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ANDROMAQUE


1- HECTOR FAIT SES ADIEUX À SON ÉPOUSE ANDROMAQUE

A Troie, Achille et Agamemnon avaient capturé deux belles Troyennes : Achille s'était attribué Briséis et Agamemnon Chryséis. Mais cette Chyséis était la fille d'un prêtre d'Apollon et le dieu, en représailles avait envoyé une peste meurtrière sur l'armée achéenne. Achille adjura Agamemnon de libérer la prisonnière. Le roi finit par y consentir, mais décide de recevoir en dédommagement Briséis. Furieux, Achille décida de cesser de combattre. Cette défection eut pour conséquence une série de défaites des Achéens. En effet, Hector, le fils aîné de Priam (qui, jusque là, avait évité d'affronter Achille) fit un grand carnage de Grecs, grâce à la protection d'Arès. Puis il se retira dans la ville. Ensuite, avant de retourner au combat avec son frère Pâris, il fit ses adieux à sa femme Andromaque et à son fils Astyanax.

HOMÈRE, Iliade, VI, 390-395 / 399-406 / 466-475 / 482-485 / 494-496

Ἦ ῥα γυνὴ ταμίη, ὃ δ᾽ ἀπέσσυτο δώματος Ἕκτωρ 390
τὴν αὐτὴν ὁδὸν αὖτις ἐϋκτιμένας κατ᾽ ἀγυιάς.
Εὖτε πύλας ἵκανε διερχόμενος μέγα ἄστυ
Σκαιάς, τῇ ἄρ᾽ ἔμελλε διεξίμεναι πεδίον δέ,
ἔνθ᾽ ἄλοχος πολύδωρος ἐναντίη ἦλθε θέουσα
Ἀνδρομάχη θυγάτηρ μεγαλήτορος Ἠετίωνος.

Hector sort de la maison et, reprenant la même route, dévale par les bonnes rues. Il traverse ainsi la vaste cité et arrive aux portes Scées: c'est par là qu'il doit déboucher dans la plaine et c'est là qu'il voit accourir au-devant de lui l'épouse qu'il a jadis payée de si riches présents, Andromaque, la fille du magnanime Éétion. […]

Ἥ οἱ ἔπειτ᾽ ἤντησ᾽, ἅμα δ᾽ ἀμφίπολος κίεν αὐτῇ
παῖδ᾽ ἐπὶ κόλπῳ ἔχουσ᾽ ἀταλάφρονα νήπιον αὔτως,
Ἑκτορίδην ἀγαπητὸν ἀλίγκιον ἀστέρι καλῷ,
τόν ῥ᾽ Ἕκτωρ καλέεσκε Σκαμάνδριον, αὐτὰρ οἱ ἄλλοι
Ἀστυάνακτ᾽· οἶος γὰρ ἐρύετο Ἴλιον Ἕκτωρ.
Ἤτοι ὃ μὲν μείδησεν ἰδὼν ἐς παῖδα σιωπῇ·
Ἀνδρομάχη δέ οἱ ἄγχι παρίστατο δάκρυ χέουσα,
ἔν τ᾽ ἄρα οἱ φῦ χειρὶ ἔπος τ᾽ ἔφατ᾽ ἔκ τ᾽ ὀνόμαζε·
Elle vient donc à sa rencontre et, derrière elle, une servante, sur son sein, porte son fils au tendre coeur, encote tout enfant, le fils chéri d'Hector, pareil à un bel astre, qu'Hector nomme Scamandrios et les autres Astyanax, parce quHector est seul à protéger Troie. Hector sourit, regardant son fils en silence. Mais Andromaque près de lui s'arrête, pleurante. Elle lui prend la main, elle lui parle, en l'appelant de tous ses noms. […]
Ὣς εἰπὼν οὗ παιδὸς ὀρέξατο φαίδιμος Ἕκτωρ·
ἂψ δ᾽ ὃ πάϊς πρὸς κόλπον ἐϋζώνοιο τιθήνης
ἐκλίνθη ἰάχων πατρὸς φίλου ὄψιν ἀτυχθεὶς
ταρβήσας χαλκόν τε ἰδὲ λόφον ἱππιοχαίτην,
δεινὸν ἀπ᾽ ἀκροτάτης κόρυθος νεύοντα νοήσας.
Ἐκ δ᾽ ἐγέλασσε πατήρ τε φίλος καὶ πότνια μήτηρ·
αὐτίκ᾽ ἀπὸ κρατὸς κόρυθ᾽ εἵλετο φαίδιμος Ἕκτωρ,
καὶ τὴν μὲν κατέθηκεν ἐπὶ χθονὶ παμφανόωσαν·
αὐτὰρ ὅ γ᾽ ὃν φίλον υἱὸν ἐπεὶ κύσε πῆλέ τε χερσὶν
εἶπε δ᾽ ἐπευξάμενος Διί τ᾽ ἄλλοισίν τε θεοῖσι·
Ainsi dit l'illustre Hector, et il tend les bras à son fils. Mais l'enfant se détourne et se rejette en criant sur le sein de sa nourrice à la belle ceinture. Il s'épouvante à l'aspect de son père; le bronze lui fait peur et le panache aussi en crins de cheval, qu'il voit osciller, au sommet du basque, effrayant. Aussitôt de sa tête l'illustre Hector ôte son casque; il le dépose, resplendissant, sur le sol. Après quoi, il prend son fils et le baise et le berce en ses bras. […]
Ὣς εἰπὼν ἀλόχοιο φίλης ἐν χερσὶν ἔθηκε
παῖδ᾽ ἑόν· ἣ δ᾽ ἄρα μιν κηώδεϊ δέξατο κόλπῳ
δακρυόεν γελάσασα· πόσις δ᾽ ἐλέησε νοήσας.
Il met son fils dans les bras de sa femme et elle le reçoit sur son sein parfumé, avec un rire en pleurs. Son époux alors à la voir a pitié. […]
Ὣς ἄρα φωνήσας κόρυθ᾽ εἵλετο φαίδιμος Ἕκτωρ
ἵππουριν· ἄλοχος δὲ φίλη οἶκον δὲ βεβήκει
ἐντροπαλιζομένη, θαλερὸν κατὰ δάκρυ χέουσα.
Il prend son casque à crins de cheval, tandis que sa femme, déjà, s'en revient chez elle, en tournant la tête et en versant de grosses larmes.

 

Copie partielle du tableau de Jean Restout Jean Restout (1692-1768), Les adieux d'Hector à Andromaque, 1727 (coll. part.)

Hector a donné son casque à un jeune garçon derrière lui. Andromaque essaie de rassurer l'enfant


2- ANDROMAQUE PLEURE SUR LES CENDRES D'HECTOR

La vengeance d'Achille fut terrible : il poursuivit Hector autour de la ville et le tua, refusant d'abord de rendre son corps à Priam. Quand, finalement, Achille accepta de rendre le corps d'Hector, celui-ci fut ramené dans Troie sur un chariot traîné par une mule. Alertées par Cassandre, Hécube et Andromaque l'accueillent à une porte de la ville et elles se lamentent en touchant la tête du mort. Puis le corps est apporté dans sa demeure et déposé sur un lit. Andromaque, tenant la tête d'Hector, donne le signal des lamentations funèbres. Lui succèdent Hécube et Hélène. Puis le vieux Priam envoie des hommes chercher du bois pour le bûcher sur lequel, dix jours plus tard, le corps est consumé.

 

Jacques GAMELIN (1798), Andromaque pleurant sur les cendres d'Hector, 1798

HOMÈRE, Iliade, XXIV, 784-798

Ὣς ἔφαθ᾽, οἳ δ᾽ ὑπ᾽ ἀμάξῃσιν βόας ἡμιόνους τε
ζεύγνυσαν, αἶψα δ᾽ ἔπειτα πρὸ ἄστεος ἠγερέθοντο.
Ἐννῆμαρ μὲν τοί γε ἀγίνεον ἄσπετον ὕλην·
ἀλλ᾽ ὅτε δὴ δεκάτη ἐφάνη φαεσίμβροτος ἠώς,
καὶ τότ᾽ ἄρ᾽ ἐξέφερον θρασὺν Ἕκτορα δάκρυ χέοντες,
ἐν δὲ πυρῇ ὑπάτῃ νεκρὸν θέσαν, ἐν δ᾽ ἔβαλον πῦρ.

Ἧμος δ᾽ ἠριγένεια φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,
τῆμος ἄρ᾽ ἀμφὶ πυρὴν κλυτοῦ Ἕκτορος ἔγρετο λαός.
Αὐτὰρ ἐπεί ῥ᾽ ἤγερθεν ὁμηγερέες τ᾽ ἐγένοντο
πρῶτον μὲν κατὰ πυρκαϊὴν σβέσαν αἴθοπι οἴνῳ
πᾶσαν, ὁπόσσον ἐπέσχε πυρὸς μένος· αὐτὰρ ἔπειτα
ὀστέα λευκὰ λέγοντο κασίγνητοί θ᾽ ἕταροί τε
μυρόμενοι, θαλερὸν δὲ κατείβετο δάκρυ παρειῶν.
Καὶ τά γε χρυσείην ἐς λάρνακα θῆκαν ἑλόντες
πορφυρέοις πέπλοισι καλύψαντες μαλακοῖσιν.
Αἶψα δ᾽ ἄρ᾽ ἐς κοίλην κάπετον θέσαν, αὐτὰρ ὕπερθε
πυκνοῖσιν λάεσσι κατεστόρεσαν μεγάλοισι·
ῥίμφα δὲ σῆμ᾽ ἔχεαν, περὶ δὲ σκοποὶ ἥατο πάντῃ,
μὴ πρὶν ἐφορμηθεῖεν ἐϋκνήμιδες Ἀχαιοί.
Χεύαντες δὲ τὸ σῆμα πάλιν κίον· αὐτὰρ ἔπειτα
εὖ συναγειρόμενοι δαίνυντ᾽ ἐρικυδέα δαῖτα
δώμασιν ἐν Πριάμοιο διοτρεφέος βασιλῆος.

A ces mots le peuple attelle aux chars les bœufs et les mules, et s'assemble devant les portes de Troie. Durant neuf jours on apporte du bois dans la ville ; mais lorsque la dixième aurore vint annoncer la lumière aux humains, on s'empara du cadavre d'Hector, on le déposa sur le bûcher, et en quelques instants il fut entouré de flammes.

Le lendemain, dès que l'Aurore aux doigts de rose eut brillé dans les cieux, le peuple se rassembla en foule autour du bûcher. On éteignit d'abord avec des flots de vin aux sombres couleurs tout ce que le feu avait atteint. Les frères et les amis d'Hector recueillirent, en versant des larmes, les ossements blanchis du héros, qu'ils déposèrent dans une urne d'or ; ils la couvrirent de voiles de pourpre, la placèrent dans une fosse profonde, scellée avec de larges pierres, et se hâtèrent d'élever en cet endroit un simple tumulus. Pendant ce temps des sentinelles veillaient de toutes parts, car les Troyens craignaient d'être surpris par les Grecs. Quand on eut élevé la tombe, les guerriers se retirèrent et prirent le repas funèbre dans le palais du roi Priam

Pour comparaison :

Angelica Kauffmann (141-1807)
Andromaque pleurant sur les cendres d'Hector


3- PYRRHUS REFUSE DE LIVRER LE FILS D'ANDROMAQUE

PYRRHUS [Néoptolème], le fils d'Achille, a reçu, parmi les captives troyennes, Andromaque, la femme d'Hector. Mais, elle a un enfant, Astyanax, dont les Achéens réclament la mort, de peur de voir restaurée un jour la lignée royale troyenne. Pyrrhus refuse. Il l'emmènera en Épire, l'épousera et lui fera trois enfants.

Pierre-Narcisse GUÉRIN (1774-1833), Andromaque et Pyrrhus, esquisse

Pierre-Narcisse GUÉRIN (1774-1833), Andromaque et Pyrrhus, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Oreste (à droite) est venu au nom des Grecs demander l'enfant.
Andromaque supplie Pyrrhus d'épargner son fils. Le geste de Pyrrhus indique gardera l'enfant et sa mère.
Hermione (à gauche), fille de Ménélas et d'Hélène, épouse de Pyrrhus, est ulcérée de cette décision qu'il va prendre.


Les traditions divergent sur son sort d'Astyanax. Selon la Petite Iliade, Pyrrhus le met à mort en le jetant du haut d'une tour de la ville. Les funérailles de l'enfant étaient présentées dans la scène finale des Troades, une tragédie perdue d'Euripide. D'autres traditions font survivre Astyanax au sac de Troie. Dans l'une, que suivra Racine dans Andromaque, l'enfant est le captif de Pyrrhus et suit sa mère en Épire. Dans l'autre, il fonde plus tard une nouvelle Troie avec son cousin Ascagne, le fils d'Énée (Tite-Live). Dans La Franciade (1572), Ronsard imagine qu'Astyanax a fondé, sous le nom de Francion, le royaume de France.


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