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TACITE ET LES GRECS (GERMANICUS, PISON, NÉRON)



On peut penser qu'il y a chez les Romains cultivés du Ie siècle après J.C. une opinion commune sur les Grecs. À en juger par Tacite ou Juvénal, elle ne paraît pas favorable. Chez Tacite, en effet, les Grecs, mis à part les affranchis, sont toujours désignés par des termes collectifs: les Grecs, les cités grecques, les Athéniens, l'esprit des Grecs, la race des Grecs [1]. Certes, et on le sait depuis Cicéron [2], les Grecs ne sont pas des barbares, mais pour Tacite la race des Grecs s'enorgueillit continuellement de son antiquité, les Athéniens pratiquent une adulation dissimulée, les villes grecques favorisent la licence en accueillant des criminels, l'esprit des Grecs est attiré par de vaines nouveautés, une nourrice grecque ne peut apprendre aux enfants que de vaines superstitions [3]. Les Grecs apparaissent ainsi comme mous et sans discipline, affabulateurs, crédules et portés vers les excès de la liberté ; ils sont en outre uniquement préoccupés, jusque dans leurs Annales, de leur propre histoire et vainement préten tieux [4], mais toujours fortement enclins à l'adulation la plus lâche [5].

Ces remarques, glanées dans les Histoires, les Annales et le Dialogue des Orateurs, ne permettent cependant pas de déterminer avec précision l'idée que Tacite se faisait exactement des Grecs. Deux passages des Annales nous permettront peut-être d'y voir un peu plus clair. Il s'agit du séjour de Germanicus à Athènes en 18 [6] et du débat sur l'instauration des jeux néroniens en 60 [7].

 

Germanicus et Pison. – Au livre deux des Annales, Germanicus est en Grèce au moment où il devient avec Tibère consul pour la seconde fois. De passage à Athènes, il marque son respect pour la ville en réduisant ostensiblement le nombre de ses licteurs: Hinc uentum Athenas, foederique sociae et uetustae urbis datum ut uno lictore uteretur. Excepere Graeci quaesitissimis honoribus, uetera suorum jacta dictaque praeferentes, quo plus dignationis adulatio haberet [8]. Il faut tout d'abord remarquer que Germanicus, consul en charge, effectue en quelque sorte une visite officielle et que son attitude est très nettement différente de celle, plus personnelle, qu'il adoptera un an plus tard en visitant l'Égyp te. Ce n'est donc pas aux Athéniens eux-mêmes que s'adresse le respect dont il fait preuve, mais à une cité libre qu'un traité lie à Rome et qui est riche de son antiquité. Si, d'autre part, les Athéniens expriment leur reconnaissance en l'accueillant avec des honneurs raffinés, Tacite ne manque pas de souligner qu'ils en profitent aussi pour mettre en avant l'éclat de leurs ancêtres et s'efforcent ainsi de rendre plus digne une adu lation dont on les sait coutumiers.

À cette visite, courtoise et diplomatique, s'oppose presque point par point celle que Pison va rendre quelque temps plus tard: At Cn. Piso, quo properantius destinata inciperet, ciuitatem Atheniensium, turbido inces su exterritam, oratione saeua increpat, oblique Germanicum perstingens quod, contra decus Romani nominis, non Athenienses, tot cladibus exstinctos, sed conluuiem illam nationum comitate nimia coluisset : hos enim esse Mithridatis aduersus Sullam, Antonii aduersus diuum Augustum socios. Etiam uetera obiectabat, quae in Macedones improspe re, violenter in suos, fecissent [9]... Son entrée à Athènes suscite aussitôt le trouble et l'effroi; le discours qu'il prononce est contraire à toutes les règles et s'adresse plus à des vaincus qu'à des alliés. Germanicus, consul, y est même accusé d'avoir manqué à l'honneur du nom romain.

Dans l'invective de Pison, le passé d'Athènes, évoqué à travers les noms lourds de sens de Mithridate, d'Antoine et des rois de Macédoine ou par le rappel des difficultés internes, est en fait réduit aux mésalliances, aux défaites et aux échecs de la démocratie. Une telle façon de voir est sans doute très proche de l'idée que beaucoup de Romains se faisaient à cette époque des Athéniens et des Grecs en général.

Il faut cependant replacer ce discours dans son contexte littéraire, c'est-à-dire dans l'opposition que Tacite veut établir entre Germanicus et Pison. Avec Pison, il ne s'agit en fait que des propos d'un seul homme. D'un coté Tacite en accentue la violence afin de bien camper son personnage, de l'autre il en restreint la portée en précisant que Pison poursuit contre Germanicus un projet bien arrêté et qu'il est en outre animé par des ressentiments d'ordre personnel contre les Grecs d'Athènes: ...offensus urbi propria quoque ira quia Theophilum quendam, Areo iudicio falsi damnatum, precibus suis non concederent [10].

À cet instant, nous nous trouvons en fait à l'ouverture d'un long parallèle qui sera conduit jusqu'à la mort de Germanicus et contribuera largement à en donner l'explication. Dans la suite du récit les rapports que les deux hommes entretiennent avec le monde grec et, de manière plus générale avec l'antiquité, joueront donc un rôle essentiel. Dès le début de la narration c'est en effet leur comportement à l'égard des Athéniens qui sert à définir, en les opposant, chacun des deux antagonistes. Respectueux des hommes et du droit, Germanicus se range du côté de l'humanitas ; agressif et violent, Pison est comme porteur d'une certaine forme de feritas qui en fait déjà, par contraste avec son adversaire et même avec les Athéniens, une sorte de barbare [11].

Il n'en reste pas moins que le contraste entre les deux hommes souligne aussi l'ambiguïté du jugement que les Romains portent sur les Grecs. D'un certain point de vue Athènes est une ville alliée, libre et antique, d'un autre, et à ne considérer que quelques moments de son histoire, elle n'est qu'un ramassis de nations [12]. Dans le cheminement qui les oppose, Pison se range du côté négatif de l'histoire, Germanicus du côté posi tif de la civilisation, du droit et de l'antiquité.

C'est pourquoi sans doute, pour se rendre en Syrie, Pison coupe au plus court. Plein d'intérêt et de curiosité, Germanicus au contraire s'at tarde dans le monde grec en soulageant au passage les maux des popula tions : il passe en Eubée, à Lesbos et en Thrace, veut voir les mystères de Samothrace, visite Ilion, puis consulte à Colophon l'oracle d'Apollon Carien. La mansuétude et l'humanité [13] dont il fait preuve en s'intéres sant au sort des populations qu'il rencontre se fonde en fait sur une cul ture marquée par le désir de connaître et de voir.

En Égypte, un an plus tard, non content d'abandonner toute escorte et d'abaisser le prix des céréales par des mesures peut-être trop radicales, il revêt la tunique grecque [14] et marque ainsi son accord avec un style de vie et de pensée qui néglige les avatars de l'histoire au profit des apports culturels. Cette attitude, qui rappelle délibérément celle de Scipion l'Africain, lui vaut évidemment les critiques de Tibère, comme Scipion jadis avait affronté celles du Sénat de la République [15].

 

Les jeux néroniens. – C'est précisément la question de cet héritage cul turel qui est abordée lorsque Néron instaure en 60 des jeux quinquennaux, qui devront évidemment s'appeler « néroniens ». Tacite à ce propos présente sous la forme d'une controuersia les arguments de ceux qui sont favorables à cette création et les arguments de ceux qui y sont hostiles [16].

L'opposition au projet de Néron vient essentiellement des Romains qui, rejetant toute évolution, critiquent cette innovation comme leurs ancêtres avaient critiqué les débuts du théâtre. Chez eux, c'est le passé qui est donné comme exemple et l'emploi sur quelques lignes des mots senioribus, antea, uetustiora, antiquitas est à cet égard bien caractéristique. Cependant, la critique porte essentiellement sur la détérioration des mœurs dont les jeux sont présentés comme une cause aggravante, alors qu'ils en seraient plutôt, nous semble-t-il, le résultat. Parce qu'ils sont inspirés des Grecs, ici présentés comme des étrangers (studiis externis), les jeux devraient porter atteinte aux mœurs ancestrales (patrios mores) et n'apporter que déshonneur, licence et folles dépenses: Ceterum aboli tos paulatim patrios mores funditus euerti per accitam lasciuiam, ut, quod usquam corrumpi et corrumpere queat in Vrbe uisatur, degeneretque studiis externis iuuentus, gymnasia et otia et turpes amores exer cendo, principe et senatu auctoribus, qui non modo licentiam uitiis permiserint, sed uim adhibeant ut proceres Romani, specie orationum et carminum, scaena polluantur. Quid superesse, nisi ut corpora quoque nudent et caestus adsumant, easque pugnas pro militia et armis meditentur [17] ? Tous ces arguments sont évidemment repris et rejetés dans la seconde partie de la controuersia. Découpé maintenant en une série de séquences et daté, le passé n'apparaît plus comme figé dans un bloc immobile et insécable, mais comme porteur d'un mouvement et d'une évolution qui sont presque un signe de progrès, spécialement dans le domaine des finances. Les spectacles et les jeux n'entraînent pas la décadence des mœurs, ils suivent naturellement l'évolution positive de l'empire et s'adaptent au temps présent; les dépenses sont gérées et maîtrisées, il n'y a pas de déshonneur à porter le talent sur la scène et la mise en concurrence des poètes et des orateurs ne peut rien produire de malhonnête ou de licencieux, puisqu'ils répondent nécessairement à la fois aux règles de l'art et au règlement des épreuves. Sed et consultum parsimoniae, quod perpetua sedes theatro locata sit potius quam immen so sumptu singulos per annos consurgeret ac destrueretur. Nec perinde magistratus rem familiarem exhausturos aut populo efflagitandi Graeca certamina a magistratibus causam fore, cum eo sumptu respublica fungatur. Oratorum ac uatum uictorias incitamentum ingeniis adlaturas ; nec cuiquam iudici graue aures studiis honestis et uoluptatibus concessis impertire. Laetitiae magis quam lasciuiae dari paucas totius quinquennii noctes, quibus tanta luce ignium nihil inlicitum occultari queat [18]. On voit que dans la première partie de la controuersia la critique des jeux touche en fait l'idée que les Romains peuvent se faire des Grecs. Lue en ce sens, elle complète les invectives de Pison, puisque ce n'est plus du point de vue de leur histoire, mais du point de vue de leurs mœurs que les Grecs sont maintenant jugés. Aux reproches politiques s'ajoutent donc les reproches moraux: manifestations coûteuses et inutiles, laisser-aller, débauche, amours infâmes, nudité des corps et déchéance sociale.

La réponse à ces critiques ne peut être qu'essentiellement romaine: elle ne prend pas la défense de l'esprit et des mœurs grecs, mais elle souligne, exemples à l'appui, l'évolution positive que Rome a toujours su donner à ces spectacles. Si la critique confortait Pison, la réplique, en prenant le parti du droit et de la raison, se range du côté de Germanicus. Reconnaître les aspects positifs d'une adaptation romaine des pratiques venues de la Grèce, c'est dire que les vertus romaines sont assez fortes pour assimiler ce qui vient d'ailleurs sans rien perdre de leur force et de leur spécificité.

Même s'il souligne au départ que les défenseurs des jeux néroniens pouvaient être parfois inspirés par une certaine hypocrisie, Tacite se place plutôt de leur côté. Il reconnaît en effet que rien ne s'est produit de ce qu'on avait annoncé : même les costumes grecs ont fini par disparaître et l'intégrité, par ailleurs toujours assez contestable, des mœurs romaines n'a jamais été atteinte au cours de ces joutes oratoires et littéraires.

À propos des jeux comme à propos de Germanicus, on trouve donc chez Tacite une opinion favorable aux Grecs qui est apparemment en contradiction avec celle qu'il exprime ordinairement et que nous avons rappelée tout à l'heure. On peut alors se demander quel est exactement son point de vue.

 

Tacite. – Deux attitudes opposées sont en fait soulignées dans les deux passages des Annales que nous venons de parcourir: d'un côté le rejet systématique de tout ce qui vient de Grèce, de l'autre une approche plus respectueuse et plus rationnelle, qui se fonde à la fois sur la connaissance du monde grec et sur la confiance que peuvent inspirer les vertus traditionnelles de Rome.

Il en existe cependant une troisième, sans doute plus exceptionnelle et plus dangereuse, qui est celle du Néron que Tacite met en scène. Le jeune empereur en effet se situe tout à la fois à l'opposé de Pison et bien au delà de Germanicus. Se voulant chanteur, poète et comédien, ne rêvant que de chars, de jeux scéniques et de concours poétiques, en un mot résolument philhellène, il dilapide le trésor public, s'abandonne à des amours infâmes et prend part, en éternel vainqueur, à toutes les formes de concours grecs; il est en un mot tout à fait semblable à l'idée que certains se font des jeux qu'il veut instaurer. Il se place donc entièrement dans la part d'ombre des Grecs, mais son inconséquence est telle qu'il va jusqu'à piller pour son profit les richesses des temples et des dieux [19]. Ses excès le conduisent à une tyrannie qui ne respecte plus ni la culture du monde grec, à laquelle il se réfère [20], ni les vertus romaines qu'il devrait défendre. Comme Pison, mais à un degré supérieur, il se range du côté des bar bares.

Défavorable aux Grecs quand il les considère dans leur ensemble et condamnant Néron sans réserves, Tacite ne se place pourtant pas du côté de Pison, ni, comme nous venons de le voir, du côté des adversaires des jeux néroniens. Son attitude est certainement plus proche de celle qu'évoquait sobrement le comportement plus équilibré de Germanicus. Or, derrière Germanicus marchant en tenue grecque dans les rues d'Alexandrie, se profile un instant l'image républicaine de Scipion l'Africain adoptant lui aussi, en pleine guerre punique, les usages et les vêtements grecs [21]. L'allusion n'est certainement pas anodine. Général sévère et victorieux d'un côté, intellectuel cultivé de l'autre, défenseur de l'hellénisme et mal vu d'un sénat qui condamne aussi l'évolution du théâ tre et des arts, Scipion incarne, en effet, comme Germanicus face à Tibère, l'alliance enrichissante et audacieuse des grandes vertus romaines et de la grande culture grecque. Reconnaître l'apport de la Grèce au point de renoncer parfois à la lourde toge, ce n'est pas sombrer dans la débauche et déchoir comme Néron, c'est au contraire rechercher et entretenir un équilibre entre deux cultures, dont l'une moins fine, mais plus solide, plus sûre d'elle-même et plus rigoureuse, est devenue en quelque sorte l'héritière de l'autre. Ce n'est en fait, ni à l'histoire événementielle, ni à l'observation de mœurs qui peuvent être considérées comme étrangères qu'il faut se référer, mais à cette antiquité dont Germanicus est précisément curieux jusqu'en Égypte.

 

Comme Germanicus Tacite pense en effet au-delà du présent et du passé le plus proche, et cette position est en fait très voisine de celle que son ami Pline le Jeune exprime à la même époque dans sa lettre à Maximus [22] : ce qu'il faut respecter chez les Athéniens et les Grecs contemporains, c'est un passé qu'on ne doit pas réduire aux périodes sombres et difficiles de la décadence, mais dont on retiendra la richesse et la créativité. L'apport des Grecs aux arts, à la politique et à la pensée interdit à la fois toute critique systématique et toute imitation incontrô lée : il contraint à une modération lucide et raisonnable du jugement et du comportement. Ne pas garder cet équilibre, c'est tomber dans une inhu manité et une barbarie qui caractérisent à la fois les Néron et les Pison et les renvoient dos à dos. En acceptant l'apport grec à la civilisation, les vertus romaines s'assument au contraire pleinement, sans pour autant renoncer à ce qu'elles sont: à leurs valeurs traditionnelles elles ajoutent la connaissance et le respect du passé des autres.
L'homme romain résulte alors d'un double héritage, celui, culturel, de la Grèce et celui, moral, de Rome. C'est probablement ce sentiment que Tacite partageait avec la plupart des Romains cultivés de la fin du premier siècle.


NOTES

(1) Annales 2,53,3 (Graeci), 3,60,1 (Graecas per urbes), 4,14,1 (legationes Graecarum ciuitatium), 2,55,1 (Athenienses), 5,10,1 (Graecorum animis), Histoires, 2,4,1 (Graecorum genus).

(2) Cicéron, De Republica 1,37.

(3) Tacite, Dialogue des orateurs 29,1.

(4) Annales 2,88,3.

(5) Annales 2,53,3, 6,18,2 (graeca adulatio).

(6) Tacite, Annales 2, 53-55. Les citations sont extraites de P. Wuilleumier, Tacite, Annales, Tome l, Livre II. Texte établi et traduit par P. W., Paris, 1974 (Collection des Universités de France).

(7) Tacite, Annales 14, 20-21. Les citations sont extraites de P. Wuilleumier, Tacite, Annales, Tome IV, Livre XIV. Texte établi et traduit par P. W., Paris, 1978 (Collection des Universités de France).

(8) « De là, il se rendit à Athènes, et par égard pour le traité conclu avec une cité alliée et antique, il se contenta d'un licteur. Il fut accueilli avec les honneurs les plus raffinés par les Grecs, qui mettaient en avant les exploits et les paroles mémorables de leurs héros, pour donner plus de dignité à l'adulation » (Annales 2,53,3).

(9) « Cependant Cn. Pison, pour commencer plus tôt l'exécution de son projet, après avoir porté l'effroi dans la cité d'Athènes par une entrée turbulente, l'invective dans un violent discours où il reprochait indirectement à Germanicus d'avoir, contrairement à l'honneur du nom romain, traité avec une amabilité excessive, non pas les Athéniens, que tant de désastres avaient fait disparaître, mais ce ramassis de nations, ces gens qui s'é taient alliés à Mithridate contre Sylla, à Antoine contre le divin Auguste. Il ajoutait même de vieux griefs, leurs revers contre les Macédoniens, leurs violences contre leurs concitoyens... » (Annales 2,55,1-2).

(10) ...[Pison] « nourrissant à l'égard de la ville une animosité particulière à cause d'un certain Théophile, condamné comme faussaire par le tribunal d'Arès, dont les Athéniens refusaient la grâce à ses prières » (Annales 2,55,2).

(11) On remarquera l'opposition presque systématique des propos de Pison avec les conseils donnés par Pline le Jeune dans sa lette à Maximus. Pline considère que ne pas respecter les Grecs est durum, ferum, barbarum (Pline Le Jeune, Epistulae VIII, 24,4).

(12) foederique sociae et uetustae urbis (53,3) conluuiem illam nationum (55,1).

(13) Signalées aussi par Suétone, Caligula 3,7.

(14) Annales 2, 59.

(15) Tite-Live 29,19,13.

(16) Tacite, Annales 14,20-21.

(17) «En tout cas, les mœurs ancestrales, abandonnées peu à peu, subiraient une destruction complète par l'introduction d'un tel dérèglement: ainsi tout ce qui peut au monde être corrompu ou corrompre serait offert à la vue dans la Ville ; ainsi dégénérerait, sous l'influence de goûts étrangers, une jeunesse adonnée aux gymnases, au désœuvrement et à d'infâmes amours, et cela sur l'initiative du prince et du sénat, qui, non contents de donner toute licence aux vices, obligeaient par la contrainte les notables de Rome, sous prétexte d'éloquence et de poésie, à se déshonorer sur la scène. Que leur restait-il à faire, sinon à mettre aussi leurs corps à nu, prendre le ceste et se préparer à ce genre de combats, au lieu de servir sous les armes ?» (Annales 14,20,4).

(18) «Mais on avait même visé à l'économie en réservant au théâtre un édifice permanent, au lieu d'engager d'énormes dépenses pour en élever et en démolir un chaque année. Et il n'y aurait plus lieu pour les magistrats d'épuiser leur fortune, ni motif pour le peuple à réclamer des concours grecs aux magistrats, quand les frais en seraient assumés par l'État. Les victoires des orateurs et des poètes apporteraient une incitation aux talents; et aucun juge ne trouverait pénible de prêter l'oreille à des exercices honnêtes et des plaisirs permis. À l'allégresse plus qu'au dérèglement étaient consacrées, sur une période de cinq ans, un petit nombre de nuits, illuminées par tant de feux que rien d'illicite ne pouvait être dissimulé» (Annales 21,2-3).

(19) Tacite, Annales 15,45.

(20) Cette culture n'est cependant pas celle que respecte Germanicus: pendant son voyage en Grèce, Néron séjourne à Corinthe et ne se rend pas à Athènes. Cf E. Cizek, Néron, p. 151-157.

(21) Cf supra note 15.

(22) Cf supra, note 11.


Article publié dans Rome, L’Italie et la Grèce. Hellénisme et philhellénisme au premier siècle ap. J.C.,
Yves Perrin ed., Neronia VII, collection Latomus, volume 305, Bruxelles, 2007, pp. 323-330
(communication au colloque Neronia VII, Athènes, 20-24 octobre 2004).


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