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L'HISTOIRE : ÉCRITURE OU VÉRITÉ ?
À propos de Pline (Ep. 6, 16 et 20) et de Tacite (Ann., 14, 3-9.

 

Si l'histoire qu'écrivent les Romains a été plusieurs fois considérée comme purement romanesque (1), c'est qu'elle peut se définir depuis Cicéron comme une œuvre essentiellement littéraire, dans laquelle la qualité du style est aussi importante que l'objectivité du récit qu'on propose.

Pour Cicéron en effet, ceux qui se contentent de rapporter les faits historiques sont des narratores sans style ; les vrais historiens, qui sont aussi des orateurs et, de ce fait, des écrivains, ne peuvent se limiter à la seule narratio ; ils pratiquent en plus l'art de l'exornatio, ce sont des exornatores (2). C'est que la théorie cicéronienne de l'histoire (3) repose en fin de compte sur une distinction nette entre la matière initiale ou fundamentum, et l'organisation littéraire et philosophique de cette matière ou exaedificatio (4) ; la présentation pure et simple des fundamenta n'aboutit qu'à une narratio, le travail résultant de l'exaedificatio produit un opus ornatum, seul capable de doter Rome d'une historiographie comparable à celle des Grecs.

Or, c'est à l'idée de fundamentum que se rattache tout ce que nous appellerions documentation, établissement des faits, définition d'une vérité de nature historique, et c'est à l'idée d'exornatio ou d'exaedificatio que se rattache ce que nous appelons le style ou la patte de l'historien (5) ; le fond d'un côté, la forme de l'autre.

Prétendre que Cicéron introduit cette dangereuse distinction serait cependant tout à fait contraire aux idées que l'orateur exprime fréquemment par ailleurs (6). Il s'agit bien plutôt de l'affirmation d'une double exigence, celle du savant, chercheur de vérité, celle de l'artiste, inventeur d'une esthétique fondée sur l'harmonie du verbe et la beauté des idées morales à valeur d'exemplum. Toutefois, dans la mesure où elle insiste beaucoup plus sur les nécessités littéraires et morales que sur les exigences scientifiques, la théorie cicéronienne laisse manifestement subsister un grave hiatus entre le fait historique brut, nous dirons l'information d'origine, et sa mise en forme littéraire ; elle met ainsi gravement en péril, sinon la vérité, toujours posée comme principe fondamental (7), du moins l'exactitude historique : si les historiens veulent être aussi de grands écrivains (8), la réalité des événements, reléguée dans la recherche initiale, risque en effet d'être à ce point stylisée par sa mise en récit qu'il n'en restera presque plus rien dans l'œuvre d'art finale (9).

Or, postérieurement à Cicéron, l'essentiel de la réflexion n'a porté, de Denys d'Halicarnasse à Sénèque et au Pseudo Longin que sur l'esthétique ; si l'on s'est beaucoup intéressé à la mise en forme atticiste, sévère ou sublime de la pensée, on a laissé de côté les problèmes que pose la narration du fait brut issu de l'enquête scientifique ; on a plus réfléchi sur la rhétorique, et sur la poétique en général, que sur la rhétorique et la poétique de l'histoire, et les historiens eux-mêmes ont plus évolué par le style que par la méthode : ils se sont plus occupés de l'exornatio que du difficile passage des fundamenta à l'exaedificatio.

La théorie proprement historique de Cicéron a, de ce fait, exercé une forte et durable influence ; d'une part, et malgré ses principes, elle a contribué sans doute à maintenir, dans la tradition de la lettre à Lucceius, un certain art de la déformation historique ; d'autre part, et même si l'auteur voulait rester parfaitement objectif, elle a donné tant de poids à l'exornatio morale et littéraire que le détail précis des faits est apparu comme secondaire et que la critique moderne juge fréquemment la trame historique incohérente et incertaine.

C'est ce filtrage involontaire de l'information par la littérature, ou, si l'on préfère, de la science par l'art, que nous nous proposons d'étudier à travers deux exemples, empruntés l'un à Pline, l'autre à Tacite ; nous aurons sans doute ainsi l'occasion d'approcher de plus près l'idée que les Anciens se faisaient d'une vérité historique.

DEUX RÉCITS DE PLINE

Nous avons choisi comme point de départ à notre réflexion les deux lettres dans lesquelles Pline raconte à son ami Tacite ce qu'il sait des événements d'août 79 en Campanie (10) ; les deux constituants indispensables à notre propos y sont en effet réunis : d'une part, l'auteur désire transmettre une relation claire et précise à un historien qui rassemble les matériaux nécessaires à la conception de son œuvre, d'autre part, il n'oublie jamais qu'il s'adresse, non seulement à son ami, mais encore à tout un public de lecteurs attentifs ; d'un côté, il informe, de l'autre, il fait œuvre littéraire. Nous nous trouvons donc au cœur même du sujet.

Mais cette narration (11) d'un événement historique présente encore une caractéristique tout à fait intéressante, c'est que les deux éléments qui la composent nécessairement, le récit et l'histoire, se trouvant en quelque sorte au degré zéro, s'offrent sans détours à l'étude ; du point de vue de l'histoire, Pline fait en effet parvenir une information presque brute au spécialiste qui devra la transfigurer en œuvre historique véritable (12); du point de vue du récit, le désir de composer une œuvre d'art ne s'exprime que dans un genre mineur et ne s'insère pas dans la conception d'ensemble plus complexe qui serait celle de l'historien. Le texte se présente ainsi comme un "Bericht" à caractère littéraire et se trouve, si l'on peut dire, à l'état naturel; puisque l'auteur ne se pose pas en historien (13) mais en rapporteur objectif des événements qu'il a vécus ou directement connus (14), il nous sera plus facile de percevoir dans quelle mesure l'écriture influe sur la transmission des données historiques de base.

L'information

Le récit contenu dans la première des deux lettres de Pline concerne, on le sait, la mort de Pline l'Ancien (15). Le lecteur y relève deux types d'informations : d'une part celles qui ont trait à l'éruption du Vésuve, d'autre part celles qui concernent le grand savant dont les principaux faits et gestes nous sont rapportés depuis l'apparition des premiers signes à Misène le 24, jusqu'à sa mort en solitaire à Stabies le 25 ; ces deux catégories d'événements sont présentées dans un ordre rigoureusement chronologique et de ce fait imbriquées constamment l'une dans l'autre.

Si simple et si linéaire soit-elle, cette narration ne satisfait pourtant pas les modernes qui la jugent insuffisante et même obscure en de nombreux points ; on se demande notamment quels ont été le trajet et l'heure de départ du serviteur de Rectina (16), quelle direction Pline a prise en quittant Misène (17), sur quel type de bateau il se trouvait (18), ce qu'est devenu le reste de la flotte (19), pourquoi il s'est trouvé seul sur la plage avec seulement deux esclaves (20) et de quoi il a finalement pu mourir (21).

Du point de vue qui nous intéresse, nous retiendrons seulement qu'il manque manifestement beaucoup de choses dans un récit dont l'intention première n'est pas de plaire, mais de documenter un historien ; aux yeux d'un moderne, Pline est un auctor de si faible intérêt que R. Etienne, quand il entreprend à son tour de raconter les derniers jours de Pompéi, ne trouve absolument rien à tirer de son reportage (22).

La deuxième lettre, qui raconte à Tacite les événements tels que Pline les a vécus lui-même à Misène, pose beaucoup moins de problèmes ; on y trouve, imbriquées l'une dans l'autre et présentées dans un ordre exactement chronologique, une description des phénomènes volcaniques et la narration des aventures pathétiques de Pline et de ceux qui se trouvaient alors près de lui. On notera seulement que les détails relatifs à la catastrophe sont plus nombreux et que les actes de Pline (attendre, fuir, attendre, revenir) dépendent si étroitement des événements qu'il n'y a pas lieu de s'interroger beaucoup à leur propos.

Nous en déduirons que si l'information nous est transmise avec plus de clarté, c'est essentiellement parce qu'elle est de nature moins complexe ; nous allons voir en effet que ces deux lettres ont en réalité subi le même traitement littéraire.

Le traitement de l'information

Dans chacune des deux lettres, l'information, pourtant destinée d'abord à un historien, qui est en plus un ami, reçoit, du fait de sa narration même, un éclairage particulier, dont la source est à chercher, pour le premier récit, dans la personnalité de Pline l'Ancien, pour le second, dans la nature exceptionnelle des événements qui se produisent; la mort de l'oncle est illuminée par le sublime, la journée du neveu resplendit de pathétique.

Madame Grisé (23) a bien montré déjà que le récit contenu dans la première lettre s'attache moins à préciser les détails qu'à faire de Pline le modèle exemplaire du sage stoïcien; nous ajouterons que cette intention sous-tend toute la structure du récit et lui sert à la fois de fil conducteur et d'unique explication. Trois indications fondamentales se trouvent en effet réunies dès le paragraphe dix: l'éruption est commencée (24), Pline veut l'étudier, parce qu'il est un homme de science (25), Pline veut sauver des vies humaines, parce qu'il est en plus un homme de cœur (26) ; conduit par ces deux motivations, qui le distinguent absolument de tous les autres mortels, il est à la fois capable d'approcher le danger par curiosité scientifique et de le mépriser par fermeté stoïcienne (27) ; il part donc vers un destin digne à la fois de sa grandeur d'âme et de son élévation de pensée.

Pour introduire l'ensemble de son récit dans un mouvement qui le porte au sublime, le narrateur l'a donc rendu dépendant d'une raison unique en supprimant toutes les causes adventices ou secondaires ; considéré sous cet angle, le texte n'est ni obscur, ni cahotique et présente même une belle unité. Seul le moderne, formé à l'école d'un rationalisme plus sourcilleux, voudra connaître les raisons subsidiaires que l'auteur ancien n'indique pas, parce qu'il estime qu'elles le détourneraient de l'essentiel (28). Il est, par exemple, évident que, dans la mesure où elle résulte des fatigues et des émotions d'une longue journée, la crise cardiaque de Pline est, dans l'esprit de l'auteur, la cause immédiate, et non la cause réelle, de la mort du savant : s'il n'avait pas été justement celui qu'il était, il serait en effet resté à Misène, comme l'a justement fait son neveu, et ne serait pas mort.

Du strict point de vue de Pline, il est donc faux de dire que son récit n'explique rien ; on peut même estimer qu'il explique tout, puisqu'il avance une cause qui englobe à elle seule toutes les autres ; du même strict point de vue, on doit certainement estimer aussi que cette explication présente une certaine forme de vérité qui la rend sans doute historique.

C'est en tout cas ce qu'a dû penser Tacite. Pline étant, sur ce point précis, la meilleure des sources dont il pût disposer, l'historien n'aurait pas manqué de réclamer des renseignements complémentaires (29) à son ami, s'il n'avait pas été satisfait de ceux qu'il venait de recevoir.

La seconde lettre ne soulève pas, pour les simples raisons que nous avons dites, autant de questions que la première ; elle est pourtant marquée, tout autant qu'elle, par un choix littéraire qui l'oriente d'un bout à l'autre.

Pline désire en effet se présenter comme aussi bon stoïcien que son oncle. S'agissant toutefois de lui-même, il tempère la description de son propre courage (30) et, pour le souligner sans vraiment le dire, il procède par opposition : d'un côté, son attitude tranche très nettement avec celle de tous ceux qu'il rencontre (31), d'un autre, elle est rendue plus admirable encore par l'horrible situation du monde qui l'entoure et par la constante piété filiale dont il fait preuve (32).

Le récit se teinte ainsi d'un effet dramatique évident qui amplifie l'impression d'horreur engendrée par la catastrophe et conduit parfois la narration jusqu'au stéréotype, spécialement quand il s'agit de peindre l'effroi des populations qu'enserre en plein jour une nuit de cendre et de pierre (33).

On voit que, si l'information transmise à Tacite est ici plus cohérente, elle reste soumise à la forme du récit qui la contient. Le lecteur moderne aurait donc autant de reproches à faire ; tout à l'heure, le cours des événements, dépendant d'une cause unique, devenait comme cahotique; maintenant, il se coule dans un mouvement qui pourrait facilement le rendre suspect, dans la mesure où il ajoute à la violence des faits, le pathétique obligé de leur description.

Par une modestie trop appuyée pour être entièrement sincère, Pline déclare que ce qu'il a vécu ne peut entrer dans l'histoire (34) ; pourtant, son récit propose à Tacite une image saisissante et lui fait sentir le drame qu'ont vécu les habitants de Misène et, par extension, ceux des villes englouties par le Vésuve; il est donc possible d'en extraire (35) une vérité ; pour Tacite en effet, comme pour Pline, le pathétique est devenu, comme le sublime, une des formes de l'histoire.

 

Le récit historique, tel qu'il nous apparaît dans les deux lettres de Pline, est donc constitué de trois éléments fondamentaux.

Nous y trouvons d'abord une information, certainement unique et irremplaçable dans la mesure où il s'agit ici de témoignage direct et d'autobiographie. Nous y décelons ensuite un certain nombre de conventions littéraires, qui valident le récit en tant qu'œuvre d'art, mais le contraignent à passer par des points obligés. Nous y voyons enfin des conceptions philosophiques ou morales, qui donnent à la narration son unité, mais incitent l'auteur à tout faire dépendre d'un principe unique sur lequel se fonde en fait toute la valeur exemplaire des événements racontés. Ainsi se retrouvent, d'une part les fundamenta, qui assoient le récit, d'autre part, l'exornatio, philosophique ou littéraire, qui lui donne sa forme et son style.

Cependant, ces trois éléments fondamentaux ne demeurent pas isolés les uns des autres et subissent entre eux des interactions qui peuvent nuire, d'une part à la cohérence, d'autre part à l'objectivité qu'on exige maintenant d'une narration historique.

En ce qui concerne la continuité du récit, la suppression de la plupart des causes secondaires laisse subsister, nous l'avons vu, des blancs, voire des énigmes. Ce premier point, s'il provoque chez le lecteur moderne un sentiment d'insatisfaction, n'altère cependant pas profondément la vérité; il ne s'agit en fait que de trous qui peuvent souvent être comblés par la réflexion ; même si elle n'apparaît pas comme totalement cohérente, l'information reste cependant presque intacte.

Il n'en va pas de même évidemment de la précision des détails. Certes, lorsque Pline décrit le nuage qu'il aperçoit de Misène (36) et qui marque pour lui le début de l'éruption du Vésuve, l'information est manifestement correcte ; elle est en effet donnée presqu'à l'état pur et ne répond qu'à sa propre nécessité, puisqu'elle marque le point de départ de toute l'action (37) ; les qualités d'observateur de Pline et ses dons d'écrivain s'expriment alors directement sans qu'aucune règle extérieure vienne à ce moment les codifier ; le lecteur reçoit donc une information pertinente et certainement exacte.

Il s'agit cependant d'un cas relativement exceptionnel ; plus souvent en effet les nécessités littéraires et les conceptions philosophiques indispensables au bon déroulement esthétique du récit agissent comme des filtres sur l'information d'origine ; tantôt ils la décolorent, tantôt ils la transforment, tantôt même ils l'altèrent en profondeur.

Un bon exemple de décoloration (38) nous est fourni par la grande scène de panique dans laquelle Pline lui-même et sa mère (39) se trouvent pris près de Misène ; la nécessité de proposer un tableau digne des circonstances et d'un grand auteur glisse l'information de base dans un moule, dont nous avons déjà signalé la forme stéréotypée (40) ; rivalisant avec toutes les autres descriptions du même genre (41) et peignant à son tour les attitudes et les gestes inévitables en de tels instants, le récit perd en fait la plupart de ses traits individuels et spécifiques ; seuls quelques détails viennent alors définir la situation précise (42) et le lecteur n'apprend rien dans ce passage qu'il n'aurait pu sans peine imaginer lui-même.

Décolorée dans ce cas par des ambitions littéraires, l'information brute est transfigurée, lorsqu'on voit Pline dormir lourdement dans sa chambre à Stabies (43) pendant que la cour de la maison s'emplit lentement de cendres et de lapilli (44). P.-M. Martin (45) a bien montré qu'il s'agissait ici de léthargie pathologique, plutôt que d'impavidité stoïcienne et cette hypothèse, étayée de solides preuves médicales, est tout à fait vraisemblable ; on s'étonnait en effet de voir le savant s'endormir tranquillement et laisser dans la pire angoisse tous ceux qu'il était venu si noblement secourir. L'information, certainement exacte dans la description qui en est fournie, se trouve ici transfigurée par le désir, plus philosophique ou moral que proprement littéraire, de rattacher toutes les actions du héros principal à la définition qui en a été donnée dès le début (46).

Vers la fin de l'action de même, l'isolement du naturaliste tient sans doute au fait que ses amis l'ont finalement abandonné (47); mais leur fuite déparerait trop l'équilibre et l'harmonie grandiose du récit ; l'auteur la passe donc totalement sous silence. Du coup, l'information, jusqu'alors globalement exacte, est mutilée d'un détail essentiel et se trouve ainsi profondément altérée.

Ces trois exemples montrent bien que les renseignements contenus dans le compte rendu littéraire de Pline ne sont pas vraiment faux, mais qu'ils ne sont presque jamais correctement transmis. Trop d'obstacles s'accumulent en effet entre la vérité que détient le témoin et la mise en œuvre définitive de cette vérité par l'écrivain. Il ne s'agit pourtant pas, nous semble-t-il, d'une déformation historique semblable, par exemple à celle que César pratique ordinairement (48), mais plutôt d'une transfiguration idéologique et artistique, qui, pour leur donner la grandeur et l'éclat qu'ils semblent mériter, n'hésite pas à peindre les faits comme plus vrais que nature. Sous l'accident de la mort, c'est ainsi l'image idéalisée d'un homme et de sa vie qui nous est proposée; à l'exactitude de l'instant et de la mémoire, l'exornatio morale et littéraire préfère en effet toujours l'éternité de l'exemple et du souvenir (49).

UN RÉCIT DE TACITE

Encore ne s'agit-il que d'un rapport écrit par un témoin, direct ou presque direct, des événements qu'il rapporte, et qui s'efforce en outre – on peut du moins le supposer – de communiquer à son ami le plus de renseignements possible. Avec un écrivain comme Tacite, la mutation de l'information sera donc plus sensible et plus nette encore.

La place manque évidemment ici pour entrer dans les détails, mais un exemple, celui du meurtre d'Agrippine (50), montrera sans doute assez comment l'information que détient Tacite est modifiée par le traitement philosophique et littéraire que l'auteur lui fait inévitablement subir (51). D'une part, en effet, Tacite a enrichi sa narration d'un leitmotiv qui lui donne une tonalité morale, d'autre part, il l'a composé de manière à la rendre à la fois plus dramatique et plus pathétique ; plus clairement encore que chez Pline, l'information d'origine a donc été fréquemment soumise à la forme qu'elle devait recevoir (52).

Leitmotiv et incertitude de l'information

Disposant d'une documentation probablement précise et même de plusieurs sources qui pouvaient éventuellement se contredire ou se compléter (53), Tacite a créé d'abord l'unité nécessaire à son récit en l'organisant autour d'une idée nettement dominante: de même que Pline suggérait le stoïcisme de son oncle et transposait ainsi l'ensemble de ses actions, de même Tacite choisit comme fil conducteur un thème à valeur nettement paradigmatique, celui de la dissimulatio et de son échec toujours inévitable.

Vue sous cet angle, la narration se développe en deux temps. Elle présente d'abord toute la fourberie de Néron (14, 3, 4), puis son échec (14, 5, 6), qui le contraint à se confier à d'autres (14, 7) et à mettre au point avec leur aide un crime, dont l'exécution, pourtant masquée sous un faux prétexte (54), ne pourra plus tromper personne (14, 11, 2) ; mais au moment même où cesse en quelque sorte la dissimulation de Néron, commence celle d'Agrippine (14, 6), qui feint de ne pas avoir compris ; comme celle du fils, l'hypocrisie de la mère est évidemment destinée à ne pas réussir et fournit même au meurtrier l'occasion de sa dernière mise en scène (14, 7, 6).

Continuellement entretenu par la fréquence extrême des termes qui l'expriment (55), le leitmotiv, qui donne au récit toute sa dynamique interne, lui fournit aussi toute sa forme; au milieu de l'action (14, 5, 1), les dieux semblent vouloir dénoncer le matricide, et l'étalage de piété filiale (14, 3, 3) (56), qui devait, au début, le cacher définitivement, se réduit, à la fin, au petit tombeau (14, 9, 1) qu'élèvent des serviteurs. Soutenu d'une manière éclatante en son centre, l'épisode est ainsi parfaitement bouclé ; le sens et la morale en sont évidents : l'homme qui calculait froidement et dans l'ombre le meurtre de sa propre mère (14, 3) attend dans la terreur le jour qui va renaître (14, 10, 1); démasquée d'emblée par le ciel, l'énormité d'un tel crime ne saurait échapper au regard de l'homme et de l'histoire.

Mais le cours de la vie n'est pas toujours si clair et Tacite a sans doute obtenu l'unanimité de la tradition qu'il rapporte (14, 9, 1) en éliminant ce qui n'entrait pas dans sa démonstration : rien ne permet cependant de le prouver et l'historien se montre ici plus habile que l'épistolier (57). Il est pourtant possible, en ne regardant que l'agencement du texte, de déceler un certain nombre d'arrangements probables de l'information d'origine.

C'est ainsi que le petit tombeau (14, 9, 1) qu'érigent les serviteurs a peut-être donné l'idée du temple et des autels qu'Anicetus conseille de faire bâtir après le faux naufrage (14, 3, 3) ; outre qu'on se demande d'où l'auteur peut tenir une information si secrète, l'équilibre antithétique entre les deux mentions de ce détail est si utile à l'économie de l'ensemble qu'il en devient presque trop significatif.

C'est cependant au moment crucial du récit, lorsqu'Agrippine est revenue saine et sauve dans sa villa du lac Lucrin (14, 6), que se posent les problèmes les plus caractéristiques. À cet instant, il s'agit en effet pour l'écrivain de faire en quelque sorte basculer la tragédie d'une dissimulation dans l'autre ; la tentative manquée du fils est devenue patente et la calme hypocrisie de la mère va lui rendre l'occasion qu'il vient justement de perdre: Agermus, porteur du message ambigu qu'elle adresse à Néron, sera faussement accusé d'être venu tuer l'empereur et servira de prétexte au meurtre (58).

Tous suspects à des titres divers, trois éléments composent ici le récit : le monologue intérieur d'Agrippine (14, 6, 1), le message qu'Agermus doit transmettre (14, 6, 2), la recherche hâtive du testament d'Acerronia (14, 6, 3).

Sans mettre en doute ce dernier point (59), on s'étonnera quand même de voir une suivante se déplacer avec son testament sur elle et l'on se demandera si ce détail n'offre pas seulement à l'auteur l'occasion de terminer brillamment le paragraphe en fournissant un bel exemple a contrario de son leitmotiv (60) ; il faut noter d'autre part que cette anecdote, qui est, avec la conversation détendue sur le bateau (14, 5, 1), le seul moment de sincérité pour Agrippine, précède immédiatement le seul moment de vérité de Néron, bouleversé d'apprendre que sa mère est encore en vie (14, 7, 1-2).

S'agissant du message qu'Agrippine dicte à son affranchi, la question se pose évidemment de savoir comment Tacite a pu en connaître les termes. Au point de départ ne se trouvent en effet que deux personnes qui n'ont plus que quelques instants à vivre; au point d'arrivée, Néron lui-même et, s'ils ne sont pas encore partis, Sénèque et Burrus, qui n'ont certainement jamais raconté la scène avec exactitude; même si d'ailleurs, et par extraordinaire, ils l'avaient fait, comment auraient-ils pu se souvenir avec tant de précision d'un texte dit, ou remis, dans des circonstances aussi mouvementées? Il s'agit donc, sans aucun doute, d'une invention vraisemblable de l'écrivain, qui désire mettre en valeur par ce moyen le sang froid et la maîtrise d'une femme exceptionnelle, encore capable, en des moments très difficiies, de manier à la fois la prudence et l'ironie (61).

Quant au monologue intérieur qui précède l'établissement du message, il est, de toute évidence, l'œuvre d'un romancier plutôt que celle d'un historien. Non seulement en effet le raisonnement d'Agrippine, moins empreint de peur que de calme et de logique, exprime bien la puissance du personnage (62), mais il offre encore au narrateur l'occasion de ménager une pause dans le récit en faisant le point sur l'état d'esprit de la future victime à un moment décisif du drame ; surtout il lui permet de résumer, au début du second épisode tout le contenu du premier et d'unir en un seul mouvement la dissimulatio qui s'achève à celle qui commence: de la lettre fallacieuse (63) à la décision de feindre, c'est bien le leitmotiv du texte qui se trouve ainsi nettement rappelé.

Structure et réorganisation de l'information

Même si les intentions sont radicalement différentes, la méthode est donc bien la même: comme celui que rapportait Pline l'événement que nous transmet Tacite a été transfiguré par la signification morale qui le nuance d'un bout à l'autre.

Cette coloration bien distribuée ne donne cependant pas au récit la charpente dramatique absolument nécessaire à la présentation d'un matricide que l'auteur considère aussi comme essentiel à la connaissance du règne de Néron (64); elle ne lui fournit en fait qu'un fil conducteur sous-jacent et continu, qui, du point de vue de l'écriture, ne sert en définitive qu'à simplifier les faits en évitant leur dispersion vers des causes considérées comme secondaires (65) ; c'est pourquoi l'auteur a situé en outre les éléments dont il disposait dans une structure entièrement conçue pour produire le plus d'effet possible : il a dans ce but organisé toute la narration sur un rythme ternaire complexe, ménagé de fortes antithèses entre les points forts et concentré l'essentiel de l'action dans une durée très brève en la regroupant dans un véritable montage parallèle.

Du point de vue de son déroulement, le récit se divise maintenant en trois moments distincts, qui sont l'échec du premier projet (14, 3-5), la mise en place du second (14, 6-7) et son succès (14, 8, 2-5). mais chacun de ces trois blocs narratifs se décompose à son tour en trois épisodes qui sont toujours les mêmes : d'abord, des projets intérieurs ou des monologues (14, 3, 1-6, 1-7, 1-2), ensuite des débats ou des dialogues (14, 3, 2 - 6, 2 - 7, 3-5), enfin l'échec (14, 4-5 - 7,6) ou le succès (14, 8, 2-5) de l'entreprise ; le final, c'est-à-dire l'assassinat d'Agrippine, pourtant beaucoup plus court, reprend une dernière fois, et sur un mode encore plus pathétique, ce même schéma ternaire : monologue intérieur (14, 8, 3), dialogue (14, 8, 4), exécution (14, 8, 5).

Cette organisation très savante et très réfléchie introduit le lecteur dans un mouvement répétitif et lancinant, dont le rythme est en outre de plus en plus accéléré, puisque les événements du groupe 1 (14, 3, 5) sont successifs et s'étendent sur une dizaine d'heures environ, tandis que les événements du groupe 2 (14, 6, 7) sont simultanés dans une durée beaucoup plus courte et que l'assassinat du groupe 3 (14, 8, 2-5) occupe à peine quelques minutes.

A ce procédé déjà saisissant, Tacite en ajoute un autre, qui est celui des antithèses. L'opposition fondamentale est évidemment celle d'Agrippine et de Néron, mais les acteurs secondaires du drame n'y échappent pas davantage ; l'activité d'Anicetus (14, 3, 3 et 7, 5) s'oppose à la passivité d'Agermus (14, 6, 2), le départ de l'un (14, 7, 5) à l'arrivée de l'autre (14, 7, 6), le succès du premier (14, 8, 2-5) à l'échec du second (14, 7, 6) ; le silence de Sénèque et de Burrus (14, 7, 3) est en contraste avec les cris de Néron (14, 7, 2) et leur incertitude (14, 7, 3-4) avec la fermeté d'Anicetus (14, 7, 5); à l'isolement d'Agrippine (14, 5, 3-6, 1-8, 3-5) s'opposent les conseillers du prince (14, 3, 3-7, 1-5), comme la terreur insensée du bourreau (14, 7, 2) s'oppose au calme de la victime (14, 6) et, aux scènes d'intérieur comptant peu de personnages (14, 3-5, 1-6, 7-8, 2-5), les scènes d'extérieur où se trouvent un grand nombre de figurants (14, 4, 2-3 - 5, 2 - 8, 1).

Cet habile jeu de contrastes est toutefois particulièrement sensible dans l'expression des pensées d'Agrippine et de Néron. Aux réflexions de Néron qui cherche les moyens du crime (14, 3, 2) s'oppose d'abord le monologue intérieur d'Agrippine qui comprend l'existence du complot (14, 6, 1); à ce monologue intérieur répond, littéralement et dans le même temps, celui, plus extraverti de Néron (14, 7, 2), qui vient d'apprendre que sa mère a tout découvert; mais l'angoisse affolée du fils devient bientôt celle de la mère (14, 8, 3), isolée dans la chambre où vont entrer les assassins. Quatre scènes de réflexions intérieures, toutes opposées les unes aux autres par la personne (Néron, Agrippine, Néron, Agrippine), par la nature (réflexions, monologue intérieur, monologue extérieur, réflexions), par le contenu (recherche d'idées, découverte d'un plan, peur, angoisse) et surtout par le fait qu'aux décisions de l'un succède toujours, non pas seulement l'angoisse de l'autre, mais aussi la peur résultant d'un échec dans l'action projetée.

Destinées à tisser dans la trame narrative un réseau très serré d'oppositions et de contrastes, ces antithèses renforcent ainsi, d'une tension qui est maintenant plutôt psychologique, l'effet d'excitation que produisait tout à l'heure l'accélération chronologique; tout à fait semblables dans leur nature et de plus en plus rapides, les réactions des deux adversaires, isolés chacun de son côté, donnent l'impression d'un jeu toujours plus âpre et toujours plus dramatique.

Cette subtile reconstruction, qui ajoute à l'exposé des faits le pathétique d'une mise en page extrêmement tendue (66), respecte pourtant l'essentiel des données cicéroniennes (67) ; la préparation (consilia), l'exécution (acta), le résultat (eventus) sont exposés successivement, l'ordre chronologique est utilisé, les intentions d'Agrippine et de Néron clairement expliquées, les eventus succèdent aux décisions, mais les casus viennent les perturber ; malgré toute sa recherche et tout son esthétisme structural, le récit ne renonce donc aucunement à son statut d'historia.

Il est cependant manifeste que l'exornatio y est devenue trop importante pour que l'historien puisse vraiment garder le pas sur l'écrivain ; le principe cicéronien de l'exposé des causes résultant soit du hasard, soit de la sagesse ou de la légèreté des hommes se trouve ainsi perverti par une exaedificatio littéraire qui conduit maintenant l'artiste, non seulement à développer le pathétique, mais encore à prendre la parole à la place des personnages, en leur prêtant des mots et des pensées qu'il n'a pas pu connaître, au lieu de livrer au lecteur un simple exposé de leurs motifs.

Dans la transfiguration de l'information qu'il détient, l'historien Tacite est allé beaucoup plus loin que le témoin Pline.

 

Telle que nous l'avons trouvée chez Pline et chez Tacite, la narration historique est donc nettement moins imprégnée d'historicité que d'esthétisme, et cette tendance, déjà sensible dans les écrits théoriques, et même dans la pratique, de Cicéron, se trouve encore renforcée par le fait que la conception littéraire se fonde désormais plus nettement sur le pathétique ou le sublime. Les fundamenta demeurent sans doute cicéroniens, mais l'exornatio vient du Pseudo Longin. Même en histoire, et plus que jamais, les écrivains, égaux aux Dieux, ont pour seul but ce qu'il y a de plus grand dans l'écriture et dédaignent l'exactitude minutieuse en toute chose (68).

Si la mutation littéraire est plus nette encore chez Tacite que chez Pline, c'est que l'historien doit non seulement relater les faits, mais encore les insérer dans un ensemble explicatif qui ait valeur d'exemple aussi bien pour le présent que pour un avenir dont on ne pense pas qu'il sera dans ses grands traits fort différent du présent et du passé (69).

La narration tend alors à s'organiser d'abord comme un ensemble clos résultant d'une cause unique et fondamentale ; elle devient en quelque sorte "monologique" ; tous ses éléments dépendent en effet d'une explication morale originelle qui la dépasse assez largement et peut même ne pas lui être absolument propre. Passant en outre par des étapes obligées, le discours, le tableau, le portrait, etc., le récit s'inscrit alors dans une technique de conception qui est comme extérieure à la nôtre, sans en être pourtant totalement différente, ce qui provoque l'effet d'insatisfaction, voire d'étrangeté, que l'on éprouve parfois à sa lecture (70). L'assassinat d'Agrippine a, par exemple, pour cause directe un projet de Néron qui trouve avec Anicetus l'organisateur et l'agent du crime ; cette cause se rattache elle-même à une cause plus générale qui est la peur qu'éprouve Néron de se voir dépossédé du pouvoir ; cette peur est aussi la raison plus immédiate pour laquelle il veut dissimuler le forfait qu'il va commettre, et dont il craint les conséquences ; elle conduira l'empereur à d'autres actes encore plus monstrueux s'il est possible : il sombrera progressivement dans le crime et la folie qu'engendre fatalement un pouvoir héréditaire et mal acquis.

Cependant, l'explication des mouvements du monde étant avant tout recherchée dans le comportement psychologique des hommes (71), l'historien se trouve inévitablement conduit à mettre en scène des personnages qui ne diffèrent des héros fictifs que dans la faible mesure où leurs caractères et leur vie sortent moins de l'imagination que des archives ; il doit en effet, pour animer ces personnages et leur donner l'indispensable cohésion littéraire, non seulement les décrire de l'extérieur, mais surtout prendre en charge leurs sentiments et leurs pensées ; autrement dit, se mettre en quelque sorte à leur place ; il est alors évidemment très proche du poète ou du romancier moderne (72) et l'information qu'il détient, si grande que soit sa qualité, ne peut plus parvenir intacte au lecteur ; c'est qu'au moment précis où il fait, par exemple, méditer ou parler ses personnages, l'historien s'appuie moins sur la vérité que sur la vraisemblance et dit moins ce qui fut réellement que ce qui aurait probablement pu être ; il est ainsi bien plus près de la définition qu'Aristote (73) propose de la poésie que de la conception que nous avons de l'histoire. C'est donc sans doute comme un roman que nous devons lire ce que les Anciens appellent historia.

Il n'est pas certain d'ailleurs que les Anciens eux-mêmes aient toujours bien su distinguer l'un de l'autre (74). Écrire l'histoire, c'est en effet pour Pline et pour Tacite, plus encore que pour Cicéron, choisir dans le réel (75) ce qui est le plus propre à rendre les faits expressifs et frappants ; c'est faire à la fois plus simple et plus beau que nature, afin de rendre, si l'on peut dire, encore plus vraie la vérité (76). Mais cette vérité n'est plus la nôtre; toujours exigeante et minutieuse, fondée sur des détails précis, qui peuvent être à chaque instant remis en question, corrigés ou réorganisés, la vérité moderne est ponctuelle et presque éphémère ; celle des Latins est globale et comme définitive ; la nôtre est celle d'une série d'éléments différents et vérifiés qui s'additionnent, elle est en quelque sorte impressionniste; la leur est celle d'un événement dominant, elle est immuable, unique et toujours exemplaire ; la vérité moderne surgit comme un tableau de Seurat d'une quantité variable de points différents et juxtaposés, celle des Latins s'entoure du trait épais et net des tableaux de Cézanne.

C'est que la notion de vérité n'est pas, pour les Anciens, dans la réalité presque ordinaire du fait brut, mais dans le sens, pathétique ou moral, qu'on peut toujours lui donner; elle n'est pas dans l'exactitude et la précision d'un détail, mais dans l'image idéale et définitive qu'on en laisse à la postérité; elle n'est pas dans l'information, mais dans son expression ; elle n'est pas dans la vie, mais dans l'écriture de la vie, car la vie n'est pas durable, mais l'écriture est éternelle et dispose aussi du pouvoir presque divin de rendre à la fois immortels ceux qu'elle met en scène et ceux qui la pratiquent (77). La beauté du récit est donc toujours plus vraie que l'événement même et l'historien moderne ne trouvera l'information qu'il recherche qu'en la dégageant d'abord de l'exornatio qui la lui cache.

Affrontée à celle des Anciens, qui est éternité de l'art, notre vérité n'est ainsi qu'éternelle recherche.


NOTES

1. Par exemple, P. HOCHART, Études au sujet de la persécution des chrétiens sous Néron, Paris 1885, De l'authenticité des Annales et des Histoires de Tacite, Paris 1890 et Nouvelles considérations au sujet des Annales et des Histoires, Paris 1894, (les deux ouvrages de Tacite seraient des faux). E. BACHA, Le génie de Tacite, La création des Annales, Bruxelles-Paris 1906, (les Annales sont un roman). Sur cette attitude hypercritique, voir H.-I. MARROU, De la connaissance historique, Paris 1961, p. 132-145.

2. CICÉRON, De Oratore, 2, 12, 54: ceteri non exornatores rerum, sed tantummodo narratores fuerunt. Par la bouche d'Antonius, Cicéron dresse ici le tableau de l'historiographie antérieure à son époque; il n'y a en fait qu'un exornator, Caelius Antipater; les narratores sont Caton, Fabius Pictor et Pison. La réplique de Catulus (13, 54) exprime cependant des réserves sur les qualités littéraires de Caelius Antipater.

3. Sur la théorie cicéronienne de l'histoire, voir M. RAMBAUD, Cicéron et l'histoire romaine, Paris 1952, p. 9-18; J.-M. ANDRE, A. HUS, L'histoire à Rome, Paris 1974, p. 15-23.

4. CICÉRON, De Oratore, 2, 15, 63: haec scilicet fundamenta nota sunt omnibus. Ipsa autem exaedificatio posita est in rebus et verbis. Les fundamenta sont ici de ne rien dire de faux, d'oser dire toute la vérité, d'éviter la partialité. D'autre part, dans la fameuse lettre à Lucceius (Ad Familiares, 5, 12), Cicéron se propose d'adresser à son correspondant des commentarios rerum omnium (5, 12, 10) qui seront le fundamentum de l'œuvre et que Lucceius pourra traiter avec abondance et éclat (5, 12, 2).

5. Cf. M. RAMBAUD, op. cit., p. 14 et 17.

6. Cf. A.-M. GUILLEMIN, Pline et la vie littéraire de son temps, Paris 1931, p. 81. Les trois strates dont parle l'auteur ne concernent cependant que l'art oratoire, Cicéron s'opposant justement aux asianistes, qui tendaient à ne développer que les ornamenta, c'est-à-dire la forme. Il est donc évident que, pour Cicéron, fond et forme ne sauraient être arbitrairement distingués ; voir, De Oratore, 3, 35, 141-143 et A. MICHEL, Le "dialogue des orateurs" de Tacite et la philosophie de Cicéron, Paris 1962, p. 178.

7. De Oratore, 2, 15, 62; De Legibus, 1, 1, 5.

8. C'est au fond ce qu'Atticus demande à Marcus dans le De Legibus (1, 2, 5- 7).

9. C'est pourquoi, même si elle a été écrite en des circonstances particulières et concerne plutôt une œuvre de propagande, ce qu'a bien démontré M. RAMBAUD (op. cit., p. 17-18), la lettre à Lucceius ne marque pas une rupture vraiment fondamentale avec les réflexions du De Oratore et du De Legibus. Elle ne demande pas en effet le mensonge, mais souligne nettement le fait qu'entre le travail de l'historien et l'établissement du texte littéraire, il peut y avoir une différence de point de vue ; le travail de l'historien (3, facultate tua) n'exclut ni la science, ni l'explication des causes, ni l'établissement des preuves, ni même l'indépendance (4); le travail de l'écrivain (3, copia tua) vise au plaisir du lecteur (4, delectationem, 5, voluptate). Cicéron demande donc à Lucceius d'être plus écrivain qu'historien ; les lois de l'histoire, et même la veritas, c'est-à-dire la réalité autant que la vérité, pourront alors céder un peu le pas à l'effet littéraire (3, rogo... ut in eo leges historiae neglegas) et les événements seront traités avec le plus d'abondance et d'éclat possible (2, cerno jam animo quanto omnia uberiora atque ornatiora futura sint), pour que Je lecteur y trouve plaisir et délectation (4, ad delectationem lectoris, 5, expletur jucundissima lectionis voluptate). Il s'agit donc bien d'un cas limite, qui a pour nous l'avantage de mettre en évidence l'importance que Cicéron accorde à l'exornatio et les usages spéciaux qui peuvent éventuellement en être faits, quand l'exigent des circonstances particulières.

10. PLINE LE JEUNE, Lettres, 6, 16 et 20. Le texte est celui des Belles Lettres (Paris 1927), établi et traduit par A.-M. GUILLEMIN.

11. Par commodité, nous ne distinguerons pas ici récit de narration et nous donnerons à histoire son sens le plus courant ; nous nous intéressons moins en effet au récit lui-même qu'à la transmission de l'événement. Pour une exacte définition de ces termes, voir G. GENETTE, Figures III, Paris 1972, 71-72.

12. Pline le précise bien au début de la première lettre : petis ut tibi avunculi mei exitum scribam, quo verius tradere posteris possis (6, 16, l); par fausse modestie, il est moins net dans la seconde lettre qu'il feint même (6, 20, 1) de ne pas considérer comme matière historique : haec nequaquam historiae digna non scripturus leges (6, 20, 20). L'expression verius tradere posteris dans la première lettre et l'emploi du verbe scripturus dans la seconde sont cependant bien caractéristiques : Pline donne à Tacite un matériau, dont ce dernier fera, ou non, de l'histoire. R. MARTIN, (La mort étrange de Pline l'Ancien ou l'art de la déformation historique chez Pline le Jeune, Vita Latina, 73, 03 1979, p. 13) note à juste titre que l'épistolier assigne à sa lettre un but identique à celui qu'avait théoriquement poursuivi César en rédigeant ses commentarii : non pas écrire un ouvrage d'histoire, mais fournir aux historiens les matériaux bruts à partir des quels il leur serait possible d'élaborer une historia au sens plein du terme.

13. Aliud est enim epistulam, aliud historiam, aliud amico, aliud omnibus scribere (6, 16, 22).

14. L'idée est nettement exprimée à la fin de la première lettre: omnia me quibus interfueram quaeque statim, cum maxime vera memorantur, audieram persecutum (6, 16, 22) ; elle est, comme tout à l'heure, formulée négativement dans la seconde lettre: haec nequaquam historiae digna (6, 20, 20).

15. Sur cette lettre et la mort de Pline l'Ancien, voir R. MARTIN, op. cit., supra note 12, p. 12-21 ; Y. GRISE, L'illustre mort de Pline le Naturaliste, REL, 58, 1980, 338-343 ; P.-M. MARTIN, Pline l'Ancien 22 ou une mort ordinaire, Vita Latina, 86, 06 1982, 13-22 et La Campanie antique, Des origines à l'éruption du Vésuve, Peuplement et développement, Adosa, 1984, 120-136. Il y aurait, selon P.-M. MARTIN (Pline, p. 13), 22 articles sur le sujet; Y. GRISE (p. 338) donne la liste des 19 premiers.

16. R. MARTIN, p. 15; P.-M. MARTIN, Pline, p. 16; Campanie, p. 129-131.

17. R. MARTIN, p. 15; Y. GRISE, p. 340; P.-M. MARTIN, Campanie, p. 132.

18. P.-M. MARTIN, Pline, p. 17; Campanie, p. 131-132.

19. Y. GRISE, p. 340-341; P.-M. MARTIN, Pline, p. 19; Campanie, p. 132.

20. R. MARTIN, p. 17 et 19; Y. GRISE, p. 341.

21. R. MARTIN, p. 17-20; Y. GRISE, p. 339; P.-M. MARTIN, Pline, p. 20-21 ; Campanie, p. 133-135.

22. R. ÉTIENNE, La vie quotidienne à Pompéi, Paris 1966, p. 30: "abandonnons à regret ces pages relatant un fait divers d'une importance exceptionnelle".

23. Y. GRISE, p. 341-343.

24. 6, 16, 4-6 (6: apparere nubem inusitata et magnitudine et specie).

25. Ibid., 7 eruditissimo viro.

26. Ibid., 8-10 (9: quod studioso animo inchoaverat obit maximo).

27. lbid., 10: solutus metu.

28. De même, mais dans un autre ordre d'idées: E. AUBRION, Pline le Jeune et la rhétorique de l'affirmation, Latomus, 34, 1975, p. 103. Il y a donc bien prétérition (R. MARTIN, p. 20), mais prétérition des causes.

29. A moins de supposer, ce qui est pour le moins complexe, que Pline n'ait pas répondu à cette demande par une lettre "en forme" ; mais cette hypothèse, déjà hasardeuse, ne s'accorde pas avec le début de la seconde lettre (6, 20, 1).

30. 6, 20, 5: dubito constantiam vocare an imprudentiam debeam (agebam enim duodevincesimum annum) ; ibid., 19-20.

31. Ibid., 10-11 : l'ami d'Espagne s'enfuit, Pline reste ; 17 : il ne mêle pas sa plainte à celle des autres (possem gloriari non gemitum mihi, non vocem parum fortem in tantis periculis excidisse).

32. Ibid., 12 et 14-16.

33. Ibid., 14-16. Cf. infra note 41.

34. lbid., 20. Cf. supra notes 12 et 14.

35. 6, 16, 22: tu potissima excerpes.

36. Ibid., 5-6.

37. La seconde lettre commence en effet juste après le départ de Pline l'Ancien (6, 20, 2: profecto avunculo), c'est-à-dire après l'apparition de la nuée signalée dans la première lettre (6, 16, 10: properat illuc).

38. Il s'agit bien de décoloration plutôt que de recoloration ou même, tout simplement, de coloration; dans la mesure où elle entre dans un stéréotype, la scène est en effet privée de sa teinte spécifique.

39. 6, 20, 14-15.

40. Cf. supra note 33 et infra note 41.

41. Par exemple, TITE LIVE, 26, 9, 7-8; TACITE, Annales, 4, 62, 3; 15, 38, 4-6 et même 14, 8, 1. Dans le même ordre d'idées, A.-M. GUILLEMIN (op. cit., p. 120) a montré qu'il existe un schéma de l'inondation. Avec excès, mais non sans preuves, E. BACHA dénonce pour sa part (op. cit., p. 47-60, 104-149, 162-169, 202-209, 287-316) l'existence d'innombrables schémas répétitifs chez Tacite.

42. On ne trouve guère que l'allusion à la nuit (15) ; encore s'agit-il, comme le souligne A.-M. GUILLEMIN dans son édition de Pline (tome 2, p. 125, n. 1) du thème général de l'attente eschatologique.

43. 6, 16, 13-14.

44. R. MARTIN, op. cit., p. 16.

45. P.-M. MARTIN, Pline, p. 20; Campanie, p. 134. Voir aussi R. MARTIN, op. cit., p. 16 et 19.

46. C'est à dire à l'image du sage stoïcien. Y. GRISE, op. cit., p. 342.

47. R. MARTIN, p. 17 et 20; P.-M. MARTIN, Campanie, p. 134.

48. M. RAMBAUD, La déformation historique chez César, Paris 1966. A contrario, R. MARTIN, op. cit., p. 13 et 20.

49. On trouve cette idée dans plusieurs lettres de Pline et spécialement en 5, 8, 1 (...mihi pulchrum in primis videtur non pati occidere quibus aeternitas debeatur aliorumque famam cum sua extendere) et en 6, 16, 2 (...multum tamen perpetuitati ejus scriptorum tuorum aeternitas addet) ; on remarquera que, dans ces deux cas, Pline associe l'immortalité du personnage historique à celle de l'historien. Cf. infra, note 77.

50. Annales, 14, 3-9. Le texte est celui de l'édition des Belles Lettres (Paris 1978) dû à P. WUILLEUMIER. L'indication K. renvoie à l'édition commentée des Annales par E. KOESTERMANN, tome 4, Heidelberg 1968.

51. Il n'est pas question de reprendre ici toutes les obscurités que contient le détail même de l'action ; elles montrent pourtant que, comme dans le récit de Pline, la précision des faits n'est pas la préoccupation majeure de l'auteur. Il est, par exemple, très difficile de comprendre quel mécanisme on a imaginé (14, 3, 3 - 5, 1 - 6, 1) et sur quel bateau on l'a mis en place. S'il s'agit de la liburnica de l'impératrice (14, 4, 3 et K., p. 31), comment a-t-on pu soudoyer des marins réputés (14, 3, 2) très fidèles et quand l'a-t-on modifiée? S'il s'agit de celui qu'Anicetus a fait truquer, comment Agrippine, pourtant très méfiante et de plus prévenue (14, 4, 4), a-t-elle pu accepter d'y embarquer ? Il est surtout impossible d'accorder dans les détails la version de Tacite à celles du Pseudo SÉNÈQUE (Octavie, 310-376), de SUÉTONE (Néron, 34, 2-8) ou de DION CASSIUS (61, 12-14) et l'on est en droit de penser que Tacite a, cette fois aussi (voir par exemple E. COURBAUD, Les procédés d'art de Tacite dans les Histoires, Paris 1918, p. 137-140), regroupé dans un seul récit des faits dont l'origine est différente.

52. S'il est impossible de mesurer les remaniements que l'auteur a effectués, la comparaison avec les versions que nous livre la tradition (détails dans E. CIZEK, L'époque de Néron et ses controverses idéologiques, Leiden 1972, p. 118, n. 5) permet toutefois d'en pressentir l'ampleur; il est clair que l'information d'origine, maintenant si difficile à connaître, a été fortement réagencée.

53. Sur les sources, voir par exemple E. CIZEK, ibid., p. 17-20.

54. 14, 7, 6 et 9. Le prétexte est celui de la prétendue tentative d'assassinat de Néron par Agermus, dont l'échec aurait entraîné le suicide d'Agrippine. On a reproché, à juste titre peut-être, à Sénèque d'être l'auteur, sinon du projet, du moins de la lettre qui en donnait la version officielle au Sénat (14, 10, 3-11). A ce sujet, voir, avec bibliographie, E. CIZEK, op. cit., p. 117-120 et P. GRIMAL, Sénèque ou la conscience de l'Empire, Paris 1979, p. 187-196.

55. 3, 2 : quonam modo occultaretur ; 3, 3 : quem adeo iniquum ut sceleri adsignet quod venti et fluctus deliquerint ? 4, 1 : facili feminarum credulitate ad gaudia ; 4, 3 : tamquam id quoque honori matris daretur ; ut occultando facinori nox adhiberetur; 4, 4 : sive explenda simulatione ; 5, 1 : noctem ... quasi convincendum ad scelus dii praebuere ; 6, 1 : fallacibus litteribus ; solum insidiarum remedium esse <sensit>, si non intellegerentur ; 6, 3 : securitate simulata ; id tantum non per simulationem ; 7, 6: scaenam ultro criminis parat; ut ... confingeret ; 8, 1 : quasi casu evenisset. On remarquera l'alternance des scènes de complot (3, 4, 6, 7-6) et des scènes de révélation (5, 7, 1-5, 8). R.D. SCOTT, The Death of Nero's Mother, Latomus, 33, 1974) a bien montré (p. 106-109) que cette hypocrisie s'étend progressivement de Néron au Sénat, puis au peuple romain tout entier.

56. Trad. Wuilleumier.

57. Il a certainement suivi les conseils de Pline: tu potissima excerpes (6, 16, 22).

58. Supra note 54.

59. Koestermann note (p. 36) que le fait qu'Acerronia se déplace avec son testament est significatif des dangers que l'on devait toujours craindre à cette époque pour sa vie. Mais est-ce vraiment une raison pour ne jamais se séparer de ce document? Si le détail était vraisemblable, ne vaudrait-il pas mieux penser qu'il s'agit d'un gage d'amitié donné à l'héritière probable d'Acerronia? Pourtant, lors du naufrage (14, 5, 3), Acerronia ne manifeste pas, c'est le moins qu'on puisse dire, un grand attachement pour sa maîtresse.

60. Le leitmotiv de l'hypocrisie est d'ailleurs particulièrement insistant dans ce paragraphe. K. (p. 35) signale à propos de 6, 1, que les érudits de la Renaissance voyaient dans ce passage une invitation sans réserves à la dissimulation ; voir aussi K. p. 36, WUILLEUMIER, p. 73, n. 8 et supra note 55.

61. Sur l'emploi notamment du terme benignitati deorum, voir R. SYME, Tacitus, Oxford 1963, 2, p. 707.

62. Voir A. MICHEL, Tacite et le destin de l'empire, Paris 1966, p. 173 et K., p. 35.

63. Trad. Wuilleumier.

64. Tacite consacre 19 chapitres à l'année 59, dont 13 au récit du meurtre d'Agrippine.

65. De ce point de vue, le paradigmatisme n'est qu'un outil de l'écriture.

66. Elle passe aussi par des schémas traditionnels chez Tacite qu'il serait trop long d'exposer ici ; signalons seulement que le récit du meurtre d'Agrippine comporte, dans son déroulement, les mêmes éléments que celui du meurtre de Britannicus (Ann., 13, 15-17): recherche des moyens, échec d'une première tentative, succès de la seconde, funérailles hâtives et impossibilité de dissimuler vraiment le crime. Voir un relevé détaillé de ces schémas répétitifs dans E. BACHA, op. cit., p. 202-209 et spécialement p. 202, note 4.

67. De Oratore, 2, 15, 63.

68. Pseudo-LONGIN, Traité du Sublime, 35, 2. Voir à ce propos: P. GRIMAL, La guerre civile de Pétrone dans ses rapports avec la Pharsale, Paris 1977, p. 35-36.

69. Voir A. MOMIGLIANO, Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, Paris 1983, p. 87.

70. Dans le récit de la mort de Pline, par exemple, on attend des causes historiques et l'on trouve des causes idéales ou philosophiques.

71. Voir A. MICHEL, Le "Dialogue des Orateurs", op. cit., p. 142 sq.

72. Et même du dramaturge. Voir E. AUBRION, Rhétorique et histoire chez Tacite, Metz 1985, p. 705- 707 ét 726 et, dans un contexte plus général, P. VEYNE, Comment on écrit l'histoire, Paris 1971, p. 71-72.

73. Or il est clair aussi, d'après ce que nous avons dit, que ce n'est pas de raconter les choses réellement arrivées qui est l'œuvre propre du poète, mais bien de raconter ce qui pourrait arriver. Les événements sont possibles suivant la vraisemblance ou la nécessité. En effet, l'historien et le poète ne diffèrent pas par le fait qu'ils font leurs récits l'un en vers, l'autre en prose ... ils se distinguent au contraire en ce que l'un raconte des événements qui sont arrivés, l'autre des événements qui pourraient arriver (ARISTOTE, Poétique, 9, 1451 a et b, trad. J. HARDY, Paris 1979). On voit que ce que dit Aristote s'applique fort bien à Tacite, qui sacrifie fréquemment le nécessaire historique au vraisemblable poétique et philosophique. De même QUINTILIEN, Institution Oratoire, 10, 1, 31 (historia est enim proxima poetis, et quodam modo carmen solutum est...) et PLINE, 5, 8, 9-10. A ce propos, A. MICHEL, Le "Dialogue des Orateurs", op. cit., p. 185-194 et E. AUBRION, op. cit., p. 42-44 et 700-704.

74. A. MOMIGLIANO, op. cit., p. 68-69.

75. PLINE, 6, 16, 22: tu potissima excerpes.

76. PLINE, 6, 16, l : quo verius tradere posteris possis. Voir aussi 7, 33, 10; à propos de ce dernier passage, A.-M. GUILLEMIN (op. cit., p. 49, note 3) considère qu'il s'agit d'une réponse au §7 de la lettre à Lucceius (supra notes 4 et 9) ; si Pline est en effet plus nuancé que Cicéron, l'idée reste cependant la même : il s'agit bien dans les deux cas de rendre les faits réels plus éclatants, plus glorieux et plus grands qu'ils ne sont : haec, utrumque se habent, notiora, clariora, majora tu facies... (cf le §2 de la lettre à Lucceius).

77. Supra note 49, A. MICHEL, Le "Dialogue des Orateurs", op. cit., p. 192 et aussi PLINE, 9, 27: liber tamen, ut factum ipsum, manet manebit legeturque semper ; 6, 16, 1 : video morti ejus, si celebretur a te, immortalem gloriam esse propositam; 7, 33, 1 : auguror, nec me fallit augurium, historias tuas immortales futuras; quo magis illis (ingenue fatebor) inseri cupio. A ce propos, on remarquera que si les Modernes peuvent aussi définir l'histoire comme œuvre d'art, c'est plutôt dans un esprit d'universalité (H.-I. MARROU, op. cit., p. 282-289), voire d'objectivité (P. VEYNE, op. cit., p. 272-273), que par souci d'immortalité.


Cet article a été publié dans M. Mactoux et E. Geny (éd.), Mélanges Pierre Lévêque, 5. Anthropologie et société, Centre de Recherches d'Histoire Ancienne, 101, Annales Littéraires de l'Université de Besançon, 429, Les Belles Lettres, Besançon-Paris, 1990, p. 227-243.


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