu'il me faut immoler.
Réduite à me venger, gardez de m'y contraindre :
Plus on me désespère et plus je suis à craindre.

CYRUS
Hé d'où vous peut venir cet affreux désespoir ?
Veut-on vous dépouiller du souverain pouvoir ?
Non, mes vœux ne vont pas jusqu'à votre Couronne : [1420]
Je vous la remettrai si le sort me la donne,
Ce n'est point son éclat qui frappe ici mes yeux.
Qu'on me rende Mandane, et je pars de ces lieux.

TOMYRIS
Non, à quelque revers que le sort nous condamne,
Ne prétendez jamais qu'on vous rende Mandane.
Mais les moments sont chers ; apprenez à quel prix
Vous pouvez désarmer le cœur de Tomyris.
Seigneur, que vos Persans s'éloignent de mes tentes ;
Arrachez mes sujets d'entre leurs mains sanglantes.

CYRUS
Moi, je consentirais… qu'auriez-vous prétendu ? [1430]

TOMYRIS
Qu'ils s'éloignent, vous dis-je, ou vous êtes perdu.

CYRUS
Connaissez-vous Cyrus, quand vous croyez, Madame,
Qu'une telle menace épouvante son âme ?
Cent fois dans les périls j'ai cherché le trépas ;
Je l'ai vu d'assez près pour ne le craindre pas.
Tantôt, je l'avouerai, j'ai craint votre colère.
Il fallait vous livrer une tête trop chère.
Mandane allait périr : mon cœur s'en est troublé ;
Dans cet affreux moment j'ai pâli, j'ai tremblé.
Mais Mandane est sauvée ; et, malgré votre envie, [1440]
L'amour de mon rival me répond de sa vie.

TOMYRIS
Songez que ce rival de mon sang est formé
Et que par mon exemple il peut-être animé.
N'exposez pas, Seigneur, cette tête si chère ;
Peut-être que le temps calmera ma colère.

CYRYS
Non je n'espère pas calmer votre fureur.
Nai-je pas vu tantôt… Dieux ! j'en frémis d'horreur ;
Quel arrêt est parti d'une bouche inhumaine !

TOMYRIS
Tu te souviens, ingrat, de ce qu'a fait ma haine ;
Et ne comptant pour rien ce qu'a fait mon amour, [1450]
Tu ne te souviens pas qu'il t'a sauvé le jour !
Prête à te voir périr, de quel effroi glacée,
Entre mon fils et toi je me suis avancée !
Dis, cruel, as-tu vu balancer un moment
Mon cœur entre l'amour et le ressentiment ?
Mais que fais-je, grands Dieux ! je vois sa haine extrême
Et je puis sans rougir lui dire que je l'aime !
Et je puis me réduire au désespoir affreux
De faire vainement un aveu si honteux !
Triomphe ; tu le dois : ta victoire est entière : [1460]
Tomyris à tes yeux a cessé d'être fière :
Mais crains une vengeance où tu me vois courir.
Je ne dis plus qu'un mot : Veux-tu vivre, ou mourir ?
Ce choix est important, pèse bien ta réponse
Et dicte-moi l'arrêt qu'il faut que je prononce.
Parle, c'est trop longtemps suspendre mon courroux.

CYRUS
Si l'arrêt de mon sort doit dépendre de vous,
Puis-je faire aucun choix qui ne blesse ma gloire ?
C'est des Dieux que j'attends la mort ou la victoire.

TOMYRIS
Et moi, malgré ces Dieux, je veux faire ton sort. [1470]
Va, rentre dans tes fers, et n'attends que la mort.

 

CYRUS sort. – V,3 – Page 251 –En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

TOMYRIS
OUi, tu mourras, cruel ; n'espère plus de grâce,
Il faut par tout ton sang que ma honte s'efface.
C'en est fait ; il est temps qu'un noble désespoir,
M'arrachant à l'amour, me rende à mon devoir.
N'en délibérons plus.
                               Mais que veut Aripithe ?
Dieux ! que dois-je penser du trouble qui l'agite ?

 

Entre ARIPITHE. – V,4 – Page 251 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE, ARIPITHE.

ARIPITHE
Je ne puis vous cacher un funeste revers,
Madame ; de Cyrus on va briser les fers.
Ses gardes effrayés ne songent qu'à se rendre. [1480]

TOMYRIS
Ah, Ciel ! dans ce malheur quel parti dois-je prendre ?
Allons, suivez mes pas… Que vois-je, justes Dieux !
C'est mon fils expirant qui se montre à mes yeux.

 

Entre ARYANTE, soutenu par ORONTE. – V,5 – Page 252 – En scène : TOMIRYS, ARYANTE, ORONTE, ARIPITHE, GELONIDE.

ARYANTE
Reine, songez à vous ; les Persans pleins de rage
Vont bientôt sur vous-même achever leur ouvrage.
Vos deux fils malheureux n'ont pu leur échapper ;
Il ne leur reste plus que la Mère à frapper.
Mon amour contre moi vous arma de colère ;
Que mon trépas du moins vous rende un cœur de Mère.
Vengez-moi, vengez-vous, vengez tout l'Univers ; [1490]
C'est le sang de Cyrus que j'attends aux Enfers.

Aryante meurt

 

Sortent ARYANTE et ORONTE. – V,6 – page 252 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE, ARIPITHE.

TOMYRIS
Oui, tu l'auras ce sang à tout le mien funeste.
Nous serons tous vengés, Dieux, je vous en atteste.
Oui, Dieux qui m'entendez, si je romps mon serment,
Déployez sur ma tête un soudain châtiment :
Puissé-je dans vos mains voir allumer la foudre,
Mon Trône mis en cendre et tout mon peuple en poudre,
Moi-même être asservie et, pour dire encor plus,
Puissé-je voir Mandane heureuse avec Cyrus !
Mais ne différons plus ; il est temps que je frappe. [1500]
Si je suspens mes coups, ma victime m'échappe.
Aripithe, écoutez. Si jamais votre foi
Par des faits éclatants se signala pour moi,
J'ai besoin, pour savoir jusqu'où va votre zèle
Et d'un cœur intrépide, et d'une main fidèle.
Puis-je attendre de vous un généreux effort ?

ARIPITHE
Commandez.

TOMYRIS
                   À Cyrus allez donner la mort.

ARIPITHE
Je ne balance point, vous serez obéie.
Oui, dussé-je périr, Cyrus perdra la vie.
Mon zèle jusqu'à lui va m'ouvrir un chemin [1510]
Et mon cœur vous répond d'une fidèle main.

 

ARIPITHE sort. – V,7 – Page 254 – En scène : TOMYRIS, GELONIDE.

GÉLONIDE
Qu'avez-vous ordonné ?

TOMYRIS
                                 Ce que ma gloire ordonne.

GÉLONIDE
Quoi ? les Persans vainqueurs n'ont rien qui vous étonne ?
Ah ! révoquez de grâce un si funeste arrêt.
J'implore vos bontés ; et pour votre intérêt,
Si vous comptez pour rien de vous perdre vous-même,
Songez quelle est l'horreur de perdre ce qu'on aime.
Écoutez votre amour.

TOMYRIS
                                 Que j'écoute une ardeur
Que je dois comme un monstre étouffer dans mon cœur !
Un amour plus cruel qu'une horrible furie ! [1520]
Contre lui, Gélonide, entends mon sang qui crie.
Laissons ces vains discours. Je n'ai plus qu'un moment
Que je dois tout entier à mon ressentiment.
C'est Mandane surtout qu'il faut que je punisse.
Cyrus l'aime, il est temps que ma main les unisse.
Du trépas de mon fils retirons quelque fruit :
Il ne s'oppose plus…
                              Ciel ! qu'entends-je ? quel bruit ?
Mais qu'est-ce que je vois ? Ma rivale s'avance.
Dieux ! me dérobez-vous ma dernière vengeance ?

 

Entrent MANDANE et Cléone – V,8 – Page 255 – En scène : TOMYRIS, MANDANE, GELONIDE, CLEONE.

MANDANE
Enfin le juste Ciel vient d'exaucer mes vœux. [1530]
Les airs de toutes parts percés de cris affreux,
De mes gardes troublés la troupe fugitive,
Tout m'apprend qu'en ces lieux je ne suis plus captive.
(à Tomyris)
Madame, par vos soins puis-je voir le vainqueur ?

TOMYRIS, à part
Ah ! Ciel… Mais renfermons ma rage dans mon cœur.

MANDANE
N'offensez pas Cyrus par d'injustes alarmes :
Il n'est plus ennemi dès qu'on lui rend les armes.

TOMYRIS
Tout généreux qu'il est, je l'ai trop irrité,
Pour espérer encor d'éprouver sa bonté.
Cependant, pour fléchir ce vainqueur magnanime, [1540]
J'ai déjà réparé la moitié de mon crime.
Bientôt vous n'aurez plus à craindre aucun revers.
Mes ordres sont donnés, on va briser ses fers.
J'ai voulu de ce soin ne charger qu'Aripithe ;
Je sais quel est pour moi le zèle qui l'excite.

Mais, Madame, Cyrus tarde plus qu'il ne faut :
Je vais presser… Adieu, vous le verrez bientôt.

 

TOMYRIS et GÉLONIDE sortent. – V,9 – page 256 – En scène : MANDANE, CLEONE.

MANDANE
Je le verrai bientôt ! Qu'en croirai-je, Cléone ?
Tout mon sang est glacé ; je tremble, je frissonne.
Que va-t-elle presser ? N'est-ce point son trépas ? [1550]
Ah, cruelle ! ah, barbare ! Allons, suivons ses pas.
Rien ne saurait calmer le trouble de mon âme.
Viens, ne me quitte pas…

CLÉONE
                                    Où courez-vous, Madame !
Et qu'allez-vous chercher à travers tant d'horreur ?
D'un peuple au désespoir redoutez la fureur.
Demeurez ; votre amant près de vous va se rendre,
Madame, et c'est ici que vous devez l'attendre.

MADANE
L'attendre ! hé, le peut-on sans un mortel effroi
Quand on a dans le cœur autant d'amour que moi ?
Je frémis du destin qu'à Cyrus on prépare, [1560]
Cléone, je crains tout d'une Reine barbare.

Mais qu'est-ce que je vois ? Artabase, grands Dieux !
Le malheur que je crains est écrit dans ses yeux.

 

Entre ARTABASE – V, 10 – page 257 – En scène : MANDANE, ARTABASE, CLEONE.

ARTABASE
Oui, du plus grand malheur j'apporte la nouvelle.
Cyrus…

MANDANE
                  Ciel ! il est mort ?

ARTABASE
                                              Une Reine cruelle
Vient de couvrir ses yeux d'une éternelle nuit.

MANDANE
Soutiens moi.

ARTABASE
                      Quelle horreur ! Le flambeau qui nous luit
A-t-il pu l'exposer aux yeux de la nature ?
Mais comment vous tracer cette affreuse peinture ?

MANDANE
Artabase, achevez, et ne m'épargnez pas : [1570]
Je veux suivre Cyrus dans la nuit du trépas.
Je l'ai perdu ; la mort est tout ce qui me reste
Et je dois la chercher dans ce récit funeste.

ARTABASE
Et je devrais, Madame, en me perçant le flanc,
Au défaut de ma voix, faire parler mon sang.
La victoire pour nous hautement déclarée
Déjà de vos prisons nous permettait l'entrée,
Quand j'ai vu Tomyris, un poignard à la main,
Pour aller à Cyrus prendre un autre chemin.
J'ai tremblé, j'ai suivi sa furieuse escorte. [1580]
J'arrive au lieu fatal ; on m'en défend la porte,
On m'arrête ; le sang coule de toutes parts.
Des Scythes effrayés je force les remparts.
Tout fuit ; j'avance enfin, l'âme de crainte émue.
Justes Dieux ! quel objet vient s'offrir à ma vue !
Mes soldats consternés en poussent mille cris.
Une troupe barbare entoure Tomyris,
Tandis que par trois fois, sans qu'aucun cri l'arrête
Dans un vase de sang elle plonge une tête.
Et dit, à chaque fois, d'un ton mal assuré : [1590]
"Saoule-toi de ce sang dont tu fus altéré."
Tout tremble, tout frémit à ce discours horrible.
Tout est saisi, tout garde un silence terrible,
Le soleil, se couvrant d'un voile ténébreux,
Semble se refuser à ce spectacle affreux.
Tomyris elle-même, autrefois si cruelle,
Oublie en ce moment sa fureur naturelle ;
Et ses yeux, condamnant son projet inhumain,
N'osent envisager l'ouvrage de sa main.
Hé ! quels yeux soutiendraient cet objet effroyable ? [1600]
Quel cœur jusqu'à ce point serait impitoyable ?
Les traits de votre amant, dans le sang confondus,
N'offrent plus qu'une plaie à mes sens éperdus
Et, dans la juste horreur dont mon âme est saisie,
J'y cherche vainement le vainqueur de l'Asie.

MANDANE
Ah ! courons le venger.

ARTABASE
                               Vos vœux sont satisfaits.
Les Scythes de leur sang ont payé leurs forfaits
Et par nous Tomyris immolée à son ombre,
Des victimes sans doute allait croître le nombre.
Mais, d'un œil de mépris envisageant la mort : [1610]
"Je sçaurai bien sans vous disposer de mon sort",
Dit-elle ; et, se livrant au transport qui l'inspire,
Prend un poignard, se frappe, et soudain elle expire.

MANDANE
La barbare ! elle évite un juste châtiment.
Il ne me reste plus qu'à suivre mon amant.
C'est pour moi qu'il est mort ; et mon amour fidèle
Doit m'unir avec lui dans la nuit éternelle.

 


NOTES

[*12] Les Massagètes sont un peuple de Scythie dont Tomyris est la reine. Cyrus, pour en devenir le maître, avait d'abord demandé la main de Tomyris, devenue reine des Massagètes à la mort du roi son époux. La reine ayant refusé cette alliance intéressée, Cyrus avait fait avancer son armée. Tomyris aurait dans un premier temps tenté de régler pacifiquement le conflit, mais Cyrus, mal conseillé par Crésus, avait décidé d'avoir recours aux armes. En 530, il réussit par la ruse à s'emparer du fils de Tomyris, Spargapises, et de ses soldats ; la reine aurait alors fait une ultime tentative pour éviter la guerre et réclamé que Cyrus libère les otages ; mais son fils, honteux de s'être laissé prendre, se serait suicidé. Comprenant que toute solution pacifique était impossible, la reine s'était résolue à livrer bataille et elle vient d'être vaincu : Cyrus assiège son camp. . Spargapise, par honte se s'être laissé rendre, s'est suicidé et Cyrus a rendu son corps à sa mère.

[*30] Mandane, princesse mède, prisonnière de Tomyris. Lorsque Crésus, roi de Lydie, s'est soulevé contre Cyrus vers 547, Tomyris en a profité pour envoyer son fils Spargapise avec une petite armée sur le Pont-Euxin, à Sinope. Là il Spargapise s'est emparé de Mandane, la fille du roi des Mèdes Ciaxare, et l'a ramenée chez les Massagètes. C'est pour la récupérer que Cyrus a attaqué et vaincu Tomyris : si elle la rend à son père, il épargera les Massagètes. Mais Tomyris, qui sait que Cyrus l'aime, va pouvoir faire pression sur lui.

[*34] Ecbatane, capitale des Mèdes, prise par Cyrus.

[*45] Cyaxare II, roi des Mèdes, fils d'Astyage, qui régna, selon Xénophon, de 560 à 536. Tomyris a tout à craindre de l'union qui s'est faite entre les Mèdes et les Perses.

[*54] Crésus, roi de Lydie, en Asie Mineure, affronta Cyrus II et fut vaincu dans Sardes vers 547. Condamné au bûcher, il fut sauvé par un miracle (ue pluie subite éteignit le feu) et Cyrus en fit son conseiller.

[*58] Sinope, sur la rive sud du Pont-Euxin.

[*64] Mandane. Artamène ou le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry commence par l'incendie de Sinope révoltée contre Cyaxare. Artamène (Cyrus), qui s'avançait à la tête de l'avant-garde de l'armée de Cyaxare afin de soumettre la ville rebelle, s'élança aussitôt pour combattre les flammes, car c'est à Sinope que Mandane, son amante et fille de Cyaxare, a été conduite, après avoir été enlevée par le roi d'Assyrie.

[*95] Sardes, Babylone (rn 539), Memphis, autant de cités conquises par Cyrus.

[*105] Tomyris ne lui rendrait Mandane que s'il renonçait à toutes ses conquêtes !

[*116] Selon Hérodote (I, 107-130), Cyrus le Grand est le petit-fils du roi mède Astyage. Or Astyage a vu en rêve que son futur petit-fils deviendrait roi à sa place. Lorsqu'il est né, il ordonne à Harpage, l'un de ses parents, de faire disparaître le bébé. Harpage, ne voulant pas en être le meurtrier, confie le bébé à Mithridatès, le bouvier royal de la cour mède, dont la femme, qui vient de perdre un enfant mort-né, le convainc de ne pas l'exposer aux bêtes, mais de le garder et de l'élever comme leur enfant. Mithridatès substitue donc à Cyrus son fils mort-né, dont il abandonne le corps dans la montagne, paré des habits du prince.

[*121] Arpage, qui a été chargé par Astyage de tuer Cyrus nouveau-né.

[*126] Crésus, roi de Lydie.

[*130] Nabonide (Labynétos), dernier roi de Baylone de 556 à 539, fils de la reine Nitocris qui, selon Hérodote (I, 185), organisa la protection de son royaume contre les Mèdes. Babylone fut prise par Cyrus en 539.

[*138] Le fils d'Astyage Cyaxare II fut roi des Mèdes de 530 à 536 ; puis il confia son arma à son neveu Cyrus, qui lui succéda et qui devait épouser Mandane.

[*148] Ecbatane, capitale des Mèdes, a été prise en 549 par Cyrus ; cette conquête mit fin au règne du dernier roi mède, Astyage, dont Cyrus convoitait la fille. Ensuite la capitale perse deviendra Persépolis sous Darius Ier.

[*158] Cyrus avait d'abord offert à Tomyris de l'épouser.

[*162] Il s'est suicidé.

[*193] Aryante, autre fils de Tomyris, devenu roi des Issedons, peuple scythe sur la mer Caspienne. Il est venu au secours de sa mère contre Cyrus. Mais il aime Mandane et pourrait, avec l'appui de Cyaxare, s'emparer du trône des Massagètes et faire de Mandane une reine à la place de Tomyris.

[*235] Selon Hérodote, Tomyris avait d'abord repoussé une proposition de Cyrus qui souhaitait l'épouser pour éviter la guerre. Puis, vaincue et ayant rencontré Cyrus, Tomyris, à son tour, proposa le mariage à Cyrus qui, amoureux de Mandame, refusa.

[*274] C'est elle qui l'a fait roi des Issedons.


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