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LA MORT TRAGIQUE DE PYRAME ET THISBÉ


MBAO, 2008.0.1676

Dessin de Pierre Jacques CAZES (1676-1754),
gravé par Louis Simon Lempereur (1728-1807)

OVIDE raconte l'histoire tragique de Pyrame et Thisbé (Ovide, Métamorphoses, IV, 55-166).

Pyrame et Thisbé sont deux jeunes Babyloniens qui habitent des maisons contiguës et s'aiment malgré l'interdiction de leurs pères. Ils projettent de se retrouver une nuit en dehors de la ville, sous un mûrier blanc. Thisbé arrive la première, mais la vue d'une lionne à la gueule ensanglantée la fait fuir ; son voile lui échappe et il est déchiré par la lionne qui le souille de sang. Lorsque Pyrame arrive, il découvre le voile et les empreintes du fauve : croyant que Thisbé en a été victime, il se suicide, son sang éclaboussant les mûres blanches. Thisbé, revenant près du mûrier, découvre le corps sans vie de son amant et se donne la mort.

Fin du texte d'Ovide :

128- Ecce metu nondum posito, ne fallat amantem,
illa redit iuuenemque oculis animoque requirit,
quantaque uitarit narrare pericula gestit.
Vtque locum et uisa cognoscit in arbore formam,
sic facit incertam pomi color : haeret, an haec sit.
Dum dubitat, tremebunda uidet pulsare cruentum
membra solum, retroque pedem tulit, oraque buxo
pallidiora gerens, exhorruit aequoris instar,
quod tremit, exigua cum summum stringitur aura.
Sed postquam remorata suos cognouit amores,
percutit indignos claro plangore lacertos
et laniata comas amplexaque corpus amatum
uulnera suppleuit lacrimis fletumque cruori
miscuit et gelidis in uultibus oscula figens :
"Pyrame", clamauit, "quis te mihi casus ademit ?
Pyrame, responde ! Tua te carissima
Thisbe nominat ; exaudi uultusque attolle iacentes !" 
Ad nomen Thisbes oculos a morte grauatos
Pyramus erexit uisaque recondidit illa.
Quae postquam uestemque suam cognouit et ense
uidit ebur uacuum, "tua te manus" inquit "amorque
perdidit, infelix ! Est et mihi fortis in unum
hoc manus, est et amor : dabit hic in uulnera uires.
Persequar extinctum letique miserrima dicar
causa comesque tui : quique a me morte reuelli
heu ! sola poteras, poteris nec morte reuelli.
Hoc tamen amborum uerbis estote rogati,
o multum miseri, meus illiusque parentes,
ut, quos certus amor, quos hora nouissima iunxit,
conponi tumulo non inuideatis eodem.
At tu, quae ramis arbor miserabile corpus
nunc tegis unius, mox es tectura duorum,
signa tene caedis pullosque et luctibus aptos
semper habe fetus, gemini monimenta cruoris." 
Dixit et aptato pectus mucrone sub imum
163-incubuit ferro, quod adhuc a caede tepebat.
Thisbé, encore effrayée, revient, pour ne pas manquer son amant, et, de tous ses yeux et de tout son cœur, cherche le jeune homme, brûlant de lui raconter à quels dangers terribles elle a échappé. Elle reconnaît l'endroit et la forme de l'arbre, mais la couleur des fruits la laisse perplexe: "Est-ce bien celui-ci?", se dit-elle. Tandis qu'elle hésite, elle voit des membres tremblants frapper le sol couvert de sang; elle fait un pas en arrière et, le visage plus pâle que du buis, frémit comme la mer qui frissonne quand une brise légère effleure sa surface.
Mais quand, après un moment, elle reconnut son bien-aimé, elle frappa de coups sourds ses bras, s'arracha les cheveux et, étreignant le corps adoré, emplit les blessures de ses larmes, mêlant ses pleurs au sang, et pressant de baisers le visage glacé. Elle s'écria: "Pyrame, quelle catastrophe t'a arraché à moi? Pyrame, réponds! C'est ta Thisbé bien-aimée qui t'appelle; écoute et relève ton visage qui défaille!" Au nom de Thisbé, Pyrame leva ses yeux alourdis par la mort, et, après avoir vu son amie, il replongea dans l'abîme.
Quand Thisbé eut reconnu son voile, et aperçu le fourreau d'ivoire sans l'épée, elle dit: "Ta main et ton amour t'ont perdu, malheureux! J'ai aussi une main vaillante, pour ce seul acte, j'ai aussi mon amour: il me donnera la force de me frapper. Je te suivrai dans la mort, et on dira que je suis la misérable cause et la compagne de ta mort.Et toi, qui ne pouvais m'être arraché que par la mort, hélas, tu ne pourras m'être enlevé, même dans la mort. Quant à vous, nos très malheureuxpères, le mien et le sien, entendez nos prières: nous vous demandons tous deux une chose: à ceux qu'un amour solide a unis et que leur dernière heure a réunis, ne refusez pas qu'ils soient déposés dans un même tombeau. Et toi, ô arbre qui couvres un seul misérable cadavre de tes branches, bientôt tu en abriteras deux; conserve les marques de cette mort et porte toujours des fruits sombres, harmonisés aux chagrins, témoignages d'un double trépas."
Elle cessa de parler et, appliquant la pointe de l'épée sous sa poitrine, se coucha sur la lame, encore tiède de la mort de Pyrame.

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