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COMMENT ZEUS A FAIT LE MALHEUR DE L'HUMANITÉ EN CRÉANT PANDORE, LA PREMIÈRE FEMME


LA LÉGENDE
Contre la volonté de Zeus, Prométhée s'était montré favorable aux hommes qui peuplaient la Terre, particulièrement en leur permettant de disposer du feu. Furieux d'avoir été trompé, Zeus décida de répandre toutes les formes de malheur sur ces hommes trop heureux.
Pour cela, il demanda à Héphaistos de façonner une créature à partir d'un mélange de terre et d'eau, séduisante en apparence, mais en réalité maléfique. Cette créature était la première femme.
Plusieurs dieux participèrent à sa composition, lui donnant la beauté, la grâce, l'art de séduire, l'habileté manuelle, mais aussi l'esprit d'impudence et de perfidie. On l'appela Pandore ("celle à qui tout a été donné par les dieux").
Avant qu'elle ne sorte de terre et se retrouve parmi les hommes, Zeus lui confia une urne (ou une jarre) soigneusement fermée, en lui disant de ne pas l'ouvrir. Puis il demanda à Hermès de lui faire rencontrer Épiméthée, un frère de Prométhée. Épiméthée fut charmé par cette nouvelle créature. Celle-ci, d'emblée, lui offrit l'urne qu'elle tenait de Zeus et, curieuse, elle lui demanda de l'ouvrir. Aussitôt en sortirent tous les maux que Zeus y avait enfermés et qui se répandirent sur l'humanité.

COMMENTAIRE (dans l'article "Pandore" de Wikipedia)
Pandore était parfois appelée Anésidora (Ἀνησιδώρα, "celle qui fait sortir les présents des profondeurs"). Selon Jean-Pierre Vernant (Mythe et pensée chez les Grecs, p.39), elle était ainsi le nom d'une divinité de la terre présidant à la fécondité. Dans les figurations, elle était représentée émergeant du sol, "suivant le thème de l'anodos (la montée) d'une puissance chthonienne et agraire". Pandore, celle qui fait le malheur de l'humanité en soulevant le couvercle de la jarre dans laquelle étaient enfermés les maux, repose sur une conception traditionnelle pour qui la femme est l'homologue de la terre, l'une et l'autre ayant deux faces opposées : pour la race de fer, la terre et la femme sont en même temps principes de fécondité et puissances de destruction ; elles épuisent l'énergie du mâle, dilapident ses efforts, le "desséchant sans torche, si vigoureux qu'il soit" (Travaux, 705), le livrant à la vieillesse et à la mort, en "engrangeant dans leur ventre le fruit de ses peines" (Théogonie, 599).


MBAO-2008.0.1253

"Apollon et son luth", estampe dessinée et gravée en 1694
par Nicolas de PLATTEMONTAGNE (1631-1706).

Sur l'estampe de Plattemontagne, on voit, à gauche, Pandore-Anesidora qui vient de sortir de la terre avec laquelle elle a été façonnée (en même temps que des petits serpents chthoniens) et qui se trouve éblouie par la lumière répandue sur la Terre par le dieu Apollon, qui, d'un signe du doigt, lui rappelle quelle est sa mission. A droite, Pandore, avec un sourire enjôleur, conformément aux ordres de Zeus, vient de persuader Épiméthée d'ouvrir l'urne: aussitôt s'en échappent tous les maux qui vont accabler à jamais la race humaine.


Pour comparer :

Pandore offrant la jarre à Epiméthée (XVIe siècle)
Copie d'après Paolo Farinati (1524-1606)
Emplacement actuel : Calcographie du Musée Napoléon.


Érasme, dans l'Adage "Malo accepto stultus sapit" (I,1,31), résume la légende :

Videtur adagium ex illa vetustissima fabula manasse, de duobus fratribus Prometheo atque Epimetheo, quae quidem refertur apud Hesiodum ad hanc ferme sententiam.
Jupiter iratus Prometheo propter ignem furto sublatum e coelo ac mortalibus redditum cupiensque illum simili retaliare dolo Vulcano negotium dat ut e luto puellae simulachrum quanto maximo posset artificio fingat. Id simul atque factum est, singulos deos deasque monet ut ei simulachro suas quisque dotes adjungerent ; unde et virgini Pandorae nomen affictum apparet. Hanc igitur omnibus formae, cultus, ingenii linguaeque dotibus cumulatam Jupiter cum pyxide* pulcherrima quidem illa, sed intus omne calamitatum genus occulente ad Prometheum mittit. Is recusato munere fratrem admonet ut, si quid muneris sese absente mitteretur, ne reciperet. Redit Pandora persuasoque Epimetheo pyxidem donat. Eam simul ac aperuisset evolantibusque morbis sensisset Jovis ἄδωρα δῶρα*, sero nimirum sapere coepit*.
Ce n'est qu'après avoit été victime du malheur que le sot devient sage . Cette maxime semble avoir pour origine cette très vieille légende.
Jupiter, furieux contre Prométhée qui avait volé le feu au ciel et l'avait donné aux mortels, voulut prendre sa revanche par un tour semblable. Il donne mission à Vulcain de faire de son mieux pour fabriquer avec de l'argile une image de jeune femme. Dès que cela fut fait, il demande à tous les dieux et déesses d'attribuer à cette image chacun un don : de là, semble-t-il, vient le nom de Pandore qu'on a donné à cette vierge. Donc celle-ci, après avoir reçu tous les dons, beauté, raffinement, intelligence, langue bien affilée, est envoyée à Prométhée, avec un coffret certes d'une grande beauté, mais recelant à l'intérieur toutes les sortes de malheurs. Prométhée refuse ce cadeau et avertit son frère de ne pas accepter quelque cadeau que ce soit qu'on lui enverrait en son absence. Mais Pandore arrive, finit par convaincre Epiméthée et lui donne le coffet. Dès qu'il l'eut ouvert et que, les maux s'en étant échappés, il eut compris que les dons de Jupiter était de faux dons, il commença à devenir sage, mais, bien sûr, trop tard.
* Erasme, trouvant sans doute que le terme grec pithos (jarre, tonneau) ne convenait pas, emploie le mot pyxis (coffret, genre coffret à bijoux).
* ἄδωρα δῶρα : Erasme a trouvé l'espression dans Sophocle, Ajax, 674 : des présents qui n'en sont pas, des présents funestes.
* C'est cette formule que l'on voit dans l'image d'après Farinati, au-dessus de Jupiter.

TEXTES

HÉSIODE, Théogonie, 558-613

Τὸν δὲ μέγ᾽ ὀχθήσας προσέφη νεφεληγερέτα Ζεύς·
Ἰαπετιονίδη, πάντων πέρι μήδεα εἰδώς,
ὦ πέπον, οὐκ ἄρα πω δολίης ἐπιλήθεο τέχνης.
Ὥς φάτο χωόμενος Ζεὺς ἄφθιτα μήδεα εἰδώς·
ἐκ τούτου δὴ ἔπειτα δόλου μεμνημένος αἰεὶ
οὐκ ἐδίδου μελίῃσι πυρὸς μένος ἀκαμάτοιο
θνητοῖς ἀνθρώποις, οἳ ἐπὶ χθονὶ ναιετάουσιν.
Jupiter qui rassemble les nuages, s'écria enflammé d'une violente colère ; "Fils de Japet, ô toi que nul n'égale en adresse, ami ! tu n'as pas oublié tes habiles artifices." Ainsi, dans son courroux, parla Jupiter, doué d'une sagesse impérissable. Dès ce moment, se rappelant sans cesse la ruse de Prométhée, il n'accorda plus le feu inextinguible aux hommes infortunés qui vivent sur la terre.
Ἀλλά μιν ἐξαπάτησεν ἐὺς πάις Ἰαπετοῖο
κλέψας ἀκαμάτοιο πυρὸς τηλέσκοπον αὐγὴν
ἐν κοΐλῳ νάρθηκι· δάκεν δέ ἑ νειόθι θυμόν,
Ζῆν᾽ ὑψιβρεμέτην, ἐχόλωσε δέ μιν φίλον ἦτορ,
ὡς ἴδ᾽ ἐν ἀνθρώποισι πυρὸς τηλέσκοπον αὐγήν.
Αὐτίκα δ᾽ ἀντὶ πυρὸς τεῦξεν κακὸν ἀνθρώποισιν·
Mais le noble fils de Japet, habile à le tromper, déroba un étincelant rayon de ce feu et le cacha dans la tige d'une férule. Jupiter qui tonne dans les cieux, blessé jusqu'au fond de l'âme, conçut une nouvelle colère lorsqu'il vit parmi les hommes la lueur prolongée de la flamme, et voilà pourquoi il leur suscita soudain une grande infortune.
γαίης γὰρ σύμπλασσε περικλυτὸς Ἀμφιγυήεις
παρθένῳ αἰδοίῃ ἴκελον Κρονίδεω διὰ βουλάς.
Ζῶσε δὲ καὶ κόσμησε θεὰ γλαυκῶπις Ἀθήνη
ἀργυφέη ἐσθῆτι· κατὰ κρῆθεν δὲ καλύπτρην
δαιδαλέην χείρεσσι κατέσχεθε, θαῦμα ἰδέσθαι·
[ἀμφὶ δέ οἱ στεφάνους, νεοθηλέος ἄνθεα ποίης,
ἱμερτοὺς περίθηκε καρήατι Παλλὰς Ἀθήνη. ]
ἀμφὶ δέ οἱ στεφάνην χρυσέην κεφαλῆφιν ἔθηκε,
τὴν αὐτὸς ποίησε περικλυτὸς Ἀμφιγυήεις
ἀσκήσας παλάμῃσι, χαριζόμενος Διὶ πατρί.
Τῇ δ᾽ ἐνὶ δαίδαλα πολλὰ τετεύχατο, θαῦμα ἰδέσθαι,
κνώδαλ᾽, ὅσ᾽ ἤπειρος πολλὰ τρέφει ἠδὲ θάλασσα·
τῶν ὅ γε πόλλ᾽ ἐνέθηκε,—χάρις δ᾽ ἀπελάμπετο πολλή,—
θαυμάσια, ζῴοισιν ἐοικότα φωνήεσσιν.
D'après la volonté du fils de Saturne, le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, forma avec de la terre une image semblable à une chaste vierge. Minerve aux yeux bleus s'empressa de la parer et de la vêtir d'une blanche tunique. Elle posa sur le sommet de sa tête un voile ingénieusement façonné et admirable à voir ; puis elle orna son front de gracieuses guirlandes tressées de fleurs nouvellement écloses et d'une couronne d'or que le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, avait fabriquée de ses propres mains par complaisance pour le puissant Jupiter. Sur cette couronne, ô prodige ! Vulcain avait ciselé les nombreux animaux que le continent et la mer nourrissent dans leur sein ; partout brillait une grâce merveilleuse, et ces diverses figures paraissaient vivantes.
Αὐτὰρ ἐπεὶ δὴ τεῦξε καλὸν κακὸν ἀντ᾽ ἀγαθοῖο,
ἐξάγαγ᾽, ἔνθα περ ἄλλοι ἔσαν θεοὶ ἠδ᾽ ἄνθρωποι,
κόσμῳ ἀγαλλομένην γλαυκώπιδος ὀβριμοπάτρης.
θαῦμα δ᾽ ἔχ᾽ ἀθανάτους τε θεοὺς θνητούς τ᾽ ἀνθρώπους,
ὡς ἔιδον δόλον αἰπύν, ἀμήχανον ἀνθρώποισιν.
[ἐκ τῆς γὰρ γένος ἐστὶ γυναικῶν θηλυτεράων,]
τῆς γὰρ ὀλώιόν ἐστι γένος καὶ φῦλα γυναικῶν,
πῆμα μέγ᾽ αἳ θνητοῖσι μετ᾽ ἀνδράσι ναιετάουσιν
οὐλομένης πενίης οὐ σύμφοροι, ἀλλὰ κόροιο.
Quand il eut formé, au lieu d'un utile ouvrage, ce chef-d'oeuvre funeste, il amena dans l'assemblée des dieux et des hommes cette vierge orgueilleuse des ornements que lui avait donnés la déesse aux yeux bleus, fille d'un père puissant. Une égale admiration transporta les dieux et les hommes dès qu'ils aperçurent cette fatale merveille si terrible aux humains ; car de cette vierge est venue la race des femmes au sein fécond, de ces femmes dangereuses, fléau cruel vivant parmi les hommes et s'attachant non pas à la triste pauvreté, mais au luxe éblouissant.
Ὡς δ᾽ ὁπότ᾽ ἐν σμήνεσσι κατηρεφέεσσι μέλισσαι
κηφῆνας βόσκωσι, κακῶν ξυνήονας ἔργων·
αἳ μέν τε πρόπαν ἦμαρ ἐς ἠέλιον καταδύντα
ἠμάτιαι σπεύδουσι τιθεῖσί τε κηρία λευκά,
οἳ δ᾽ ἔντοσθε μένοντες ἐπηρεφέας κατὰ σίμβλους
ἀλλότριον κάματον σφετέρην ἐς γαστέρ᾽ ἀμῶνται·
ὣς δ᾽ αὔτως ἄνδρεσσι κακὸν θνητοῖσι γυναῖκας
Ζεὺς ὑψιβρεμέτης θῆκεν, ξυνήονας ἔργων
ἀργαλέων· ἕτερον δὲ πόρεν κακὸν ἀντ᾽ ἀγαθοῖο·
ὅς κε γάμον φεύγων καὶ μέρμερα ἔργα γυναικῶν
μὴ γῆμαι ἐθέλῃ, ὀλοὸν δ᾽ ἐπὶ γῆρας ἵκοιτο
χήτεϊ γηροκόμοιο· ὅ γ᾽ οὐ βιότου ἐπιδευὴς
ζώει, ἀποφθιμένου δὲ διὰ κτῆσιν δατέονται
χηρωσταί· ᾧ δ᾽ αὖτε γάμου μετὰ μοῖρα γένηται,
κεδνὴν δ᾽ ἔσχεν ἄκοιτιν ἀρηρυῖαν πραπίδεσσι,
τῷ δέ τ᾽ ἀπ᾽ αἰῶνος κακὸν ἐσθλῷ ἀντιφερίζει
ἐμμενές· ὃς δέ κε τέτμῃ ἀταρτηροῖο γενέθλης,
ζώει ἐνὶ στήθεσσιν ἔχων ἀλίαστον ἀνίην
θυμῷ καὶ κραδίῃ, καὶ ἀνήκεστον κακόν ἐστιν.
Ὥς οὐκ ἔστι Διὸς κλέψαι νόον οὐδὲ παρελθεῖν.
Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu'au mal, depuis le lever du jour jusqu'au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d'un travail étranger : ainsi Jupiter, ce maître de la foudre accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes complices de toutes les mauvaises actions. Voici encore un autre mal qu'il leur envoya au lieu d'un bienfait. Celui qui, fuyant l'hymen et l'importune société des femmes, ne veut pas se marier et parvient jusqu'à la triste vieillesse, reste privé de soins ; et s'il ne vit pas dans l'indigence, à sa mort, des parents éloignés se divisent son héritage. Si un homme subit la destinée du mariage, quoiqu'il possède une femme pleine de chasteté et de sagesse, pour lui le mal lutte toujours avec le bien. Mais s'il a épousé une femme vicieuse, tant qu'il respire, il porte dans son coeur un chagrin sans bornes, une douleur incurable. On ne peut donc ni tromper la prudence de Jupiter ni échapper à ses arrêts.

HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 54-106

᾿Ιαπετιονίδη, πάντων πέρι μήδεα εἰδώς,
χαίρεις πῦρ κλέψας καὶ ἐμὰς φρένας ἠπεροπεύσας,
σοί τ' αὐτῷ μέγα πῆμα καὶ ἀνδράσιν ἐσσομένοισιν.
τοῖς δ' ἐγὼ ἀντὶ πυρὸς δώσω κακόν, ᾧ κεν ἅπαντες
τέρπωνται κατὰ θυμὸν ἑὸν κακὸν ἀμφαγαπῶντες.
"Fils de Japet, ô le plus habile de tous les mortels ! tu te réjouis d'avoir dérobé le feu divin et trompé ma sagesse, mais ton vol te sera fatal à toi et aux hommes à venir. Pour me venger de ce larcin, je leur enverrai un funeste présent dont ils seront tous charmés au fond de leur âme, chérissant eux-mêmes leur propre fléau."
ὣς ἔφατ'· ἐκ δ' ἐγέλασσε πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε.
῞Ηφαιστον δ' ἐκέλευσε περικλυτὸν ὅττι τάχιστα
γαῖαν ὕδει φύρειν, ἐν δ' ἀνθρώπου θέμεν αὐδὴν
καὶ σθένος, ἀθανάτῃς δὲ θεῇς εἰς ὦπα ἐίσκειν
παρθενικῆς καλὸν εἶδος ἐπήρατον· αὐτὰρ ᾿Αθήνην
ἔργα διδασκῆσαι, πολυδαίδαλον ἱστὸν ὑφαίνειν·
καὶ χάριν ἀμφιχέαι κεφαλῇ χρυσέην ᾿Αφροδίτην
καὶ πόθον ἀργαλέον καὶ γυιοβόρους μελεδώνας·
ἐν δὲ θέμεν κύνεόν τε νόον καὶ ἐπίκλοπον ἦθος
῾Ερμείην ἤνωγε, διάκτορον ᾿Αργεϊφόντην.
ὣς ἔφαθ'· οἳ δ' ἐπίθοντο Διὶ Κρονιωνι ἄνακτι.
En achevant ces mots, le père des dieux et des hommes sourit et commanda à l'illustre Vulcain de composer sans délais un corps, en mélangeant de la terre avec l'eau, de lui communiquer la force et la voix humaine, d'en former une vierge douée d'une beauté ravissante et semblable aux déesses immortelles ; il ordonna à Minerve de lui apprendre les travaux des femmes et l'art de façonner un merveilleux tissu, à Vénus à la parure d'or de répandre sur sa tête la grâce enchanteresse, de lui inspirer les violents désirs et les soucis dévorants, à Mercure, messager des dieux et meurtrier d'Argus, de remplir son esprit d'impudence et de perfidie. Tels furent les ordres de Jupiter, et les dieux obéirent à ce roi, fils de Saturne.
αὐτίκα δ' ἐκ γαίης πλάσσεν κλυτὸς ᾿Αμφιγυήεις
παρθένῳ αἰδοίῃ ἴκελον Κρονίδεω διὰ βουλάς·
ζῶσε δὲ καὶ κόσμησε θεὰ γλαυκῶπις ᾿Αθήνη·
ἀμφὶ δέ οἱ Χάριτές τε θεαὶ καὶ πότνια Πειθὼ
ὅρμους χρυσείους ἔθεσαν χροΐ· ἀμφὶ δὲ τήν γε
῟Ωραι καλλίκομοι στέφον ἄνθεσιν εἰαρινοῖσιν·
[πάντα δέ οἱ χροῒ κόσμον ἐφήρμοσε Παλλὰς ᾿Αθήνη.]
ἐν δ' ἄρα οἱ στήθεσσι διάκτορος ᾿Αργεϊφόντης
ψεύδεά θ' αἱμυλίους τε λόγους καὶ ἐπίκλοπον ἦθος
[τεῦξε Διὸς βουλῇσι βαρυκτύπου· ἐν δ' ἄρα φωνὴν]
θῆκε θεῶν κῆρυξ, ὀνόμηνε δὲ τήνδε γυναῖκα
Πανδώρην, ὅτι πάντες ᾿Ολύμπια δώματ' ἔχοντες
δῶρον ἐδώρησαν, πῆμ' ἀνδράσιν ἀλφηστῇσιν.
Aussitôt l'illustre Vulcain, soumis à ses volontés, façonna avec de la terre une image semblable à une chaste vierge ; la déesse aux yeux bleus, Minerve, l'orna d'une ceinture et de riches vêtements ; les divines Grâces et l'auguste Persuasion lui attachèrent des colliers d'or, et les Heures à la belle chevelure la couronnèrent des fleurs du printemps. Minerve entoura tout son corps d'une magnifique parure. Enfin le meurtrier d'Argus, docile au maître du tonnerre, lui inspira l'art du mensonge, les discours séduisants et le caractère perfide. Ce héraut des dieux lui donna un nom et l'appela Pandore, parce que chacun des habitants de l'Olympe lui avait fait un présent pour la rendre funeste aux hommes industrieux.
αὐτὰρ ἐπεὶ δόλον αἰπὺν ἀμήχανον ἐξετέλεσσεν,
εἰς ᾿Επιμηθέα πέμπε πατὴρ κλυτὸν ᾿Αργεϊφόντην
δῶρον ἄγοντα, θεῶν ταχὺν ἄγγελον· οὐδ' ᾿Επιμηθεὺς
ἐφράσαθ', ὥς οἱ ἔειπε Προμηθεὺς μή ποτε δῶρον
δέξασθαι πὰρ Ζηνὸς ᾿Ολυμπίου, ἀλλ' ἀποπέμπειν
ἐξοπίσω, μή πού τι κακὸν θνητοῖσι γένηται.
αὐτὰρ ὃ δεξάμενος, ὅτε δὴ κακὸν εἶχ', ἐνόησεν.
Après avoir achevé cette attrayante et pernicieuse merveille, Jupiter ordonna à l'illustre meurtrier d'Argus, au rapide messager des dieux, de la conduire vers Épiméthée. Épiméthée ne se rappela point que Prométhée lui avait recommandé de ne rien recevoir de Jupiter, roi d'Olympe, mais de lui renvoyer tous ses dons de peur qu'ils ne devinssent un fléau terrible aux mortels. Il accepta le présent fatal et reconnut bientôt son imprudence.
Πρὶν μὲν γὰρ ζώεσκον ἐπὶ χθονὶ φῦλ' ἀνθρώπων
νόσφιν ἄτερ τε κακῶν καὶ ἄτερ χαλεποῖο πόνοιο
νούσων τ' ἀργαλέων, αἵ τ' ἀνδράσι Κῆρας ἔδωκαν.
[αἶψα γὰρ ἐν κακότητι βροτοὶ καταγηράσκουσιν.]
Auparavant, les tribus des hommes vivaient sur la terre, exemptes des tristes souffrances, du pénible travail et de ces cruelles maladies qui amènent la vieillesse, car les hommes qui souffrent vieillissent promptement.
ἀλλὰ γυνὴ χείρεσσι πίθου μέγα πῶμ' ἀφελοῦσα
ἐσκέδασ'· ἀνθρώποισι δ' ἐμήσατο κήδεα λυγρά.
μούνη δ' αὐτόθι ᾿Ελπὶς ἐν ἀρρήκτοισι δόμοισιν
ἔνδον ἔμιμνε πίθου ὑπὸ χείλεσιν, οὐδὲ θύραζε
ἐξέπτη· πρόσθεν γὰρ ἐπέλλαβε πῶμα πίθοιο
[αἰγιόχου βουλῇσι Διὸς νεφεληγερέταο.]
ἄλλα δὲ μυρία λυγρὰ κατ' ἀνθρώπους ἀλάληται·
πλείη μὲν γὰρ γαῖα κακῶν, πλείη δὲ θάλασσα·
νοῦσοι δ' ἀνθρώποισιν ἐφ' ἡμέρῃ, αἳ δ' ἐπὶ νυκτὶ
αὐτόματοι φοιτῶσι κακὰ θνητοῖσι φέρουσαι
σιγῇ, ἐπεὶ φωνὴν ἐξείλετο μητίετα Ζεύς.
οὕτως οὔτι πη ἔστι Διὸς νόον ἐξαλέασθαι.
Pandore, tenant dans ses mains un grand vase, en souleva le couvercle, et les maux terribles qu'il renfermait se répandirent au loin. L'Espérance seule resta. Arrêtée sur les bords du vase, elle ne s'envola point, Pandore ayant remis le couvercle, par l'ordre de Jupiter qui porte l'égide et rassemble les nuages. Depuis ce jour, mille calamités entourent les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Jupiter les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Jupiter. 

Pandore est aussi considérée comme la mère de l'humanité. Elle va donner une fille à Epiméthée. Cette fille, Pyrrha, épouse Deucalion, le fils de Prométhée. Quand Zeus décide de noyer l'humanité sous un déluge de pluie, eux seuls survivent. Ils reçoivent alors l'ordre de recréer l'humanité "en jetant les os de leur mère par dessus leurs épaules". Heureusement, ils parviennent à deviner le sens de l'énigme : leur grand-mère étant la Terre (la déesse Gaïa), ce sont les pierres qui sont ses os. Deucalion et Pyrrha jettent donc des cailloux derrière eux, par-dessus leur épaule. Des cailloux que lance Pyrrha naissent les femmes, alors que les hommes sont issus de ceux jetés par Deucalion (Bibliothèque d'Apollodore, I, 7.2).


Ève, dans la Genèse, a été également présentée comme la première femme et la mère de l'humanité. Tertullien, dans le Traité de la couronne du soldat (VII), affirme que Pandore est un mythe alors que Ève a vraiment existé : "S'il y a eu quelque Pandore, laquelle (comme témoigne Hésiode) fut la première femme, elle a été couronnée par les Grâces, lorsque chacun lui offrit des dons, d'où elle a pris son nom. Mais ce pasteur prophétique, et non poétique, Moïse, nous représente Eve, la première femme, ayant plutôt sa vergogne couverte de feuilles que son front entouré de fleurs. Cette Pandore donc n'a point été."


Jean Cousin l'Ancien (1495-1560) rapproche Pandora et Ève dans son tableau de 1549 conservé au Louvre, Eva Prima Pandora. La jarre rappelle le mythe de Pandore, le serpent et la branche de pommier rappellent la Genèse.


Érasme, dans l'Adage "Malo accepto stultus sapit" (I,1,31), résume la légende :

Videtur adagium ex illa vetustissima fabula manasse, de duobus fratribus Prometheo atque Epimetheo, quae quidem refertur apud Hesiodum ad hanc ferme sententiam : Jupiter iratus Prometheo propter ignem furto sublatum e coelo ac mortalibus redditum cupiensque illum simili retaliare dolo Vulcano negotium dat ut e luto puellae simulachrum quanto maximo posset artificio fingat. Id simul atque factum est, singulos deos deasque monet ut ei simulachro suas quisque dotes adjungerent ; unde et virgini Pandorae nomen affictum apparet. Hanc igitur omnibus formae, cultus, ingenii linguaeque dotibus cumulatam Jupiter cum pyxide pulcherrima quidem illa, sed intus omne calamitatum genus occulente ad Prometheum mittit. Is recusato munere fratrem admonet ut, si quid muneris sese absente mitteretur, ne reciperet. Redit Pandora persuasoque Epimetheo pyxidem donat. Eam simul ac aperuisset evolantibusque morbis sensisset Jovis ἄδωρα δῶρα*, sero nimirum sapere coepit.

* ἄδωρα δῶρα : Erasme a trouvé l'espression dans Sophocle, Ajax, 674 : des présents qui n'en sont pas, des présents funestes.


Voltaire a écrit en 1740 un livret pour une tragédie lyrique en cinq actes intitulée Pandore. Pour pousser la jeune femme à ouvrir la jarre, Zeus lui envoie Némésis, sous les traits de Mercure; et Némésis, qui connaît bien les femmes, va utiliser cet argument :

Cette boîte mystérieuse
Immortalise la beauté:
Vous serez, en ouvrant ce trésor enchanté,
Toujours belle, toujours heureuse;
Vous régnerez sur votre époux;
Il sera soumis et facile.
Craignez un tyran jaloux;
Formez un sujet docile.


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