LA LÉGENDE DE PROMÉTHÉE
LA LÉGENDE
SOURCES : Platon (Protagoras 320-322), Hésiode (Les Travaux et les Jours 42-99 + La Théogonie 507-600), Eschyle (Prométhée enchaîné), Ovide (Métamorphoses I), Hygin (Fables), Pseudo-Apollodore (Bibliothèque I), Lucien (Prométhée sur le Caucase).
Platon, dans le Protagoras, entre dans les détails de la création de l'homme. Quand les dieux décidèrent de créer des êtres vivants, Prométhée ("celui qui réfléchit avant") fut chargé de mener à bien cette opération. Il façonna les premiers hommes avec de la terre et de l'eau ; Athéna leur donna le souffle vital. Mais il eut tort de laisser à son frère Épiméthée ("celui qui réfléchit trop tard") le soin d'attribuer aux être créés les facultés nécessaires à la vie. En effet Epiméthée distribua fort correctement ces facultés entre les animaux, mais il négligea totalement l'homme, qu'il laissa nu et sans défense.
Tant que Cronos avait régné, l'entente s'était maintenue entre les dieux et les hommes. Hésiode raconte qu'« alors, les repas étaient pris en commun, les assemblées étaient communes entre les dieux immortels et les humains ». Tout changea avec l'avènement des Olympiens. Zeus prétendit imposer sa suprématie divine non seulement aux anciennes divinités mais aussi aux hommes.
Comme il avait été décidé que les hommes devaient faire hommage à Zeus en lui offrant une part des animaux qu'ils sacrifieraient, pour savoir quelle part, dans les sacrifices, serait offerte à Zeus et quelle part resterait aux hommes, on abattit un bœuf et Prométhée, à l'insu de Zeus, fit deux parts : l'une avec la viande et les entrailles recouvertes de la peau, l'autre avec les os recouverts de graisse blanche. Invité à choisir, Zeus choisit la graisse blanche, donc les os. Quand il s'aperçut qu'il avait été dupé, il entra en fureur contre Prométhée et contre les hommes.
Comme il ne voulait pas que les hommes aient une vie trop facile (et qu'ils ne puissent cuire la viande), Zeus leur avait caché l'usage du feu. Mais Prométhée intervint. Comme, sans être immortel lui-même, il était admis dans la familiarité des Immortels, il s'introduisit discrètement dans l'atelier où travaillait Vulcain et il lui vola le feu; il entra aussi chez Minerve et il lui déroba la pratique de tous les arts. Et il fit don aux hommes non seulement du feu (conservé dans une tige de férule), mais aussi de l'architecture, de l'astronomie, des mathématiques, de la navigation, de la médecine, de la métallurgie (thème développé par Eschyle dans son Prométhée enchaîné). Dès qu'il l'apprit, Zeus fit une grosse colère.
Dès ce moment, il songea à créer une nouvelle race humaine. Mais, en attendant, il décida de condamner l'humanité aux soucis et aux tourments. Pour cela, il fit aux hommes un présent pour leur malheur : ce sera la femme, "fléau cruel vivant parmi les hommes".
Vulcain, Minerve, Vénus, et les autres dieux se mirent à l'ouvrage pour créer la première femme, elle aussi faite de terre et d'eau. Ils lui attribuèrent la beauté, l'habileté manuelle, mais aussi la perfidie et l'art du mensonge. Parce qu'avait reçu des dons de tous les dieux, Mercure donna à cette merveille séduisante mais pernicieuse le nom de Pandore et c'est lui qui fut chargé de la présenter à Épiméthée; celui-ci, à son habitude, ne réfléchit pas et il l'épousa.
Pandore avait apporté avec elle une jarre (pithos) soigneusement fermée; mais Zeus savait bien qu'elle aurait la curiosité de l'ouvrir. Alors tous les maux s'échappèrent et se répandirent dans le monde des hommes. Désormais ceux-ci auront une vie pénible et connaîtront la souffrance, la maladie, la vieillesse.
Restait à punir Pométhée de sa désobéissance. Zeus ordonna à Vulcain de l'attacher à un rocher avec des liens d'acier et ordonna à un aigle de venir chaque jour lui ronger le foie, qui renaîtrait chaque nuit.
Toutefois Zeus avait une certaine sympathie pour Prométhée parce que celui-ci avait jadis pris son parti lors de la lutte contre Cronos et les Titans. D'autre part, Prométhée connaissait un secret qui pourrait lui permettre d'être libéré de ses chaînes : Zeus était menacé par une malédiction de son père Cronos; s'il s'unissait à une certaine femme, l'enfant qui naîtrait serait plus fort que son père et le chasserait de son trône; seul lui, Prométhée, savait quelle était cette femme [la Néréide Thétis] et lui seul pouvait permettre à Zeus d'échapper au malheur, à condition que celui-ci le libère.
Pour cette raison, Zeus ne s'opposa pas lorsque son fils Héraklès perça l'aigle d'une flèche et libéra Prométhée. Mais Zeus avait juré par le Styx qu'il ne détacherait jamais Prométhée de son rocher; alors, pour que son serment soit respecté, il exiga que Prométhée, libéré, porte une bague faite avec le métal de ses chaînes, sur laquelle était serti un morceau du rocher.
Epiméthée et Pandore eurent une fille, Pyrrha (la Rouquine) ; un fils de Prométhée, Deucalion, l'épousa.
Sur la terre, hommes et femmes se multiplièrent. Ils connurent successivement l'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge de bronze. Quand vint l'âge de fer, Jupiter descendit de l'Olympe, prit la forme d'un homme et alla les visiter : il vit qu'ils étaient perdus de vices. Il décida alors qu'il fallait anéantir le genre humain (« perdendum est mortale genus »). Les dieux souffrirent à cette idée ; mais Jupiter les apaisa en promettant de faire naître une race d'homme toute différente de la précédente (« sobolem dissimilem priori populo »). (Ovide, I, 89 sq) Alors c'est par un grand déluge qu'il décida d'anéantir l'humanité.
Mais Prométhée intervint encore une fois en faveur des hommes. Il conseilla à son fils Deucalion de construire une embarcation et de s'y réfugier avec sa femme Pyrrha. Pendant neuf jours et neuf nuits, ils flottèrent sur les eaux du déluge et finirent par aborder sur le mont Panasse. Lorsque Jupiter eut ordonné aux eaux de se retirer, ils se retrouvèret les seuls survivants. Deucalion espéra qu'il serait capable, comme jadis son père Prométhée, de créer des peuples nouveaux en façonnant des corps avec de la terre puis en y introduisant des âmes (« animas formatae infundere terrae » 364). La déesse Thémis, qu'ils consultèrent dans son sanctuaire, leur dit de jeter derrière leur dos les os de leur grande mère (« jactate post tergum ossa magnae parentis » 383). Deucalion comprit que cette formule s'appliquait à la Terre (Gaia, leur ancêtre) dont les pierres étaient en quelque sorte les os. Deucalion et Pyrrha ramassèrent donc des pierres et les jetèrent par-dessus leur épaule. Les pierres jetées par Deucalion donnèrent naissance à des hommes et celles jetées par Pyrrha à des femmes. (I, 253-415)
Prométhée cependant ne pouvait acquérir l'immortalité que si quelque immortel consentait à échanger sa destinée contre la sienne. Or le centaure Chiron, qui avait été touché par une flèche empoisonnée d'Héraclès, désirait mourir, ce qui était impossible, puisque par nature il était immortel. Alors Prométhée demanda à Zeus qu'il pût devenir immortel à la place de Chiron, et ainsi celui-ci put-il mourir. Prométhée prit dès lors définitivement place parmi les Immortels sur l'Olympe.
LES IMAGES
Prométhée crée le premier homme avec l'aide d'Athéna | |
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Constantin Hansen (1804-1880) Fresque de l'Université de Copengague |
Bas-relief en marbre, Italie, +IIIe siècle Musée du Louvre |
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Sarcophage romain du +IVe siècle. Musée archéologique national de Naples. |
Sarcophage trouvé à Arles. Musée du Louvre Athéna et Prométhée achèvent la création du premier homme en présence de Mercure |
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Louis de Silvestre (1702) Musée Fabre, Montpellier. |
Jean-Simon Berthélemy et Jean-Baptiste Mauzaisse Plafond de la Rotonde de Mars (Pavillon Denon) Musée du Louvre. |
Prométhée dérobe le feu | |
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Pendant que Zeus, tenant une lampe, somnole près de Ganymède, Prométhée allume une tige de férule. Christian Griepenkerl (1839-1916), 1878, Augusteum d'Oldenburg, grand escalier. |
Prométhée apporte le feu à l'humanité |
Prométhée enchaîné par Héphaistos | |
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Jean-Charles Frontier (1701-1763), morceau de réception à l'Académie Royale de peinture en 1744. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts. |
Prométhée enchaîné avec l'aigle ; à gauche son frère Atlas. Kylix laconien du peintre Arcésilas de Cerveteri, vers -560/-550. Musée du Vatican. |
Prométhée libéré par Héraklès | |
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Carl Heinrich Bloch (1834 - 1890). Kunstmuseum, Ribe, Danemark |
Giuseppe Baldrighi (1722-1833) Galerie Nationale de Parme |
Les dieux créent Pandore, qu'ils vont proposer à Épiméthée | |
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La création de Pandore - Cratère attique en calice -450 - British Museum | Kylix, par le peintre de Tarquinia, vers 465. British Museum. Athena et Héphaistos achèvent la création de Pandora (appelée Anesidora) |
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Château de Dampierre, Piédestal de la Minerve | Mercure "livre" Pandore à Epiméthée Henry HOWARD, 1834 Sir John Soane's Museum, Londres |
Curieuse, Pandore ouvre le coffret contenant tous les maux | |
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John William WATERHOUSE (1849-1917), 1903 | Boris VALLEJO, 1989 |
Zeus envoie un déluge pour détruire l'humanité | |
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Virgil Solis (1514-1562), Illustration pour le livre I des Métamorphoses d'Ovide Les humains assistent impuissants à la montée des eaux dans lesquelles tous vont périr. |
Virgil Solis (1514-1562) Sur le mont Parnasse, devant leur "arche" échouée au sommet, Deucalion et Pyrrha sont les deux seuls survivants. Poséidon parcourt les eaux, qui ont commencé à baisser. |
Deucalion et Pyrrha voguent sur les flots du déluge | |
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"Parva ratis" (une petite embarcation) : c'est, selon Ovide, ce qui leur a permis de survivre. | Deucalion et Pyrrha dans leur "arche". Enluminure de l'Ovide moralisé. Ms Français 137, fol.6v – XVe siècle, BnF |
Conseilés par Thémis, Deucalion et Pyrrha jettent des pierres pour recréer l'humanité | |
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Deucalion et Pyrrha consultent Thémis, qui va leur dire comment recréer la race humaine Traduction de Pierre Du Ryer, 1702 |
Il leur suffira de ramasser des pierres et de les jeter derrière eux pour que naissent des hommes et des femmes. Enluminure de l'Ovide moralisé Ms 04, fol.28 - 1325 Bibl. municipale de Rouen |
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Fresque de Baldassarre Peruzzi (1481-1536) - 1519 - Villa Farnesine - Rome |
Bas-relief dans le parc du Labyrinthe d'Horta, Barcelone |
LES TEXTES
HÉSIODE, LES TRAVAUX ET LES JOURS, 42-99
42 En effet, les dieux cachèrent aux mortels le secret d'une vie frugale. Autrement le travail d'un seul jour suffirait pour te procurer les moyens de subsister une année entière, même en restant oisif. Tu suspendrais soudain le gouvernail au-dessus de la fumée et tu laisserais reposer tes boeufs et tes mulets laborieux. Mais Jupiter nous déroba ce secret, furieux dans son âme d'avoir été trompé par l'astucieux Prométhée. Voilà pourquoi il condamna les hommes aux soucis et aux tourments.
[50] Il leur avait caché le feu ; mais le noble fils de Japet, par un adroit larcin, le leur apporta dans la tige d'une férule, après l'avoir enlevé au prudent Jupiter qui aime à lancer la foudre. Ce dieu qui rassemble les nuages lui dit en son courroux : "Fils de Japet, ô le plus habile de tous les mortels ! tu te réjouis d'avoir dérobé le feu divin et trompé ma sagesse, mais ton vol te sera fatal à toi et aux hommes à venir. Pour me venger de ce larcin, je leur enverrai un funeste présent dont ils seront tous charmés au fond de leur âme, chérissant eux-mêmes leur propre fléau." 59 En achevant ces mots, le père des dieux et des hommes sourit et commanda à l'illustre Vulcain de composer sans délais un corps, en mélangeant de la terre avec l'eau, de lui communiquer la force et la voix humaine, d'en former une vierge douée d'une beauté ravissante et semblable aux déesses immortelles ; il ordonna à Minerve de lui apprendre les travaux des femmes et l'art de façonner un merveilleux tissu, à Vénus à la parure d'or de répandre sur sa tête la grâce enchanteresse, de lui inspirer les violents désirs et les soucis dévorants, à Mercure, messager des dieux et meurtrier d'Argus, de remplir son esprit d'impudence et de perfidie. 69 Tels furent les ordres de Jupiter, et les dieux obéirent à ce roi, fils de Saturne. Aussitôt l'illustre Vulcain, soumis à ses volontés, façonna avec de la terre une image semblable à une chaste vierge ; la déesse aux yeux bleus, Minerve, l'orna d'une ceinture et de riches vêtements ; les divines Grâces et l'auguste Persuasion lui attachèrent des colliers d'or, et les Heures à la belle chevelure la couronnèrent des fleurs du printemps. Minerve entoura tout son corps d'une magnifique parure. Enfin le meurtrier d'Argus, docile au maître du tonnerre, lui inspira l'art du mensonge, les discours séduisants et le caractère perfide. Ce héraut des dieux lui donna un nom et l'appela Pandore, parce que chacun des habitants de l'Olympe lui avait fait un présent pour la rendre funeste aux hommes industrieux. 83 Après avoir achevé cette attrayante et pernicieuse merveille, Jupiter ordonna à l'illustre meurtrier d'Argus, au rapide messager des dieux, de la conduire vers Épiméthée. Épiméthée ne se rappela point que Prométhée lui avait recommandé de ne rien recevoir de Jupiter, roi d'Olympe, mais de lui renvoyer tous ses dons de peur qu'ils ne devinssent un fléau terrible aux mortels. Il accepta le présent fatal et reconnut bientôt son imprudence. 90 Auparavant, les tribus des hommes vivaient sur la terre, exemptes des tristes souffrances, du pénible travail et de ces cruelles maladies qui amènent la vieillesse, car les hommes qui souffrent vieillissent promptement. Pandore, tenant dans ses mains un grand vase, en souleva le couvercle, et les maux terribles qu'il renfermait se répandirent au loin. L'Espérance seule resta. Arrêtée sur les bords du vase, elle ne s'envola point, Pandore ayant remis le couvercle, par l'ordre de Jupiter qui porte l'égide et rassemble les nuages.
[100] Depuis ce jour, mille calamités entourent les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Jupiter les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Jupiter.
HÉSIODE, THÉOGONIE
(507) Japet épousa Clymène, cette jeune Océanide aux pieds charmants ; tous deux montèrent sur la même couche, et Clymène enfanta le magnanime Atlas, l'orgueilleux Ménétius, l'adroit et astucieux Prométhée et l'imprudent Epiméthée, qui dès le principe causa tant de mal aux industrieux habitants de la terre, car c'est lui qui le premier accepta pour épouse une vierge formée par l'ordre de Jupiter. (514) Jupiter à la large vue, furieux contre l'insolent Ménétius, le plongea dans l'Érèbe, après l'avoir frappé de son brillant tonnerre, pour châtier sa méchanceté et son audace sans mesure. Vaincu par la dure nécessité, Atlas, aux bornes de la terre, debout devant les Hespérides à la voix sonore, soutient le vaste ciel de sa tête et de ses mains infatigables. Tel est l'emploi que lui imposa le prudent Jupiter. (521) Quant au rusé Prométhée, il l'attacha par des noeuds indissolubles autour d'une colonne ; puis il envoya contre lui un aigle aux ailes étendues qui rongeait son foie immortel ; il en renaissait autant durant la nuit que l'oiseau aux larges ailes en avait dévoré pendant le jour. Mais le courageux rejeton d'Alcmène aux pieds charmants, Hercule tua cet aigle, repoussa un si cruel fléau loin du fils de Japet et le délivra de ses tourments : le puissant monarque du haut Olympe, Jupiter, y avait consenti, afin que la gloire de l'Hercule thébain se répandît plus que jamais sur la terre fertile. (532) Dans cette idée, il honora son illustre enfant et abjura son ancienne colère contre Prométhée, qui avait lutté de ruse avec le puissant fils de Saturne. En effet, lorsque les dieux et les hommes se disputaient dans Mécone, Prométhée, pour tromper la sagesse de Jupiter, exposa à tous les yeux un boeuf énorme qu'il avait divisé à dessein. D'un côté, il renferma dans la peau les chairs, les intestins et les morceaux les plus gras, en les enveloppant du ventre de la victime ; de l'autre, il disposa avec une perfide adresse les os blancs qu'il recouvrit de graisse luisante. Le père des dieux et des hommes lui dit alors : "Fils de Japet, ô le plus illustre de tous les rois, ami ! avec quelle inégalité tu as divisé les parts !" (545) Quand Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, lui eut adressé ce reproche, l'astucieux Prométhée répondit en souriant au fond de lui-même (car il n'avait pas oublié sa ruse ingénieuse) : "Glorieux Jupiter ! ô le plus grand des dieux immortels, choisis entre ces deux portions celle que ton coeur préfère."
550] A ce discours trompeur, Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, ne méconnut point l'artifice ; il le devina et dans son esprit forma contre les humains de sinistres projets qui devaient s'accomplir. Bientôt de ses deux mains il écarta la graisse éclatante de blancheur ; il devint furieux, et la colère s'empara de son âme tout entière quand, trompé par un art perfide, il aperçut les os blancs de l'animal. Depuis ce temps, la terre voit les tribus des hommes brûler en l'honneur des dieux les blancs ossements des victimes sur les autels parfumés. (558) Jupiter qui rassemble les nuages, s'écria enflammé d'une violente colère: "Fils de Japet, ô toi que nul n'égale en adresse, ami ! tu n'as pas oublié tes habiles artifices." Ainsi, dans son courroux, parla Jupiter, doué d'une sagesse impérissable. (562) Dès ce moment, se rappelant sans cesse la ruse de Prométhée, il n'accorda plus le feu inextinguible aux hommes infortunés qui vivent sur la terre. Mais le noble fils de Japet, habile à le tromper, déroba un étincelant rayon de ce feu et le cacha dans la tige d'une férule. Jupiter qui tonne dans les cieux, blessé jusqu'au fond de l'âme, conçut une nouvelle colère lorsqu'il vit parmi les hommes la lueur prolongée de la flamme, et voilà pourquoi il leur suscita soudain une grande infortune. D'après la volonté du fils de Saturne, le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, forma avec de la terre une image semblable à une chaste vierge. (573) Minerve aux yeux bleus s'empressa de la parer et de la vêtir d'une blanche tunique. Elle posa sur le sommet de sa tête un voile ingénieusement façonné et admirable à voir ; puis elle orna son front de gracieuses guirlandes tressées de fleurs nouvellement écloses et d'une couronne d'or que le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, avait fabriquée de ses propres mains par complaisance pour le puissant Jupiter. Sur cette couronne, ô prodige ! Vulcain avait ciselé les nombreux animaux que le continent et la mer nourrissent dans leur sein ; partout brillait une grâce merveilleuse, et ces diverses figures paraissaient vivantes. (585) Quand il eut formé, au lieu d'un utile ouvrage, ce chef-d'oeuvre funeste, il amena dans l'assemblée des dieux et des hommes cette vierge orgueilleuse des ornements que lui avait donnés la déesse aux yeux bleus, fille d'un père puissant. Une égale admiration transporta les dieux et les hommes dès qu'ils aperçurent cette fatale merveille si terrible aux humains ; (590) car de cette vierge est venue la race des femmes au sein fécond, de ces femmes dangereuses, fléau cruel vivant parmi les hommes et s'attachant non pas à la triste pauvreté, mais au luxe éblouissant. Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu'au mal, depuis le lever du jour jusqu'au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d'un travail étranger : [600] ainsi Jupiter, ce maître de la foudre accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes complices de toutes les mauvaises actions.
ESCHYLE, PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ (résumé)
Prométhée a 'd'abord pris le parti de Zeus dans sa lutte contre les Titans (v.218), puis il s'est opposé à lui lorsqu'il a compris qu'il voulait faire disparaître la race humaine pour en créer une nouvelle (233). Non seulement il Prométhée a 'd'abord pris le parti de Zeus dans sa lutte contre les Titans (218), puis il s'est opposé à lui lorsqu'il a compris qu'il voulait faire disparaître la race humaine pour en créer une nouvelle (233). Non seulement il leur a donné le feu (252), mais il leur a transmis la connaissance de tous les arts (447-506). Pour se venger, Zeus, puisqu'il ne peut lui infliger la mort (933), a demandé à Héphaistos de le clouer sur un rocher, en attendant qu'un aigle vienne lui manger son foie toujours renaissant (1022-1025)
Mais Prométhée connaît un secret qui pourrait lui permettre d'être libéré de ses chaînes : Zeus est menacé par une malédiction de son père Cronos; s'il s'unit à une certaine femme, l'enfant qui naîtra sera plus fort que son père et le chassera de son trône; seul lui, Prométhée, sait quelle est cette femme et lui seul peut permettre à Zeus d'échapper au malheur, à condition que celui-ci le libère (167-177 + 525 + 767-768 + 907-927 + 995-996).a donné le feu aux hommes (252), mais il leur a transmis la connaissance de tous les arts (447-506). Pour se venger, Zeus, puisqu'il ne peut lui infliger la mort (933), a demandé à Héphaistos de le clouer sur un rocher, en attendant qu'un aigle vienne lui manger son foie toujours renaissant (1022-1025)
Mais Prométhée connaît un secret qui pourrait lui permettre d'être libéré de ses chaînes : Zeus est menacé par une malédiction de son père Cronos; s'il s'unit à une certaine femme, l'enfant qui naîtra sera plus fort que son père et le chassera de son trône; seul lui, Prométhée, sait quelle est cette femme et lui seul peut permettre à Zeus d'échapper au malheur, à condition que celui-ci le libère (167-177 + 525 + 767-768 + 907-927 + 995-996).
PLATON (-428/-348) PROTAGORAS 320d-322a
Il fut un temps où les dieux existaient, et où il n'y avait point [320d] encore d'êtres mortels. Lorsque le temps de leur existence marqué par le destin fut arrivé, les dieux les formèrent dans le sein de la terre, les composant de terre, de feu, et des autres éléments qui se mêlent avec le feu et la terre. Quand ils furent sur le point de les faire paraître à la lumière, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée (21) du soin de les orner, et de pourvoir chacun d'eux des facultés convenables. Épiméthée conjura son frère de lui laisser faire cette distribution. Quand je l'aurai faite, dit-il, tu examineras si elle est bien. Prométhée y ayant consenti, il se met à faire le partage : il donne aux uns la force sans vitesse, [320e] compense la faiblesse des autres par l'agilité; arme ceux-ci, et à ceux-là qu'il laisse sans défense il réserve quelque autre moyen d'assurer leur vie ; les petits reçoivent des ailes, ou une demeure souterraine ; et ceux qui ont la grandeur en partage, il les [321a] met en sûreté par leur grandeur même. Il suit le même plan et la même justice dans le reste de la distribution, pour qu'aucune espèce ne soit détruite. Après avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher leur destruction mutuelle, il s'occupe des moyens de les faire vivre sous les diverses températures, en les revêtant d'un poil épais et d'une peau ferme, qui pussent les défendre contre le froid et la chaleur, et tinssent lieu à chacun de couvertures naturelles, quand ils se retireraient pour dormir. De plus, [321b] il leur met sous les pieds, aux uns une corne, aux autres des calus et des peaux très épaisses et dépourvues de sang. Il leur fournit ensuite des aliments de différente espèce, aux uns l'herbe de la terre, aux autres les fruits des arbres, à d'autres des racines. La nourriture qu'il destina à quelques-uns fut la substance même des autres animaux. Mais il fit en sorte que ces bêtes carnassières multipliassent peu, et attacha la fécondité à celles qui devaient leur servir de pâture, afin que leur espèce se conservât. Comme Épiméthée n'était pas fort habile, il ne s'aperçut pas [321c] qu'il avait épuisé toutes les facultés en faveur des êtres privés de raison. L'espèce humaine restait donc dépourvue de tout, et il ne savait quel parti prendre à son égard. Dans cet embarras, Prométhée survint pour jeter un coup-d'œil sur la distribution. Il trouva que les autres animaux étaient partagés avec beaucoup de sagesse, mais que l'homme était nu, sans chaussure, sans vêtements, sans défense. Cependant le jour marqué approchait, où l'homme devait sortir de terre et paraître à la, lumière. Prométhée, fort incertain sur la manière dont il pourvoirait à la sûreté de l'homme, prit le parti de [321d] dérober à Vulcain et à Minerve les arts et le feu : car sans le feu la connaissance des arts serait impossible et inutile ; et il en fil présent à l'homme. Ainsi notre espèce reçut l'industrie nécessaire au soutien de sa vie ; mais elle n'eut point la politique, car elle était chez Jupiter, et il n'était pas encore au pouvoir de Prométhée d'entrer dans la citadelle, séjour de Jupiter, devant laquelle [321e] veillaient des gardes redoutables. Il se glisse donc en cachette dans l'atelier où Minerve et Vulcain travaillaient en commun, dérobe l'art de Vulcain, qui s'exerce par le feu, avec les autres arts propres à Minerve, et les donne à l'homme ; voilà comment l'homme a le moyen [322a] de subsister. Prométhée, à ce qu'on dit, porta dans la suite la peine de son larcin, dont Épiméthée avait été la cause. L'homme ayant donc quelque part aux avantages divins, fut aussi le seul d'entre les animaux qui, à cause de son affinité avec les dieux, reconnut leur existence, conçut là pensée de leur dresser des autels, et de leur ériger des statues. Ensuite il trouva bientôt l'art d'articuler des sons, et de former dès mots; il se procura une habitation, des vêtements, une chaussure, de quoi se couvrir la nuit, et tira sa nourriture de la terre.
OVIDE, MÉTAMORPHOSES (-43/+17)
C'est Prométhée, fils de Japet, qui a modelé l'homme avec de la terre et l'eau d'un fleuve, à l'image des dieux (I, 82-83)
Les hommes connurent successivement l'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge de bronze, l'âge de fer (avec crimes, fraude, perfidie, trahison, violence, goût de la richesse, guerres…). Jupiter descend de l'Olympe, prend la forme d'un homme et va voir ce qu'il en est. Il décide alors qu'il faut anéantir le genre humain (« perdendum est mortale genus »). Les dieux souffrent à cette idée ; mais Jupiter les apaise en promettant qu'il fera naître une race d'homme toute différente de la précédente (« sobolem dissimilem priori populo »). (I, 89 sq)
Alors, par un déluge, les hommes sont anéantis. Echappent à la catastrophe Deucalion et sa femme Pyrrha, qui, sur une petite barque (« parva rate vectus » 319), abordent sur le mont Parnasse. Lorsque Jupiter eut ordonné aux eaux de se retirer, ils se retrouvèrent les seuls survivants. Deucalion espère qu'il sera capable, comme jadis son père Prométhée, de créer des peuples nouveaux en façonnant des corps avec de la terre puis en y introduisant des âmes (« animas formatae infundere terrae » 364). La déesse Thémis, qu'ils consultèrent dans son sanctuaire, leur dit de jeter derrière leur dos les os de leur grande mère (« jactate post tergum ossa magnae parentis » 383). Deucalion comprit que cette formule s'appliquait à la Terre (Gaia, leur ancêtre) et que les pierres étaiet en quelque sorte ses os. Tous deux ramassèrent donc des pierres et les jetèrent par-dessus leur épaule. Les pierres jetées par Deucalion donnèrent naissance à des hommes et celles jetées par Pyrrha à des femmes. (I, 253-415)
HYGIN (-67/+17) https://www.thelatinlibrary.com/hyginus/hyginus2.shtml
CXLII. PANDORA.
Prometheus Iapeti filius primus homines ex luto finxit. Postea Vulcanus Iouis iussu ex luto mulieris effigiem fecit, cui Minerua animam dedit, ceterique dii alius aliud donum dederunt; ob id Pandoram nominarunt. Ea data in coniugium Epimetheo fratri; inde nata est Pyrrha, quae mortalis dicitur prima esse creata.
CXLIV. PROMETHEVS.
Homines antea ab immortalibus ignem petebant, neque in perpetuum seruare sciebant; quod postea Prometheus in ferula detulit in terras, hominibusque monstrauit quomodo cinere obrutum seruarent. Ob hanc rem Mercurius Iouis iussu deligauit eum in monte Caucaso ad saxum clauis ferreis, et aquilam apposuit quae cor eius exesset; quantum die ederat, tantum nocte crescebat. Hanc aquilam post XXX annos Hercules interfecit, eumque liberauit.
ASTRONOMIA II
XV. SAGITTA. Hanc unam de Herculis telis esse demonstrant, qua aquilam dicitur interfecisse, quae Promethei iocinera fertur exedisse; de quo pluribus dicere non inutile videtur. Antiqui cum maxima caerimonia deorum inmortalium sacrificia administrarent, soliti sunt totas hostias in sacrorum consumere flamma. Itaque cum propter sumptus magnitudinem sacrificia pauperibus non optingerent, Prometheus, qui propter excellentiam ingenii miram homines finxisse existimatur, recusatione dicitur ab Iove impetrasse, ut partem hostiae in ignem coicerent, partem in suo consumerent victu; idque postea consuetudo firmavit. Quod cum facile a deo, non ut homine avaro impetrasset, ipse Prometheus immolat tauros duos. Quorum primum iocinera cum in ara posuisset, reliquam carnem ex utroque taurum in unum compositam corio bubulo contexit; ossa autem quaecumque fuerunt, reliqua pelle contecta in medio collocavit et Iovi fecit potestatem, ut quam vellet eorum sumeret partem. Iuppiter autem, etsi non pro divina fecit cogitatione, neque ut deum decebat, omnia qui debuit ante providere, sed (quoniam credere instituimus historiis) deceptus a Prometheo, utrumque putans esse taurum, delegit ossa pro sua dimidia parte. Itaque post ea in sollemnibus et religiosis sacrificiis carne hostiarum consumpta reliquias, quae pars fuit deorum, igni comburunt. Sed ut ad propositum revertamur, Iuppiter cum factum rescisset, animo permoto mortalibus eripuit ignem, ne Promethei gratia plus deorum potestate valeret, neve carnis usus utilis hominibus videretur, cum coqui non posset. Prometheus autem consuetus insidiari, sua opera ereptum mortalibus ignem restituere cogitabat. Itaque ceteris remotis, devenit ad Iovis ignem; quo deminuto et in ferulam coniecto, laetus, ut volare non currere videretur, **? ferulam iactans, ne spiritus interclusus vaporibus extingueret in angustia lumen. Itaque homines adhuc plerumque, qui laetitiae fiunt nuntii, celerrime veniunt. Praeterea in certatione ludorum cursoribus instituerunt ex Promethei similitudine, ut currerent lampadem iactantes. Pro quo Iuppiter facto mortalibus parem gratiam referens, mulierem tradidit his, quam a Vulcano factam deorum voluntas omni munere donavit; itaque Pandora est appellata. Prometheum autem in monte Scythiae nomine Caucaso ferrea catena vinxit; quem alligatum ad triginta milia annorum Aeschylus tragoediarum scriptor ait. Praeterea admisit ei aquilam, quae assidue noctu renascentia iocinera exesset. Hanc autem aquilam nonnulli ex Typhone et Echidna natam, alii ex Terra et Tartaro, complures Vulcani factam manibus demonstrant, animamque ei ab Iove traditam dicunt.
LUCIEN (120-180)
MERCURE
Vulcain, voici le Caucase, où il faut clouer ce malheureux Titan : cherchons donc autour de nous quelque rocher commode, qui soit privé de neige, afin que les chaînes y entrent plus solidement et que celui-ci soit en vue de tout le monde, bien cloué.
VULCAIN
Cherchons, Mercure ; il ne faut pas, en effet, l'enchaîner dans un lieu bas et voisin de la terre, de peur que les hommes qu'il a fabriqués ne viennent l'y délivrer ; et cependant il ne faut pas que ce soit trop haut, parce qu'on ne le verrait plus d'en bas ; mais, si tu veux bien, attachons-le à une hauteur moyenne, ici, au-dessus de ce précipice, les mains étendues, l'une sur ce rocher, l'autre sur celui qui est en face.
MERCURE
Tu as raison. Ces roches sont escarpées, inaccessibles et pendantes de tous côtés : ce précipice n'offre qu'une place étroite où l'on puisse poser le pied ; à peine s'y peut-on tenir sur la pointe : nous ne saurions trouver de croix plus commode. Allons, Prométhée, pas de retard : monte ici, et laisse-toi de bonne grâce clouer à cette montagne.
PROMÉTHÉE
O Vulcain ! ô Mercure ! prenez pitié d'un malheureux qui n'a pas mérité son malheur.
MERCURE
Voilà un : "Prenez-pitié" que tu nous dis sans doute, Prométhée, pour que nous soyons attachés à ta place, si nous n'obéissons pas aux ordres que nous avons reçus. Est-ce que le Caucase ne te semble pas assez grand, pour qu'on y enchaîne encore deux malheureux ? Voyons ; étends la main droite. Toi, Vulcain, attache, cloue et frappe vigoureusement de ton marteau. Maintenant, donne l'autre main, qu'on l'attache aussi solidement. Voilà qui est fait : bientôt va descendre l'aigle qui doit te ronger le foie, et tu seras payé de tes belles et ingénieuses découvertes.
PROMÉTHÉE
O Saturne ! ô Japet ! et toi, Terre, qui m'as donné le jour, quels maux on fait souffrir à un infortuné qui n'a commis aucun mal !
MERCURE
Aucun mal, Prométhée ! Chargé jadis de faire la distribution des viandes, n'as-tu pas poussé l'injustice et la fourberie au point de te réserver les meilleurs morceaux, et de ne servir à Jupiter que des os "recouverts d'une graisse blanche" ? Je me rappelle bien, par Jupiter, les vers où Hésiode dit cela. Ensuite, n'as-tu pas fait les hommes, animaux des plus malfaisants, et, chose pire encore, les femmes ? En outre, n'as-tu pas dérobé l'apanage le plus précieux des immortels, le feu, pour le donner aux hommes ! Après de tels méfaits, tu dis que tu n'as commis aucun mal ?
PROMÉTHÉE
Tu as bien l'air, Mercure, de vouloir, comme le dit le poète, inculper un innocent. Tu me reproches des choses peur lesquelles je mériterais, à mon avis, si l'on me rendait justice, d'être nourri au Prytanée. Si tu avais le temps de m'entendre, je me justifierais volontiers auprès de toi de toutes ces accusations, et te prouverais les torts de Jupiter envers moi. Mais toi, qui es un peu babillard et chicaneur, plaide pour lui et démontre qu'il a porté un jugement équitable, en me faisant clouer près des portes Caspiennes, sur le Caucase, triste spectacle pour tous les Scythes.
MERCURE
L'appel est un peu tardif, Prométhée et le plaidoyer inutile ; parle cependant : aussi bien faut-il que je demeure ici jusqu'à l'arrivée de l'aigle qui doit prendre soin de ton foie, et je consens à passer le temps qui va s'écouler d'ici là à entendre les déclamations sophistiques d'un parleur habile comme toi.
PROMÉTHÉE
Parle le premier, Mercure ; et, pour donner à ton accusation la plus grande véhémence, ne néglige rien de ce qui peut justifier ton père. Toi, Vulcain, je te prends pour arbitre.
VULCAIN
Par Jupiter ! je serai ton accusateur plutôt que ton arbitre, car tu m'as volé mon feu et laissé refroidir ma forge.
PROMÉTHÉE
Eh bien ! partagez-vous l'accusation ; toi, Vulcain, accuse-moi de larcin ; Mercure me citera pour avoir fabriqué les hommes et distribué les viandes : tous deux vous paraissez bons artisans de parole et vendre dans l'art oratoire.
VULCAIN
Mercure parlera pour moi : je ne suis pas au fait du langage de la chicane : je ne m'occupe guère que de ma forge ; mais nous avons là un bon orateur, et des mieux ferrés à ces sortes de causes.
PROMÉTHÉE
Je ne me serais jamais figuré que Mercure se chargeât d'accuser quelqu'un de larcin, ni qu'il voulût me reprocher d'avoir volé, étant aussi du métier. Cependant, fils de Maïa, puisque tu tentes l'aventure, il est temps d'arriver à l'accusation.
MERCURE
Elle exigerait de longs discours, Prométhée ; car il faudrait une certaine préparation pour énumérer tous tes délits, et il ne suffirait pas de faire un exposé sommaire de tes méfaits, de dire comment, le soin de distribuer les viandes t'ayant été dévolu, tu as gardé pour toi les meilleurs morceaux, trompé ton souverain, fabriqué des hommes, oeuvre parfaitement inutile, dérobé le feu à nous autres dieux, pour en faire présent à tes créatures ; et il me semble, mon cher, qu'après tant de crimes, tu ne comprends pas l'excessive clémence dont Jupiter use envers toi. Si donc tu niais ces actions, il me serait nécessaire, afin de te convaincre, de développer mon plaidoyer et de faire effort pour mettre la vérité dans tout son jour ; mais si tu avoues avoir fait cette distribution des viandes, fabriqué des hommes par une invention nouvelle, et dérobé le feu, l'accusation est finie, je n'ai plus rien à dire, et le reste n'est plus que sornettes.
PROMÉTHÉE
C'est tout ce que tu viens de dire qui n'est que sornettes, et nous le verrons bientôt. Pour moi, puisque tu dis que l'accusation est suffisante, je vais essayer, autant que possible, de me laver de tous ces crimes. Et d'abord, écoute-moi au sujet des viandes. En vérité, j'en atteste le ciel, et je rougis de le dire, c'est grande honte à Jupiter d'avoir l'esprit si étroit et si jaloux que, pour avoir trouvé un petit os dans sa portion, il envoie clouer ainsi un dieu ancien, sans se rappeler l'aide que je lui ai donnée, sans réfléchir au motif de sa colère, se fichant comme un enfant, et entrant en courroux parce qu'il n'a pas eu la plus grosse part. Ces ruses de table, il ne faut pas, je crois, Mercure, les garder dans son souvenir ; et, si quelqu'un a commis une faute légère dans un banquet, on doit la considérer comme une vétille, et, en sortant du repas, y laisser sa colère : mais mettre sa haine en réserve pour le lendemain, nourrir sa rancune, et entretenir la mémoire de ce qui s'est fait la veille, fi donc ! cela est indigne d'un dieu et d'un roi ! Si, en effet, on bannit des festins ces sortes d'amusements, les tours, les plaisanteries, les railleries et les rires, il n'y demeurera plus que l'ivresse, la satiété et le silence, compagnie triste et maussade, et dont une table n'a que faire. Ainsi j'étais loin de croire que le souvenir de Jupiter irait jusqu'au lendemain, encore moins qu'il se fâcherait ainsi et se tiendrait pour gravement offensé, parce qu'en faisant le partage des viandes, on s'est amusé à éprouver s'il distinguerait et prendrait le meilleur morceau. Mais supposé même, Mercure, ce qui est bien plus grave, que non seulement j'aie donné à Jupiter la plus petite part, mais que j'aie enlevé la part tout entière : quoi donc ? fallait-il pour cela, comme on dit, confondre le ciel et la terre, songer à des chaînes, à des croix, au Caucase, et faire descendre des aigles pour me ronger le foie ! Vois si tout ce fracas n'accuse point celui qui se fâche de petitesse, de bassesse dans les sentiments, de penchant à la colère. Qu'eût-il donc fait s'il eût perdu un boeuf tout entier, puisque, pour un peu de viande, il entre dans un tel courroux ? Que les hommes, en pareil cas, se conduisent avec bien plus d'équité, eux qui cependant devraient être plus susceptibles que les dieux ! Toutefois, il n'y en a pas un seul qui condamnât un cuisinier à être pendu, pour avoir, en faisant cuire des viandes, trempé son doigt dans la sauce, et l'avoir léché, ou avoir arraché quelques lardons à un rôti et les avoir avalés. Non ; ce sont des torts qu'on excuse ; ou, si le maître s'emporte, il donne quelques coupe de poings au gourmand, quelques soufflets sur la joue, mais personne n'a jamais été attaché à la potence pour semblable délit. En voilà assez de dit sur les viandes : j'ai honte d'avoir à me défendre à ce sujet, mais il est encore plus honteux pour Jupiter de m'accuser.
Passons à mon talent plastique et à la fabrication des hommes : c'est le moment d'en parler. Sur ce point, Mercure, l'accusation se divise en deux chefs, et je ne sais trop lequel vous me reprochez le plus : en premier lieu, de ce que j'ai fait des hommes, tandis qu'il aurait mieux valu qu'il n'y en eût pas, ou tout au moins qu'ils demeurassent tranquilles, terre immobile et inerte ; et en second lieu, de ce que, les ayant faits, je ne leur ai pas donné une autre forme que celle qu'ils ont aujourd'hui. Je vais toutefois parler sur ces deux points : et d'abord, je m'efforcerai de démontrer que les dieux n'ont éprouvé aucun dommage de ce que les hommes ont été produits à la vie ; ensuite, que c'est même pour eux un avantage réel et beaucoup plus considérable que si la terre fût restée déserte et privée d'habitants. Dans l'origine – car il me sera plus facile, en remontant jusque là, de prouver si j'ai fait une innovation criminelle en fabriquant des hommes – dans l'origine, dis-je, il n'y avait qu'une seule espèce divine et céleste ; la terre, inculte et difforme, était tout entière couverte de forêts, hérissée de bois impénétrables au soleil. Aussi point d'autels pour les dieux, point de temples : où les aurait-on placés ? point de statues ni d'images, rien enfin de semblable à ce qui se pratique aujourd'hui avec tant de soin et de déférence. Moi, toujours le premier à songer à l'intérêt commun, toujours attentif aux moyens d'augmenter la gloire des dieux, de contribuer à leur splendeur, à leur magnificence, je regardai comme une invention excellente de prendre un peu de boue, d'en façonner certains êtres, et de leur donner une forme semblable à la nôtre. Il me semblait qu'il manquait quelque chose à la divinité, tant qu'il n'existait rien qui lui pût être opposé, un être qui, comparé à elle, prouvât qu'elle est plus heureuse : je voulais toutefois que cet être fût mortel, quoique industrieux, intelligent, et capable d'apprécier ce qui vaut mieux que lui. Alors, suivant le langage des poètes, je mêlai de la terre et de l'eau, et de cette substance molle je formai des hommes, puis j'appelai Minerve et la priai de mettre la main à mon oeuvre. Voilà le grand crime que j'ai commis envers les dieux ; tu vois quel tort j'ai pu leur causer en fabriquant des animaux avec de la boue qui, jusque là immobile, a été douée par moi du mouvement. Il paraît que, depuis ce temps, les dieux sont devenus un peu moins dieux, parce qu'il existe sur la terre certains êtres mortels ; et voilà pourquoi Jupiter se fâche, comme si les dieux étaient amoindris par la naissance des hommes : à moins qu'il ne craigne que ceux-ci ne conspirent contre lui et ne déclarent la guerre aux dieux comme les Géants. Mais que vous ayez reçu quelque dommage de moi ou de mes créatures, le contraire, Mercure, est évident : montre-moi que je vous ai fait le plus léger tort, et je me tairai, et j'avouerai que vous avez raison de me traiter ainsi. Au contraire, j'ai été de la plus grande utilité aux dieux ; et, pour t'en convaincre, tu n'as qu'à jeter les yeux sur la terre, jadis aride et sans beauté, aujourd'hui parée de villes, de campagnes cultivées, sur la mer sillonnée de navires, sur les îles remplies d'habitants, sur les autels, les sacrifices, les temples, les solennités qui se voient de toutes parts : les rues, les places publiques sont pleines de Jupiter. Encore, si j'avais formé les hommes pour moi tout seul, ou pourrait me taxer d'avarice ; mais c'est en vue de l'intérêt commun que je vous les ai fabriqués. Que dis-je ? On voit partout des temples consacrés à Jupiter, à Apollon, et à toi, Mercure, mais à Prométhée pas un. Tu vois si je ne songe qu'à mes intérêts, si j'ai trahi ou diminué ceux des autres. Songe en outre à ceci, Mercure, qu'un bien, quel qu'il soit, possession ou oeuvre d'art, que personne ne peut voir ou louer, ne saurait être doux et agréable à celui qui le possède. Or, pourquoi parlé-je ainsi ! Pour montrer que, si les hommes n'eussent pas été créés, la beauté de l'univers serait demeurée sans témoin, et nous autres dieux nous serions riches d'une richesse que personne n'admirerait, et qui, par suite, n'aurait pour nous aucune valeur, attendu que nous ne pourrions la comparer à rien d'inférieur ; enfin nous ne comprendrions pas l'étendue de notre félicité, si nous ne voyions aucun être privé de ce bonheur : car la grandeur d'un objet ne se prouve que par sa comparaison avec un petit. Et vous, qui deviez me combler d'honneurs pour cet acte de bon citoyen, vous me clouez à un rocher en récompense de mes bonnes idées ! Mais, dis-tu, il y a des méchants parmi les hommes : ils commettent des adultères, se font la guerre, épousent leurs soeurs, tendent des embûches à leurs pères. N'y a-t-il pas chez nous aussi abondante moisson de vices ? Et doit-on pour cela accuser Uranus et la Terre de nous avoir donné l'existence ? Tu me diras peut-être encore que c'est pour nous une rude affaire que de prendre soin des hommes. Autant vaudrait alors qu'un berger se plaignit d'être obligé de soigner son troupeau : s'il lui donne du mal, il lui procure aussi des plaisirs et une occupation qui n'en pas sans agrément. Que ferions-nous, si nous n'avions à veiller sur rien. Plongés dans l'oisiveté, nous boirions le nectar, nous nous remplirions d'ambroisie, sans rien faire. Mais ce qui me dépite le plus, c'est que, me reprochant d'avoir fait des hommes, et plus encore des femmes, vous ne vous faites pas faute de les aimer, de descendre sur la terre, tantôt changés en taureaux, tantôt en satyres, ou en cygnes, et vous ne dédaignez pas d'en avoir des dieux. Mais il fallait, diras-tu peut-être, faire des hommes avec une autre forme, et non pas à notre ressemblance. Hé ! quel autre mode pouvais-je me proposer que celui qui me paraissait le plus beau ? Devais-je faire de l'homme un être sans raison, une brute sauvage et grossière ? Et comment les hommes auraient-ils offert des sacrifices aux dieux ? comment nous auraient-ils rendu les autres hommages, s'ils n'eussent pas été tels qu'ils sont ? Mais vous, sitôt qu'ils vous offrent des hécatombes, vous ne perdez pas un instant, dussiez-vous aller à l'extrémité de l'Océan, chez les Éthiopiens irréprochables. Et celui qui vous procure ces honneurs et ces sacrifices, vous l'avez cloué à un rocher !
Mais en voilà assez au sujet des hommes. Maintenant, si tu veux bien, passons au feu et à ce larcin si amèrement reproché. Et d'abord, au nom des dieux, réponds-moi sans hésiter. Avons-nous perdu la moindre parcelle de ce feu, depuis qu'y est aux mains des hommes ? Tu ne saurais répondre : telle est, en effet, la nature de cette possession, qu'elle ne peut être diminuée par le partage ; le feu ne s'éteint pas en allumant un autre feu : c'est donc chez vous pure jalousie de ne pas permettre qu'on fasse part d'un bien à ceux qui en ont besoin, quand il n'en résulte pour vous aucun dommage. N'êtes-vous donc pas des dieux, et, par conséquent, des êtres bons, faiseurs de riches présents, étrangers à toute envie ? Et lors même que je vous aurais dérobé tout le feu, pour le porter sur la terre, sans vous en rien laisser, je ne vous aurais pas fait grand tort : vous n'en avez nul besoin, vous n'avez jamais froid, vous ne faites pas cuire l'ambroisie, et vous pouvez vous passer de lumière artificielle. Les hommes, au contraire, ont tout à fait besoin du feu, surtout pour les sacrifices, pour parfumer les rues de l'odeur des victimes, brûler l'encens et rôtir les cuisses sur les autels. Je vois même que vous ne vous plaisez pas mal à la fumée, et que c'est pour vous un délicieux régal, quand cette odeur monte vers le ciel avec la fumée qui s'élève en spirales. Vos reproches sont donc en contradiction complète avec vos goûts. Je m'étonne aussi que vous n'empêchiez pas le soleil de luire sur les hommes : son feu est bien plus divin, bien plus ardent. L'accuserez-vous aussi de vous avoir dérobé votre bien ? J'ai dit. Pour vous, Mercure et Vulcain, si vous trouvez quelque chose à reprendre, redressez, accusez, et moi je me justifierai encore.
MERCURE
Il n'est pas facile, Prométhée, de lutter avec un si vigoureux sophiste. Cependant félicite-toi de ce que Jupiter ne t'a pas entendu : je suis sûr qu'il aurait attaché sur toi seize vautours pour te déchirer les entrailles, tant tu as mis de violence à l'accuser, en paraissant te défendre. Mais je suis étonné qu'étant devin tu n'aies pas prévu le supplice que tu subis.
PROMÉTHÉE
Je le savais, Mercure, et je sais aussi que je dois être délivré : avant peu un Thébain, de tes amis, viendra ici et tuera à coups de flèches l'aigle dont tu m'annonces l'arrivée.
MERCURE
Puisse-t-il en être ainsi, Prométhée ! puissé-je te voir délivré, assis à table avec nous, pourvu seulement que tu ne fasses pas le partage des viandes !
PROMÉTHÉE
Sois tranquille, Mercure, je m'assiérai bientôt à votre table, et Jupiter me délivrera pour lui avoir procuré un bien grand bonheur.
MERCURE
Lequel ? Parle vite.
PROMÉTHÉE
Tu connais Thétis, n'est-ce pas, Mercure ? .... mais il ne faut rien dire ; mieux vaut garder mon secret, afin qu'il soit le prix et la rançon de ma délivrance.
MERCURE
Garde-le donc, Titan, si tu crois ce parti le meilleur. Pour nous, Vulcain, allons-nous-en ; voici l'aigle qui arrive. Du courage, Prométhée ! Je voudrais déjà voir paraître l'archer thébain, qui doit mettre fin aux cruelles morsures de cet oiseau.
PSEUDO-APOLLODORE (+200 ?), BIBLIOTHÈQUE
Livre I, 7, 1-2
1. Prométhée mélangea de l'eau et de la terre, et créa les hommes. Il leur donna ensuite le feu, qu'en cachette il déroba à Zeus, dans un roseau creux. Quand Zeus s'en aperçut, il ordonna à Héphaïstos de clouer le corps de Prométhée sur le mont Caucase, qui s'élève en Scythie. Prométhée resta ainsi enchaîné de très nombreuses années ; et chaque jour, un aigle fondait sur lui et dévorait son foie, qui, la nuit, repoussait. C'est de cette façon que Prométhée payait la faute d'avoir volé le feu, jusqu'au jour où Héraclès le libéra - mais nous reparlerons de cette histoire aux chapitres consacrés au héros.
2. Prométhée avait un fils, Deucalion, roi du territoire de Phthie, et époux de Pyrrha, fille elle-même d'Épiméthée, et de Pandora la première femme. Quand Zeus décida de faire disparaître la race des hommes de bronze, Deucalion, sur le conseil de Prométhée, construisit une arche, et y embarqua tout le nécessaire, puis il y monta avec Pyrrha. Du ciel, Zeus déversa une pluie interminable, et submergea la quasi totalité de la terre de Grèce : tous les hommes furent anéantis, à l'exception de quelques-uns qui s'étaient réfugiés sur les sommets des montagnes proches. Les monts de la Thessalie restèrent isolés, et toutes les régions, en dehors de l'isthme et du Péloponnèse, furent submergées par les eaux. L'arche de Deucalion navigua, ballottée par les flots, neuf jours et neuf nuits durant ; à la fin, elle s'immobilisa sur le mont Parnasse. Quand la pluie cessa, Deucalion sortit et offrit un sacrifice à Zeus protecteur des fugitifs. Alors le dieu lui envoya Hermès, chargé de lui transmettre ce message : quoi qu'il voulût, cela lui serait octroyé. Et Deucalion demanda de pouvoir avoir des hommes. Zeus donna son accord ; Deucalion commença alors à ramasser des pierres et à les jeter derrière lui : les pierres lancées par Deucalion devinrent des hommes, et celles lancées par Pyrrha devinrent des femmes. Depuis lors, par métaphore, les peuples ont pris leur nom (làos) de celui qui signifie la pierre (làas).
Livre II, 5
Les Centaures se pelotonnèrent derrière lui et Héraclès les visa, mais une flèche traversa le bras d'Élatos et se planta dans le genou de Chiron. Affligé, Héraclès se porta auprès de Chiron, ôta la flèche et appliqua sur la plaie les médecines que Chiron lui-même lui avait données. Mais la blessure était incurable, et Chiron se retira dans sa grotte. Il désirait mourir, ce qui était impossible, puisque par nature il était immortel. Alors Prométhée demanda à Zeus qu'il pût devenir immortel à la place de Chiron, et ainsi celui-ci put-il mourir.