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DANS TROIE EN FLAMMES, PYRRHUS TUE LE VIEUX ROI PRIAM, D'APRÈS L'ÉNÉIDE


Toujours racontant comment s'est passée la prise de Troie, Enée en arrive à la mort du roi Priam. Les Grecs ont incendié le palais où sont Priam et Hécube. Pyrrhus, le fils d'Achille, a forcé les portes et est parvenu jusqu'aux appartements privés (penetralia) gardés par des hommes en armes (armatos). Alors que les femmes poussaient des cris d'épouvante, les Grecs ont commencé le massacre.

1- DANS SON PALAIS DE TROIE, LE VIEUX PRIAM ESSAIE VAINEMENT DE FRAPPER PYRRHUS (p. 96)

MBAO-

Dessin de Delaperche (p. 96)

Alors le vieux Priam, malgré sa faiblesse, a pris les armes qu'il avait dans sa jeunesse afin de mourir face à la troupe compacte des ennemis (moriturus in hostes densos). Hécube, réfugiée avec ses filles près d'un autel, l'a raisonné et l'a fait venir près d'elle. Pendant ce temps, à l'extérieur, à travers les portiques et les cours (atria), Pyrrhus a poursuivi l'un des fils de Priam, Politès. Celui-ci, blessé, s'est précipité vers ses parents. Alors Pyrrhus l'a frappé d'un coup de lance et Politès est mort en répandant beaucoup de sang (cum multo sanguine).
C'est à ce moment que se situe le premier dessin de Delaperche. Lorsque Priam voit le corps son fils, il reproche à Pyrrhus de montrer moins de générosité que son père Achille à l'égard des suppliants. Il tente alors de lancer un trait sans force qui se fiche au sommet de la bosse du bouclier de Pyrrhus.

Virgile – Énéide, II, 526-546

Ecce autem elapsus Pyrrhi de caede Polites,
unus natorum Priami, per tela, per hostis
porticibus longis fugit, et uacua atria lustrat
saucius : illum ardens infesto uolnere Pyrrhus
insequitur, iam iamque manu tenet et premit hasta.
Vt tandem ante oculos euasit et ora parentum,
concidit, ac multo uitam cum sanguine fudit.
Hic Priamus, quamquam in media iam morte tenetur,
non tamen abstinuit, nec uoci iraeque pepercit :
"At tibi pro scelere, exclamat, pro talibus ausis,
di, si qua est caelo pietas et praemia reddant
debita, qui nati coram me cernere letum
fecisti et patrios foedasti funere uoltus.
At non ille, satum quo te mentiris, Achilles
talis in hoste fuit Priamo; sed iura fidemque
suppliciis erubuit corpusque exsangue sepulcro
reddidit Hectoreum meque in mea regna remisit."
Sic fatus senior, telumque imbelle sine ictu
coniecit, rauco quod protinus aere repulsum
e summo clipei nequiquam umbone pependit.

Or, voici qu'échappé au massacre de Pyrrhus, Politès, l'un des fils de Priam, fuit au milieu des traits et des ennemis par les longs portiques et fait le tour des cours vides, blessé. C'est lui qu'enflammé Pyrrhus poursuit de coups hostiles ; à cet instant même il le tient de sa main et le harcèle de sa lance. Lorsque enfin il parvint aux yeux et à la face de ses parents, il tomba et, avec beaucoup de sang, répandit sa vie. Alors Priam, quoiqu'il se tienne déjà au milieu de la mort, ne se retint pourtant pas et n'épargna ni sa voix ni sa colère : "Eh bien, qu'envers toi pour ce crime, s'exclame-t-il, pour de telles audaces, les dieux s'acquittent d'une digne reconnaissance – s'il est au ciel quelque piété pour s'occuper de tels faits – et qu'ils te rendent les récompenses qui te sont dues, à toi qui me fis voir en face le trépas de mon enfant et souillas de ce deuil des visages de parents. Eh bien non, le grand Achille, dont tu prétends mensongèrement descendre, ne fut pas tel envers son ennemi, Priam ; mais les droits et la confiance d'un suppliant le firent rougir de honte, il me rendit pour le tombeau le corps exsangue de mon Hector et me laissa rentrer dans mes royaumes."
Ainsi parla le vieillard et il lança un trait impropre à la guerre, sans heurt, qui fut aussitôt repoussé par l'airain rauque et pendit en vain au sommet de la bosse du bouclier.

2- PYRRHUS FRAPPE PRIAM DE SON ÉPÉE ET LE TUE (p. 95)

Le second dessin montre Pyrrhus, impitoyable, qui enlève la vie à Priam d'un coup de son épée.

Virgile – Énéide, II, 547-557

Cui Pyrrhus : "Referes ergo haec et nuntius ibis
Pelidae genitori ; illi mea tristia facta
degeneremque Neoptolemum narrare memento.
Nunc morere." Hoc dicens altaria ad ipsa trementem
traxit et in multo lapsantem sanguine nati,
implicuitque comam laeua, dextraque coruscum
extulit, ac lateri capulo tenus abdidit ensem.
Haec finis Priami fatorum ; hic exitus illum
sorte tulit, Troiam incensam et prolapsa uidentem
Pergama, tot quondam populis terrisque superbum
regnatorem Asiae.
Pyrrhus lui répond : « Tu rapporteras donc ceci au fils de Pélée, mon père, tu iras même en messager ! À ce héros souviens-toi de raconter mes tristes exploits, et de dire que je suis un dégénéré, moi Néoptolème ! Mais à présent, meurs. » Disant cela, il le traîna aux autels mêmes, tremblant et, comme il glissait dans le sang abondant de son fils, il empoigna sa chevelure de sa main gauche, de la droite leva sa flamboyante épée et l'enfonça jusqu'à la garde dans son flanc. Ce fut la fin des destins de Priam, ce fut l'issue qui l'emporta fatalement, voyant Troie incendiée et tombée Pergame, lui jadis sur tant de peuples et de terres le fier souverain de l'Asie.

MBAO-

Jules Lefebvre (1836-1911), La mort de Priam, esquisse de son tableau à l'ENBA

 


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