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Atelier « Figures de femmes dans la mythologie : par-delà les clichés »

PHÈDRE ET MÉDÉE

Documents complémentaires


Ouvrages de base consultés :

Tous les textes antiques sont disponibles sur le web, en accès libre, ainsi que beaucoup d'ouvrages jusqu'au 20e siècle inclus.

• S. BALLESTRA-PUECH, Y. BRAILOWSKY, P. MARTY, A. TORTI-ALCAYAGA, Z. SCHWEITZER, Théâtre et violence, Paris, Atlande, 2010.

• J. BOULOGNE, Les systèmes mythologiques, J. BOULOGNE (éd.), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1997.

• F. DUPONT, Médée de Sénèque ou comment sortir de l'humanité, Paris, Belin, 2000.

• F. DUPONT, Les monstres de Sénèque, Paris, Belin, 1995.

• F. FIX, Médée : l'altérité consentie, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2010.

• E. GRIFFITHS, Medea, Gods and Heroes in the Ancient World, London-New York, Routledge, 2006.

• A. MOREAU, Le mythe de Jason et Médée, Le va-nu-pied et la sorcière, Paris, Les Belles Lettres, 1994.

• A. MOREAU, « Médée ou la ruine des structures familiales : la Médée ancienne : mère généreuse, fiancée bénéfique, florissante épouse », in O. CALVET (dir.), Silence et fureur : la femme et le mariage en Grèce : les antiquités grecques du Musée Calvet, Avignon, Fondation du Muséum Calvet, 1996.

• A. MOREAU, « Arrière-plan mythique et culture personnelle dans l'Hippolyte porte-couronne d'Euripide », Connnaissance Hellénique, 101, oct. 2004.

• J.-C. TURPIN (éd.), La Magie, La magie dans l'antiquité grecque tardive, les mythes, Montpellier, Publications de la recherche Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2000, t. 2.

D'autres indications sont données dans les notes du texte suivant.


Le scelus nefas dans Médée et Phèdre de Sénèque :
ordres du roi, vengeances de femmes et lois des dieux*

La « monstruosité » des personnages dans les tragédies de Sénèque, telle qu'elle a été définie par F. Dupont [1], dérive du schéma structure toutes les pièces avec ces trois composantes : du dolor, blessure qui atteint l'être dans son essence, le personnage passe au furor, état d'aliénation à soi mais sans perte de lucidité, à partir duquel s'enclenche le scelus nefas, crime impie commis par le héros, inexpiable au regard de la justice tant humaine que divine. Les termes eux-mêmes de furor, furiosus [2] et scelus, placent les protagonistes dans un cadre juridique, bien que nous soyons dans la fiction d'un univers théâtral qui puise ses sujets dans la mythologie et qui mêle la Grèce et Rome.

Nous nous proposons de comparer les héroïnes éponymes, Médée et Phèdre, telles que Sénèque les a mises en scène, pour approfondir leur rapport transgressif à la loi et les relations entre les lois humaines et divines [3] qui régissent chacune des deux pièces. Le poète philosophe [4] propose, comme le dit P. Grimal à propos de Phèdre, « une analyse concrète de la responsabilité » [5] : voyons comment ce théâtre présente les lois religieuses et celles de la cité.

Dans chacune de ces pièces le scelus nefas se décompose en deux temps. Dès avant leur entrée en scène, les héroïnes sont marquées par un scelus : Médée par les actes odieux qu'elle a commis en Colchide et dans son trajet vers Corinthe, Phèdre par son amour incestueux pour Hippolyte. La tragédie s'enclenche à partir du moment où ce scelus entre dans une seconde phase : pour Phèdre, c'est le rejet de son aveu par Hippolyte, pour Médée, sa répudiation par Jason et l'exil auquel la condamne Créon.

Les deux femmes sont petites-filles du Soleil et de ce fait appartiennent à une lignée poursuivie par la vengeance de Vénus, déesse en rivalité avec Diane [6], vénérée par Hippolyte [7]. Poséidon, père divin de Thésée, en veut aussi à la descendance de Minos après le refus du roi de lui offrir en sacrifice le taureau promis. Médée est la nièce de Circé [8] et prêtresse d'Hécate [9]. Les tragédies ont donc un arrière-plan divin complexe, d'autant plus que Phèdre et Médée peuvent être considérées comme d'anciennes divinités déchues ou des hypostases de telle ou telle déesse [10].

C'est dans ce contexte que se pose la question de la culpabilité ou plutôt de la responsabilité des deux héroïnes, si on admet que le coupable est l'auteur matériel des crimes et le responsable l'auteur moral. Se greffe sur cette distinction la question de la conscience et de l'intention dans l'accomplissement du mal [11]. L'idée de réparation ou de compensation apparaît également dans ces vengeances. Que Médée et Phèdre soient coupables, ni elles-mêmes ni aucun autre personnage ne le nie : le problème posé dans les deux tragédies est celui de leur responsabilité et de leur châtiment. Sont-elles coupables et responsables ?

Femmes dans la cité : avant le scelus nefas tragique

Phèdre et Médée sont deux figures de femmes étrangères dans une cité grecque. Médée vient de Colchide, terre barbare, dont elle amplifie la barbarie par ses pratiques de magicienne [12]. Phèdre est issue de Crète, île régie dans les temps archaïques par un système matriarcal. Comment l'une et l'autre se situent-elles dans la cité, quel est leur rapport à la loi civique et religieuse ?

Médée est dès le départ hors la loi par son ascendance. La magie pratiquée hors du cadre des rites collectifs de la religion civique est pour elle un héritage familial (752). La longue évocation de ses pratiques (752-784) la place hors de la cité, quelle qu'elle soit, même si en Colchide la question de la loi ne se pose pas dans les termes qui sont ceux des cités grecques ou latines [13]. Mais Médée fait le parallèle entre le royaume de son père Aiétès et celui de Créon : fière de sa naissance, elle rappelle comment elle « brillait de tout l'éclat de la puissance royale » (216-218). C'est par amour pour Jason qu'elle aide l'ennemi de son père, quitte son pays et tue son frère pour faciliter leur fuite, transgressions de la coutume et des traditions familiales – alors que le droit antique repose sur le mos maiorum qui a force de loi [14]. Devenue l'épouse du grec Jason, elle n'en reste pas moins une étrangère à Corinthe. Sa condition d'exul revient en leitmotiv dans toute la pièce, avec d'autant plus d'insistance que Créon l'y renvoie. La décision du roi crée une rupture dont la conséquence pour Médée est double : elle est ipso facto répudiée par son époux et redevient une exilée en quête d'un domicile [15]. Cette rupture ouvre le temps de la tragédie dont le premier conflit se situe entre deux conceptions de la justice humaine. L'enjeu est de définir où se situent la culpabilité et la responsabilité : a-t-elle mérité ce nouvel exil ?

L'affrontement entre Médée et le roi se place très explicitement dans une perspective judiciaire [16] dès le premier vers de leur brève stychomythie : quod crimen aut culpa multatur fuga ?, « quel crime est puni d'exil, quelle faute ? » (192). Après avoir opposé la justice qui enquête et le pouvoir qui ordonne, Médée revendique le droit à un procès équitable, ce que lui accorde Créon. S'en suit un agôn dans lequel Médée argumente en sa faveur : le seul bien qu'elle ait rapporté de Colchide, c'est d'avoir assuré « l'immense gloire de la Grèce » (226), on lui doit le retour d'Argo, « son seul crime » (237), pour lequel elle a commis toutes les infamies qu'elle reconnaît. Son sort, comme celui de Jason, est maintenant entre les mains de Créon : si placet damna ream / sed redde crimen, « si tu le veux, condamne l'accusée ; mais rends-moi le motif de l'accusation [17]» (245-246).

Elle réclame donc le respect de la parole donnée et la protection à laquelle elle a droit en tant que suppliante. L'appel aux lois de l'hospitalité et à la fides, notion si importante pour les Romains [18], souligne l'arrière-plan religieux de cet agôn. La réponse de Créon (251-271) renvoie Médée à sa condition de magicienne. Il ne se pose plus la question de sa culpabilité, dès son entrée en scène il l'a qualifiée de « criminelle » (179). Jason n'a rien à se reprocher, et lui non plus : c'est Médée seule, malorum machinatrix facinorum, « machinatrice de mauvaises actions » (266), qui souille son royaume et qui doit partir avec ses herbes mortifères. Le roi évacue l'argument religieux en terminant par une mention des dieux mais pour souligner a contrario qu'ils ont hostiles à Médée. Ce premier affrontement met en jeu la loi des hommes plutôt que celle des dieux – le conflit n'a pas grand chose à voir avec celui d'Antigone, défendant la loi divine, face à un autre Créon, tyran faisant primer sa loi humaine à lui. Médée plaide coupable pour les crimes qu'elle a commis, coupable aux yeux de Créon (et de Corinthe), mais elle en rejette la responsabilité sur les autres, Jason en première ligne, qui est à tout le moins complice, et toute la Grèce qui a bénéficié de ses méfaits. Coupable donc, mais pas responsable [19].

A Jason elle redira la même chose. Après avoir rappelé ses méfaits, elle admet mériter un châtiment (461-462), mais les impute à son époux qui seul en a tiré profit :

obicere tandem quod potes crimen mihi ?
Med. : Quodcumque feci. Jas. : Restat hoc unum insuper,
tuis ut etiam sceleribus fiam nocens.
Med. : Tua illa, tua sunt illa : cui prodest scelus
is fecit
[…] ;
ubi innocens sit quisquis est pro te nocens,

« quel [20] crime enfin peux-tu me reprocher ? – Tous ceux que j'ai commis. – Il ne manque vraiment plus que cela : que je sois fait aussi coupable de tes crimes. – Ce sont les tiens, ce sont les tiens : celui à qui profite le crime l'a commis […] ; tiens pour innocent quiconque a perdu l'innocence à ton service » (497-503).

Aussi doit-il la soutenir. Devant le refus de Jason, qui avoue craindre la puissance royale, Médée invoque Jupiter pour que la chute de sa foudre désigne le coupable (534-537), comme Jason en avait appelé à la Justice (440) – mais rien ne se passe.

En fin de compte, la justice des hommes, celle du roi arrogant comme celle du héros sous sa puissance, reste sourde aux arguments de la magicienne ; celle des dieux est, pour l'instant, silencieuse.

 

Passons à Phèdre, dont le cas de figure présente des similitudes. Sa première tirade semble un écho aux propos de Médée : fille du roi de Crète, elle est, comme la Colchidienne, fière de son pays d'origine et se sent prise en otage à Athènes (88). Devenue épouse de Thésée, ennemi de son père à elle comme Jason l'était de celui de Médée, elle se plaint aussi du manque de fidélité de son époux. Mais elle est, elle, pleinement intégrée dans la cité athénienne, ce qu'elle révèle a contrario quand elle fait état du rôle qu'elle n'est plus capable de tenir ou qu'elle décrit les vêtements qui maintenant lui pèsent (387-393). Femme du roi, elle jouit d'une réputation établie (252, 269) [21] ; elle assume en tant que reine les fonctions religieuses qui lui sont dévolues, diriger les choeurs et les fêtes de la religion publique en l'honneur d'Athéna, patronne du lieu (103-109). Elle possède aussi un certain pouvoir, puisque Thésée lui confie les rênes de la royauté en son absence (617-621). Bref, elle obéissait aux lois de la cité tant politiques que religieuses. Ce qui n'empêche pas que se produise également pour elle une double rupture, bien que de nature différente, et qui est à l'origine de la tragédie.

Alexandre Cabanel, Phèdre, 1880, Musée Fabre, Montpellier

C'est par sa soumission aux lois de Vénus qu'elle est conduite à désobéir aux lois morales et civiques et à éprouver un amour adultère [22], sinon incestueux [23], pour son beau-fils Hippolyte. La culpabilité est nettement proclamée, avec le vocabulaire juridique du délit, par la nourrice [24], par Hippolyte [25], par Phèdre elle-même [26]. Faute au regard des hommes [27], avec les allusions nombreuses à l'infamie de la reine [28], et au regard des dieux, stricto sensu selon les propos de la nourrice pour laquelle l'amour monstrueux ne pourrait échapper à ses « ancêtres qui voient tout » (158), au Soleil ni à Jupiter.

La question de la responsabilité n'est pas posée dans les mêmes termes que dans Médée dans la mesure où Phèdre agit pour son propre compte. La situation est plus ordinaire et relève du traitement des passions, tel que Sénèque l'a exposé dans ses dialogues philosophiques [29]. Dépossédée d'elle-même, elle ne peut que se soumettre au furor amoureux imposé par les lois de la déesse qui se venge. Son impuissance face au pouvoir de Vénus est soulignée par Phèdre, qui lui impute ainsi la responsabilité de son amour. Cette question de la non-responsabilité due au furor, renvoie à la fois au statut juridique du furiosus – considéré comme non responsable et donc non coupable du point de vue pénal [30] – et à la question philosophique de la responsabilité du sujet face aux passions. On connaît la réponse stoïcienne, sur laquelle nous ne reviendrons pas [31]. Mais Phèdre se présente, elle, coupable bien que non responsable [32).

Nous pouvons donc dire que si la culpabilité des héroïnes aux yeux des hommes et de la cité est affirmée par elles-mêmes, elles contestent leur propre responsabilité, soit en restant sur le plan humain, soit en se référant aux lois divines. Pour l'une, ce sont les lois de Vénus qui sont à l'origine de sa passion, lois contre lesquelles elle ne peut rien – renouant ainsi avec la définition juridique du furiosus dépossédé de lui-même – et de ce fait son crime n'est pas intentionnel. Mais il est malgré tout assumé. Pour l'autre, le fait de ne pas avoir tiré bénéfice de ses actes l'exonère de la responsabilité, pour le moins partagée avec Jason. Mais le rapport à la loi change dans le second temps du scelus nefas dont la pièce donne à voir l'accomplissement : c'est maintenant le furor de la vengeance qui est à l'oeuvre chez Phèdre, comme chez Médée.

Vengeances de femmes et lois des dieux

Ces deux femmes sont bafouées, dans leur amour et leur amour-propre. Et ce sont leurs vengeances à chacune qui font la loi – en tout cas du point de vue dramatique.

Médée est doublement bafouée : sur le plan social par la proposition de Créon qui fait fi de son mariage avec Jason. Sur le plan amoureux par son époux qui lui préfère la fille du roi. Affirmant dès l'ouverture de la pièce que la faute est du côté de Créon, Médée envisage comme châtiment mérité sa vengeance contre lui :

culpa est Creontis tota, qui sceptro impotens
coniuga soluit quique genetricem abstrahit
gnatis et arto pignore astrictam fidem
dirimit : petatur solus hic, poenas luat
quas debet,

« la faute est toute entière à Créon, qui, abusant de son pouvoir, détruit notre union, qui éloigne une mère de ses enfants et rompt un lien de fidélité resserré par ces gages : à l'attaque, que lui seul subisse le châtiment qu'il mérite » (143-147).

Mais Jason n'en est par pour autant disculpé : si elle admet qu'il a été contraint (137-138 et 417), elle lui en veut de ne pas l'avoir défendue. Et plus l'entretien avec son époux avance, plus sa décision s'affermit jusqu'au moment où elle trouve son point faible : son amour pour ses enfants (550). Dès lors le processus de la seconde moitié de la pièce est enclenché, le temps n'est plus aux arguties juridiques, place au furor déchaîné. La loi des hommes disparaît, seule compte celle des divinités vengeresses de la nuit, dieux mânes, Chaos, Dis, etc. [33] et surtout Hécate, invoquées dès l'ouverture (6-18) puis longuement ensuite (740-842). Et la déesse Trivia fait signe, elle répond à l'appel (840-842). Puis, au moment de l'infanticide, Erinys, Mégère et la troupe des Furies (958) imposent leurs serpents et leurs fouets vengeurs. Cette vengeance, assistée des dieux donc, est présentée comme relevant du fas (8-9) et le châtiment mérité, qui associe la mort de Créüse et celle des fils de Jason :

placuit hoc poenae genus
meritoque placuit :
[…] liberi quondam mei,
uos pro paternis sceleribus poenas date,

« j'ai choisi ce genre de châtiment et je l'ai choisi à juste titre : […] enfants jadis à moi, subissez le châtiment pour les crimes de votre père » (923-925).

Poenas dare, luere, petere sont des expressions récurrentes [34]. L'infanticide se justifie ainsi par la culpabilité des enfants héritée de leur père (925) [35]. Et la vengeance réclamée par les mânes d'un autre innocent, son frère dépecé, achève de transformer Médée en « monstre » (964-965). Incarnation du Furor (395-396) [36], elle devient la proie des Furies (966) [37] et offre en victime sacrificielle un de ses fils ; puis le scelus culmine avec le second infanticide [38]. On assiste donc à une justice de « réparation » [39] sous l'autorité et avec l'aide des dieux infernaux : ce crime compense l'autre crime, il y a comme une annulation de l'un par l'autre : fructus est scelerum tibi / nullum scelus putare, « le profit que tu tires de tes crimes est de ne rien considérer comme un crime » (563-564).

La responsabilité est désormais non seulement assumée, mais revendiquée. Celle que Jason désigne du terme sceleris auctor (979) en cherchant à l'arrêter avec l'aide de la cohorte, est fière de son acte, avec les fameuses formules : Medea nunc sum, « maintenant je suis Médée » (909) et meus dies est, « c'est mon jour » (1017). Ni les scrupules des vers 925-948, où elle souligne l'innocence des enfants, ni son impuissance face à Erinys (952) ne tiennent. Son rapport à la loi est maintenant autre. Exclue de facto de la cité par Créon, répudiée par Jason, elle fait appel aux divinités infernales de la nuit et de la vengeance pour qu'elles châtient les coupables et elle-même leur prête son bras : ira, qua uadis, sequor, « ma rage, là où tu me mènes, je te suis » (953). Furiosa, elle s'enorgueillit de son scelus nefas, le plus horrible qui soit au regard des lois de la nature et de la famille.

Mais la monstruosité du personnage ne le place pas du tout en marge du monde, puisque le Soleil, auquel elle avait demandé son aide (32-33), lui offre son char pour l'emmener dans les airs. Ce deus ex machina devient ainsi l'allié objectif d'Hécate et des mânes pour imposer sa loi également [40]. La dernière réplique de Jason traduit son trouble face à ce dénouement : uade […]/ testare nullos esse, qua ueheris, deos, « porte témoignage qu'il n'y a pas de dieux là où tu te rendras » (1026-1027). Comment justifier que les lois divines ne la punissent pas ? Le personnage a, dans les diverses traditions, un rapport complexe avec la divinité [41]. Elle est parfois considérée comme une figure « rayonnante » [42], antique déesse présidant aux rites d'immortalité et son envol vers « l'éther supérieur le plus pur », par delà les lieux où résident les dieux olympiens, est ainsi mis sur le compte de ce rite d'éternité [43], il devient un « acte de justice divine, au-delà du bien et du mal par son caractère absolu » [44]. Pour A. Moreau, « elle retrouve sa grandeur originelle, mais au lieu d'apparaître comme déesse-mère tutélaire et généreuse, elle s'est métamorphosée en force du Chaos » [45]. Le rapport particulier que la magicienne entretient avec la nature explique aussi ainsi l'infanticide. Au lieu d'être « l'anti nature » [46], de « sortir de l'humanité » [47], Médée s'inscrit pleinement dans le monde naturel : son infanticide est un rituel de réintégration de l'ordre « archaïque » [48], celui où le sacré et l'harmonie des forces naturelles sont respectés et dans lequel la conquête de la Toison par les Argonautes a causé une rupture [49]. La mort de ses fils rétablit « l'équilibre des pertes » [50] entre la Colchide et la Grèce, on parle même de « reconquête de l'innocence perdue » par cette transgression.

Quoi qu'il en soit, l'ambiguïté [51] du féminin et de ses divinités, « qui règnent sur la fécondité, qui président à la vie et à la mort » [52] ressort dans ce personnage par son scelus nefas qui à la fois transgresse l'ordre divin et le rétablit [53].

Delacroix, Médée, 1838, Musée des Beaux-Arts, Lille.

 

Dans Phèdre, la question du furor de la vengeance est à la fois plus simple dans son dénouement et plus complexe dans son fonctionnement car s'associent plusieurs furores, le sien, celui de Thésée et celui d'Hippolyte. Le scelus supposé d'Hippolyte que Phèdre accuse d'avoir tenté de la violenter, est souligné par son père : il qualifie son acte de monstrum (808) et c'est en réaction à ce crime que Thésée le maudit (937). Le furor imputé à tort à Hippolyte démasque son autre dirus furor, « fureur inhumaine » (567) [54] : sa haine des femmes. Son culte exclusif à Diane le met en dehors de la cité (il passe son temps dans les forêts à chasser) et de ses rites de passage vers l'âge d'homme : refusant de s'inscrire dans l'ordre social (faire la guerre, la politique et l'amour), il ne peut qu'en être exclu [55]. Ainsi il n'obéit pas non plus aux devoirs de Vénus (propria […] officia, 450-451), lois de la nature qui assurent la pérennité du monde (466-480).

La vengeance, si son motif est injuste, déclenche une punition finalement méritée : la loi de Neptune – et par contrecoup de Vénus – s'applique en s'appuyant sur le non-respect supposé de la loi humaine et sociale mais aussi naturelle. La mort du jeune homme vient punir cette misogynie radicale [56] qui exclut la part du féminin dans le monde, et la pièce se termine sur les efforts faits par Thésée pour rassembler les parties éparses de son corps, qu'il faut précisément remettre en ordre (1257) [57]. Après la mort de son fils, le roi se reconnaît comme nocens (1203 et 1211) et en appelle aux dieux infernaux pour son supplice. Mais maintenant ces dieux sont muets (1242-1243).

Phèdre, quant à elle, se plaint de l'abandon du roi (90-98), séducteur impénitent, même si elle pense peut-être que ses infidélités peuvent justifier la sienne. Mais ce qui la conduit à la vengeance, c'est le rejet brutal de sa passion par Hippolyte – blessure d'amour mais aussi d'amour-propre, pour la reine qui s'est abaissée suppliante aux genoux du jeune homme. La Nourrice transfère la faute sur Hippolyte, dans un appel au choeur saturé de termes juridiques :

Deprehensa culpa est. […]
Regeramus ipsi crimen
[…] : scelere uelandum est scelus ;
[…] secreta cum sit culpa, quis testis sciet ?
[…]
Pignus tenemus sceleris
[…] facinoris tanti notae.
[…]
Mens impudicam facere, non casus, solet,

« J'ai surpris la faute.[…] Renvoyons sur lui l'accusation […] : par un crime il faut voiler un crime.[…] puisque la faute est demeurée secrète, quel témoin le saura ?[…] Nous tenons la preuve du crime.[…] les marques d'un forfait tellement atroce.[…] L'acte volontaire rend la femme impure, non l'événement fortuit » (719-735).

Après la mort du jeune homme, Phèdre se dénonce comme coupable de la calomnie dont elle assume la pleine responsabilité [58], bien que l'idée ne soit pas d'elle : « c'est la parole elle-même qui est criminelle » [59], la responsabilité est bien dans l'intention qui conduit à la mort d'un innocent. Là est son principal crime : « no one is allowed to defend his own reputation at the expense of the life of another man » [60]:

poenas tibi
soluam et nefando pectore ferrum inseram
[…] : falsa memoraui et nefas,
quod ipsa demens pectore insano hauseram,
mentita finxi,

« je vais exécuter le châtiment que je te dois, plonger le fer dans mon coeur sacrilège […] : j'ai proféré des calomnies et le crime impie, dont ma propre démence avait conçu l'idée insensée, est le produit de mon imagination menteuse » (1176-1194).

Son suicide est présenté comme un sacrifice réparateur aux mânes de l'innocent ainsi vengées (1997-1998). Suicide qui est donc l'auto-châtiment humain [61] pour l'acte impie de celle qui « voyant le bien a fait le mal » [62] – impiété rappelée par Thésée dans le dernier vers de la pièce.

La responsabilité de ces deux furiosae est donc acceptée et revendiquée par elles-mêmes, l'une en réintégrant par son acte sa nature d'exilée barbare, l'autre en en payant le prix par sa mort.

Dans un monde dont les lois sont régies par les hommes [63], le rôle perturbateur des femmes est souligné dans les deux pièces par ces figures de transgression [64], menace à l'ordre public et singulièrement familial [65], menace contre le pouvoir masculin – menace qui de potentielle devient réelle [66]. La barbarie de Médée n'est pas rappelée comme telle par Sénèque ; mais sa virilité [67], face à un Jason que sa faiblesse place du côté du féminin [68], apparaît à travers son exigence d'un traitement égal à celui des hommes, son pouvoir de vie et de mort sur ses enfants, version inversée de la patria potestas [69], et son désir d'instaurer sa « propre loi » [70]. Qu'elle s'inscrive ou non dans l'ordre de la nature, cette femme est une « figure polémique, voire subversive » [71]. Parallèlement, si le désir de Phèdre, qu'il soit incestueux ou simplement adultère, se libère, si elle prend l'initiative de la relation amoureuse [72], si elle refuse de se laisser enfermer dans le rôle et les lieux qui lui sont assignés, la filiation et la stabilité de la cellule familiale sont mises en danger – ce qui n'est pas le cas, dans les sociétés patriarcales que sont Athènes ou Rome, quand les aventures sont masculines. Ces deux femmes par qui le scandale arrive [73], et qui en revendiquent la responsabilité, ne peuvent, dès lors, qu'être coupables aux yeux des hommes [74].

Or cette culpabilité n'est pas aussi radicale au regard des dieux et le rapport aux lois divines est plus ambigu. On a parlé du « silence assourdissant » des dieux [75], celui de Jupiter, de Diane et d'autres. Obéissant aux lois d'une Vénus vengeresse, Médée et Phèdre sont soutenues par Hécate ou Neptune, qui répondent, eux, à leurs invocations, directes ou indirectes. Médée est même sauvée par le Soleil. La réalisation de la vengeance du furiosus, placé d'office hors des lois humaines, est régie par les lois des dieux, plutôt chtoniens [76] que célestes, mais ceux-ci ne semblent pas concevoir la justice de la même façon. D'un côté on a ceux qui sont actifs pour accomplir les deux vengeances. De l'autre, Jupiter qui se tait, tout comme les divinités du mariage, ou même la Justice. La complexité du polythéisme antique, dont les dieux se répartissent les fonctions ce qui n'exclut pas solidarités, rivalités ou empiètements, ainsi que les antagonismes de pouvoir entre les lois des divinités archaïques et celles du panthéon officiel, structurent ces deux tragédies [77].

« Mais Médée n'est appelée devant aucun autre tribunal que celui que constituent les spectateurs assemblés dans ce lieu magique : une salle de théâtre » [78]. Dans ses tragédies, Sénèque, plutôt que des leçons illustrées de stoïcisme, fait, selon le terme de P. Grimal, des « expériences » [79] ou, suivant l'expression d'O. Thévenaz, un « exercice de funambulisme » [80] sur le franchissement des limites de la raison – mais aussi sur la transgression lois. « Que se passerait-il si un jour les femmes refusaient ce contrat [leur confinement à la maison] dont la justification n'est jamais donnée, comme si elle allait de soi, mais dont les clauses léonines sont répétées à satiété ? » [81]. Autrement dit, que se passe-t-il, dans la cité quand elles transgressent l'interdit, qu'il soit moral ou religieux, imposé par les hommes ou par les dieux ? La liberté qu'autorise la fabula offre l'occasion d'opérer des simulations, avec la fonction cathartique bien connue, en mettant en scène une série de monstres, tous coupables d'un scelus nefas. Ces figures mythologiques qui sortent de l'humanité, le temps et l'espace de la représentation ou de la lecture, nous plongent par le mythe dans l'inhumanité présente en chacun de nous, homme ou femme, qui rêvons tous un jour de franchir les limites ou de nous mettre hors la loi.

Emilia NDIAYE
emilia.ndiaye@univ-orleans.fr


 

Aperçu sur les interprétations modernes et contemporaines de Médée

Médée est la figure antique qui, par sa complexité et son ambiguïté, se prête le plus aux réécritures du mythe (mythopoesis), principalement dans des pièces de théâtre, mais pas uniquement, et ce dès l'Antiquité. L'étymologie du nom Médée, formé de la racine med- est riche : « qui médite, prend soin, complote », ainsi que les jeux allitératifs Medea, mater, malum, monstrum, « Médée, mère, mal, monstre » jusqu'à Méduse. Ainsi les auteurs ultérieurs choisissent, en fonction du contexte politique et social de leur époque et de leurs propres intérêts, de mettre en avant tel ou tel aspect de l'héroïne – en général déjà présent dans la pièce matrice, celle d'Euripide, ou celle de Sénèque, revendication de justice, condition de la femme, exil, origines barbares. Par exemple le dialogue de Médée, dans la pièce d'Euripide, avec le Choeur des Corinthiennes, s'insurgeant contre la condition de la femme grecque – où l'on a comme une réponse au texte d'Hésiode parlant des méfaits apportés par Pandora à son mari (voir compléments à l'atelier Hésiode) – , et soulignant sa condition d'exilée à Corinthe car barbare.

Extrait: Euripide, Médée, v. 230-272 :

MEDEE : De tous les êtres vivants doués de pensée, nous sommes, nous les femmes, la plus malheureuse des espèces. Tout d'abord, il faut - en y mettant le prix de notre dot ! - acheter un époux pour en faire le maître de notre corps. Or, il y a un mal encore bien plus dur à endurer, puisque c'est cela le grand enjeu: tomber sur un mauvais bougre ou un homme de bien. Car ce n'est pas bien glorieux pour des femmes que d'être répudiées et il ne leur est pas possible de refuser un époux. Une fois installée chez son époux, la femme découvre des habitudes et des usages qu'elle ne soupçonnait pas. Il lui faut être devin, puisqu'elle sort de chez elle sans rien savoir, pour se mettre au mieux avec celui qui partage son lit.
Et, si nous nous en tirons bien dans cette tâche et que l'époux vit avec nous en portant le joug sans rechigner, alors notre existence est enviable.
Mais, si ce n'est pas comme ça, il n'y a plus qu'à mourir.
L'homme qui ne supporte plus ceux avec qui il vit à la maison, va voir hors de chez lui et il a vite fait de mettre fin au dégoût qui le tient.
Mais nous - il ne peut en être qu'ainsi ! - nous n'avons qu'un seul être vers qui attacher nos regards. On dit de nous que nous menons une vie sans risques à l'intérieur de nos maisons, tandis que les hommes soutiennent des luttes armées. Quel mauvais raisonnement ! Car moi je préférerais combattre trois fois qu'accoucher une seule!
(S'adressant au coryphée – chef de choeur)
Mais ce qui se passe, c'est que toi et moi, nous ne parlons pas de la même chose. Toi, tu vis dans ta propre ville, où se trouve la maison de ton père, où tu as des moyens d'existence et des amis à fréquenter.
Mais moi qui suis seule, apatride, arrachée comme un butin à ma terre barbare, je subis les outrages d'un homme, je n'ai ni mère ni frère, pas même un parent (258) auprès de qui jeter l'ancre loin de ce marasme.
Quelle est donc la seule chose que je veux obtenir de toi, si je découvre un moyen, un stratagème pour faire payer à mon époux la contrepartie de mes souffrances ? Ton silence !
Car la femme en général est très peureuse et elle perd ses moyens si on la confronte à la violence et aux armes. Mais si elle est atteinte injustement dans sa vie conjugale, il n'y a pas d'âme plus meurtrière.

CORYPHÉE : C'est ainsi que j'agirai, c'est en toute justice que tu châtieras ton mari, Médée! Je ne m'étonne pas de te voir pleurer sur tout ce qui t'arrive.

 

Corneille, Médée, 1635 (sa première tragédie)

Corneille, qui suit le schéma antique en supprimant l'horreur de la pièce de Sénèque, met l'accent sur le pathétique. Il fait de Médée une victime du cynisme de Jason et de la tyrannie de Créon : eux « importunent le spectateur », par opposition à Médée, victime du pouvoir de ces deux hommes – qui représenteraient les formes du pouvoir paternel du 17e [82] –, « qui attire toute la faveur de l'auditoire qui excuse sa vengeance » dont le but est de les atteindre précisément dans leur descendance (Préface de la pièce).

Le dénouement de la pièce utilise les machineries du théâtre baroque, pour l'envol de Médée ; Jason, désespéré, se suicide.

 

Interprétations féministes

Angleterre et Etats-Unis, 19e et 20e siècles [83]

Outre la force de la magicienne devenue sorcière comme chez Lady Macbeth, dans la pièce de Shakespeare, plusieurs pièces dans l'Angleterre des 19e et 20e siècles reprennent le personnage, comme emblématique de la femme forte ou de l'altruisme maternel face au pouvoir masculin, en rapport avec les législations sur le divorce en 1857, et sur la protection infantile en 1872.

Aux Etats-Unis, l'actrice Frannchise League récite, dans la traduction de Gilbert Murray en 1913, la tirade de Médée au Choeur, citée précédemment, lors des meetings des suffragettes. Sous la présidence Bush, une activiste californienne, Susie Benjamin, a choisi de changer son prénom pour celui de Medea, revendiquant ainsi le féminisme violent du personnage.

Le tableau The Modern Medea d'un peintre américain, Thomas Noble, est inspiré d'un fait divers réel : une esclave fugitive qui, rattrapée, a tué deux de ses enfants pour leur éviter l'esclavage – comme Médée les tue pour leur éviter les représailles de Créon, s'ils restaient avec Jason, ou une vie misérable d'exilés, s'ils partaient avec elle

 

Accent mis sur la barbarie du personnage,
en tant qu'étrangère venue d'une contrée « exotique »

Anouilh, Médée (dans les Pièces noires), 1946

On retrouve la problématique du bonheur et de la pureté : Médée, bohémienne, est une femme « pure », la proie de son amour pour Jason, qui lui s'adapte à la situation imposée par Créon. On pense à Antigone face à Créon dans Antigone – qui renvoie au contexte récent de l'occupation allemande, avec l'opposition entre la résistance et la collaboration. Elle se libère par son infanticide et meurt brûlée dans sa roulotte avec ses fils.

La pièce se termine sur cette réplique de Jason, face au drame : « Je l'oublierai. Oui, je vivrai malgré la trace sanglante de ton passage à côté de moi, je referai demain mon pauvre échafaudage d'homme sous l'oeil indifférent des dieux ».

Dans cette perspective plus politique, Médée symbolise l'étranger face au conquérant Jason, la pureté d'origines liées à la nature et à son espace sacré que revendique la Colchidienne, face à la cupidité (chercher l'or) des civilisations prédatrices que met en oeuvre le Grec, au nom de la raison ou du progrès. (Voir la description de l'âge de fer, déjà dans le chant 1 des Métamorphoses d'Ovide, qui dénonce les conquêtes impériales et la cupidité de ses contemporains).

Toutes sortes de situations peuvent se référer à ce schéma  :
– L'esclavage des Noirs par les Blancs : cf. ci-dessus le tableau de Noble. Ce fait divers a servi de base au roman de Toni Morrisson, Beloved, en 1987.
– L'apartheid d'Afrique du Sud : la pièce Demea (avec inversion des syllabes du nom, en rapport avec l'inversion du fort et de la faible ?), de Guy Butler, 1960, jouée seulement en 1994, met en scène un couple mixte, qui parle des langues différentes, dont la violence est des deux côtés.
– La violence du progrès et du rationalisme contre la culture primitive, magique : le film Medea, de Pasolini, 1969, est le reflet des deux Italies de l'époque, celle du nord et celle du sud ; Médée meurt dans l'incendie des cadavres de ses enfants. Avec Maria Callas dans le rôle-titre qui veut « faire comprendre l'humanité de Médée », Entretien avec G. Gambetti.

Extrait : Pier Paolo Pasolini, Médée, traduit de l'italien par Ch. Mileschi, 2002, p. 38-39.

11. MAISON LACUSTRE DU CENTAURE
Intérieur. Extérieur. Jour
En réalité, le Centaure n'a jamais été qu'une image, vue en caméra subjective par Jason. Maintenant encore, ce sont les yeux de Jason (les petits yeux opaques et pénétrants d'un jeune homme de vingt ans, de la taille d'un lévrier) qui regardent ; et, comme vu par lui, le Centaure est un homme, un homme tout simple, qui a perdu ses formes fabuleuses. Ce fatal aboutissement à la rationalité et au réalisme implique que l'enseignement dispensé par le Centaure au jeune Jason ait pris une tournure différente : il commence donc à rationaliser et à désacraliser tout ce que, jusquelà, il avait défini comme ontologique et sacré. (Cf. Théories d'Éliade, etc.)

12. COLCHIDE (DIFFÉRENTS ENDROITS)
Extérieur. Intérieur. Jour.
Voici que Médée apparaît. Dans la Colchide lunaire - tellement différente du pays de Jason, qui est plat, mélancolique et réaliste™, parmi les calanques à perte de vue, les roches monstrueuses, les terrasses labyrinthiques - où le plus petit bout de terre labourée ou plantée d'arbres fruitiers est un miracle sublime -, on célèbre un rite - qui se rattache de quelque façon aux explications rationnelles et désacralisantes du Nouveau Centaure, mais pour les contredire, car il conserve sa foi intacte et totale en l'ontologie et en la nature sacrée de « ce qui est » : le monde comme hiérophanie, etc. C'est Médée qui officie et célèbre le rite, muette, intensément concentrée, ravie, sûre d'elle et de sa religion, etc. C'est un mythe solaire. Le soleil qui se couche préfigure la descente dans le royaume des morts ; et, lorsqu'il reparaît, il préfigure la résurrection ; il crée en outre un rythme temporel, et la sacralisation du temps, sur lequel est fondé le mythe paysan, etc. Le soleil est en même temps le dieu de la Fécondation et de la Mort. Le rite est suivi en caméra objective, comme dans un documentaire, dans ses détails inexplicables ; ce qui prédomine, ce sont le visage et les mains de Médée.

 

Cette opposition entre deux pays, opposition politique et/ou linguistique, traverse bon nombre de réécritures :

– Dans le récit Médée, Voix, de Christa Wolf, 1996, six personnages s'expriment, dans des monologues qui s'entrecroisent, pour interroger la vérité du mythe [84]. Dans le contexte de confrontation entre l'Allemagne de l'ouest, du côté des Grecs, et l'ex- RDA, dont les habitants sont considérés comme des barbares, points de vue et secrets politiques s'affrontent, aboutissant à cette dernière réplique : « Où vais-je aller. Y a-t-il un monde, une époque où j'aurais ma place ? Personne ici à qui le demander. Voilà la réponse ». La réalité est mise en doute, nul ne sait ce qui s'est passé réellement ni qui est véritablement Médée.

– La dimension linguistique sert aussi de contexte à des réécritures théâtrales : l'emprise de l'anglais sur les autres pays du Royaume-Uni, en Irlande et en Ecosse (Medea – after Euripides, 2000). Le flamand Tom Lanoye, Mamma Medea, 2001, prend le contrepied des définitions habituelles en faisant parler la barbare Médée en vers, langage « civilisé », face aux Corinthiens qui s'expriment en flamand argotique, réduits à des brutes.

– Les immigrés et leur intégration : Manhattan Medea, de Dea Loher (Allemagne), 1999, déplace la pièce aux Etats-Unis, où le couple a émigré et se trouve réduit à être des clandestins. Jason épouse l'héritière d'un riche Américain, rêvant de s'intégrer, Médée tue leur fils dans un sac poubelle et déclare, à la fin de la pièce : « Je suis une mort-vivante » [85].

Deux ouvrages choisissent de se placer après le dénouement :

Médée Kali, de Laurent Gaudé, 2003 : la pièce met en scène Médée, qui est associée à la divinité hindoue Kali, déesse de la destruction et de la renaissance. Rapprochée également de Méduse, car elle fige ceux qui la regardent, elle revient à Corinthe chercher ses fils et trouve un Jason tout recroquevillé. Les voix des enfants ressuscités l'accompagnent dans son trajet de retour vers le Gange, sa région d'origine : après les avoir plongés dans ces eaux purifiantes et apaisantes, elle se donne à la figure qui l'a suivie, Persée, pour être par lui décapitée. Par ce syncrétisme entre Occident et Orient, la dimension sacrée est amplifiée.

Extrait : Laurent Gaudé, Médée Kali (fin), 2003.

L'eau coule autour de nous. L'eau dans les cheveux, la bouche, l'eau qui pénètre partout. Nous n'avons pas de crainte, nous sommes déjà morts, nous n'avons pas de crainte, tu nous lâches la main, le courant nous emporte, nous ne te reverrons plus, mère, plus jamais, le courant nous emporte, nous nous dissolvons dans le Gange, avec soulagement.

MÉDÉE KALI
Je suis revenue.
L'eau coule encore à mes pieds.
Nous sommes face à face.
Tu as attendu cet instant des mois entiers.
Tu m'as suivie sur les routes, luttant contre la fatigue et le sommeil.
Tu as attendu.
Tu seras le premier à oser soutenir mon regard depuis si longtemps.
Je lève la tête.
Je pose les yeux sur toi.
Tu es le premier visage que je vois.
Tu es La beauté.
Je chancelle.
Le premier.
Tu es le premier, Persée, à ne pas rester figé de terreur.
Tu es encore plus beau que Jason.
Je te lécherai la bouche,
Laisse-moi te regarder.
Mes yeux ont faim.
Nous sommes si près.
Tu es immobile.
Je vois les muscles de ton visage qui tressaillent.
Vivant.
Un homme vivant.
Pour la première fois.
Je suis sans arme devant toi.
Tu es bien plus fort que moi.
Me trouves-tu belle, Persée ?
Persée.
Je ne connais plus que ce nom-là.
Oui.
Je veux.
Dans ta bouche.
Sur tes lèvres.
A nouveau,
Une chienne,
Veillant sur son homme.
A nouveau.
Je veux,
Une fois, Et mourir après cela.
Ce que j'aurais fait pour toi,
Pour être à un homme comme toi
Et pouvoir, la nuit, dans ta couche, caresser tes lèvres.
Je suis belle.
Je suis Médée Kali.
Je sais danser, et je le ferai pour toi.
Avec ces grelots à mes chevilles,
ces bracelets à mes poignets,
Avec mes longues nattes lourdes de bijoux,
Je vais faire crépiter le sol sous mes pas.
Laisse-toi envoûter, Persée,
Je veux danser pour toi.
Regarde,
Les arabesques de mes bras,
Mes déhanchements de serpent,
Regarde,
Tu seras le dernier homme a voit Médée danser.
J'agripperai le ciel et l'enroulerai autour de moi.
Je fendrai la terre,
N'obéissant qu'au rythme clés tablas.
Je sourirai sans te quitter des yeux.
La nuit résonnera du cliquetis de mes bracelets.
Nous serons seuls.
Je ferai brûler l'herbe sous mes pieds.
Nous serons seuls.
Je te sentirai là, beau et attentif.
Je vais danser pour toi, Persée,
Et lorsque je m'arrêterai,
D'un coup.
Face à toi,
Ruisselante de sueur,
Souriante à la nuit,
Ne tremble pas.
Lorsque je m'arrêterai,
II n'y aura que toi et moi,
Face à face,
Et tu me décapiteras.

 

Terminons par une reprise tout à fait récente, Face à Médée, de François Cervantes, 2017, joué à Marseille : trois femmes, anonymes, se racontent l'histoire de Médée, pour conclure sur la barbarie qui est au fond de chacun de nous.

Extrait : François Cervantes, Face à Médée (fin), 2017.

Anna va vers Hayet.
Catherine
[86] erre sur le plateau.
HAYET. – Quelque chose se passe en elle, face à cette indifférence et à cette arrogance, face à cette société qui la broie
Elle fait le choix de la lumière, et elle s'ampute elle-même de cette douleur
Silence.
ANNA. - Elle ne laissera rien de sa vie ici
Elle s'immobilise complètement, elle se retire en elle, pour retrouver la terre où elle est née
Elle sait comment faire ça
Elle se souvient d'elle avant cet homme, oui, maintenant, elle se souvient de tout
HAYET. - L'endroit où elle est devient un décor lointain, cet homme devient un homme avec qui elle n'a jamais vécu, et ses enfants deviennent des êtres qui ne sont jamais nés
Et quand elle les croise, elle sait qu'elle va les sacrifier
Elle va faire quelque chose d'irréversible, elle va terrifier l'humanité
Catherine rencontre le corps d'Anna.
CATHERINE. - II y a en moi quelqu'un qui pourrait comprendre cette femme, oui, sûrement
Quelqu'un de sauvage, qui est plus proche de la nature que de vous
II y a quelqu'un comme ça au fond de moi, sûrement, oui, sûrement...
Mais je ne sais pas où il est, cet être sauvage
II faudrait que je traverse toute l'étendue des larmes pour le rencontrer
II est au fond de la chair comme au fond d'une eau profonde
II est fait de la même matière que les étoiles, les dahlias et les cristaux de quartz
II ne sait pas ce que c'est que d'être humain…
Il ne sait pas que vous êtes là
II ignore ce qui se passe en ce moment entre vous et moi
II est dans un amour sans condition, il donne sans réserve, mais quand il est trahi, il détruit tout et retourne au fond

 


Pour conclure…

Au-delà du lien entre monde divin et monde des hommes, des rapports entre les hommes et les femmes, la question qui caractérise Médée est celle de l'identité et donc de la marginalité. Comment se définir face à l'autre, homme, grec, puissant, quand on est une femme étrangère, ni tout à fait dans le même monde, ni tout à fait dans un autre ? Est-elle barbare ou grecque – elle serait restée à Corinthe si elle n'en avait pas été chassée – ? N'est-elle pas suffisamment femme, ayant des qualités attribuées aux hommes – elle aurait préféré rester la femme de Jason s'il ne l'avait rejetée pour une autre – ? N'est-elle pas suffisamment mère, ne pouvant assurer à ses enfants une vie respectable – elle les aurait vus à la cour de Créon – ?

Blessée dans son être profond, comme femme, mère, barbare, par ces rejets, tout ce qu'elle a fait n'ayant servi à rien, elle n'a d'autre choix que de devenir la figure de Médée, faire le vide autour d'elle et s'échapper loin de ce monde… dans celui de la fiction et du mythe.

 


NOTES

* Communication publiée dans le volume Lois des dieux, loi des hommes, L'Harmattan, 2017.

1. Les monstres de Sénèque, Paris, Belin, 1995, pp. 53-83.

2. Voir A. LEBIGRE, Quelques aspects de la responsabilité pénale en droit romain classique, Paris, PUF, 1967, pp. 31-40.

3. Sur le « droit sans dieu » à Rome, voir M. T. FÖGEN, Histoires du droit romain, De l'origine et de l'évolution d'un système social, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2007, p. 74.

4. Voir M. DUCOS, « Sénèque et le monde du droit », in Présence de Sénèque, B. CHEVALLIER, R. POIGNAULT (éd.), Caesarodonum 24bis, Paris, Touzot, 1991, 109-126 : « le philosophe stoïcien ne peut manquer de s'interroger sur la place du droit au sein de la cité, dans cet univers nouveau qu'est le principat », p. 121.

5. « L'originalité de Sénèque dans la tragédie de Phèdre », REL, 41, 1963, p. 314. Sur la question de la personne comme « sujet de droit et d'obligation », voir R. ROBAYE, Le droit romain, Introduction, sources du droit, personnes, successions, biens, Louvain-la-Neuve/Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 40 et p. 69.

6. Voir P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre ou l'amour interdit », in Femmes fatales, CGita, 8, Montpellier, 1994- 1995, pp. 34-35 et p. 43.

7. Voir A. MOREAU, « Arrière-plan mythique et culture personnelle dans l'Hippolyte porte-couronne d'Euripide», Connnaissance Hellénique, 101, oct. 2004, pp. 14-15.

8. Voir A. MOREAU, Le mythe de Jason et Médée, Le va-nu-pied et la sorcière, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 20 (tableau 4) et pour une autre tradition, id., p. 21 (tableau 6).

9. Sur Hécate, voir P. SAUZEAU, « Hékatè, archère, magicienne et empoisonneuse », in J.-C. TURPIN (éd.), La Magie, La magie dans l'antiquité grecque tardive, les mythes, Montpellier, Publications de la recherche Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2000, t. 2, pp. 204-216.

10. Pour Phèdre et Hippolyte, voir P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., pp. 30-32 et p. 44 ; pour Médée, voir infra, note 41.

11. Ce sont des « nefas scientium et uolentium », H. ONISHI, « Theseus'curse at the end of Seneca's Phaedra », Classical Studies II, 1986, p. 88.

12. Sur Médée comme « magicienne de profession », voir A.-M. TUPET, La magie dans la poésie latine, Paris, Les Belles Lettres, 2009 (1979), pp. 141-142.

13. Sur la différence entre les lois des rois et celles de la République, voir M.T. FÖGEN, op.cit., pp. 23-24 et pp. 51-76 ; sur l'élaboration du droit antique, voir J.-L. THIREAU, Introduction historique au droit, Paris, Flammarion, 2003, pp. 13-16, pp. 35-37 et pp. 74-80 ; sur le sens de lex, ius, themis, etc. voir A. SCHIAVONE, L'invention du droit en Occident, Paris, Belin, 2008, pp. 97-117.

14. Voir R. ROBAYE, op. cit., pp. 44-45.

15. Pour F. FIX, Médée : l'altérité consentie, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2010, « Médée, c'est aussi l'intégration impossible », pp. 37-39. Voir M. MENU, « Médée entre avoir et être », Pallas, 45, 1996, p. 120.

16. Pour M. DUCOS, op. cit., p. 109, Sénèque emploie beaucoup de termes juridiques, sans que l'on puisse toujours faire la distinction entre « un vocabulaire technique, mais d'usage courant, et des références à des règles de droit plus complexes et moins familières ». Voir aussi F.-R. CHAUMARTIN, « Mise au point sur quelques problèmes relatifs à la Médée de Sénèque », in P. DEFOSSE (éd.), Hommages à Carl Deroux. 1, Poésie, Bruxelles, Latomus, 2002, qui souligne la dimension oratoire de ce débat, pp. 112-113.

17. Voir A. PERRENOUD, REL, XL, 1962 : « c'est en alliant le sens 'accusation' et celui de 'celui pour lequel la faute a été commise' que s'explique l'expression 'redde crimen' employée par Médée », p. 71.

18. Sur cette notion essentielle au droit romain, voir J. IMBERT, « De la sociologie au droit : la Fides romaine », in Droits de l'Antiquité et sociologie juridique, Mélanges Henri Lévy-Bruhl, Paris, Publications de l'Institut de droit romain de l'Université de Paris, 17, 1959, p. 408 et p. 411, et M. MESLIN, L'homme romain, Des origines au 1er siècle de notre ère, Paris, Editions Complexe, 1978, pp. 22-25. Pour M.-H. GARELLI-FRANÇOIS, « Médée et les mères en deuil », Pallas, 45, 1996, Médée, qui respecte son engagement, est donc « plus romaine que Jason ou Créon », p. 200.

19. Voir J. HAILLET, « Médée et-elle coupable ? », Mélanges offerts à Maurice Descotes, Pau, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 1988, p. 176 et p. 183.

20. Les traductions sont celles de F.-R. CHAUMARTIN, Sénèque, Tragédies, Paris, Les Belles Lettres, t. 1, 1996, ad loc.

21. A propos de la Phèdre d'Euripide, N. LORAUX, « La gloire et la mort d'une femme », in Sorcières, Les femmes vivent, n°18, Paris, Stock, 1979, p. 53, souligne qu'elle « rêve d'être un modèle de sôphrosunè » ; de même pour P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre…», op. cit., p. 36 : par son « souci constant de préserver sa réputation », elle obéit « à l'idéal de la femme libre à Athènes ». Ces propos valent pour le personnage latin.

22. Sur l'obligation de fidélité de l'épouse à Rome, voir J. GAUDEMET, Droit privé romain, Paris, Montchrestien, 2000, pp. 55-56 ; sur le droit de répudiation, id., pp. 52-53 ; sur la punition de l'adultère à Rome, voir S. TREGGIARI, Roman Marriage, Iusti conjuges from the time of Cicero to the time of Ulpian, Oxford, Clarendon Press, 1991, appendix 1 et 2, pp. 507-510.

23. Sur définition juridique de l'inceste, voir R. ROBAYE, op.cit. p. 71, J. GAUDEMET, op.cit., pp. 49-50. Sur les implications incestueuses de son amour pour Hippolyte, voir P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., pp. 39-41 et surtout J.-B. BONNARD, « Phèdre sans inceste », RH, 304(1), 2002, qui conclut que la relation n'est pas incestueuse, l'emploi d'incesta (1185) est analysé comme l'antonyme de casta au vers précédent, p. 94.

24. Poena : 162, culpa : 163, 565, nefanda : 130, 143, 153, 166, 173, scelus : 144, 161, 164 ,427, 565, facinus : 146, 158, 169, stuprum :160.

25. Scelerum : 559, 670, 685-687, 718, incesti stupris : 560, 684, 689, nefas,: 678, impudicus : 704-705, 707.

26. Avant l'aveu en 115, 126-127, 254, 594-598, et après la mort d'Hippolyte, en 1186-1189.

27. Bien que non coupable juridiquement puisque l'adultère n'est pas commis, voir P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., p. 36.

28. « La faute de Phèdre [l'adultère] relève bien moins du registre de l'impiété ou de la souillure que de celui de la honte et de l'honneur », J.-B. BONNARD, op. cit., pp. 92-94.

29. Voir J.-M. CROISILLE, « Lieux communs, sententiae et intentions philosophiques dans la Phèdre de Sénèque », REL, 42, 1964, pp. 286-287.

30. Voir A. LEBIGRE, op. cit., pp. 36-40

31. Voir 195-215, et le commentaire de J.-M. CROISILLE, op. cit., pp. 280-281.

32. Pour S. MEILLET, E.-M. ROLLINAT-LEVASSEUR, « Sénèque, Phèdre : remarques à propos de l'expression de la personne », VL, 116, déc. 1989, « Phèdre se reconnaît responsable de sa passion », p. 41

33. Sur les criminels infanticides évoqués, voir L. DESCHAMPS, « Réflexions sur Sénèque, Médée, 746-747 », in J. CHAMPEAUX, M. CHASSIGNET (dir.), « Aere perennius » : en hommage à Hubert Zehnacker, Paris, PUPS, 2006, pp. 379-380.

34. En 256, 399, 406, 462, 492, 616, 746, 898, 922, 925, 956, 964, 1007.

35. Alors qu'en droit romain prévaut la règle d'extinction de la responsabilité pénale à la mort de l'auteur de l'infraction, voir A. LEBIGRE, op. cit., pp. 91-95.

36. Egalement en 406, 445, 673, 806, 852, 864, 930. G. BARTHOUIL, « Cohérence psychologique de la Médée de Sénèque », Dioniso, 52, 1981, p. 505, et A. MOREAU, Le mythe de Jason…, op. cit., pp. 213-215, parlent de « forcenée ». Voir aussi A. ARCELLASHI, « La violence dans la Médée de Sénèque », Pallas, 45, 1996, qui insiste sur la virilité de sa violence, p. 187.

37. Voir J.-C. RANGER, « Violence, nature et divin », Pallas, 45, 1996, p. 234.

38. Sur l'aspect rituel de ces infanticides, voir G. GALIMBERTI BIFFINO, op. cit., p. 529.

39. « Tuer ses enfants est une réparation : elle en tuera un pour son père, un autre pour son frère », G. BARTHOUIL, op. cit., p. 487 et p. 505. Voir aussi S. BALLESTRA-PUECH, Y. BRAILOWSKY, P. MARTY, A. TORTI-ALCAYAGA, Z. SCHWEITZER, Théâtre et violence, Paris, Atlande, 2010, p. 156.

40. A. MOREAU, « Quelques approches du mythe de Médée », CGita, 2, 1986, p. 115, reprend la thèse de B. M. W. KNOX, selon laquelle c'est Médée elle-même qui est transformée en une dea ex machina, debout sur le toit : « Avec Médée, le barrage social se rompt et tout est emporté, tout est détruit, même ce que Médée aime le plus au monde ».

41. Pour A. MOREAU, id., p. 111, « Médée appartient à la grande famille des hypostases déchues de la Terre- Mère » ; voir aussi P. GHIRON-BISTAGNE, « Les avatars de la légende de Médée dans la tragédie posteuripidéenne et à l'époque gallo-romaine », CGita, 2, 1986, p. 126, F.-R. CHAUMARTIN, « Mise au point… », op. cit., pp. 111-113.

42. G. DUMEZIL, in D. N. MIMOSO-RUIZ, Médée antique et moderne. Aspects rituels et socio-politiques d'un mythe, Ophrys, p. 5.

43. A. ARCELLASCHI, op. cit., pp. 189-190.

44. J.-C. RANGER, op. cit., p. 231. De même G. BARTHOUIL, op. cit., p. 497.

45. « Médée ou la ruine des structures familiales : la Médée ancienne : mère généreuse, fiancée bénéfique, florissante épouse », in O. CALVET (dir.), Silence et fureur : la femme et le mariage en Grèce : les antiquités grecques du Musée Calvet, Avignon, Fondation du Muséum Calvet, 1996, p. 317.

46. F.R. CHAUMARTIN, « Mise au point… », op. cit., p. 152.

47. Voir le titre de F. DUPONT, Médée de Sénèque ou comment sortir de l'humanité, Paris, Belin, 2000.

48. S. BALLESTRA-PUECH et alii, op. cit., p. 113 ; voir aussi G. GALIMBERTI BIFFINO, « La Médée de Sénèque, une tragédie annoncée », in Medeas, Versiones de un mito desde Grecia hasta hoy, vol. 1, A. Lopez, A. Pociña (éd.), Granada, Universidad de Granada, 2002, p. 527, G. BARTHOUIL, op. cit., p. 495.

49. F. FIX, op. cit., pp. 123-125, M. MENU, op.cit., p. 131.

50. F. FIX, op. cit., p. 71

51. J. BOULOGNE, « Pour une approche systémique de la mythologie grecque. Le cas de Médée », in Les systèmes mythologiques, J. BOULOGNE (éd.), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1997, parle de « bivalence », pp. 219-221, M.-H. GARELLI-FRANÇOIS, « Médée et les mères en deuil », Pallas, 45, 1996, de sa « nature duelle », p. 204.

52. P. GHITON-BISTAGNE, « Les avatars… », op. cit., p. 126.

53. F.-R. CHAUMARTIN, « Mise au point… », op. cit., p. 119.

54. Sur ce furor et l'importance du thème de la chasse dans la pièce, voir A. D. LEEMAN, « Seneca's Phaedra as a stoic tragedy », in J. M. BREMER (éd.), Miscellanea Tragica in honorem J.C. Kamerbeek, Amsterdam, Hakkert, 1976, pp. 203-204.

55. Voir A. MOREAU, « Arrière-plan mythique et culture personnelle dans l'Hippolyte porte-couronne d'Euripide, II », Connaissance hellénique, 102, janv. 2005, p. 44 : « la virginité prolongée est aussi une faute », J.-B. BONNARD, op. cit., pp. 97-98. O. THEVENAZ, « Rationaliser l'irrationnel ou raisonner la déraison ? Autour de Phèdre et d'autres hérons tragiques de Sénèque », in V. NAAS (éd.), En deçà et au-delà de la ratio, actes des journées d'étude, Université de Lille III, 28 et 29 septembre 2001, Villeneuve-d'Asq, Université Charles-de- Gaulle-Lille III, 2004, souligne qu'Hippolyte franchit, par son attitude, la limite de la raison, p. 76

56. J.-M. CROISILLE parle de « misogynie infantile prolongée », op. cit., p. 298.

57. Pour O. THEVENAZ, op. cit., p. 76, « Thésée, puni d'avoir agi sans raison et d'avoir condamné sans juger, se voit contraint, pour restaurer une équité dans la mort, de recomposer le corps déchiqueté de son fils innocent et de laisser à l'abandon celui de Phèdre criminelle ».

58. Voir P. GRIMAL, op. cit., p. 311 : « pour que la responsabilité soit totale, il faut qu'une même volonté conçoive le crime et l'exécute ».

59. P. HEUZE, « Les aveux de Phèdre », in Présence de Sénèque, op. cit., p. 174.

60. E. WESOLOWSKA, « Some remarks on lie in Senecan Phaedra », Euprhosyne, 28, 2000, p. 353 ; voir aussi P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., p. 41

61. Selon J.-M. CROISILLE, op. cit., p. 289 et pp. 296-297, ce suicide est une fuite ; pour P. GRIMAL, op. cit., pp. 312-314, un suicide stoïcien, par lequel l'héroïne retrouve sa dignité ; A. D. LEEMAN, op. cit., p. 207, y voit « only a cruel palliative of her sin ».

62. J.-M. CROISILLE, id., p. 297.

63. Sur le système agnatique, i.e. patriarcat, à Rome, voir R.ROBAYE, op.cit., pp. 70-71. J. BOULOGNE, op. cit., p. 223, parle de « société phallocratique ».

64. Le rapprochement entre ces deux personnages féminins est fait également sur cet aspect par M. DO C. SAVIETTO, « Medéia e Fedra : uma perspectiva racionalista da condiçião da mulher e suas emoções », Revista de letras, 28, 1988, qui souligne le féminisme d'Euripide dénonçant les préjugés de son temps, p. 127.

65. Pour P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., p. 40, Sénèque est « obsédé par les perversités que déchaînent au sein de la famille les passions ».

66. Voir C. SEGAL, « Euripides' Medea : vengeance, reversal ans closure », in Médée et la violence, Colloque international, Toulouse-Le-Mirail, 28-29-30 mars 1996, PUF Le Mirail, 1996, p.17, p. 25, p. 32, et J.-B. BONNARD, op. cit., pp. 97-105.

67. Voir G. GALIMBERTI BIFFINO, op. cit., p. 528, E. GRIFFITHS, op. cit., pp. 72-73, G. BARTHOUIL, op. cit., pp. 484-507, J. BOULOGNE, op. cit., p. 222.

68. Voir M.-H. GARELLI-FRANÇOIS, op. cit., p. 559, G. BARTHOUIL, op. cit. p. 485 et pp. 497-500.

69. Sur la patria potestas, voir J. GAUDEMET, op. cit., pp. 6-7, pp. 77-80 ; sur l'incapacité de la femme, id., pp. 13-14. Sur Médée comme inversion du mariage, voir F. DUPONT, Médée…, op. cit., pp. 85-86.

70. M.-H. GARELLI-FRANÇOIS, op. cit., pp. 559.

71. S. BALLESTRA-PUECH et alii, op. cit., pp. 39.

72. P. GHIRON-BISTAGNE, « Phèdre… », op. cit., pp. 41-42, voit dans le comportement de Phèdre un reste de matriarcat crétois.

73. Pour Phèdre, voir N. LORAUX, op. cit., p. 56. Pour Médée, voir J. BOULOGNE, op. cit., p. 222 et p. 227, F.-R. CHAUMARTIN, « Mise au point… », op. cit., p. 122.

74. Pour A. MOREAU, « Médée bouc-émissaire ? », Pallas, 45, 1996, pp. 102-107, Médée comme Phèdre sont entachées de souillure et devenues pharmakoi, boucs-émissaires.

75. Dans Médée, S. BALLESTRA-PUECH et alii, op. cit., p. 157 ; pour Phèdre, voir E. WESOLOWSKA, « Lie in Senecan tragedies », Eos, 80, p. 50.

76. La philosophe et chercheuse sur les sociétés matriarcales et le matriarcat moderne, Heide Göttner-Abendroth écrit à propos de l'ambivalence de Médée (Lettre à Christa Wolf, Christas Wolfs Medea / Vorausetzung zu einem Text DTV p. 45) : « Ses attributs de divinité terrestre sont : le char tiré par les serpents, le dragon qu'elle peut apprivoiser par son chant, le pouvoir magique c'est à dire pouvoir de guérir et de ranimer. Elle est en même temps la déesse de la destruction et de la régénération (comme la déesse indienne Kali) car ses symboles ont toujours une double signification : avec le venin du serpent elle peut tuer et guérir (comme la préhellénique Athéna, sa marmite est à la fois la corne d'abondance inépuisable (Terre, croissance) aussi bien que la marmite de la mort et de la renaissance. Il est un synonyme pour le giron de la femme / déesse / terre. En ce sens symbolique il est répandu dans toute l'Europe, de l'extrême Orient (Médée) à l'extrême Ouest (Ceridwen et Brigit avec le chaudron de l'inspiration et de la renaissance) ».

77. Voir E. GRIFFITHS, Medea, Gods and Heroes in the Ancient World, London-New York, Routledge, 2006, p. 54.

78. M. MENU, op. cit., p. 136.

79. Op. cit., p. 314.

80. Op. cit., p. 76, à propos de l'équilibre de la raison.

81. A. MOREAU, « Médée ou la ruine… », op. cit., p. 311.

82. Voir Jörn Steigerwald, « De la vengeance d'une femme à la tragédie de la famille : Écriture et problématisation de l'action féminine dans Médée de Corneille », Les Dossiers du Grihl [En ligne], 2017- 02 | 2017, mis en ligne le 07 janvier 2018, consulté le 03 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/dossiersgrihl/6787 ; DOI : 10.4000/dossiersgrihl.6787

83. Voir E. Griffiths, Medea, p. 107-118.

84. Voir Lorraine Millot, « Médée fait le mur » : « la vilaine enchanteresse devient une femme déchirée entre sa Colchide natale, ouvertement barbare, et cette Corinthe de tous les raffinements, où le crime est caché », 1997 https://next.liberation.fr/livres/1997/10/02/medee-fait-le-mur_218381 Voir aussi l'article très riche de Bernard Umbrecht, « La Médée de Christa Wolf, serpents, pharmakon et boucs-émissaires », 2017, http://www.lesauterhin.eu/la-medee-de-christa-wolf-les-serpents-le-pharmakon-et-les-boucs-emissaires/

85. Voir Francine Maier-Schaeffer, « Le drame brûle-t-il ? Manhattan Medea de Dea Loher », Germanica [En ligne], 54 | 2014, URL : https://journals.openedition.org/germanica/2592 [DOI : 10.4000/germanica.2592]. Voir aussi Catherine Cyr, «L'étrangère / Manhattan Medea», https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2011-n140-jeu1822140/65291ac.pdf. Ainsi que le programme de la mise en scène au Théâtre de la Colline, 2010 : https://www.colline.fr/spectacles/manhattan-medea

86. Les trois prénoms sont ceux des actrices, qui ne sont jamais prononcés dans le texte.


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