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BACCHUS DE SON ENFANCE À SON MARIAGE AVEC ARIANE

 


1- BACCHUS DE L'ENFANCE À L'ADOLESCENCE

JUPITER [Zeus] était un dieu redoutable, capable de déchaîner d'épouvantables orages. Son épouse JUNON [Héra], fille de Saturne (Saturnia), supportait mal les nombreuses infidélités de son mari. Lorsqu'elle apprit qu'une mortelle, SÉMÉLÉ, fille de Cadmos, était enceinte de lui, elle décida de se venger et de l'envoyer dans l'Enfer.

Junon savait que Jupiter avait fait, imprudemment, le serment d'accorder à sa maîtresse tout ce qu'elle lui demanderait. Elle prit donc l'apparence de la vieille nourrice de Sémélé et elle lui suggéra de demander à son amant de se montrer à elle dans toute sa puissance. Lié par son serment, Jupiter, en présence de sa maîtresse, déchaîna un orage terrible que Sémélé ne put supporter. Voyant qu'elle allait mourir, le dieu s'empressa d'arracher l'enfant du sein de sa mère et, comme ii n'était pas encore viable ("imperfectus") il le cousit dans sa cuisse ("la cuisse de Jupiter"!). Lorsque vint le terme, il en sortit un bébé bien formé et bien vivant, qu'on appela Dionysos [Bacchus].

Ovide raconte ce qu'il advint ensuite de l'enfant, qu'il fallut soustraire à la vengeance de Junon: le bébé au berceau fut d'abord confié à Ino, soeur de Sémélé (toutes deux filles de Cadmos), donc la tante maternelle (matertera) de Bacchus (elle avait épousé, en Béotie, le roi Athamas). Athamas et Ino ont été ensuite cruellement punis par Héra qui leur a fait perdre la raison: dans sa démence, Athamas a pris les enfants d'Ino pour des lionceaux, et les a écrasés contre une muraille.

Puis Dionysos fut confié aux nymphes de Nysa, qui l'allaitèrent.


Mais le peintre Bachelier a imaginé que Bacchus enfant ne fut pas nourri que de lait !

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Jean-Jacques BACHELIER (1724-1806), Bacchus enfant ivre (1765)

Diderot n'a pas aimé ce tableau, présenté au Salon de 1765 sous le titre Un enfant endormi : "Il est étendu sur le dos; sa chemise, retroussée jusque sous le menton, montre un si énorme ventre, si tendu, qu'on craint qu'il n'aille crever. Il a une jambe nue et l'autre chaussée. La chaussure de la jambe nue est à côté de lui; l'autre jambe est élevée et pose sur je ne sais quoi de rond et de creux. On m'a dit que c'était la partie de son vêtement que nous appelons un corps. Une guirlande de raisins serpente sur ses cuisses et autour de lui. Il en a un plein panier derrière sa tête. Mauvais tableau, an insignificant thing, dirait un Anglais. Cet enfant est un petit pourcelet qui a tant mangé de raisins qu'il n'en peut plus et qu'il est près d'en crever. Oui, voilà ce que le peintre a voulu faire; mais il a fait un enfant noyé et dont le ventre s'est détendu par un long séjour au fond de l'eau. J'en appelle à la couleur livide. Il ne dort pas, il est mort; qu'on aille avertir ses parents; qu'on fouette ses petits frères, afin que le même accident ne leur arrive pas; qu'on enterre celui-ci, et qu'il n'en soit plus parlé."


C'est Mercure qui avait été chargé par Zeus de transporter l'enfant jusqu'au pays de Nysa, chez celles qu'Homère appelle "les nourrices de Dionysos le Délirant sur le Nyséion sacré" (Iliade, VI, 132-137)

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Guy-Louis VERNANSAL (1648-1729),
L'enfant Bacchus confié par Mercure aux nymphes, filles d'Atlas, huile sur toile


OVIDE, Métamorphoses, III, 260-272 [Jalouse, Junon promet de se venger]

[…] Subit ecce priori
causa recens gravidamque dolet de semine magni
esse Jovis Semelen. […]
Concipit; id deerat, manifestaque crimina pleno
fert utero et mater, quod vix mihi contigit, uno
de Jove vult fieri. Tanta est fiducia formae!
Fallat eam faxo; nec sum Saturnia, si non
Ab Jove mersa suo Stygias penetrabit in undas."

Voici qu'à ses anciens griefs s'en ajoute un autre, tout récent: Junon s'indigne que Sémélé porte dans son sein la semence du grand Jupiter. […] "Elle est enceinte; il ne manquait plus que cela! Son ventre gonflé révèle sa faute à tous les yeux et elle veut tenir de Jupiter seul l'honneur d'être mère, quand j'en ai à peine joui moi-même ! Tant elle a de confiance dans sa beauté ! Je saurais bien faire tourner cette beauté à sa perte ; non, je ne suis pas la fille de Saturne si son Jupiter ne la précipite dans les ondes du Styx."

OVIDE, Métamorphoses, III, 310-315 [Sorti de la cuisse de Jupiter, l'enfant est confié à Ino puis aux nymphes]
Imperfectus adhuc infans genetricis ab alvo
eripitur patrioque tener (si credere dignum est)
insuitur femori maternaque tempora complet.
Furtim illum primis Ino matertera cunis
educat; inde datum nymphae Nyseides antris
occuluere suis lactisque alimenta dedere.
L'enfant imparfait est arraché du sein de sa mère et, tout frêle encore, cousu – s'il est permis de le croire – dans la cuisse de son père, où il achève le temps qu'il devait passer dans les flancs maternels. Ino, soeur de sa mère, entoura furtivement son berceau des premiers soins ; ensuite elle le confia aux nymphes de Nysa, qui le cachèrent dans leurs antres et le nourrirent de lait.
APOLLODORE, Bibliothèque, III, 4, 3
Ζεὺς δίδωσιν Ἑρμῇ. Ὁ δὲ κομίζει πρὸς Ἰνὼ καὶ Ἀθάμαντα καὶ πείθει τρέφειν ὡς κόρην. Zeus le donne à Mercure, qui le porte à Ino et à Athamas, et les engage à l'élever comme une fille.

Puis Bacchus grandit…

Bacchus enfant et Bacchus faisant boire une chèvre, par Henri Triqueti / MBAO Bacchus,
par Pompeo Batoni (1708-1787)

2- BACCHUS TRIOMPHANT APRÈS SA CONQUÊTE DES INDES

Devenu adulte, Dionysos-Bacchus, toujours poursuivi par la haine d'Hèra, erra en Egypte, en Syrie, en Phrygie, en Thrace. Puis il alla soumettre l'Inde grâce à son armée, grâce surtout à ses enchantements et à sa force mystique. C'est là qu'on le vit triomphant, porté sur un char orné de pampres et de lierre traîné par des panthères, accompagné des Silènes, des Bacchantes, des Satyres…

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Copie du tableau de Poussin Le Triomphe de Bacchus (au musée de Kansas-City)

Poussin avait reçu commande de Richelieu, pour son château du Poitou, de trois "triomphes", dont ce "Triomphe de Bacchus" (les deux autres, "Triomphe de Silène" et "Triomphe de Pan", sont à la National Gallery de Londres).

Le jeune Dionysos/Bacchus, nu et portant un thyrse, célèbre sa victoire sur les Indes. Son char est traîné non pas par des panthères, mais par un centaure et une centauresse. Il est accompagné de Ménades, de Pan qui joue de la flûte, et par Hercule qui a dérobé un trépied à Apollon. Allongé sur le sol, l'allégorie du fleuve Indus et, dans le ciel, le dieu du Soleil conduisant son char.

LUCIEN, dans son Bacchus, raconte l'expédition de Bacchus contre les Indiens :
Lorsque Bacchus conduisit son armée contre les Indiens (car rien ne m'empêche, je crois, de vous raconter une légende bachique), on dit que les peuples du pays le méprisèrent d'abord au point de rire de son expédition. Il y a mieux, ils eurent pitié de sa témérité, convaincus que, s'il osait leur présenter la bataille, il serait aussitôt écrasé sous les pieds de leurs éléphants. Ils avaient probablement appris par leurs espions d'étranges nouvelles de cette troupe. La phalange et les bataillons sont, leur disait-on, composés de femmes insensées et furieuses, couronnées de lierre, ceintes de peaux de faons, ornées de petites piques de bois sans fer et entourées de lierres aussi, avec de légers boucliers qui rendent un son éclatant quand on les touche. On voit qu'ils avaient pris les tambours pour des boucliers. On voit dans les rangs quelques jeunes rustres, nus, dansant le cordas, ornés de queues et de cornes comme des chevreaux nouveau-nés.
Le chef de cette bande est porté sur un char attelé de panthères. Il n'a pas du tout de barbe, pas le moindre duvet, mais il est cornu et couronné de raisins, avec les cheveux retenus par une bandelette. Ses habits sont de pourpre, ses chaussures d'or. Près du général marchent deux lieutenants, l'un court, vieux, dodu, ventru, camus, à longues oreilles droites, chancelant, s'étayant d'un bâton, le plus souvent à cheval sur un âne, revêtu d'un crocote, digne pendant du général en chef ; l'autre est un être monstrueux, à figure humaine, bouc dans sa partie inférieure, ayant les jambes velues, cornu, barbu, rageur et violent, tenant dans la main gauche une syrinx, dans la droite une baguette recourbée ; il parcourt, en bondissant, toute l'armée. Les femmes ont peur de lui, elles s'enfuient laissant aller leurs cheveux au vent dès qu'il approche, et se mettent à crier : "Évohé !" Les espions s'imaginèrent que c'était le nom qu'elles donnaient à leur souverain. Ils rapportèrent, en outre, qu'elles ravageaient les troupeaux, déchiraient de leurs mains les animaux tout vivants, et que quelques-unes même se nourrissaient de chair crue.
A ce récit, les Indiens et leur roi se mettent naturellement à rire et croient inutile de faire une sortie et de ranger leur armée en bataille. Tout au plus enverront-ils leurs femmes contre ces ennemis, s'ils approchent. Pour eux, ils rougiraient de remporter une pareille victoire et d'égorger des femmes folles, un général efféminé, couronné d'une bandelette comme une fille, un petit vieillard courtaud, à peu près ivre, l'autre une moitié de soldat, puis des danseurs nus, tous parfaitement ridicules.
Cependant, à la nouvelle que le dieu dévastait le pays, brûlait les villes et les habitants, embrasait les forêts, qu'en un mot il remplissait de feu l'Inde tout entière (le feu est, en effet, l'arme de Bacchus; il la tient de son père, il l'a ravie à la foudre), voilà les Indiens qui courent aux armes, équipent leurs éléphants, leur mettent un frein à la bouche, les chargent de tours, marchent à la rencontre de l'ennemi, tout en le méprisant, mais transportés de colère et résolus d'écraser avec son armée ce général imberbe.
Quand les deux partis se sont rapprochés et mis en présence, les Indiens placent les éléphants sur leur front de bandière, et les appuient de la phalange. Bacchus, de son côté, se place au centre de ses troupes, tandis que Silène commande l'aile droite et Pan l'aile gauche. Les Satyres remplissent les fonctions de lochages et de taxiarques. Le cri de guerre général est : "Évohé !" Tout à coup le tambour résonne, les cymbales font entendre un bruit guerrier. Un des Satyres, prenant une corne, sonne le nome orthien. L'âne de Silène se met à braire d'un ton martial. Les Ménades, ceintes de serpents, bondissent en hurlant, et mettent à nu le fer de leurs thyrses. Les Indiens et leurs éléphants ploient bientôt et prennent la fuite en désordre, sans oser s'avancer à la portée du trait. Enfin, ils sont complètement vaincus et emmenés prisonniers par ceux mêmes dont ils se moquaient tout à l'heure, apprenant par cette issue qu'il ne faut jamais mépriser, sur le bruit de la renommée, des troupes que l'on ne connaît pas.

Revenu en Grèce, Dionysos gagna la Béotie. A Thèbes, il introduisit les BACCHANALES

, des fêtes où les femmes étaient saisies d'un délire mystique et où un cortège parcourait les campagnes en poussant des cris rituels.

MBAO- 720

Bacchanale devant un temple, copie d'un tableau de Poussin disparu (c. 1650)

MBAO-598(2)

Bacchanale, dessin par Félix Delarue (1731-1777)

MBAO-2008.0.267

Bacchanale d'enfants, burin d'Enea Vico, d'après Michel-Ange

MBAO- 2008.0.79

Bacchanale à la cuve, burin, vers 1475, d'après Mantegna

MBAO- 117

Bacchantes et Satyres, esquisse par Théodore Chassériau (1819-1856), vers 1840, huile sur bois


3- BACCHUS TOMBE AMOUREUX D'ARIANE ET L'ÉPOUSE

Ensuite Bacchus se rendit dans le Péloponnèse dans le marais de Lerne afin de descendre dans les Enfers pour demander à Hadès de rendre la vie à sa mère Sémélé. Puis, du haut du ciel, il remarqua, sur un navire, la belle Ariane en compagnie de Thésée (celui qu'elle avait aidé dans sa lutte contre le Minotaure). Il la désira aussitôt et ordonna à Thésée de l'abandonner sur l'île de Naxos. Thésée obéit et continua sa navigation vers Athènes. Alors Dionysos débarqua à Naxos, où il trouva la belle et jeune Ariane endormie.

MBAO-70.4.1

Frères LE NAIN, Bacchus et Ariane, huile sur toile, vers 1635

Le peintre est parti d'un texte du rhéteur grec PHILOSTRATE (IIe siècle) dans son ouvrage La Galerie de Tableaux. Philostrate y conseillait aux peintres de présenter Bacchus sans son cortège habituel de baccchantes et de satyres et sans ses attributs traditionnels. De plus il proposait une image d'Ariane endormie dont le peintre s'est inspiré.

PHILOSTRATE, La Galerie de tableaux, livre I, 14
Ὅτι τὴν Ἀριάδνην ὁ Θησεὺς ἄδικα δρῶν— οἱ δ´ οὐκ ἄδικά φασιν, ἀλλ´ ἐκ Διονύσου—κατέλιπεν ἐν Δίᾳ τῇ νήσῳ καθεύδουσαν, τάχα που καὶ τίτθης διακήκοας· σοφαὶ γὰρ ἐκεῖναι τὰ τοιαῦτα καὶ δακρύουσιν ἐπ´ αὐτοῖς, ὅταν ἐθέλωσιν. Οὐ μὴν δέομαι λέγειν Θησέα μὲν εἶναι τὸν ἐν τῇ νηί, Διόνυσον· δὲ τὸν ἐν τῇ γῇ, οὐδ´ ὡς ἀγνοοῦντα ἐπιστρέφοιμ´ ἂν ἐς τὴν ἐπὶ τῶν πετρῶν, ὡς ἐν μαλακῷ κεῖται τῷ ὕπνῳ. Οὐδ´ ἀπόχρη τὸν ζωγράφον ἐπαινεῖν, ἀφ´ ὧν κἂν ἄλλος ἐπαινοῖτο· ῥᾴδιον γὰρ ἅπαντι καλὴν μὲν τὴν Ἀριάδνην γράφειν, καλὸν δὲ τὸν Θησέα, Διονύσου τε μυρία φάσματα τοῖς γράφειν ἢ πλάττειν βουλομένοις, ὧν κἂν μικροῦ τύχῃ τις, ᾕρηκε τὸν θεόν. Καὶ γὰρ οἱ κόρυμβοι στέφανος ὄντες Διονύσου γνώρισμα, κἂν τὸ δημιούργημα φαύλως ἔχῃ, καὶ κέρας ὑπεκφυόμενον τῶν κροτάφων Διόνυσον δηλοῖ, καὶ πάρδαλις ὑπεκφαινομένη αὖ τοῦ θεοῦ σύμβολον· ἀλλ´ οὗτός γε ὁ Διόνυσος ἐκ μόνου τοῦ ἐρᾶν γέγραπται. Σκευὴ μὲν γὰρ ἠνθισμένη καὶ θύρσοι καὶ νεβρίδες, ἔρριπται ταῦτα ὡς ἔξω τοῦ καιροῦ, καὶ οὐδὲ κυμβάλοις αἱ Βάκχαι χρῶνται νῦν οὐδὲ οἱ Σάτυροι αὐλοῦσιν, ἀλλὰ καὶ ὁ Πὰν κατέχει τὸ σκίρτημα, ὡς μὴ διαλύσειε τὸν ὕπνον τῆς κόρης, ἁλουργίδι τε στείλας ἑαυτὸν καὶ τὴν κεφαλὴν ῥόδοις ἀνθίσας ἔρχεται παρὰ τὴν Ἀριάδνην ὁ Διόνυσος, μεθύων ἔρωτι φησὶ περὶ τῶν ἀκρατῶς ἐρώντων ὁ Τήιος. […] Ὅρα καὶ τὴν Ἀριάδνην, μᾶλλον δὲ τὸν ὕπνον· γυμνὰ μὲν εἰς ὀμφαλὸν στέρνα ταῦτα, δέρη δὲ ὑπτία καὶ ἁπαλὴ φάρυγξ, μασχάλη δὲ ἡ δεξιὰ φανερὰ πᾶσα, ἡ δὲ ἑτέρα χεὶρ ἐπίκειται τῇ χλαίνῃ, μὴ αἰσχύνῃ τι ὁ ἄνεμος. Οἷον, ὦ Διόνυσε, καὶ ὡς ἡδὺ τὸ ἆσθμα. Εἰ δὲ μήλων ἢ βοτρύων ἀπόζει, φιλήσας ἐρεῖς. Ariane fut abandonnée pendant son sommeil dans l'île de Dia [Naxos] par le perfide Thésée (fut ce bien une perfidie ? il obéissait, disent quelques uns, à l'ordre de Dionysos) ; ta nourrice t'a fait sans doute ce récit, car elles sont savantes en pareille matière, les femmes de cette condition, et elles pleurent en contant, à volonté. Je n'ai donc pas besoin de te dire que c'est Thésée que le navire emporte, et que sur le rivage nous voyons Dionysos ; et si j'appelle tes yeux de ce côté, ce n'est point pour t'apprendre le nom de la jeune femme qui dort sur les rochers d'un sommeil paisible. Il ne suffit point non plus de louer chez le peintre des qualités qui pourraient être louées chez un autre, car il est facile à tout artiste de peindre une belle Ariane, un beau Thésée. Dionysos a mille aspects divers ; qu'un sculpteur ou un peintre en saisisse un seul, même peu important, il a fixé le dieu. En effet, une couronne formée des baies du lierre, des cornes qui font saillie près des tempes, une pardalis [peau de panthère], dont les bords apparaissent, voilà des symboles sans équivoque, fussent ils l'œuvre d'un médiocre artiste. Mais ici Dionysos n'est reconnaissable qu'à son amour; vêtements brodés, thyrses [baguette terminée par une pomme de pin et entourée de lierre ou de vigne], nébrides [peau de faon], tout a été rejeté par le dieu, comme n'étant pas de saison ; les Bacchantes ne font pas retentir les cymbales, les satyres ne jouent pas de la flûte ; Pan lui même se contient pour ne pas réveiller la jeune femme par des bonds désordonnés ; vêtu d'un péplos de pourpre, couronné de roses, Dionysos s'approche d'Ariane ; il est ivre d'amour, comme dit le poète de Téos [Anacréon], en parlant des amants trop passionnés. […] Regarde aussi Ariane, ou plutôt le sommeil lui même ; la poitrine est nue jusqu'au milieu du corps, le cou est penché en arrière laissant voir une gorge délicate, toute l'épaule droite est à découvert, la main gauche repose sur la draperie par crainte des témérités du vent. Combien son haleine est douce et suave, ô Dionysos ! exhale-t-elle le parfum des pommes ou des raisins, tu nous le diras à ton premier baiser.

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Bacchus épouse Ariane à Naxos, estampe par Elisabeth Sophie Chéron (1648-1711)

Dans l'île de Naxos, trois satyres préparent l'union de Bacchus et d'Ariane, celle-ci un peu effrayée par ce qui lui arrive.


Bacchus emmena Ariane sur l'Olympe où il l'épousa. Selon la tradition chez les dieux, une grande fête s'ensuivit en l'honneur des deux jeunes mariés.

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Guy-Louis VERNANSAL (1648-1729), Une fête dans l'Oympe, 1709

Au centre Bacchus, couronné de pampre, tient Ariane sur ses genoux. On reconnaît Silène (à gauche), Pomone et Flore (à la table). A la droite de Bacchus, c'est Momus, le dieu de la raillerie, des critiques malicieuses et des bons mots, en fait le bouffon des divinités olympiennes (il a levé son masque sur sa tête et tient à la main une marotte, symbole de la folie).


Ariane avait reçu de Vénus une couronne d'or ornée de neuf pierreries, oeuvre d'Héphaistos. Après son mariage, Liber/Bacchus trouva le moyen de rendre son épouse, devenue Libera, immortelle aux yeux des hommes  : il transforma les neuf pierreries en étoiles et les envoya dans le firmament où elles formèrent une constellation, qui garda la forme d'une couronne (Coronea borealis).

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Guy-Louis VERNANSAL (1648-1729), Bacchus couronnant Ariane, huile sur toile

OVIDE, Métamorphoses, VIII, 178-182
[…] Liber ut perenni
sidere clara foret, sumptam de fronte coronam
immisit caelo. Tenues volat illa per auras
dumque volat gemmae nitidos vertuntur in ignes
consistuntque loco, specie remanente coronae.
Bacchus, voulant répandre sur Ariane l'éclat d'un astre impérissable, détacha la couronne dont elle parait son front et l'envoya au ciel. Celle-ci vole à travers les airs subtils ; dans son vol les pierreries deviennent des étoiles aux feux étincelants, qui se fixent au firmament, mais en gardant la forme d'une couronne.
Ovide, Fastes, III, 505-516
"Illa ego sum, cui tu solitus promittere caelum.
    Ei mihi, pro caelo qualia dona fero ! "
Dixerat ; audibat iamdudum uerba querentis
    Liber, ut a tergo forte secutus erat.
Occupat amplexu lacrimasque per oscula siccat
    et "Pariter caeli summa petamus !" ait
Tu mihi iuncta toro mihi iuncta uacabula sumes,
    nam tibi mutatae Libera nomen erit ;
sintque tuae tecum faciam monimenta coronae,
    Volcanus Veneri quam dedit, illa tibi".
Dicta facit gemmasque nouem transformat in ignes :
    aurea per stellas nunc micat illa nouem. 
"Et je suis celle à qui tu promettais le ciel ! Malheureuse ! en fait de ciel, quelle récompense est la mienne !" Elle se tut ; depuis longtemps Liber entendait ses plaintes, car il l'avait suivie. Il la prend dans ses bras, sèche ses larmes sous ses baisers et lui dit : "Montons ensemble au plus haut des cieux ; partageant ma couche, tu partageras aussi mon nom : dans ta nouvelle condition tu t'appelleras Libera et je vais faire en sorte qu'avec toi demeure le souvenir de ta couronne, de cette couronne que Vulcain donna à Vénus, et que Vénus te donna". Il fait comme il avait dit et métamorphose en feux les neuf gemmes de la couronne : elle brille maintenant, cercle d'or, de ses neuf étoiles.


Pour comparaison :

– Le Tintoret, Ariane, Vénus et Bacchus, 1576, Venise Palazzo Ducale, Sala dell'Anticollegio

– Jean-François de Troy, Bacchus et Ariane, musée de Brest :


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