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LA LÉGENDE D'ORPHÉE ILLUSTRÉE


Orphée, fils du roi de Thrace et de la Muse Calliope, chantait avec tant de suavité en jouant de la lyre et de la cithare que tous les animaux, même les bêtes fauves, étaient séduits. Dans le ciel, Junon s'installait avec son paon pour mieux l'écouter.

Luca GIORDANO, c.1697, Palacio Real de Aranjuez, Madrid

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Baldassarre PERUZZI, 1510, Rome, villa Farnesina, fresque de la Stanza del Fregio


Les Argonautes, dans leur navigation vers la Colchide, avaient pris Orphée avec eux comme "chef de nage" : c'est lui qui donnait la bonne cadence aux rameurs; bien plus, il était capable, par son chant, d'apaiser les tempêtes et de déplacer les rochers. Lorsque le navire Argo passa près de l'île des Sirènes, celles-ci tentèrent de séduire les marins par leur musique. Un d'entre eux, Butès, se laissa tenter et nagea vers elles; mais Orphée put retenir les autres par la douceur de son chant.

"Le vent qui les enfle porte bientôt le vaisseau à la vue d'une île couverte de fleurs, et d'un aspect riant. Elle était habitée par les Sirènes, si funestes à ceux qui se laissent séduire par la douceur de leurs chants. Filles d'Achéloüs et de la Muse Terpsichore, elles accompagnaient autrefois Proserpine et l'amusaient par leurs concerts, avant qu'elle eût subi le joug de l'hymen. Depuis, transformées en des monstres moitié femmes et moitié oiseaux, elles étaient retirées sur un lieu élevé, près duquel on pouvait facilement aborder. De là, portant de tous côtés leurs regards, elles tâchaient d'arrêter les étrangers, qu'elles faisaient périr en les laissant consumer par un amour insensé. Les Argonautes, entendant leurs voix, étaient près de s'approcher du rivage ; mais Orphée, prenant en main sa lyre, charma tout à coup leurs oreilles par un chant vif et rapide qui effaçait celui des Sirènes, et la vitesse de leur course les mit tout à fait hors de danger. Le seul Butès, fils de Téléon, emporté tout d'abord par sa passion, se jeta dans la mer, et nageait en allant chercher une perte certaine ; mais la déesse qui règne sur le mont Eryx, l'aimable Vénus, le retira des flots et le transporta près du promontoire de Lilybée."

Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, 886 sq


Orphée alla policer les Grecs encore sauvages et il leur enseigna les Arts de la Paix

Eugène DELACROIX, Bibliothèque de la Chambre des Députés, hémicycle à l'extrémité du plafond de la galerie du sud

Commentaire par Eugène Delacroix : "Orphée apporte aux Grecs dispersés et livrés à la vie sauvage les bienfaits des arts et de la civilisation. Il est entouré de chasseurs couverts de la dépouille des lions et des ours. Ces hommes simples s'arrêtent avec étonnement; leurs femmes s'approchent avec leurs enfants. Des boeufs, réunis sous le joug, tracent des sillons sur cette terre antique, au bord des lacs et sur le flanc des montagnes couvertes encore de mystérieux ombrages. Retirés sous des abris grossiers, des vieillards, des hommes, plus farouches ou plus timides, contemplent de loin le divin étranger. Les centaures s'arrêtent à sa vue et vont rentrer dans le sein des forêts. Les Naïades, les Fleuves s'étonnent au milieu de leurs roseaux, pendant que les deux divinités des arts et de la paix, la féconde Cérès chargée d'épis, Pallas tenant dans la main un rameau d'olivier, traversent l'azur du ciel et descendent sur la terre à la voix de l'enchanteur." (Le Constitutionnel du 31 janvier 1848)


En Thrace, Orphée épousa une Dryade, la belle Eurydice. Mais, au cours d'une promenade au bord de l'Hèbre, la jeune mariée fut importunée par le berger Aristée. En tentant de fuir, elle marcha sur un serpent, qui la mordit au talon. Elle mourut sous les yeux d'Orphée épouvanté et son "ombre" se retrouva aux Enfers après avoir passé le Styx.

Nicolas POUSSIN, c.1648, Musée du Louvre

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Nicolas DE BAR, 1654, Musée de Bar-le-Duc

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Ary SCHEFFER, 1814, Musée de Blois


Orphée, inconsolable, alla en Grèce, au cap Tenare, là où se trouvait l'entrée des Enfers. Il eut le courage d'y descendre pour retrouver son épouse. Là, il s'aperçut que les accents de sa lyre charmaient les dieux infernaux et tous les monstres : la pierre de Sisyphe restait immobile, Tantale oubliait sa faim et sa soif, les Danaïdes cessaient de remplir leur tonneau percé, la roue sur laquelle Ixion était attaché s'arrêtait, les oiseaux ne déchiraient plus le foie de Tityos, même les Euménides pleuraient. Hadès et Perséphone étaient eux aussi sous le charme.

Ambrosius FRANCKEN (1544-1618)


Perséphone et Hadès ont fait venir Eurydice qui se trouvait encore parmi les "ombres" des derniers arrivés; elle s'approcha en boitant un peu, à cause de sa blessure au talon.

Luigi VACCA, 1824, Rideau de scène du théâtre de Chambéry


Émus, Hadès et Persophone se consultèrent, puis acceptèrent de rendre Eurydice à la vie. Mais les trois Parques étaient là, maîtresses du destin des deux époux.

Jean RESTOUT, 1763, 355 x 575 cm, Musée du Louvre


Orphée et Eurydice s'apprêtaient à quitter les Enfers lorsqu'Hadès leur rappela qu'il laisserait Eurydice rejoindre le monde des vivants à une condition : elle marcherait derrière Orphée, celui-ci ne devant en aucun cas se retourner pour la voir avant d'avoir quitté le royaume des morts.

Jean RAOUX (1677-1734), c.1709, musée Getty) 205 x 203 cm (toile postérieurement coupée tout autour), Musée Getty

En bas à droite, Tantale est accroupi devant des raisins qu'il ne peut atteindre. À gauche, les trois Parques qui étaient chargées de faire sortir du Tartare les héros qui avaient osé y pénétrer (Dionysos, Héraclès, Thésée, Ulysse…); on reconnaît Clotho, la plus jeune, qui fabrique le fil, Lachésis qui l'enroule sur le fuseau, Atropos qui s'apprête à le couper.

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Jean-Baptiste COROT, 1861, 112 x 137, Museum of Fine Arts, Houston, Texas

Dans ce tableau de Corot le "royaume des morts" n'est évoqué que par un léger brouillard et la présence de cinq "ombres"; le Styx n'est qu'un paisible ruisseau; contrairement à la légende, Eurydice a déjà pénétré dans le monde des vivants; de plus Orphée tient la main de la jeune femme, ce qui rend invraisemblable qu'il ait douté de sa présence derrière lui et qu'il se soit retourné pour s'en assurer.


Il étaient presque revenus à la lumière du jour quand Orphée se retourna pour regarder celle qu'il aimait. Aussitôt Eurydice fut happée par le monde infernal. Mais pourquoi s'était-il retourné ?
– Selon Virgile et Ovide, son amour trop fort lui avait rendu l'attente insupportable.
– Selon d'autres,
un doute est venu à l'esprit d'Orphée : Perséphone ne l'avait-elle pas trompé et Eurydice était-elle réellement derrière lui ?
– Selon une troisième interprétation, Orphée entrant tout juste dans la lumière du monde des vivants, pensa que, libéré de la condition mise par Hédès, il pouvait enfin se retourner; il ne prit pas conscience qu'Eurydice, elle, était encore dans le monde des morts…

Bernard PICART, 1731, coll. part.

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Baldassarre PERUZZI, 1510, Rome, villa Farnesina, fresque de la Stanza del Fregio

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Michel Martin DROLLING, 1820, Dijon Elsie RUSSEL, 1994 Emily BALIVET, 2012

Orphée essaya bien de retourner dans l'Enfer; mais Charon refusa de le prendre dans sa barque. Pendant sept jours, il resta assis au bord du Styx, sans manger. Puis, revenu en Thrace, il ne cessait de se lamenter près du cénotaphe d'Eurydice, refusant toutes les avances que lui faisaient les femmes et reportant son amour sur de jeunes garçons.

Pierre-Narcisse GUÉRIN, , 1802, 195 x 130 cm.
Musée des Beaux-Arts d'Orléans


Puis Orphée parcourut le monde, allant par les plaines du Don vers les terres glacées du nord. Enfin il se retira en Thrace, dans les régions montagneuses du Rhodope et de l'Hémus. Sur un champ en haut de l'Hémus, au milieu des animaux et à l'ombre des arbres, il chantait et racontait de vieilles légendes.

Mosaïque de la Villa Bonnano, c. +200/250, Musée archéologique de Palerme


Les femmes des Ciconiens ne supportaient pas celui qui les méprisait. Une nuit, lors d'une bacchanale, elles l'attaquèrent à coups de thyrses et de pierres qui le blessèrent jusqu'au sang. Comme elles savaient que, par son chant et sa cithare, Orphée aurait pu convaincre les pierres de l'épargner, elles firent un vacarme tel qu'il ne put se faire entendre. Puis elles effrayèrent des paysans qui travaillaient non loin de là dans leurs champs et elles s'emparèrent de leurs râteaux, de leurs sarcloirs, de leurs hoyaux. Avec ces armes, elles tuèrent Orphée et découpèrent son cadavre, puis jetèrent les morceaux dans l'Hèbre.

Baldassarre PERUZZI, 1510, Rome, villa Farnesina, fresque de la Stanza del Fregio

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Jean-Bruno GASSIES (1786-1832), 1813, lavis et gouache, MBA d'Orléans

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Gregorio LAZZARINI, c.1710, Venise Emile LEVY, 1866, 206 x 133 cm,
Musée d'Orsay

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Stamnos d'Hermonax, -Ve s., Musée du Louvre Amphore, c. -440, Musée du Louvre

Le fleuve entraîna la tête et la lyre jusqu'à la mer. Elles vinrent échouer sur une plage de l'île de Lesbos, près de Métymne. Là un énorme serpent s'apprêtait à mordre la tête lorsque Phébus intervint et transforma la bête en une statue de pierre.

John William WATERHOUSE, 1900,
149 x 99 cm, coll. part.
Gustave COURTOIS, 1875,
Musée de Pontarlier

Les femmes de Lesbos recueillirent la tête d'Orphée et sa lyre.

Gustave Moreau, 1865, Musée d'Orsay


L'ombre d'Orphée descendit aux enfers, franchit le Styx, reconnut facilement Eurydice et la prit dans ses bras. Puis les deux époux se promenèrent côte à côte dans les enfers ; Eurydice était certes un peu gênée par sa blessure au talon ; mais, s'il arrivait qu'elle se tienne derrière Orphée, il pouvait désormais se retourner pour la regarder sans lui faire courir de risque.

1807 · Johann-August Nahl le Jeune
Neue Galerie, Kassel, Germany


Finalement les Muses rassemblèrent les membres d'Orphée et les mirent dans un tombeau en Thessalie au pied du mont Olympe, à Leibèthres (Libethra). Quant à sa lyre, elles demandèrent à Zeus de placer l'instrument dans le ciel. Ainsi fut créée la constellation de la Lyre.




QUELQUES GRAVURES ILLUSTRANT DES ÉDITIONS DES MÉTAMORPHOSES


Orphée charme les animaux et les arbres
Métamorphoses, Edition de 1551, p. 99 r° Illustration de Jean Mathieu, 1619, p. 277
Traduction de Pierre Du-Ryer, Amsterdam, 1702, p. 312

Eurydice est mordue par un serpent
Traduction de Pierre Du-Ryer, Amsterdam, 1702, p. 307 Traduction de l'abbé Banier, 1767, n°100, p.188

Orphée devant Hadès et Perséphone
Traduction de Pierre Du-Ryer, Amsterdam, 1702, p. 309

A la sortie des Enfers, Orphée se retourne
Illustration de Jean Mathieu, 1619, p. 273 Traduction de l'abbé Banier, 1767, n° 101, p. 192

Orphée est massacré et démembré par les femmes de Thrace
Métamorphoses, Edition de 1551 p. 109 v° Illustration de Jean Mathieu, 1619, p. 303
Traduction de Pierre Du-Ryer, Amsterdam, 1702, p. 343 Traduction de F. Desaintange, 1800, p. 326

Orphée sur le mont Rhodope
Traduction de l'abbé Banier, 1767, n° 102, p.198

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