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L'EAU DES VILLES ET L'EAU DES CHAMPS


 

Résumé : Thermes, euripes, aqueducs ou nymphées, l'eau des villes, à la fois utile et délibérément décorative, est toujours partout ostensiblement présente. L'eau des champs se fait plus discrète; il faut la chercher dans les jardins, les fresques et chez les poètes où elle est le plus souvent le lieu de curieuses rencontres et d'étonnantes métamorphoses. Triomphe de l'artificiel et paradoxe typiquement romain, l'eau des champs n'est pas rustique et l'eau des villes recrée la nature au cœur de la cité.

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 Plaisir de flâner sur les places et dans les lieux publics au risque de tomber sur un fâcheux, comme Horace, ou avec l'espoir d'y faire, comme Ovide, une heureuse rencontre, plaisir de contempler la nature, de profiter du soleil ou de s'allonger, comme Lucrèce, à l'ombre dans le bruissement des feuillages ou le silence des bois: il y a des plaisirs de la ville et des plaisirs de la campagne.

Dans cette amoenitas des espaces construits ou des espaces naturels, l'eau joue toujours, à l'époque romaine, un très grand rôle: elle apporte partout la vie, bien sûr, mais elle est aussi l'un des éléments majeurs de l'agrément des villes et du charme des campagnes. Il y a donc, évidemment fugaces et fuyantes l'une et l'autre, une eau des villes et une eau des champs; mais sont-elles aussi différentes qu'on pourrait d'abord le croire?

L'eau des villes

A première vue, l'eau des villes est essentiellement utile; c'est l'eau d'une vie de tous les jours. Contrainte, esclave en quelque sorte, elle coule dans les fontaines publiques, alimente les balnea, emplit les cuves des foulons, nettoie les latrines et stagne dans les lacus des vigiles. Amenée de loin sur des aqueducs et des ouvrages d'art pour servir à la sécurité, à l'hygiène et à la salubrité publiques, elle est conduite dans des canaux, rassemblée dans des citernes, enfermée dans des tuyaux, distribuée, utilisée puis rejetée dans les égouts et rendue à la nature.

Docile en apparence seulement, elle est au service de la ville et de ceux qui l'habitent, mais exige aussi le service des hommes: pour la conduire et la gérer, il faut des administrateurs, des ouvriers et des législateurs. Dépendant de la technique et des lois, elle joue un rôle politique essentiel; c'est, pourrait-on dire, l'eau de Frontin, et nous en trouvons autant la trace dans le texte du De aquae ductu urbis Romae que dans les pierres maintenant desséchées des aqueducs et des bassins.

Ainsi soumise aux besoins élémentaires des hommes, détournée, consommée, malmenée, salie, comme avilie, l'eau contribue cependant aussi au confort, à l'agrément et même à la beauté des villes. Elle fume alors dans les "caldariums" des grands thermes, fournit les piscines froides, anime les fontaines monumentales, rafraîchit les portiques, miroite dans les euripes, orne les grands jardins, remplit les bassins destinés aux exhibitions aquatiques ou aux naumachies.

Utile ou esthétique, l'eau des villes a son prix: parfois dangereux [1], les aqueducs déparent souvent les cités qu'ils traversent, les grands thermes rassemblent des foules parfois douteuses, provoquent dans les rues de grands charrois de bois et de matériaux, emplissent en permanence le ciel d'une fumée qui donne envie de fuir la ville [2].

L'eau des champs

Absolument nécessaire et parfois superflue, l'eau des villes est toujours coûteuse et souvent ostentatoire. Naturelle et comme spontanée, l'eau des champs est plus discrète et plus difficile à trouver; eau libre aux formes diverses, elle est, paradoxalement peut­ être, plus présente pour nous dans les textes que dans les pierres.

C'est, par exemple, et paradoxalement encore, une eau des champs domestiquée, celle de l'irrigation, que les agronomes nous font connaître. Eau pour les champs, plutôt qu'eau des champs, c'est une eau détournée, qui provient, au prix de quelque artifice, d'une source abondante ou d'un fleuve. Elle est conduite à la manière de l'eau citadine, mais sans ostentation; soumise comme elle aux besoins des hommes, elle n'a pour aqueduc et arcades que des caniveaux et des rigoles et se répand directement sur le sol qu'elle est chargée de nourrir et de désaltérer. Cette eau des champs est en fait une eau technique, agricole et presque industrielle, qui produit, comme l'eau des villes, de l'abondance et de la vie.

L'eau des champs la plus visible et la plus directement accessible est cependant celle des fleuves, et notamment celle que les historiens sont conduits à mettre en scène [3]. On pourrait aussi longuement évoquer le Rhin que franchit César [4], le Rhône que passent les radeaux et les éléphants d'Hannibal [5], le Rhin, l'Ems ou la Weser de Tacite [6]. Dans ces fleuves cependant l'eau n'est pas vraiment de l'eau, c'est de l'espace, de l'obstacle, une limite, une frontière ou simplement une étendue gênante, voire hostile, qu'il faut passer afin d'aller plus loin ou derrière laquelle, au contraire, on peut éventuellement se replier. Seule peut-être, l'eau des marais de Germanie, dans laquelle les soldats de Cérialis se battent contre ceux de Civilis, prend vraiment la consistance et l'aspect d'un élément liquide, "perfide" d'ailleurs et "désavantageux" pour les Romains qui disposent d'armes lourdes et ont "peur de nager" [7].

Agronomes et historiens laissés de côté, c'est vers les poètes qu'il faut évidemment se tourner pour trouver l'eau des rivières [8] et celle des champs, et c'est chez eux en outre qu'on rencontrera les plus belles évocations des agréments de la campagne. Chez les poètes romains en effet, l'eau vive est un élément essentiel et vital du petit domaine qu'ils affectionnent; elle est donc toujours présente [9] et, sauf quand elle évoque, à titre tout à fait exceptionnel, les errances d'un ruisseau qu'il faut ramener dans son lit [10], la peinture en est toujours comme idyllique: l'eau coule ou jaillit dans des prairies verdoyantes et souvent parsemées de fleurs; source intarissable [11] et richesse incomparable [12], elle murmure et gazouille en permanence dans l'ombre qui rafraîchit; au cœur même de la Canicule, elle offre sur ses rives le repos au poète et le sommeil réparateur au paysan [13].

De tels tableaux ne sont pas excessifs: il est agréable de goûter à la belle saison la fraîcheur d'une source ou de découvrir, au détour d'un sentier, dans l'ombre, l'eau claire d'un petit ruisseau; la chose est encore plus vraie dans les pays méditerranéens par les temps de grande chaleur et c'est ce plaisir simple, accessible et favorable à la conversation que décrit si bien le début du Phèdre de Platon [14]. Chez les poètes latins pourtant l'eau des champs ne paraît pas si naturelle; elle semble trop idyllique, trop "arcadienne", trop héritée de la tradition poétique, plus proche en un mot du topos que de la description réaliste. Pour sympathique qu'elle soit, l'eau des champs nous apparaît ici comme essentiellement conventionnelle; elle appartient au registre obligatoire de la campagne et de la paix des prairies et des bois. C'est un élément essentiel et symbolique du bonheur de vivre loin du luxe et des villes [15]; on y trouve donc cet épicurisme bien entendu [16] qui peut être aussi une forme de l'idéologie augustéenne.

Signe fort de la vie heureuse, l'eau des champs reste cependant rapide et mobile de nature et son évocation peut se nuancer, ce qui n'est pas contradictoire, d'une angoisse métaphorique. L'onde est fugitive [17], les ruisseaux sont mobiles [18]; fugace et fuyante, impossible à retenir, l'eau des champs devient alors le symbole du temps et de la vie [19]. Sa fuite éternelle évoque celle, inexorable, des jours et des instants heureux qu'il faut tenter de saisir avant qu'ils se perdent à jamais. L'amour s'en va comme cette eau courante dira plus tard un autre poète, mais à Rome les sources et les cours d'eau sont vus, comme les paysages et indépendamment de tout réalisme, sous un aspect moral: ils deviennent chez les poètes autre chose que ce qu'ils sont et leur mouvement se fige dans l'abstraction d'un symbole.

L'eau des champs nous réserve pourtant encore d'autres surprises. Favorisant, on le sait, les rêveries existentielles, elle stimule en effet l'imagination; en surgissent alors des nymphes ou des déesses et ce qui était simple source ou petit ruisseau devient soudainement lieu d'aventures et de métamorphoses. Le Sperchios et l'Alphée traversent alors la campagne romaine, le lac Averne s'ouvre sur les rives du Styx et les ombres qui l'entourent, les fontaines se mettent à pleurer, les sources coulent sous les mers, les fleuves poursuivent les nymphes entrées nues dans leurs eaux, l'Hermaphrodite surgit de l'onde, et pas un endroit où l'on puisse se jeter à l'eau sans voir le fleuve ou quelque habitant des berges s'emparer de vos vêtements! L'eau des champs devient l'eau des mythes et coule entièrement du côté de l'imaginaire poétique.

L'eau des villes pouvait être surprise au bain, à la fontaine, aux vestiges poussiéreux des grandes cités. Technique, historique, symbolique ou mythologique, l'eau des champs nous surprend sans cesse et ne donne jamais ce que nous en attendons. Quel que soit notre plaisir de lecteur, c'est toujours la même impression qui nous saisit: l'eau des champs romaine n'est pas naturelle, elle est arrangée par l'artiste, poète ou écrivain, comme l'eau des villes était arrangée par l'architecte. L'une et l'autre se rejoignent et sans doute se ressemblent.

Eau des villes ou eau des champs ?

A la campagne, Horace regrette la ville, à la ville il désire la campagne, c'est du moins ce que lui reproche son esclave Dave un soir de Saturnales [20]. Nul n'est content de son sort, dit par ailleurs le poète, qui adresse le même reproche à son régisseur [21]. Cette hésitation permanente, qu'ont probablement connue beaucoup de Romains aisés, les a conduits à installer en quelque sorte la ville à la campagne et la campagne en ville, ou plutôt, en ce qui nous concerne, à faire couler l'eau des villes à la campagne et à déguiser l'eau des villes en eau des champs.

Dans les grandes villas suburbaines, l'eau est en effet un élément essentiel auquel il faut veiller avec attention [22]. Pour les bains, les viviers, les piscines et les jardins, l'eau naturelle et coulant en abondance se transforme alors en eau urbaine; le raisonnement que tient Cicéron à propos du domaine de Fufidius qu'il vient d'acheter pour Quintus est à cet égard très caractéristique: "Je n'ai jamais vu d'endroit où il y ait plus d'ombre l'été. L'eau coule en quantité d'endroits et abondante", écrit-il, mais il ajoute aussitôt "Tu auras une villa d'un merveilleux arrangement pour peu que tu y ajoutes une piscine et des jets d'eau" [23]. Dans sa villa des Laurentes, dépourvue d'eau courante, Pline dispose quand même de puits ou de sources propres à alimenter des bains; dans sa villa de Toscane en revanche l'eau est partout présente, à la fois citadine, puisqu'il s'agit de bassins, de piscines, de bains et de jets d'eau, et campagnarde, puisque ces installations sont le plus souvent en plein air, entourées d'arbres et de verdure, comme l'étonnante salle à manger qu'abrite une treille et dans laquelle, au prix d'un extraordinaire raffinement technique, l'eau assure en quelque sorte le service des plats [24].

L'artifice ici l'emporte absolument. Chez Pline en effet un beau paysage est un paysage qui ressemble à une peinture de paysage [25]. L'essentiel est en fait de vaincre la nature [26]: l'eau de source, captée et domptée, devient une eau docile, amenée par des tuyaux pour reconstituer le jaillissement d'une source [27] et le plus grand plaisir est de construire, au cœur d'un splendide site naturel, une vaste résidence dont on peut faire surgir, au milieu des raffinements de la ville, une imitation de la campagne [28]! On se demande alors si l'on doit plus admirer la qualité du lieu ou le génie de celui qui le possède [29], et l'eau devient à la fois l'instrument privilégié d'un luxe ostentatoire et le moyen d'affirmer la supériorité de l'homme sur les forces du monde.

Si l'eau sauvage est ici soumise à la volonté des architectes et se civilise en devenant artificielle, l'eau des villes peut être mise en scène et comme déguisée en eau sauvage. Les grands jardins des thermes suggèrent, par exemple, la campagne au milieu de la ville et entourent l'eau la plus domestiquée qui soit. Les euripes de même, et les fontaines décoratives évoquent au cœur de Rome et des grandes villes du Ier siècle l'eau qui jaillit spontanément dans la nature: la fraîcheur et l'ombre, le murmure de l'onde donnent au promeneur échauffé l'illusion de l'eau vive; les sculptures animées par l'écoulement des grands nymphées leur rappellent les mythes et les métamorphoses ovidiennes et c'est au champ de Mars que disparaît, comme entraîné par l'eau tourbillonnante du temps, le corps du beau jeune homme auquel rêvait Horace: "Voilà que je suis ta course ailée parmi les gazons du champ de Mars, que je te suis, cruel, parmi les eaux qui roulent" [30]. Ainsi l'eau du décor urbain ne se contente pas d'évoquer l'eau de la nature, elle en restitue aussi l'image symbolique qu'en donnaient les poètes.

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C'est à la ville encore, au cœur des riches demeures ou sur les bas-reliefs qui ornent les places et les forums, qu'on peut saisir un instant, à travers la sensibilité d'un peintre ou d'un sculpteur, la présence d'une eau vraie: ici un pêcheur trempe sa ligne, là des silhouettes indécises auprès d'une source, ailleurs un cheval qui s'abreuve ou un soldat qui puise de l'eau dans son casque… L'amoenitas de la ville et celle de la campagne se fondent tellement sur la présence de l'eau, sur l'interprétation qu'on en donne et sur l'idée que l'on s'en fait qu'il devient presque impossible de les distinguer vraiment. Ici comme ailleurs se manifeste ce besoin de dominer le monde et ce goût de l'artifice qui sont une des constantes du génie et de l'esprit romain.

À Rome, il n'y a jamais eu d'Ilissos où philosopher les pieds nus [31].

 

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1. Voir, par exemple, Juvénal, Satires,3,1; Martial, Épigrammes, 3,47,1 et 4,18.

2. Horace, Odes,3,29,9-12: omitte mirari beatae / fumum et opes strepitumque Romae. "Renonce au spectacle admirable de l'opulente Rome, avec sa fumée, ses richesses, son bruit". Sauf indication contraire, les citations et les traductions, sont empruntées à la collection des Universités de France.

3. Voir par exemple Nicolas Mathieu, "Territoires de la Loire: un fleuve au fil des textes", dans La Loire et les fleuves de la Gaule romaine et des régions voisines, Robert Bedon et Alain Malissard éd., Caesarodunum, XXXIII-XXIV, Limoges, Pulim, 2002, p. 397-419 et Rémy Poignault, "Les fleuves de la Gaule et des provinces avoisinantes chez Tacite comme éléments de la définition de l'espace", ibid., p.431-455.

4. Par exemple, Bellum Gallicum,4,16-18.

5. Tite-Live, 21,28,5.

6. Tacite, Annales, 2, 6-12.

7. Tacite, Histoires, 5,14,4-15,4. Ea loci forma, incertis uadis subdola et nobis aduersa: quippe miles Romanus armis grauis et nandi pauidus… "Telle était la configuration du terrain que des bas-fonds mal connus rendaient perfide et désavantageux pour nous, car le soldat romain a des armes lourdes et il a peur de nager…" (14,4).

8. On pense évidemment à Ausone et à sa descente de la Moselle de Trèves au Rhin (Idylles, 10).

9. Horace, Satires, 1,10,6-7: …ego laudo ruris amoeni / rivos et musco circumlita saxa nemusque "Moi, je vante une campagne riante, avec ses ruisseaux, ses rochers tapissés de mousse, ses bois". Ibid., 2,6,1-3: Hoc erat in uotis: modus agri non ita magnus, / hortus ubi et tecto uicinus jugis aquae fons / et paulum siluae super his foret… "C'était mon voeu, un domaine dont l'étendue ne serait pas trop grande, où il y aurait un jardin, une fontaine d'eau vive voisine de la maison et, au dessus, un peu de bois." Épitres, 1,16,12-16: Dicas adductum propius frondere Tarentum. / Fons etiam riuo dare nomen idoneus, ut nec / Frigidior Thraecam nec purior ambiat Hebrus, / Infirmo capiti fluit utilis, utilis alvo. / Hae latebrae dulces, et, jam si credis, amoenae / Incolumem tibi me praestant septembribus horis. "[Mon domaine] tu croirais que c'est Tarente, transportée près de Rome avec tout son feuillage. De plus une source, assez importante pour donner son nom au ruisseau qui s'en échappe, et telle que l'Hèbre ne serpente pas plus frais et plus pur à travers la Thrace, y coule, bonne pour la tête et l'estomac malade. Voilà la douce, et si tu m'en crois maintenant, la charmante retraite qui, aux jours de septembre, me garde à toi en bonne santé".

10. Horace, Ibid, 1,14,29-30.

11. Horace, Odes, 3,13,9-10 : Te flagrantis atrox hora Caniculae / nescit tangere. "[Fontaine], la saison impitoyable de la Canicule embrasée ne saurait t'atteindre". Pline le Jeune, Correspondance, 5,8,11: prata florida et gemmea trifolium aliasque herbas teneras semper et molles et quasi nouas alunt, cuncta enim perrenibus riuis nutriuntur. "Les prairies émaillées de fleurs produisent du trèfle et d'autres graminées toujours jeunes et tendres comme à la première fenaison, car tous ces champs sont alimentés par des sources intarissables."

12. Horace, Odes, 3,16,29-32 : Purae riuus aquae siluaque jugerum / paucorum et segetis certa fide meae / fulgentem imperio fertilis Africae / fallit sorte beatior. "Un ruisseau d'eau pure, un bois de peu d'arpents, une moisson qui ne trahisse pas mon attente, celui que pare l'empire de la fertile Afrique ne se doute pas que c'est un lot plus riche que le sien".

13. Horace, Ibid., 3,29,21-22 et, dans une intention finalement satirique qui n'empêche pas la sincérité du détail, Epodes, 2,23-28: Libet jacere modo sub antiqua ilice, / modo in tenaci gramine ; / labuntur altis interim ripis aquae, / queruntur in silvis aves, / fontesque lymphis obstrepunt manantibus, / somnos quod inuitet leuis. "Il se plaît à s'étendre tantôt sous une yeuse antique, tantôt sur un gazon dru. Cependant les eaux coulent entre des rives hautes, les oiseaux disent leur plainte dans les forêts, et les sources, de leurs ondes ruisselantes, font entendre un murmure qui appelle un sommeil sans lourdeur". Tibulle, Élégies, 1,1,25-28. Iam modo iam possim contentus uiuere paruo / nec semper longae deditus esse uiae / sed Canis aestiuos ortus uitare sub umbra / arboris ad riuos praetereuntis aquae. "Si je pouvais maintenant, désormais, si je pouvais vivre content de peu, sans être toujours entraîné en de longues marches, et fuir le lever brûlant de la Canicule à l'ombre d'un arbre, sur les bords d'une eau courante".

14. Platon, Phèdre, 229, a-b [sur les bords de l'llissos] : "Phèdre. - J'ai fort bien fait, je vois, de venir pieds nus; toi bien sûr, c'est ton habitude. Ainsi nous pourrons facilement suivre le ruisseau, les pieds dans l'eau; ce ne sera pas désagréable surtout en cette saison et à cette heure du jour. Socrate. - Eh bien, avance, et cherche en même temps où nous pourrons nous asseoir. Phèdre. - Vois-tu là-bas ce très haut platane? Socrate. - Oui, bien sûr. Phèdre. - Il y a là de l'ombre, un peu d'air, de l'herbe pour nous asseoir ou, si nous le voulons, pour nous étendre."

15. Bien exprimé par Lucrèce dans son développement sur la sagesse épicurienne: De la nature, 2,22-33: Gratius interdum neque natura ipsa requirit, / si non aurea sunt iuvenum simulacra per aedes / lampadas igniferas manibus retinentia dextris, / lumina nocturnis epulis ut suppeditentur, / nec domus argento fulget auroque renidet, / nec citharae reboant laqueata aurataque templa, / cum tamen inter se prostrati in gramine molli, / propter aquae rivom, sub ramis arboris altae, / non magnis opibus iucunde corpora curant, / praesertim cum tempestas adridet, et anni / tempora conspergunt uiridantis floribus herbas. "Il est parfois plus agréable, et la nature est satisfaite, si l'on ne possède statues dorées d'éphèbes tenant en main droite des flambeaux allumés pour fournir leur lumière aux nocturnes festins, ni maison brillant d'or et reluisant d'argent, ni cithares résonnant sous des lambris dorés, de pouvoir entre amis, couchés dans l'herbe tendre, auprès d'une rivière, sous les branches d'un grand arbre, choyer allègrement son corps à peu de frais, surtout quand le temps sourit et que la saison parsème de mille fleurs les prairies verdissantes.» [traduction J. Kany-Turpin, ­G.F., Flammarion, 993, 1997].

16. Au chant 5 (1392-1398), Lucrèce reprend, à quelques expressions près, le même thème pour l'appliquer au bonheur simple des premiers hommes et à leur découverte de la musique et des arts: Saepe itaque inter se prostrati in gramine molli, / propter aquae riuom, sub ramis arboris altae, / non magnis opibus jucunde corpora habebant, / praesertim cum tempestas ridebat et anni / tempora pingebant uiridantis floribus herbas. "Souvent donc entre amis, couchés sur l'herbe tendre, auprès d'une rivière, sous les branches d'un grand arbre, ils choyaient allégrement leur corps à peu de frais, surtout quand le temps souriait et que la saison parsemait de mille fleurs les prairies verdoyantes". [Traduction J. Kany­-Turpin, G.F., Flammarion, 993, 1997).

17. Horace, Odes, 2,3,11-12: lympha fugax.

18. Ibid., 1,7,14 : mobilibus rivis.

19. Ibid., 3,29,32-41 : …Quod adest memento / componere aequus; cetera fluminis / ritu feruntur, nunc medio aequore / cum pace delabentis Etruscum / in mare, nunc lapides adesos / stirpisque raptas et pecus et domos / uoluentis una, non sine montium / clamore uicinaeque silvae, / cum fera diluuies quietos / inritat amnis… "…Le présent songe à le régler d'un esprit serein; tout le reste est emporté à la manière d'un fleuve qui tantôt, gardant en son milieu une surface unie, s'écoule paisiblement vers la mer toscane, tantôt roule tout ensemble les pierres rongées, les troncs arrachés, et le bétail, et les maisons, dans la clameur des montagnes et de la forêt voisine, lorsque l'inondation furieuse met en colère le cours tranquille des eaux".

20. Horace, Satires, 2,7,28-29: Romae rus optas; absentem rusticus urbem / tollis ad astra leuis. "A Rome tu souhaites la campagne ; à la campagne, tu élèves jusqu'aux astres la ville absente: telle est ton inconstance".

21. Épitres, 1,14,14-17: Tu mediastinus tacita prece rura petebas, / nunc urbem et ludos et balnea uilicus optas… "Autrefois, esclave à tout faire, tu appelais de tes vœux secrets la campagne; maintenant, régisseur rural, tu désires la ville, les jeux et les bains".

22. Cicéron, Ad Quintum fratrem, 3,1,1,3 et 4. Pline le Jeune, Correspondance, 2,8,2.

23. Cicéron, Ad Quintum fratrem, 3,1,3: Ego locum aestate umbrosiorem uidi numquam; permultis locis aquam profluentem et eam uberem … adfirmo mirifica suauitate te uillam habiturum piscina et salientibus additis…

24. Pline le Jeune, Correspondance, 5,6,36-37 : Ex stibadio aqua uelut expressa cubantium pondere sipunculis effluit, cauato lapide suscipitur, gracili marmore continetur atque ita occulte temperatur, ut impleat nec redundet. Gustatorium grauiorque cena margini imponitur, leuior naucularum et auium figuris innatans circuit. Contra fons egerit aquam et recipit; nam expulsa in altum in se cadit junctisque hiatibus et absorbetur et tollitur. "Du lit de table, comme si le poids de celui qui y a pris place la faisait jaillir, des tuyaux versent de l'eau qui tombe sur une dalle creusée et que retient ensuite un bassin de marbre finement travaillé, qui, grâce à un invisible aménagement, reste plein sans déborder. Le plateau des entrées et les plats lourds se déposent sur le rebord, les plats légers flottent de-ci de-là sur des vases représentant de petits bateaux et des oiseaux. En face, une fontaine donne de l'eau et la recueille ensuite, car, lancée en l'air, cette eau retombe sur elle-même, puis un système d'ouvertures l'absorbe et la fait disparaître".

25. Ibid., 13 : Magnam capies uoluptatem, si hunc regionis situm ex monte prospexeris. Neque enim terras tibi, sed formam aliquam ad eximiam pulchritudinem pictam uideberis cernere. "Vous aurez le plus vif plaisir à apercevoir l'ensemble du pays depuis la montagne, car ce que vous verrez ne vous semblera pas une campagne, mais bien un tableau de paysage d'une grande beauté".

26. Par exemple Stace, Silves, 2,2,91-98, à propos de la villa sorrentine de Pollius Félix: His fauit natura locis, hic uicta colenti / cessit et ignotos docilis mansuevit in usus. / Mons erat hic, ubi plana vides; et lustra fuerunt, / Quae nunc tecta subis; ubi nunc nemora ardua cernis, / hic nec terra fuit: domuit possessor, et illum / formantem rupes expugnantemque secuta / gaudet humus. Nunc cerne jugum discentia saxa / intrantemque domos jussumque recedere montem. "Voilà les lieux que la nature a favorisés; c'est ici que, vaincue, elle s'est soumise à la volonté de l'homme et a appris par la culture à se plier docilement à des pratiques inconnues. Il y avait une hauteur là où tu contemples une plaine; et les bêtes sauvages avaient leur repaire là où tu entres à présent sous un toit; là où tu vois aujourd'hui de hautes forêts, il n'y avait même pas de la terre: le propriétaire a tout dompté; il a façonné, forcé les rochers, et le sol, docile, s'en réjouit. Vois à présent les rocs se plier à l'obéissance, la montagne entrer dans les maisons et se retirer sur un ordre".

27. Pline le Jeune, Correspondance, 5,6,23 : sipunculi plures miscent jucundissimum murmur (p"lusieurs petits tuyaux forment un murmure tout à fait agréable.")

28. Ibid., 35: …et in opere urbanissimo subita uelut inlati ruris imitatio."…et au milieu du raffinement de la ville surgit devant nous subitement comme un aspect de la campagne".

29. Cf. encore Stace, Silves, 83-84 : locine / ingenium an domini mirer prius? "Qu'admirer d'abord, le caractère du site ou l'ingéniosité du maitre?"

30. Horace, Odes, 4, 1,38-40: jam uolucrem sequor / te per gramina Martii / campi, te per aquas, dure, volubilis.

31 Cf. supra, note 14.


Caesarodunum, XXXVII-XXXVIII, 2003-2004, p.63-74.

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