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LES AMOURS D'OENONÉ ET DE PÂRIS


Pendant sa jeunesse, Pâris, le fils cadet de Priam et d'Hécube, avait été éloigné de Troie et avait vécu dans la montagne. Là il avait été amoureux de la nymphe Oenoné et il en avait eu un fils, Corythos. D'une part Oenoné avait le don de connaître l'avenir, d'qutre part Apollon, après lui avoir pris de force sa virginité, lui avait donné en compensation la connaissance des vertus médicales des simples.


LA NYMPHE OENONÉ REGARDE PÂRIS QUI IMMORTALISE LEUR AMOUR SUR L'ÉCORCE D'UN HÊTRE

MBAO- 2008.0.302

Pâris amoureux d'Oenoné, burin par Georg Pencz (1500-1550)


Mais le malheur survint dans leur vie lorsque Pâris fut sollicité pour donner le prix de la beauté à l'une des trois déesses Aphrodite, Athéna et Hèra.
En effet, alors qu'ils étaient rassemblés sur l'Olympe pour une noce, les dieux décidèrent qu'une pomme d'or devait être attribuée à la plus belle des trois déesses: Athéna, Héra ou Aphrodite. Hermès conduisit donc les déesses à Troie, sur le mont Ida où se trouvait Pâris : c'est lui qui, selon la volonté de Zeus, devait désigner la plus belle des déesses. Pour l'influencer, Héra lui promit qu'elle l'aiderait à dominer l'Asie tout entière, Athéna lui promit la victoire dans tous les combats. Mais Aphrodite lui ayant offert l'amour d'Hélène, le belle épouse de Ménélas, c'est elle que choisit Pâris.

ENTRE ATHÉNA, HÈRA ET APHRODITE, PÂRIS DOIT DIRE LAQUELLE EST LA PLUS BELLE

MBAO-

Copie anonyme du tableau de Claude Gellée dit le Lorrain,
Le Jugement de Pâris dans un paysage (1633)

Le tableau de Claude Gellée Le Lorrain
(collection du duc de Buccleuch et Queesberry, Bowhill House, Selkirk, Scottish Borders)
Pâris, représenté en berger, tient dans la main droite la pomme d'or qu'il va attribuer à Aphrodite.


Puisqu'on lui avait promit l'amour d'Hélène, Pâris abandonna Oenoné. Celle-ci, qui savait l'avenir, essaya en vain de le retenir; puis elle lui dit que, s'il lui arrivait d'être blessé à la guerre, il n'aurait qu'à revenir près d'elle, car elle seule serait capable de le guérir. Pendant la guerre de Troie, Oenoné vécut dans l'espoir de reconquérir son amant.


Ovide (Héroïdes, V, v. 11-40) imagine la lettre qu'Oenoné, jalouse, a pu alors écrire à Pâris qui l'a délaissée pour Hélène. Elle lui rappelle les doux moments qu'ils passèrent ensemble avant le funeste jugement que dut rendre Pâris. Elle lui rappelle en particulier ce qu'il gravait dans leur jeunesse sur l'écorce des hêtres pour immortaliser leur amour. C'est cela qui est représenté sur l'estampe de Georg Pencz.

[…] Nondum tantus eras, cum te contenta marito
edita de magno flumine nympha fui.
Qui nunc Priamides (absit reuerentia uero)
seruus eras; seruo nubere nympha tuli !
Saepe greges inter requieuimus arbore tecti
mixtaque cum foliis praebuit herba torum.
Saepe super stramen fenoque iacentibus alto
defensa est humili cana pruina casa.
Quis tibi monstrabat saltus uenatibus aptos
et tegeret catulos qua fera rupe suos ?
Retia saepe comes maculis distincta tetendi,
saepe citos egi per iuga longa canes.
Incisae seruant a te mea nomina fagi
et legor Oenone falce notata tua;
et quantum trunci, tantum mea nomina crescunt;
crescite et in titulos surgite recta meos !
Populus est, memini, fluuiali consita riuo,
est in qua nostri littera scripta memor.
Popule, uiue, precor, quae consita margine ripae
hoc in rugoso cortice carmen habes :
"Cum Paris Oenone poterit spirare relicta,
ad fontem Xanthi uersa recurret aqua."

Xanthe, retro propera uersaeque recurrite lymphae :
sustinet Oenonen deseruisse Paris.
Illa dies fatum miserae mihi dixit, ab illa
pessima mutati coepit amoris hiems,
qua Venus et Iuno sumptisque decentior armis
uenit in arbitrium nuda Minerua tuum.
attoniti micuere sinus gelidusque cucurrit,
ut mihi narrasti, dura per ossa tremor. […]
Tu n'étais pas célèbre comme aujourd'hui lorsque je me contentai de toi pour époux, moi nymphe et fille d'un grand fleuve. Maintenant le fils de Priam, alors (ne craignons pas de dire la vérité), alors tu étais esclave : nymphe, j'ai daigné m'unir à un esclave.
Souvent, au milieu de nos troupeaux, nous nous reposions ensemble à l'ombre d'un arbre, et le gazon mêlé au feuillage naissant nous offrait un lit de verdure ; souvent, étendus sur la mousse ou sur la paille épaisse, une humble cabane nous défendit contre les blancs frimas. Qui te montrait les bois propices à la chasse, et la roche où la bête fauve tenait ses petits cachés ? Ta compagne assidue, j'ai tendu des filets aux mille mailles, et dirigé les limiers rapides sur la cime des montagnes.
Les hêtres conservent sur leur écorce le nom d'Oenone que ton fer a tracé. Ces troncs le verront croître en même temps qu'ils grandiront eux-mêmes. Croissez, et que mes titres s'élèvent avec votre tige superbe. Il est, je m'en souviens, un peuplier planté sur la rive du fleuve ; tu y gravas des mots qui rappellent notre amour. Peuplier, vis longtemps, toi qui, planté sur le bord du rivage, portes ces mots sur ton écorce ridée : "Quand Pâris pourra respirer loin d'Oenone, l'eau du Xanthe, changeant son cours, remontera vers sa source." Xanthe, remonte maintenant vers elle ; ondes, retournez sur vous-mêmes ; Pâris peut vivre et avoir abandonné Oenone.
Ce jour a marqué la destinée de ta malheureuse amante, et commencé pour elle les funestes orages que soulève un amour inconstant, ce jour où Vénus et Junon, et la déesse à qui sied mieux une armure, Minerve nue, vinrent se soumettre à ton jugement. La crainte, dès que tu me l'eus dit, fit palpiter mon sein ; et un froid tremblement parcourut mes membres raidis.


Lorsque Pâris, à Troie, fut grièvement blessé d'une flèche par Philoctète, il voulut avoir recours à son ancienne amante. Celle-ci eut comme première réaction de refuser de l'aider.

Ce refus d'Oenoné fut le sujet mis au concours en mars 1816 pour le prix de Rome. Le prix fut remporté par Antoine J.-B. Thomas (1791-1834). Léon Cogniet a traité lui aussi ce sujet. GÉRICAULT, éliminé à l'issue de la seconde épreuve, se contenta de faire une quinzaine d'études, dont l'une est conservée au MBAO.

Géricault : MBAO - 740 d Géricault : étude conservée au musée de Dijon

Finalement, prise de remords, Oenoné se précipita vers Pâris avec ses remèdes; mais il était déjà mort. Désespérée, elle se suicida.


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