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ENTRAINS-SUR-NOHAIN (Nièvre)



Entre les vallées du Trélong et du Nohain, le vicus gallo-romain d’Intaranum s’est développé sur une sorte de promontoire d’où l’on découvre de nos jours les horizons boisés du pays de Colette.

Ainsi placé entre Yonne et Loire, il se trouvait à la croisée des voies plus ou moins commodes qui venaient de Sens, d’Orléans, d’Auxerre ou de Bourges et cette position de carrefour secondaire le soumettait à des influences multiples et diverses. En même temps sa situation particulière, au sein d’une petite vallée limitrophe à la fois des Eduens et des Sénons, lui conférait une certaine autonomie géographique et territoriale que les Aulerques Brénovices, qui l’habitaient, eurent sans doute à coeur de défendre, même s’ils furent souvent dépendants de l’un ou de l’autre de leurs puissants voisins.

Autant qu’on puisse exactement la connaître, l’histoire d’Intaranum est tout à la fois exemplaire et banale. La bourgade se développe avec lenteur au cours du premier siècle de notre ère et sa population, déjà romanisée, semble pauvre et peu nombreuse. A la fin du Ier siècle et sous les Antonins, c’est l’essor : le commerce et les industries prospèrent, les constructions civiles ou religieuses prennent de l’extension, la population s’accroît sensiblement. Aux IIe et IIIe siècles, le pagus décline et s’affaiblit ; il se redresse au IVe, mais est en ruine et presque désert quand se présentent, au Ve siècle, les premiers missionnaires chrétiens.

Cette histoire est, on le voit, celle de beaucoup d’autres vicus de la région bourguignonne. Comme beaucoup d’autres aussi, Intaranum développe au temps de sa prospérité la métallurgie, le tissage et la céramique, ici favorisée par la présence, encore sensible à Saint-Amand, de l’eau, des terres argileuses et des forêts qui fournissent le combustible nécessaire à la cuisson ; la production locale est pourtant complétée par des importations qui proviennent du sud au premier siècle, de l’Allier au second, de Troyes puis de l’Argonne au cinquième, indiquant une extension marquée des relations commerciales avec l’est. En même temps apparaissent une sculpture, et sans doute une architecture, qui empruntent tantôt aux modèles et aux cartons romains, tantôt à une inspiration locale plus spécifique et moins habile.

C’est dans le domaine religieux que s’affirme un peu mieux la singularité d’Intaranum. A côté du culte courant d’Apollon, puis de Mithra, la présence abondante des sources et des eaux vives, toujours protégées par Borvo, favorise en effet l’installation de divinités généralement féminines qui assurent aux habitants la prospérité, le bonheur matériel et la fécondité. Autour d’elles s’établit en outre une médecine à la fois humaine et divine, de laquelle le thermalisme est curieusement absent, mais dont la permanence à un croisement de voies commerciales assure, même aux heures les plus difficiles, une pérennité de l’habitat.

Connu depuis le XIXe siècle, le site a été exploré par J.-B. Devauges de 1966 à 1972 et par B. Mazingue de 1982 à 1987, au cours de eampagnes de fouilles qui ne purent être menées qu’à la périphérie du village moderne. Les rues paisibles d’Entrains recouvrent sans doute encore beaucoup de trésors ignorés.

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Installée dans l’une de ces grosses maisons à perron qui font le charme du village, une exposition présente les trouvailles faites sur le site depuis 1966 et des pièces plus anciennes provenant de collections particulières. Deux salles et une plus petite sont consacrées au mobilier ; les sculptures ont trouvé place dans les caves.

L’organisation du musée répond manifestement à une double intention : présenter le résultat des fouilles et donner en outre une idée précise de la vie antique du bourg ; l’agencement de l’ensemble est, de ce fait, agréable et remarquablement pédagogique. C’est ainsi que les visiteurs reçoivent en entrant un descriptif dactylographié, qui leur fournit les explications essentielles, et découvrent presque aussitôt la reconstitution d’une des ces caves gallo-romaines d’où proviennent les plus nombreuses découvertes ; tout à côté, l’exposition de céramiques distingue la poterie indigène, la poterie d’importation et, pour la sigillée, les formes et les thèmes décoratifs. Le même souci d’intelligence et de clarté se retrouve dans les belles vitrines consacrées aux objets en fer et au travail du fer, aux objets en os ou en verre et aux objets en bronze, dont certains, découverts au XIXe et conservés au Louvre ou aux Etats-Unis, figurent sous forme de photographies. Cette vision de la vie quotidienne et ordinaire à Intaranum est complétée par une présentation de débris animaux et végétaux, par des monnaies et par une intéressante restitution de peinture murale, effectuée à partir de fragments retrouvés en 1982 et 1983.

Il était plus difficile de donner autant de clarté à la mise en place des sculptures qui témoignent essentiellement d’une activité religieuse typiquement gallo-romaine, mais touchent aussi à l’architecture et à la vie civile. Deux œuvres remarquables, et spécialement un Apollon Citharède, actuellement au musée de Saint-Germain, ne figurent que sous forme de photographies trop discrètes ; les autres sont réparties dans deux salles ; on y remarque des représentations de Mercure et d’Epona, un cippe funéraire au nom très caractéristique de Borvias, des chapiteaux et des statues honorifiques, mais surtout un beau profil de Jupiter et un ensemble très riche et très spécifique de dieux et de déesses de la fertilité.

Stèle funéraire trouvée à Entrains : D[iis] M[anibus] Amori

 

Bibliographie : Jean-Bernard Devauges (†), Entrains gallo-romain,
Groupe de Recherches archéologiques d’Entrains, 1988, 382 p., ill.

 


Article publié dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de l'Orléanais, n.s., tome XI, n°89, juillet 1990


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