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NOS ACTIVITÉS DANS LA SAISON 2024-2025

• Pour le 70e anniversaire de la création de notre section :
Une réunion de rentrée avec la présence de Diane Cuny, vice-présidente de l'Association nationale Guillaume-Budé, et la participation de Christian Massas, interprétant la nouvelle de Rimbaud Un coeur sous une soutane.
Un concert par Daphne Corregan, soprano, et Caroline Colombel-Genest, harpiste.
Une journée d'études avec la participation de Michel Fartzoff, président de l'Association nationale, avec cinq communications sur le thème "L'Orléanais Étienne Dolet".

• Cinq conférences :
Frank Lestringant sur "L'humanisme de la Renaissance"
Olivier Rolin sur son roman "Jusqu'à ce que la mort s'ensuive"
Jean-Pierre Siméon et Éric Fottorino sur le thème "Comment la poésie comprend le monde"
John Sheid sur "le Bois sacré chez les Romains"
Romain Menini et Luigi Alberto Sanchi sur "l'oeuvre de Guillaume Budé".

• Cinq ateliers :
trois ateliers "Linguistique" : "Initiation au grec ancien", "Initation au latin ancien", "Étymologie".
un atelier "Littérature", dans lequel quatre thèmes ont été abordés : "Victor Hugo", "Orphée", "Les mots de la mer dans l'Odyssée", "L'Ara Pacis d'Auguste".
un atelier "L'Antiquité aujourd'hui", sur le thème général "Rome dans tous ses états": "Rome démystifiée", "Les trois rois étrusques", "Freud à Rome", "Auguste et la Pax Romana", "Ecrits sur Rome".

• Cinq partenariats :
– avec l'association Linguafest 45 (découverte du grec ancien et du latin)
– avec l'association Livres et Vins en terre de Loire (le Vin dans la littérature)
– avec le département Lettres de l'Université d'Orléans (le mythe de Médée)
– avec le CERCIL (Léa Veinstein présentant son enquête sur les manuscrits de Kafka)
– avec le cinéma Les Carmes (le "peplum" au cinéma avec la projection de quatre films)

• Une sortie :
– visite de l'Institut de France à Paris et du Musée de l'Imprimerie à Malesherbes


LES SOIXANTE DIX ANS DE LA SECTION ORLEANAISE


Pour évoquer les circonstances de la création de la section orléanaise, nous disposons d'un document que Jacques Boudet avait préparé pour le 40ème anniversaire :
"La section orléanaise de l'Association Guillaume-Budé a été conçue en 1953 d'un rapport imprévu entre l'académicien Jules Lemaître et la Régie nationale des Usines Renault. C'était le 18 juin 1953 : Beaugency et Tavers (où avaient enseigné les parents de Jules Lemaître et où il était inhumé) célébraient le centenaire de "l'enfant du pays" par une série de manifestations sous le patronage, entre autres illustres parains, de Maurice Genevoix et d'André Billy… Académie française et Académie Goncourt. Il y eut, dans la matinée, une "séance littéraire" au cours de laquelle je fis une communication sur "Jules Lemaître et l'Antiquité". À la fin de la journée, à la sortie du cimetière de Tavers, je fus abordé par un homme à l'allure fort avenante, qui me dit à peu près : "Je suis le nouveau directeur régional de la Régie Renault, Germain Martin ; j'ai assisté à cette journée et j'ai été attentif à votre communication. Quoique profane en la matière, je m'intéresse aux lettres, en particulier aux lettres antiques ; je suis membre de l'Association Guillaume-Budé ; pourquoi n'y a-t-il pas une section à Orléans ? Ne pourrait-on pas en fonder une ?" Je me réjouis évidemment de ce projet et je m'y associai d'emblée; nous avons donc décidé de nous retrouver à la fin de l'été. J'avoue qu'au départ je nourrissais quelque scepticisme ; mais bien vite je compris qui était Germain Martin et éprouvai pour lui, pour sa ténacité aimable, des sentiments de confiante sympathie. Il était un parfait exemple de ces techniciens, gens du commerce, de l'industrie qui, excellents en leur domaine, sont en même temps passionnés de ce qui, à nous autres universitaires, est notre naturel gibier. Ce ne sont pas des "professionnels de l'humanisme", mais, bien mieux, des hommes et des femmes qui trouvent dans les humanités ce "supplément d'âme" dont ils éprouvent un vrai besoin. M. Germain Martin entra donc en contact avec le Bureau Budé de Paris, auquel il était loin d'être inconnu. De mon côté, je m'entretins de notre projet avec quelques universitaires et amis orléanais ; et c'est ainsi qu'au cours de l'année 1954 se constitua notre section. Notre premier bureau se composait de Mgr Pierre-Marie Brun, docteur en théologie orientale, Michel Adam, professeur de philosophie, Michel Raimond, professeur de littérature française, Jacques Boudet, professeur de Première supérieure, sous la présidence, naturellement, de Germain Martin, le véritable créateur de notre section, dont la première manifestation fut, le 23 novembre 1954, la conférence de Michel Adam sur Pascal et son Dieu."

Lors de cet anniversaire, nous avons eu une pensée pour les pères-fondateurs et les principaux animateurs de l'association qui nous ont peu à peu quittés : Germain Martin (1965), Pierre-Marie Brun (1992), Georges Dalgues (1997), Jacques Boudet (1998), Michel Adam (2007), Michel Raimond (2014), Alain Malissard (2014), Pierre Navier (2017), André Lingois (2018), Geneviève Dadou (2024).


Anniversaire, première partie, le jeudi 26 septembre 2024

Pour les 70 ans de notre section locale, qui vit le jour le 23 novembre 1954, la séance de rentrée s'est voulue à la fois commémorative et festive.

Mme Catherine Malissard,
présidente de la section d'Orléans,
présente ce que sera la saison 2024-2025.

Mme Diane Cuny,
vice-présidente de l'Association nationale, vient saluer les membres de notre Association.

M. Christian Massas (alias Amédée Bricolo) interprète la nouvelle du jeune Arthur Rimbaud
"Un coeur sous une soutane".
La section orléanaise
est reçue par la Municipalité dans l'Hôtel Groslot.


Diane Cuny, vice-présidente de l'Association nationale "Guillaume-Budé", qui  nous a fait l'honneur de sa présence, a ouvert la séance, expliquant notamment  une raison d'être majeure de l'Association nationale, le travail de recherche et de diffusion, très actif dans le cadre des éditions "Les Belles Lettres", dont le fleuron est la collection bilingue "Budé" concernant les textes anciens latins et grecs. D. Cuny a aussi rendu hommage au dynamisme et au rayonnement des sections locales de Lyon et d'Orléans, pointant les activités originales des divers ateliers et des cours de langues anciennes de cette dernière.

Après la rétrospective de la saison 2023-2024, le bilan financier et l'annonce de la prochaine saison, Catherine Malissard, notre présidente, a ensuite rendu hommage aux quatre anciens présidents : Germain Martin, président fondateur, durant 10 ans, Lionel Marmin de 1965 à 1988, Alain Malissard qui, de 1989 à 2014, précède de peu L. Marmin dans la longévité dans le poste, et Bertrand Hauchecorne, actuel président d'honneur, excusé de ne pouvoir être présent. La présidente s'est ensuite adressée à Jean Nivet, ancien secrétaire et vice-président, actuel vice-président d'honneur; elle a rendu un hommage  ému et appuyé à ce budiste présent depuis la fondation, attaché à l'esprit de l'association et d'une grande efficacité. 

Après un intermède littéraire festif, la commémoration s'est poursuivie par une invitation à la mairie, clôturée par un cocktail, en  présence d'un représentant du maire-adjoint à la culture, William Chancerelle, qui s'était trouvé dans l'impossibilité d'être présent. Après le discours du représentant de la mairie, insistant sur l'intérêt d'avoir à Orléans une association comme "Budé", faisant preuve d'une exigence dans la pensée et les contenus, C. Malissard a repris la parole pour insister avec émotion et détermination sur la nécessité de tenir sans cesse le fil de l'Humanisme. Pour terminer, Diane Cuny a tenu à reprendre la parole afin de rendre un hommage à la belle personne qu'était Alain Malissard, non seulement pour son envergure intellectuelle, mais aussi et surtout pour la gentillesse et la simplicité qui constituaient son charisme.

En intermède entre la réunion de rentrée et la mairie, dans  un spectacle musclé et jubilatoire à son image, Christian Massas a interprété Un cœur sous une soutane, nouvelle de jeunesse méconnue d'Arthur Rimbaud,  éditée dans la seule collection de la Pléiade. Mise au tiroir  pendant 35 ans pour anticléricalisme, puis ressortie par André Breton pour "ennuyer" la famille qui voulait  faire passer Rimbaud pour croyant, cette œuvre contient déjà tout l'humour et la poésie de Rimbaud.

C. Massas est un acteur culturel d'Orléans depuis plus de quarante ans, connu aussi sous son nom de clown, Amédée Bricolo, atypique car sans gros nez ni grimage habi­tuels et jamais au cirque mais au théâtre. Le mime, l'acrobatie et le jeu d'acteur sont sa triple formation de base, qu'il investit en bloc dans le comique et le travail de clown. Mais, depuis vingt ans, avec un diplôme d'État de professeur de théâtre de conservatoire, il enseigne au Conservatoire d'Orléans, dans un esprit d'ouverture et de recherche permanente. Professeur à temps partiel – pour pouvoir continuer à jouer, ainsi qu'à écrire des pièces et mettre en scène – il a joué en plusieurs langues, dans plus de quarante pays aux quatre coins du monde, s'imposant aussi devant des publics non préparés. Par amour de la littérature, il a monté maintes fois des textes de Novarina, Kafka, Beckett, Pirandello entre autres et interprété de grands auteurs au cours de lectures très personnelles, inspirées et animées.

Un cœur sous une soutane raconte, sous forme de monologue, les premiers émois  amoureux d'un jeune séminariste – comme Rimbaud a dû en rencontrer – alliés à une peinture, féroce jusqu'aux détails scabreux, de la bourgeoisie et de l'église de son temps, rejetées jusqu'à la nausée par Rimbaud dans ses écrits. L'interprétation brillante – et par cœur ! – de C. Massas,  faisant appel à toutes les ressources du jeu –  intonation, mimiques et pantomime – le métamorphose sous nos yeux en adolescent boutonneux étriqué et exalté, mêlant dans  un même élan l'adoration de la petite bourgeoise à celle de la Vierge Marie et gambadant sur la scène en retroussant sa soutane. Il incarne ainsi toute la force de satire et de dérision du texte et c'est une comédie grinçante qu'il nous livre.

Moments  commémoratifs et ludiques conjugués, c'était une belle soirée de rentrée.

C. Spenlé-Calmon


Un coeur sous une soutane, intimités d'un séminariste, d'Arthur Rimbaud

Le texte de cette nouvelle, datant de 1870 (Rimbaud avait 16 ans), n'a été publié qu'en 1924, car jugé sulfureux par ses implications anticléricales. Louis Aragon et André Breton ont écrit une préface où ils déclarent : « Nous sommes heureux de faire ici chavirer la légende d'un Rimbaud catholique ».

Au séminaire, le jeune Léonard, qui a 18 ans, vient de se décider à prendre la soutane. Dans une sorte de journal, il raconte comment s'est passée l'année qui a précédé son ordination. Eprouvant une véritable répulsion pour ses condisciples, persécuté par le Père supérieur, il tentait d'échapper à cette atmosphère en écrivant des vers. Reçu un jour dans une famille bourgeoise, les Labinette, il tomba follement amoureux de leur fille Théothima. Il la rencontra d'abord dans la cuisine qui sentait la soupe aux choux, puis dans le salon où le père Césarin jouait aux cartes avec Riflandouille, un ancien sacristain. Sans s'en rendre compte, le jeune garçon s'y montra ridicule, ébloui qu'il était par la pourtant très banale Thimothima. Il finit par comprendre qu'on riait de lui à cause de ses mauvais vers, mais aussi parce que ses pieds sentaient mauvais (c'est pour cela que sa belle lui avait offert des chaussettes). C'est en étant résigné à être à jamais un "martyr de l'amour" qu'il avait finalement pris le vêtement sacerdotal. Il serait donc un modeste curé de campagne; mais il se jurait… de ne jamais quitter les chaussettes que Thimothina Labinette lui avait données.

En écrivant cette nouvelle, Rimbaud pressentait peut-être ce que serait sa vie. Comme son personnage, ne supportant pas le monde tel qu'il est, il voudra d'abord se révolter en se réfugiant dans la poésie. Puis, de même que Léonard finira comme simple curé de campagne, lui aussi renoncera en devenant négociant en Abyssinie.

Début de la nouvelle : O Thimothina Labinette ! Aujourd'hui que j'ai revêtu la robe sacrée, je puis rappeler la passion, maintenant refroidie et dormant sous la soutane, qui l'an passé, fit battre mon cœur de jeune homme sous ma capote de séminariste !
Fin de la nouvelle : Un an après, 1er Août — Aujourd'hui, on m'a revêtu de la robe sacrée ; je vais servir Dieu ; j'aurai une cure et une modeste servante dans un riche village. J'ai la foi ; je ferai mon salut, et sans être dispendieux, je vivrai comme un bon serviteur de Dieu avec sa servante. Ma mère la sainte Église me réchauffera dans son sein : qu'elle soit bénie ! que Dieu soit béni ! Quant à cette passion cruellement chérie que je renferme au fond de mon cœur, je saurai la supporter avec constance : sans la raviver précisément, je pourrai m'en rappeler quelquefois le souvenir : ces choses-là sont bien douces ! — Moi, du reste, j'étais né pour l'amour et pour la foi ! — Peut-être un jour, revenu dans cette ville, aurai-je le bonheur de confesser ma chère Thimothina ?... Puis, je conserve d'elle un doux souvenir : depuis un an, je n'ai pas défait les chaussettes qu'elle m'a données... Ces chaussettes-là, mon Dieu ! je les garderai à mes pieds jusque dans votre saint Paradis !...

Manuscrit intégral sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10021498f/f26.item
Texte intégral sur http://abardel.free.fr/tout_rimbaud/un_coeur_sous_une_soutane.htm

Depuis plus de quarante ans, Christian Massas (alias le "clown" Amédée Bricolo) enseigne le théâtre burlesque au Conservatoire d'Orléans. Il a écrit : « Nous voudrions par notre travail trouver et faire trouver une euphorie proche de l'humour joyeux de notre enfance. Car nous pensons que le rire soulage de la souffrance. Le plaisir de rire ne masque pas la lucidité. Son caractère libérateur contrarie le tragique de l'existence. L'humour ne se résigne pas, il défie. Le trop sérieux réclame du rire pour ne pas sombrer dans le ridicule de la gravité. Nous voudrions trouver un rire sain qui serait le juste milieu entre la lourde gravité de l'intellectualisme et l'exubérance légère de l'inconsistant. C'est ainsi que nous assumons nos choix artistiques. » (Christian Massas)


Anniversaire, deuxième partie, le vendredi 22 novembre 2024

Ce concert-conférence, proposé par DAPHNE CORREGAN et CAROLINE COLOMBEL-GENES, ressuscite les Ladie's concerts initiés par des compositrices dans les salons aristocratiques anglais de la fin du 18e au début du 19e siècle.

Daphne Corregan, soprano, a obtenu avec brio, au sein du Conservatoire d'Orléans, d'abord un Diplôme de Fin d'Etudes, principalement voix soliste et instrument, puis un 1er  Prix de Perfectionnement lyrique. Elle mène de front et avec rigueur sa carrière et l'enseignement du chant. Son répertoire embrasse tous les aspects du chant lyrique jusqu'à la musique contemporaine, en concerts solistes, dans des formations de qualité dont La Rêveuse et les Folies Françoises, des opéras ou des collaborations la menant sur des sentiers originaux.

La harpiste Caroline Colombel-Genest est  détentrice aussi à l'unanimité du jury d'un DFE de harpe au Conservatoire de Boulogne-Billancourt et d'un Capes d'enseignement musical et choral. Elle se produit dans des ensembles et des orchestres symphoniques comme celui d'Orléans, où elle enseigne depuis deux ans. Sa curiosité la poussant à sortir des sentiers battus, elle s'est produite à travers la France pendant dix ans au sein de l'excellent ensemble Naccara, unique en son genre, car comprenant pas moins de six harpes. Elle participe aussi au Symposium de la harpe en Pays de Galles.

Étendant les Ladies' concerts hors de Grande-Bretagne, notamment en France, les musiciennes ont offert, tant par leur qualité que celle des airs interprétés, un merveilleux moment musical de grande tenue, empli de douceur et  non sans humour, car avec un parti pris féministe  très malicieux. En effet beaucoup de ces compositrices, quoique reconnues et célébrées pour leur talent, ont été amenées à abandonner leur carrière pour celle de leur mari ou sont tombées dans l'oubli après leur mort, personne, dans une sphère musicale très masculine, n'ayant eu à cœur de perpétuer leur mémoire.

Elles ont donc interprété quatre Canzonets d'Elisabeth Pym Cumberland (1779-1840) harpiste dont la biographie, hélas, reste à faire ; puis Elévation de Louise Farrenc (1804- 1875), très active dans l'édition musicale, connue et soutenue par les plus grands musiciens de son temps pour ses talents de pianiste, compositrice et – chose rare – professeur au Conservatoire de Paris et dont le mari, musicien aussi, conscient de ses dons exceptionnels, se fit l'impresario. Le concert s'est poursuivi avec un Nocturne et une Romance de la compositrice française Pauline Duchambge (1776-1858) sur des poèmes de Marceline Desbordes-Valmore. Élève de Cherubini et compagne d'Auber, elle eut beaucoup de succès de son vivant et mit en musique les grands écrivains qu'elle fréquentait, dont Hugo, Chateaubriand, Lamartine, Vigny. Il y eut ensuite trois chants de Sophie Gail (1775-1816), également sur des poèmes de M. Desdordes-Valmore. Épouse de l'helléniste J.-P. Gail, dont elle se sépara pour mener une vie libre, elle fut très célèbre aussi pour ses opéras. En fin de concert, trois Canzoncine ou Petits airs italiens d'Isabella Colbran (1785-1845), grande soprano dramatique d'origine espagnole, adulée pour l'amplitude phénoménale de trois octaves et le timbre magnifique de sa voix, qui fut l'épouse puis l'amie très chère de Rossini, qui composa pour elle nombre de ses airs d'opéras.

La complicité amicale et musicale des deux interprètes ajouta à la grâce et à la distinction du concert, le doigté rigoureux, poétique et parfois malicieux de Caroline soutenant le timbre à la fois rond et cristallin de Daphne, un chant pur à la diction parfaite.

Ce moment suspendu créé par nos deux Ladies françaises a ravi le public, ainsi que notre président national Michel Farztoff, qui était venu à Orléans pour le colloque sur Étienne Dolet prévu pour le lendemain.

C. Spenlé-Calmon

Anniversaire, troisième partie, le samedi 23 novembre 2024

JOURNÉE D'ÉTUDES ÉTIENNE DOLET

Pour clore les festivités organisées pour son 70e anniversaire, notres Association a consacré une journée d'études à ÉTIENNE DOLET, cet humaniste qui, né à Orléans en 1509, mourut sur le bûcher à Paris en 1546, victime d'une société intolérante qui lui reprochait sa trop grande liberté de pensée.

Cette journée a été ouverte par une intervention de M. William Chancerelle, maire-adjoint à la Culture, qui salua tout le travail accompli par la section orléanaise de l'Association Guillaume-Budé et la remercia pour l'organisation de cette journée consacrée à une personnalité née à Orléans, en résonance avec l'actualité dans une période marquée par les discussions autour de la liberté de penser.

C'est Michel Fartzoff, président de l'Association Guillaume-Budé nationale, qui présida cette journée de travaux, au cours de laquelle on put entendre cinq communications sur Étienne Dolet.
Préalablement furent évoquées les 70 années de présence de notre Association dans la vie culturelle orléanaise et ses cinq présidents successifs : Germain Martin (1954-1965), Lionel Marmin (1965-1989), Alain Malissard (1989-2014), Bertrand Hauchecorne (2015-2022) et Catherine Malissard (depuis 2022).

Catherine Langlois-Pezeret, professeur de Lettres classiques en classes préparatoires au lycée Lakanal, présenta une première communication : "De Lyon à Paris en passant par Orléans: Étienne Dolet et ses villes". Furent traduits et commentés quelques passages des Carmina où l'on trouve des allusions à Paris, à Toulouse et à Lyon. En revanche, rares sont les vers de Dolet qui évoquent Orléans, sa ville natale, alors qu'il aimait rappeler, au moins sur la page de titre de ses ouvrages, qu'il était "Aurelius".

Michel Magnien, professeur de Littérature française de la Renaissance à la Sorbonne-Nouvelle, dans une communication intitulée "Dolet en ses Commentaires de la langue latine", après avoir rappelé la qualité typographique des éditions d'Etienne Dolet, montra que Dolet a fait du commentaire humaniste, qu'on pourrait imaginer comme une pratique érudite et distanciée, un instrument pour se mettre lui-même en scène et assurer sa propre promotion.

Marie-Luce Demonet est professeur émérite de Littérature française à l'Université de Tours. Elle traita de "L'esperluette & le point-virgule chez Dolet". Le système ponctuant de Dolet (qu'il décrit en 1540) ne comprend pas de point-virgule, mais fournit une recommandation sur l'usage de l'esperluette selon sa position dans la phrase. Si le premier est encore utilisé, l'esperluette est devenue une fantaisie typographique. On a pu observer l'application des principes de Dolet dans quelques ouvrages imprimés par ses soins, dans les différentes éditions des Essais de Montaigne entre 1580 et 1595, puis dans ses manuscrits.

Sophie Astier est directrice adjointe de la Bibliothèque municipale de Versailles, chercheuse associée STIH à la Sorbonne-Université. Son sujet était "Étienne Dolet, un homme d'actualité". Elle montra que Dolet est toujours resté au contact de l'actualité politique, diplomatique et littéraire. De plus il comptait parmi ses protecteurs les frères Guillaume et Jean du Bellay, conseillers et diplomates de François Ier, par lesquels il avait accès à des textes officiels. Lorsqu'il prépara son ouvrage "Gestes de François de Valois" (1539), il compila de nombreuses sources, complétant même son texte en 1543 en y insérant des événements qui se sont déroulés entre-temps.

Philippe Nivet, professeur d'Histoire contemporaine à l'Université de Picardie-Jules-Verne, termina la journée avec "Le projet orléanais, exemple des polémiques suscitées par les monuments à Étienne Dolet". Il montra qu'à Paris, à Lyon, puis à Orléans les projets d'élever un monument en hommage à Dolet "martyr de la libre-pensée" ont toujours été sources de polémiques engagées par ceux qui rappelaient les accusations formulées dès le XVIe siècle contre un Dolet athée, assassin et plagiaire. A Lyon, le projet n'aboutit pas  ; à Paris le monument de la place Maubert, fondu sous l'Occupation, n'a pas été remplacé  ; à Orléans il ne reste du monument inauguré en 1933 qu'un modeste buste en pierre dans le jardin de l'Hôtel Groslot  ; à Toulouse un médaillon sur la porte de la Bibliothèque d'Étude et de Patrimoine rappelle la mémoire de l'imprimeur.

Pour finir, Michel Fartzoff s'est félicité de la richesse de cette journée et a invité les "budistes" orléanais à participer au prochain Congrès national de l'Association. Catherine Malissard a clos la journée en remerciant le président national de sa présence et de son animation des échanges, ainsi que tous les participants.

 


Etienne Dolet a passé ses douze premières années à Orléans, avant de faire des études à Paris, à Padoue, à Venise puis à Toulouse. A Lyon, intégré au cercle des humanistes, il a fréquenté Marot et Rabelais, tout en employant son temps à la rédaction d'un volumineux ouvrage sur la langue latine. Puis il est devenu, grâce à François Ier, imprimeur-éditeur. Mais sa production d'ouvrages religieux ne tarda pas à attirer sur lui l'attention d'une Église très inquisitoriale, à l'affût des "hérésies" et des blasphèmes. À partir de l'année 1542, il connaîtra surtout la prison et les procès, où tout sera prétexte pour l'accuser de ne pas croire dans l'immortalité de l'âme. Finalement, accusé en outre d'avoir tué un homme, il sera étranglé et brûlé à Paris, le 3 août 1546, sur la place Maubert.
La personnalité de Dolet est difficile à cerner. Fut-il un homme de bonne compagnie ou un garçon infréquentable ? Fut-il un criminel ou une victime ? Fut-il un homosexuel misogyne alors qu'il a repris les idées d'Érasme tout à fait favorables aux femmes ? Fut-il croyant ou rationaliste antichrétien ? Pendant les siècles qui ont suivi, on n'a cessé d'opposer les arguments en sa faveur ou contre lui, pour retenir, finalement, son refus d'aligner ses idées sur celles que l'Église voulait imposer à tous. Ainsi Etienne Dolet reste pour nous le représentant de la pensée libre.
On trouvera sur notre site plusieurs études sur Étienne Dolet, avec de nombreux textes issus des polémiques qu'il n'a cessé de susciter.

 

CONFÉRENCES

Jeudi 3 octobre 2024
L'humanisme renaissant, ses racines et ses aspirations
conférence par Frank LESTRINGANT
professeur émérite de littérature française à l'Université Paris-Sorbonne.

L'humanisme, terme du XIXe siècle, désigne un mouvement culturel européen, littéraire et philosophique, des XVe et XVIe siècles, période qui correspond à la Renaissance.

Les principales figures de l'humanisme comme mouvement littéraire sont, en France, Rabelais (vers 1494–1553), Marot (1496–1544), Montaigne (1533–1592) et les poètes de la Pléiade. Le néerlandais Érasme (1467–1536) est cependant l'auteur qui incarne le plus, comme symbole, l'humanisme européen.

L'humanisme se caractérise avant tout par le statut qu'il confère aux sources antiques. Les grands auteurs de l'Antiquité grecque et latine (par exemple Platon, Aristote, Cicéron, Plutarque, Homère, Virgile, etc.) deviennent des modèles à imiter ; la redécouverte et l'appropriation de ces œuvres s'accélère.

Ce « retour » aux sources antiques est favorisé par les bouleversements que connaît l'Europe de la Renaissance, qui naît dans l'Italie du XIVe siècle. À côté des peintres qui s'inspirent de la mythologie antique, ou des érudits qui veulent renouveler le savoir, des auteurs italiens (Boccace, Dante, Pétrarque) ont initié, en littérature, ce mouvement d'imitation des « Anciens » (notamment Virgile ou Horace). Vers 1450 ensuite, l'Allemand Gutemberg (1400–1468) perfectionne l'imprimerie en inventant les caractères métalliques mobiles, ce qui permettra une beaucoup plus grande diffusion du livre et donc des savoirs. Enfin, la rétractation de l'Empire byzantin, héritier de l'Empire romain et porteur de sa culture greco-latine, puis sa chute finale à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, favorise le transfert des savoirs antiques vers l'Italie et donc vers l'Europe.

Les textes des Anciens sont connus, par les humanistes, en langue originale. Les lettrés apprennent le latin, la langue savante de l'époque, mais aussi le grec et l'hébreu. Ils traduisent les textes et veulent en retrouver la forme originelle. On revient directement à la source en écartant, parfois, les commentaires et les erreurs de traduction du Moyen Âge. Ce dernier est érigé en repoussoir. Le mythe du Moyen Âge, barbare, gothique, sombre, naît à cette époque.

Ce retour aux sources sert un idéal : la place centrale conférée à l'homme dans la réflexion savante. Humanisme vient du latin humanus « humain », et humanitas signifie « culture ». L'effervescence intellectuelle de l'âge humaniste se traduit par un optimiste général et une foi dans l'homme qui, par l'éducation, peut s'améliorer. On se soucie de son sort et de son bonheur. L'Anglais Thomas More (1478–1535) invente notamment L'Utopie (1516), un projet de cité idéale et bien réglée.

La « découverte » de l'Amérique nourrit le renouvellement intellectuel européen. Les lettrés de l'Europe se passionnent pour les récits de voyages des colons et explorateurs. La figure de l'Amérindien, le « bon sauvage », pousse une interrogation sur l'Autre, l'homme préservé des vices de la civilisation, et sur le Même, l'humanité qui nous lie à cette homme (Les Cannibales de Montaigne).

Cette interrogation est critique de la société : les Essais de Montaigne contiennent une dimension subversive. C'est aussi le cas chez Rabelais qui, dans Pantagruel (1532) et Gargantua (1534), moque la société de son temps. Dans son Discours sur la servitude volontaire (1576, posthume), Étienne de la Boétie (1530–1563), ami de Montaigne, formule l'une des premières grande critique moderne du pouvoir.

Enfin, l'Europe humaniste est une Europe chrétienne. La même démarche, appliquée aux textes des Anciens, est utilisée sur le texte biblique : on veut revenir au texte originel et se libérer des lectures traditionnelles. Cette tendance est contemporaine au développement de la réforme protestante duquel nombre d'humanistes se sentent proches. En France, Lefevres d'Étaples (1460–1536) traduit les Évangiles à partir de la Vulgate latine mais à l'aide de corrections grecques. En Allemagne, Martin Luther (1483–1546), réalise en 1522, à partir des textes originaux, la première traduction en allemand de la Bible.

H. Courtemanche


Né en 1951 à Rouen, Frank Lestringant est professeur émérite de littérature française à l'Université de Paris-Sorbonne. ll est membre du comité de la Société de l'histoire du protestantisme français, de la Société française des études seiziémistes et de la Société des amis d'Agrippa d'Aubigné. Sa thèse, dirigée par Jean Céard et soutenue en 1988, portait sur le cosmogaphe André Thevet (1516-1592). Depuis, il a travaillé sur les récits de voyages au XVIe siècle et sur les textes d'auteurs huguenots qui songeaient à implanter un refuge dans le Nouveau monde. On lui doit aussi une biographie de Musset et une étude sur André Gide l'inquiéteur. Il dirige avec Michel Zinc le premier tome de l'Histoire de la France littéraire, intitulé "Naissances, renaissances (Moyen Âge-XVIe siècle"). Sa dernière publication, aux Belles Lettres, Rabelais cartes sur table, trame les cartes sur lesquelles s'échafaudent les fictions rabelaisiennes : depuis le tour de France des universités et l'arpentage du Chinonais, jusqu'à l'océan et ses îles du Quart Livre, puis la descente vers la Dive bouteille au Cinquième livre. Récemment, il s'est penché sur la Cosmographie Universelle de Le Testu, véritable joyau de la cartographie de la Renaissance, établie par le corsaire et explorateur français qui a découvert au XVle siècle la baie de Guanabara où se dresse aujourd'hui Rio de Janeiro.

Le terme humanisme, créé à la fin du XVlllème siècle et popularisé au début du XIXème siècle, a pendant longtemps désigné exclusivement un mouvement culturel, philosophique et artistique prenant naissance au XVlème siècle dans l'Italie de la Renaissance, puis se développant dans le reste de l'Europe. Point de rupture autant que moment de transition entre le Moyen Âge et les Temps modernes, ce mouvement est en partie porté par l'esprit de liberté critique qui resurgit alors, point de départ d'une crise de confiance profonde qui affecte notamment l'Église catholique. Les penseurs humanistes de la Renaissance, en renouvelant considérablement l'approche de la civilisation antique européenne à la suite d'une approche médiévale notamment marquée par l'aristotélisme scolastique, n'abjurent pas pour autant leur foi. En plaçant au cœur de leur réflexion l'homme dans toute sa complexité, ils cherchent plutôt à produire la synthèse du double héritage gréco-romain et chrétien, en insistant non plus sur l'observation du monde compris comme seule création divine, mais sur le rôle actif des capacités intellectuelles humaines dans l'élaboration de la réalité de toute chose. C'est de cette révolution de la pensée, de ses racines et aspirations dont nous parlera Frank Lestringant.

Vendredi 15 novembre 2024
présentation par Olivier ROLIN de son ouvrage (Gallimard, 2024)
Jusqu'à ce que la mort s'ensuive, sur une page des Misérables de Victor Hugo
Entretien avec Catherine Malissard

Ancien élève de l'ENS et diplômé en lettres et philosophie, collaborateur à Libération et au Nouvel Observateur, Olivier Rolin est essentiellement écrivain, écrivain-voyageur, arpenteur des quatre coins du monde. Il  est l'auteur de 17 romans et de récits géographiques ou essais. Prix Femina pour Port Soudan en 1994 et France Culture pour Tigre en papier en 2003, en 2014 prix du Style pour Le Météorologue, grand prix de littérature de l'Académie française pour son œuvre et sujet d'un grand dossier dans la revue Europe.  
     
Il présente son livre Jusqu'à ce que mort s'ensuive (Gallimard 2024) récit à la fois historique et romanesque à partir d'une digression du début de la 5ème partie des Misérables : Hugo y décrit en quelques pages l'insurrection et les barricades moins connues de 1848 sous la 2ème république, les Misérables se passant dans les années 30 sous Louis Philippe. Le passage évoque deux hommes réels, Emmanuel Barthélémy et Frédéric Cournet, chacun responsable d'une barricade. Une documentation méticuleuse et rigoureusement respectée en tous points – jusqu'aux propos tenus par les protagonistes et aux manques impossibles à combler – définit la méthode revendiquée par l'auteur et qu'on retrouve dans beaucoup de ses textes. Il s'agit donc une enquête à la fois haletante mêlant plusieurs fils que Catherine Malissard contribue à dérouler.

La première question, sur la raison d'avoir bâti un récit sur cette digression, amène l'auteur à faire le point sur l'évolution politique de Hugo. Le roman a été écrit en deux fois, entre 1845 et 1848, lorsqu'il était député conservateur, puis repris à Guernesey en 1860. Mais il n'est plus du tout le même et son rôle pendant les journées de 1848 lui pose problème car, malgré ses positions modérées, il était du côté de l'ordre. C'est d'ailleurs dans cet épisode digressif que surgit l'unique « je » de l'auteur dans le texte, à propos de la présence poétique d'un papillon pendant l'affrontement ! O. Rolin fut alerté, nous dit-il, par ce peu que dit Hugo sur les deux personnages, mais dans un contraste très hugolien quant à l'origine sociale, l'appartenance politique et le tempérament : Barthélémy, ouvrier sectaire, fanatique et méthodique, Cournet, bourgeois fortuné (comme V. Hugo), truculent et proche de Ledru-Rollin. L'apparence même de leur barricade respective, l'une « masque sinistre » tiré au cordeau, l'autre « gueule formidable » au bouillonnement improvisé, reflète, dans un symbolisme voulu, l'antagonisme des deux hommes que la haine, surtout celle, implacable, de Barthélémy entraînera dans une lutte à mort.

C. Malissard soulève un des thèmes essentiels, à savoir l'individuel dans le collectif. O. Rolin confirme que ce sont des personnages pris individuellement dans de grandes espérances qui l'intéressent le plus souvent, mais poursuit en rapprochant cet affrontement avec la période maoïste de sa jeunesse, où les haines provoquaient des bagarres sectaires, face sombre de toutes ces grandes espérances. Il précise avec humour que Barthélémy l'intéresse plus quoiqu' il aurait préféré être copain avec Cournet… tout comme Hugo qui connaissait Cournet et n'aurait sûrement aucune sympathie pour Barthélémy !

Sur la remarque de C. Malissard que c'est en exil à Londres que se révèle et s'exacerbe leur opposition, O. Rolin décrit la communauté internationale des exilés politiques de l'époque, dont des Allemands (Marx entre autres), la plupart vivant dans le plus grand dénuement, sauf quelques uns dont Cournet. Un milieu où règne la paranoïa entre factions, entre hommes du peuple et ces bourgeois contre lesquels  Barthélémy radicalise sa position en la personne de Cournet avec qui il veut en finir. Jusqu'à provoquer un duel où il le tuera dans la campagne londonienne, explication du titre tiré de la formule de la condamnation à mort dans la juridiction anglaise.

Cela amène au contexte géo-historique magnifiquement envisagé à propos des deux villes, Paris et Londres, et de leurs quartiers. O. Rolin applique aussi à l'étude des lieux sa méthode de documentation à la fois livresque et in situ. «J'ai besoin de voir, de marcher, de reconstituer les lieux ». Une écriture « photographique » pour C. Malissard, mais aussi éminemment géographique et historique qui donne à voir des rues et quartiers disparus du Paris de Napoléon III d'avant les travaux d'Haussmann et du Londres noir et déjà industriel des années 1850. Longues digressions détaillées – dignes de Hugo – faisant appel aux cinq sens, comme à Paris celle de l'enfer de la grande voirie de Monfaucon avec en son centre la grande écorcherie et sa puanteur, son sang, ses boyaux… Mais aussi reconstitution de l'épouvantable bagne de Brest, avec ses lieux et ses règlements où Barhélémy fut emprisonné. Tout cela tressé avec le contraste des mêmes quartiers de nos jours: comme les quartiers miséreux de Londres devenus bourgeois de nos jours.

Vient ensuite le sujet du duel qui met fin à la vie du modéré Cournet sous la balle de l'implacable Barthélémy, duel retentissant à l'époque, le dernier en Angleterre. O. Rolin en a retrouvé sur place la mémoire tangible (par ex. la même auberge et certainement le champ qui en fut le théâtre). Le thème du duel appelle celui du double qui traverse tout le récit, jusqu'à la fin avec le double meurtre dans lequel Barthélémy trouve la mort.

De manière passionnante O. Rolin tisse donc, sans jamais en lâcher un, une tapisserie à quatre fils : la biographie, forcément lacunaire, des deux protagonistes ; la géographie historique, sociale et politique des lieux qu'ils sont amenés à habiter ; sans oublier le fil de l'accompagnement à la fois admiratif et malicieusement critique de celui qui est à l'origine de sa démarche, le grand V. Hugo. Tout cela – 4ème fil – à travers une mise en perspective minutieuse avec notre siècle : sa propre biographie d'ancien de la gauche prolétarienne et les dédales dans lesquels il nous entraîne au cours de ses multiples promenades-enquêtes pour « reconnaissances des lieux » toujours là, disparus ou transformés par les activités modernes. La conférence se termine sur une affirmation, dont le XXIe siècle devrait prendre leçon, l'importance du passé qui « fabrique » les hommes, même à leur insu, la connaissance du passé étant un des principaux moyens de vivre bien.

Un entretien, à la fois dense et fluide de bout en bout, illustré par la lecture de certains passages montrant une écriture d'amples périodes et digressions très travaillées, alliée à un style plus lapidaire et familier, et pimentée par un humour jamais bien loin. Un entretien invitant à découvrir l'œuvre d'un écrivain  travaillant sur son sujet loupe en main tel S. Holmes !
                                                                                                                                       C. Spenlé-Calmon


Olivier Rolin, ancien élève de l'ENS, a été membre dirigeant de l'organisation maoïste Gauche prolétarienne. Il est l'auteur de récits géographiques et d'une quinzaine de romans. Dans Port-Soudan (1994), un Français exilé à Port-Soudan revient à Paris pour rencontrer les relations d'un de ses anciens camarades de Mai 68. Dans Tigre en papier (2002), le narrateur remonte dans son passé de militant maoïste et fait revivre les grandes figures de la Gauche prolétarienne, de Benny Lévy à Serge July. Un chasseur de lions (2008) romance la vie de l'ingénieur Eugène Pertuiset (qui dirigea une expédition au Chili en 1874) en le mettant à la tête d'une expédition à la recherche du trésor des Incas en Terre de Feu. Le Météorologue (2014) raconte le destin d'Alexeï Vangengheim, directeur du service de météorologie de l'URSS, victime de la terreur stalinienne.
Dans Jusqu'à ce que mort s'ensuive, Olivier Rolin est parti d'un chapitre des Misérables de Hugo (au début de la cinquième partie) : « Que fut juin 1848 ? Une révolte du peuple contre lui-même. Qu'il nous soit permis d'arrêter un moment l'attention du lecteur sur les deux barricades absolument uniques qui ont caractérisé cette insurrection. L'une encombrait l'entrée du faubourg Saint-Antoine, l'autre défendait l'approche du faubourg du Temple. Ceux devant qui se sont dressés, sous l'éclatant ciel bleu de juin, ces deux effrayants chefs-d'œuvre de la guerre civile ne les oublieront jamais. Ces deux forteresses avaient été édifiées par deux hommes nommés l'un Cournet, l'autre Barthélémy. Chacune d'elles était l'image de celui qui l'avait bâtie. Cournet était un homme de haute stature ; il avait les épaules larges, la face rouge ; il avait été officier de marine. Barthélémy, maigre, chétif, pâle, taciturne était une espèce de gamin tragique. Plus tard, à Londres, proscrits tous deux, Barthélémy tua Cournet. Quelque temps après Barthélémy fut pendu… »
Emmanuel Barthélemy, l'ouvrier, et Frédéric Cournet, le marin, ont réellement existé. Olivier Rolin a voulu tenter de reconstituer, de Paris à Londres, leur destinée romanesque de ces deux hommes qui, après s'être battus pour le même idéal, ont fini par se haïr jusqu'à ce que la mort s'ensuivre "sur un pré dans les environs du château de Windsor". Pour cela il a eu recours aux archives, aux documents de police et à sa propre imagination, pour composer un ouvrage qui est à la fois biographie, essai littéraire, roman-feuilleton. Il fait revivre Paris, une ville familière grâce à des pages de L'Éducation sentimentale ou de La Femme de trente ans ; il montre Londres "lugubre et hideux", tel qu'il a dû apparaître aux exilés. Et puis Olivier Rolin retrouve dans les querelles entre ses deux révolutionnaires – un Barthélémy blanquiste et un Cournet partisan de Ledru-Rollin – quelque chose des affrontements idéologiques de l'extrême gauche qu'il a connus comme un des dirigeants de la Gauche prolétarienne.

Mardi 14 janvier 2025
entretien entre Jean-Pierre SIMÉON et Éric FOTTORINO
D'Homère à demain, comment la poésie comprend le monde

Eric Fottorino est journaliste et écrivain. Il a longtemps été journaliste au « Monde » et est cofondateur de l'hebdomadaire « Le 1 » et de plusieurs trimestriels. Auteur d'une quinzaine de romans, il a reçu plusieurs prix. Jean-Pierre Siméon, agrégé de lettres modernes, est poète, romancier, dramaturge et critique. Il a reçu lui aussi plusieurs prix et a été directeur artistique du Printemps des Poètes.

Certes il peut sembler paradoxal d'allier poésie et journalisme, mais l'entretien va mettre en évidence les liens étroits qui unissent ces deux domaines. Jean-Pierre Siméon rappelle la relation au monde qu'avaient Grecs et Romains à travers la poésie, la tragédie. Or l'exclusion des poètes de l'expression de la réalité entraîne une compréhension unique du monde et l'on constate que, si la philosophie et la poésie sont exclues, elles sont remplacées par des experts, des scientifiques. Jean-Pierre Siméon évoque le poète Novalis selon lequel plus il y a de poésie, plus il y a de réalité.

Pour Eric Fottorino les poètes sont les reporters de leur époque, et il pense au poème de Marguerite Yourcenar « Gares d'émigrants : Italie du sud » (1934). Le journal « Le 1 » propose d'ailleurs chaque semaine un poème.

Jean-Pierre Siméon déplore qu'actuellement on ne lise plus les poètes qui auraient beaucoup à nous dire, comme Ronsard dans « Discours des misères de ce temps, à la reine mère du roi » (1562), et bien d'autres tels Agrippa d'Aubigné, Lorca, Hugo, Lamartine. Les poètes parlent de tout, de la  réalité. Pensons à Virgile qui mettait déjà en garde contre la mort des abeilles dans les Géorgiques (années trente avant J.-C.) ! Ou à Hugo : « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne … », poème où s'exprime toute la douleur d'un père après la disparition de sa fille. La réalité, c'est ce que les cinq sens nous disent.

Eric Fottorino voit dans la poésie un refuge par rapport au réel. Il en veut pour preuve qu'après le 11 septembre 2001 les rayons de poésie ont été dévalisés à New York. Il en a été de même au début de la pandémie du Covid. Tout poème a pour arrière-plan la mort et on pense à Primo Lévi. On se souvient du Président Georges Pompidou citant, lors d'une conférence de presse, Éluard pour répondre à une question concernant l'affaire Russier. Eric Fottorino raconte son émotion à la lecture du poème d'Henri Michaux Je suis né troué, alors qu'il avait 17 ans. Grâce à l'écriture, il a pu élucider ses origines, s'approcher au plus près de ses ancêtres. Pour lui, le journaliste restitue le réel.

Jean-Pierre Siméon voit dans la poésie un corps-à-corps avec le réel. Elle dit le réel, alors que les experts le mettent en concept. Jean-Pierre Siméon montre l'investissement du corps dans l'écriture. Les premiers textes étaient des incantations, comme les grands mythes, des chants. Eric Fottorino indique qu'il a écrit et non tapé le texte de « Mon enfant, ma sœur », sœur dont il ne sait rien mais qu'il interpelle. Pour lui, lire son texte à haute voix, donc l'entendre, est primordial pour saisir la musicalité.

Jean-Pierre Siméon considère que la langue des hommes et femmes politiques est asphyxiée, le discours d'André Malraux lors de l'entrée au Panthéon de Jean Moulin étant une exception. Il déplore que l'image se substitue à la langue et pense que l'acronyme est l'aboutissement absolu de la perte du réel. Une langue monosémique est parfois indispensable, mais son emploi doit être limité, car elle réduit le réel.

En conclusion de cet échange passionnant, Jean-Pierre Siméon et Eric Fottorino rappellent que comprendre vient de cum prehendere.


Éric Fottorino a fait des études de droit et a été journaliste au Monde (entre 1986 et 2011). Puis il a créé diverses publications (Le 1, America, Zadig, Légende). Entre 1991 et 2024 il a publié une quinzaine de romans. Plusieurs sont liés à sa propre histoire : il est enfant naturel d'un juif marocain, reconnu et adopté par un pied-noir de Tunisie, qui s'est ensuite suicidé. On peut citer : Korsakov (2004), L'Homme qui m'aimait tout bas (2009), Questions à ma mère (2010), Dix-sept ans (2018), Mon enfant ma sœur (2023)…
Jean-Pierre Siméon, agrégé de Lettres modernes (1974), est l'auteur de nombreux recueils de poèmes, de romans, de livres pour la jeunesse et de pièces de théâtre. Il a été directeur artistique du Printemps des Poètes de 2001 à 2017. En 2006, notre association l'avait reçu, en même temps que son ami Jean-Marie Barnaud, pour une conférence intitulée Paroles de poètes.

Mardi 21 janvier 2025
conférence par John SCHEID,
Qu'est-ce qu'un bois sacré chez les Romains ?

John Scheid, agrégé de grammaire, historien et archéologue, spécialiste de l'Antiquité romaine, est professeur honoraire au Collège de France. Après de nombreuses publications depuis 1975 (sa thèse sur les Frères arvales), il a publié récemment Les Romains et leurs religions, aux éditions du Cerf.
Les actes du colloque international du Centre Jean Bérard sur le thème des bois sacrés (Naples, 1989) ont été publiés en 1993. John Scheid est l'auteur de l'introduction, sous le titre "Lucus, nemus, qu'est-ce qu'un bois sacré?" Le texte intégral se trouve en Open Edition Book à l'adresse https://books.openedition.org/pcjb/320

« La notion moderne de bois sacré doit beaucoup aux romantiques allemands et sert de fondement à des considérations anachroniques sur le culte des arbres ou la divinisation de la nature. En fait, les textes invoqués prouvent que le lucus était pour les anciens Romains un lieu créé et habité par une divinité, un lieu "monstrueux" en pleine terre habitée, à l'instar du tescum de la formule augurale, où la toute-puissance divine se manifestait de façon éclatante. »

Jeudi 13 mars 2025
Mieux connaître Guillaume Budé: l'unité d'une œuvre aux multiples facettes
conférence par Romain MENINI et Luigi Alberto SANCHI

 


Agrégé de Lettres classiques, Romain MENINI est maître de conférences à l'université Gustave-Eiffel à Champs-sur-Marne, où il enseigne la langue et la littérature française, ainsi que l'histoire du livre. Ses travaux portent sur la littérature de la Renaissance et la philologie humaniste. Il est surtout spécialiste de Rabelais. Il a notamment publié Rabelais et l'intertexte platonicien (Droz, 2009) et Rabelais altérateur-Græciser en François (Paris, Classiques Garnier, 2014). Tout Rabelais (Bouquins, 2022) est paru sous sa direction. Il est également co-fondateur de la revue L'Année rabelaisienne.

Luigi-Alberto SANCHI est agrégé de grammaire et docteur en histoire (2004) Il est chercheur à l'Institut d'histoire du droit Jean-Gaudemet à l'Université Panthéon-Assas. Spécialiste de Guillaume Budé, il a travaillé acec Marie-Madeleine de La Garanderie († 2005). Sa thèse de doctorat, publiée en 2006, porte sur Les Commentaires de la langue grecque de Guillaume Budé. Il est l'auteur de Budé et Plutarque, des traductions de 1505 aux Commentaires de la langue grecque, (Champion, 2008), Guillaume Budé, philosophe de la culture (Classiques Garnier, 2010), L'Epitomé du De Asse (Les Belles lettres, 2008). Il a dirigé la publication, par 70 spécialistes, de Les Lettres grecques. Anthologie de littérature grecque d'Homère à Justinien (Les Belles Lettres, 2020).

Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi ont publié Les noces de Philologie et de Guillaume Budé (Ecole des Chartes, 2021) et, aux Belles-Lettres en janvier 2025, L'Antiquité selon Guillaume Budé. À l'école d'un humaniste érudit.

Les études réunies par Christine Bénévent, Romain Menini et Luigi Alberto Sanchi sous le titre Les noces de Philologie et de Guillaume Budé « ont pour ambition de revenir, à la lumière des recherches les plus récentes, sur les différentes facettes de l'œuvre de Guillaume Budé, allant de l'essai historique novateur qu'est le De Asse à la défense et illustration du grec, de l'exégèse des sources du droit romain aux recommandations politiques de l'Institution du prince, en passant par des considérations morales et religieuses disséminées dans les lettres, des digressions et des traités. »

Les auteurs présentent ainsi le second ouvrage : « Parmi les géants de son temps, Guillaume Budé tient une place à part. Il est assurément le plus singulier des lettrés français de la première Renaissance. Contemporain d'Érasme et de Thomas More, il posa comme nul autre avant lui – mais aussi après lui, peut-être – la question des humanités en France, ainsi que les bases d'une réflexion nationale en la matière. Parallèlement à son rôle dans la politique culturelle du royaume, ses ouvrages montraient la voie encyclopédique d'études qui n'entendaient laisser de côté aucun domaine de la connaissance antiquaire : philologie du Digeste, patristique, lexicologie du grec ancien, érudition numismatique, histoire économique. Autant de domaines qui, de nos jours, n'apparaissent plus guère dans un cursus de lettres classiques, voire d'histoire ancienne. Or les recherches savantes auxquelles Budé s'adonna tout au long de sa vie ne sauraient être comprises, dans leur portée et dans leur signification, qu'en étant replacées dans le contexte qui fut le leur. Sans cet effort historique – lequel était déjà au fondement de la démarche même de Budé face à l'Antiquité –, nous risquons de nous heurter à un monde incompréhensible. Ainsi sonnait déjà la leçon des écrivains de la "Renaissance" : c'est en tentant de comprendre de l'intérieur les civilisations révolues, dans toute la diversité de leurs préoccupations – et quitte à mesurer ce qui nous en sépare – que nous en pourrons tirer les enseignements les plus utiles à notre temps.»

SORTIE

Visite à Paris de l'Institut de France Visite à Malesherbes du Musée de l'imprimerie

PARTENARIATS

 

12 octobre 2024, en partenariat avec Linguafest'45 ("Festival des langues 2024")
À la découverte des langues : présentation du grec ancien et du latin
par Pierre-Alain Caltot, Nicole Laval-Turpin et Colette Spenlé-Calmon

L'association Linguafest'45 a transposé dans le Loiret, en 2023, ce qui avait été initité à Tours en 1995 par l'association Linguafest'37. Il s'agit de donner un aperçu des multiples langues, patois et dialectes qui ont été et qui sont encore parlés sur la planète. Le 7 octobre 2023, Marcelle Provost avait organisé, à La Source, un "festival des Langues" au cours duquel une trentaine de langues ont été présentées.
Une seconde édition de ce festival a été organisée à l'UFR Lettres et à la Maison des Associations de La Source les 11 et 12 octobre 2024. Parmi les 30 langues présentées ont figuré le grec ancien et le latin.

 

17 novembre 2024, en partenariat avec l'Association "Livres et Vins en Terre de Loire"
en clôture du festival de Mareau-aux-Prés sur le Vin
Le Vin dans la littérature
textes lus par par Françoise Guerry-Raby, Nicole Laval-Turpin, Véronique Servais, Colette Spenlé-Calmon.

"Pour célébrer l'alliance plurimillénaire des lettres et du vin, nous voulons réunir, le temps d'un week-end, les amoureux des livres et les œnophiles autour de la littérature générale et spécialisée et de l'art de vivre." (Jean-Pierre Delpuech, président de l'Association "Livres et vins en terre de Loire").

Le Salon du Livre et du Vin en Terre de Loire a été organisé à Mareau-aux-Prés les 16 et 17 novembre par L'Association "Livres et Vins en Terre de Loire" sous la présidence d'honneur de Jean-Robert Pitte, vice-président de l'Académie des sciences morales et politiques, spécialiste du paysage et de la gastronomie, et auteur de nombreux ouvrages sur le vin. Ce salon a mis à l'honneur des auteurs de tous crus, de l'essai au roman, en passant par l'histoire, la gastronomie et naturellement la littérature vinique. Il a rassemblé les amoureux de la littérature, les éditeurs, les auteurs, les libraires, les viticulteurs, les producteurs, les œnophiles, dans le cadre d'évènements consacrés à la littérature en général, à la littérature spécialisée et à l'art de vivre. Des viticulteurs ont pu faire découvrir leurs terroirs, leurs productions et faire déguster leurs dernières créations. La commune viticole allemande de Stetten am Bodensee, jumelée avec Mareau-aux-Prés, était invitée.

Les deux journées ont été émaillées d'animations pour les enfants, d'une grande dictée œnologique pour tous, de conférences sur l'histoire de la vigne et des vignerons dans l'Orléanais, à l'époque gauloise puis au Moyen Âge, complétées par une exposition. Marieke Aucante, journaliste à France Télévisions a animé une table ronde avec Jean Robert Pitte et Kilien Stengel consacrée aux mots du vin. Le samedi soir après un spectacle burlesque — Christian Massas-Amédée Bricolo interprétant C'est la faute à Bacchus, les visiteurs ont pu se retrouver autour d'un repas du terroir proposé par des associations locales. Le second jour des textes sur le vin ont été lus par Françoise Guerry-Raby, Nicole Laval-Turpin, Véronique Servais et Colette Spenlé-Calmon. Bertrand Hauchecorne a présenté Omar Khayyam (1048-1131), mathématicien, astronome et poète persan, qui fut épicurien et grand amateur de vin.

Pour évoquer les vins de l'Orléanais, nous disposons de l'article de notre regretté secrétaire André Lingois : "Le vin d'Orléans dans les textes littéraires du Haut Moyen Âge au XVIIIe siècle", paru dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de l'Orléanais, n° 123, 1999, p. 43-68. On peut trouver sur notre site le texte intégral du poème de 721 vers de l'Orléanais Simon Rouzeau : L'Hercule Guespin ou Hymne du vin d'Orléans (1605).

Extraits :

[…] Entre les précieux et les plus excellents,
C'est le bon vin qui croît au terroir d'Orléans. […]
Ainsi notre bon vin sur tous les vins doit être
Vaillant, Premier, Soleil, Roi, Empereur et Maître.
Ainsi doivent céder tous les plus rares vins
Aux vins qui sont cueillis sur les coteaux Guêpins. […]
Ça donne m'en, garçon, une grand' tasse pleine,
Tant qu'on en peut tirer sans reprendre l'haleine.
Je sens jà sa vertu qui m'échauffe au dedans,
Qui noie mes ennuis et mes soucis mordants,
Ô qu'il est frais et bon ! ô que mon foie est aise !
Cela coule plus tôt que ne fait une fraise :
Ne vois-tu pas mon front que cette douce humeur
A peint du vermillon de sa vive couleur ?
Je ne sens pas ma soif, pour ce coup étanchée.
Allons en quelque lieu, couchés sur la jonchée,
Réjouir nos esprits, réveiller notre cœur,
Avalant à longs traits cette douce liqueur :
Sa céleste vertu plus soueve que le basme
Peut, divine, animer un esprit qui se pâme.
Donnons encore un coup la charge à ce flacon :
Tant plus j'en bois souvent, plus il me semble bon.
Quand je vois ce rubis pétiller dans la tasse,
Dont l'odeur porte au nez plus loin qu'un pied d'espace,
Le miel et l'hypocras n'est comme lui coulant,
La manne n'est au goût si douce en l'avalant. […]
Les baumes odorants que porte l'Arménie,
La Chine et les Moluques ne font telle harmonie
En nos corps, et ne sont si plaisants au goûter.
Si tous les dieux des Grecs avecques Jupiter,
Lorsqu'ils banquetaient tous à la céleste table
Et buvaient le nectar, si doux et délectable,
Eussent eu ce bon vin, bon vin délicieux,
Ils eussent pour l'avoir abandonné les Cieux ;
Et, pour trinquer d'autant si douce malvoisie,
Ils eussent jeté là nectar et ambroisie.
Que béni sois-tu donc, baume, nectar divin,
Qu'immortel soit ton nom, ton honneur, ô bon vin !
[…]

 

3 décembre 2024, en partenariat avec le Cercil, Musée-Mémorial des enfants du Vel d'Hiv
présentation par Léa VEINSTEIN de son ouvrage
J'irai chercher Kafka, une enquête littéraire (Flammarion, 2024)

Léa Veinstein, documentariste à Arte-radio et France-Culture, est titulaire d'une thèse de philosophie : Les philosophes lisent Kafka (2019). Sous la forme d'un entretien mené par Julien Leclerc, du Cercil, elle a présenté son livre J'irai chercher Kafka, une enquête littéraire (Flammarion  2024), qui relate les troublantes et rocambolesques péripéties des manuscrits de Kafka.

Avant de mourir, en 1924, Kafka avait demandé à son ami écrivain Max Brod de brûler sans les lire tous ses écrits non publiés, c'est-à-dire à peu près la totalité de son œuvre. Convaincu qu'il y avait là un chef-d'œuvre du XXe siècle, Brod désobéit et se fit le passeur passionné de textes que nul n'aurait dû lire. En 1939, il sauva à nouveau les manuscrits promis à l'autodafé nazi en les emportant dans sa fuite en Palestine. Et bâtissant sa vision, il se fit architecte et parfois coauteur de ces textes épars. Dès la première édition du roman inachevé Le Procès, il façonna ainsi le mythe Kafka.

De son vivant les publications suivent leur cours, entrecoupées d'épisodes épiques – dispersion temporaire des manuscrits, comme en 1951 dans la crainte d'une guerre au Proche Orient. Mais les pérégrinations ne s'arrêtent pas là, car, après sa mort en 1968, des manuscrits, dont Le Procès, furent clandestinement vendus, à des fins lucratives, par sa secrétaire et légataire, à des collectionneurs privés et aux Archives nationales allemandes, intéressées par ce trésor écrit en allemand. Dernier acte, important vu les conséquences : à sa mort, en 2007, les nouveaux légataires sont sollicités par les instituts universitaires  israéliens et allemands pour restitution de l'héritage kafkaïen !

Commence alors un procès à deux volets de questionnement juridique. Un premier sur la notion de propriété privée (les légataires), mais s'agissant du patrimoine mondial, donc aussi et surtout propriété publique. Alors, entre les Allemands – surprise de la révélation des manuscrits vendus ! – et Israël se révèle un second volet de procédure, chacun revendiquant la propriété légitime de ce patrimoine, les uns arguant de l'écriture en langue allemande, à quoi s'ajoute le besoin d'inclure les Juifs dans la construction mémorielle, l'autre s'appuyant sur la judéité de Kafka, dont la famille a péri en tant que juive et sur le sauvetage rendu possible par l'existence d'Israël.

Sur la question de la judéité, L. Veinstein cite Kafka se questionnant : « Je suis l'écuyer sur deux chevaux. Non, je gis par terre ». En effet, à travers ce procès, une question s'impose : les manuscrits ont-ils leur place en Israël ? L. Veinstein développe quelques entrées sur cette œuvre prémonitoire du nazisme et sur le rapport de Kafka à la judéité. La biographie montre un Kafka partagé entre le regret de l'absence paternelle de transmission et des mouvements de rejet dans sa volonté de ne pas se laisser réduire, incluant le refus d'assignation à se définir comme juif. L'entrée politique est le Sionisme, mouvement naissant de gauche, se pensant comme le moteur d'un renouveau du judaïsme, argument prôné par Israël qui s'appuie sur l'apprentissage de l'hébreu et son projet d'aller en Palestine. Mais l'entrée la plus juste, pour L. Veinstein citant Marthe Robert, est celle des textes : « Toute l'œuvre parle du judaïsme et des Juifs sans que les mots soient jamais prononcés ». Après quinze ans d'imbroglios juridiques et de questionnements éthiques, tous les manuscrits furent confiés à la Bibliothèque Nationale d'Israël en 2019, conformément à la volonté de Max Brod.

Émouvante par le sujet, la conférence l'est aussi par la démarche de l'auteure, dont elle révèle la face intime en lien avec la question sur le choix du titre. J'irai chercher Kafka lui révéla aussi le désir de combler le vide du dialogue impossible avec un père silencieux, grand lecteur de Kafka dont le portrait dans le bureau paternel la fascinait enfant. Une nécessité bouleversante la poussait à se confronter aux lieux et aux acteurs passés et présents du roman « kafkaïen » que fut le sauvetage et l'édition des manuscrits et de croiser cette œuvre de l'histoire contemporaine avec sa propre histoire. « Il fallait que j'aille chercher Kafka. »

C. Spenlé-Calmon


Léa Veinstein a consacré sa thèse à Kafka : Les philosophes lisent Kafka. Benjamin, Anders, Arendt, Adorno (2019). Puis elle s'est intéressée au sort de ses manuscrits, que Max Brod avait conservés, en dépit de la volonté du philosophe qui lui avait demandé de les détruire. Elle a découvert que Max Brod, fuyant les autodafés nazis, avait pu les mettre dans une valise, quitter Prague et rejoindre Tel-Aviv (alors en Palestine). Là, ils avaient été cachés, après 2007, chez une vieille dame, Eva Hoffe, dans un appartement envahi par des cafards et des chats. Revendus ensuite en Allemagne, aux États-Unis, scellés dans des coffres en Suisse, ils ont fait, pendant près de 50 ans ans, l'objet de procès "kafkaïens", à l'issue desquels ils ont tous été rassemblés à la Bibliothèque nationale de Jérusalem.
C'est là que Léa Veinstein a pu les étudier, afin de vérifier la validité des textes publiés (et parfois arrangés) par Max Brod. Mais, dit-elle, "arrivée là-bas, je me suis retrouvée dans un univers tellement habité par Kafka que j'ai vite eu le sentiment d'être comme le personnage d'un roman qu'il aurait écrit après sa mort !"
Elle y a découvert, en particulier, les cahiers qui montrent que Kafka, dans ses dernières années, avait voulu apprendre l'hébreu, ce qui semble révéler qu'il avait eu le projet d'émigrer en Palestine, projet partagé par de nombreux intellectuels des cercles sionistes de l'intelligentsia de gauche à Prague. Mais, commente Léa Veinstein, "Kafka eut aussi des mouvements de recul, voire de dégoût, à l'égard du sionisme, et même du judaïsme ; ce n'est à aucun moment pour lui une identité claire ou transparente, c'est un conflit perpétuel". (Le Monde du 30 mai 2024)
Cette histoire rocambolesque des manuscrits est racontée dans l'ouvrage J'irai chercher Kafka, une enquête littéraire (Flammarion, mars 2024, 21 €). Puis elle a été adaptée dans un feuilleton pour un podcast de France-Culture (5 x 28 min.) où l'on entend des comédiens prêtant leur voix à Léa Veinstein, à Franz Kafka, à Max Brod… sur une musique de Louise Perret.

 

En novembre et mars, en partenariat avec le département Lettres de l'Université d'Orléans

MÉDÉE au théâtre, au cinéma, dans le roman et la bande dessinée

18 novembre 2024
Medea, tragédie de Sénèque, adaptée en théâtre nō par la troupe Sangaku
20 novembre 2024
Médée, film de Pier Paolo Pasolini, avec Maria Callas (1969)
3 mars 2025
Médée en bande dessinée, conférence par Blandine Le Callet et Nancy Peña
6 mars 2025
La réécriture de Médée dans "La Lionne" de Mishima, conférence par Luciana Cardi


De l'Antiquité gréco-latine nous avons conservé la Médée d'Euripide et celle de Sénèque (celle d'Ovide est perdue). Parmi les nombreuses adaptations, on peut citer celles de Jean de La Péruse (1555), Pierre Corneille (1635), Thomas Corneille (1693), Bernard de Longepierre (1694), Ernest Legouvé (1854), Hippolyte Lucas (1855), Jean Anouilh (1946). Le thème a été mis en musique par Marc-Antoine Charpentier (1693) et Luigi Maria Cherubini (1797).


LA VIE AVENTUREUSE DE MÉDÉE

Médée de Colchos au Latium (complice de Jason, elle tue son jeune frère Apsyrtos)
En Colchide (Géorgie actuelle), Médée – petite-fille d'Hélios (le Soleil) et nièce de la magicienne Circé – était la fille du roi Aeétès et de la magicienne Hécate. Elle reprochait à son père de faire mettre à mort tous les étrangers qui abordaient dans son pays; excédé, Aeétès la fit enfermer, mais, grâce aux dons hérités de sa mère, elle se libéra facilement.
C'est alors qu'elle entra en contact avec les marins d'un navire, l'Argo, qui avait abordé à Colchos. Conduits par Jason, ces "Argonautes" venaient de Iolcos (en Thessalie) pour s'emparer de la toison (une toison de bélier en or) qu'Aeétès avait consacrée à Arès. En effet son oncle Pélias avait dit à Jason qu'il ne lui rendrait le pouvoir qu'à la condition qu'il rapporte cette toison, qu'il savait inaccessible, car gardée par un dragon.
Dès son son arrivée en Colchide, Jason rencontra le roi Aeétès. Celui-ci accepta de lui laisser prendre la toison à condition qu'il sorte vainqueur d'une épreuve : il devrait imposer le joug à deux taureaux monstrueux, puis les atteler pour labourer un champ et y semer les dents d'un dragon d'où naîtraient des hommes armés qui chercheraient à le tuer. Médée vit là l'occasion d'échapper à son père et, en échange d'une promesse de mariage, elle proposa à Jason de l'aider à triompher de l'épreuve; il accepta. Il put ainsi dompter les taureaux, échapper aux hommes armés, et finalement endormir le dragon. Muni de la toison d'or, Jason s'embarqua aussitôt en compagnie de Médée.
Mais il s'aperçurent vite qu'un navire, avec le roi Aeétès, les poursuivait. Médée, ayant prévu cela, avait pris avec elle son jeune frère Apsyrtos : elle le tua et le découpa en plusieurs morceaux, qu'elle jeta dans la mer. Aeétès perdit du temps à les récupérer. L'Argo put ainsi lui échapper, traverser le Pont-Euxin, puis, utilisant le cours du Danube, du Pô et du Rhône, passer du Pont-Euxin en Méditerranée pour aller aborder au sud du Latium, dans l'île d'Aeanea, le royaume de Circé. Là, la magicienne qui purifia sa nièce du meurtre de son frère Apsyrtos, mais refusa de rencontrer Jason.

Médée de Corcyre à Iolcos (elle se donne à Jason pour ne pas retourner chez son père)
L'Argo continua vers le sud, passa le détroit de Messine et arriva à Corcyre (Corfou), au pays des Phéaciens dont Alcinoos était le roi. C'est alors que se présenta un groupe de Colchidiens, envoyés par Aeétès, qui demandèret au roi de leur livrer Médée. Alcinoos leur répondit qu'il ne la livrerait que si elle était encore vierge. De fait, elle l'était encore; mais la reine Arétè prévint Médée et, dans une grotte, Jason s'empressa de faire ce qu'il fallait pour que les Corcidiens renoncent à leur projet. Ils devaient ensuite avoir plusieurs enfants.
L'Argo quitta Corcyre et une tempête les jeta sur la côte de Libye. Puis ils allèrent jusqu'en Crête où les pouvoirs de Médée leur permirent d'échapper au géant Talos. Enfin, guidés par Apollon, ils purent retrouver Iolcos et rendre la toison à Pélias.

Médée se venge : de Pélias (en le faisant bouillir), de Glaucè et de Créon (en les faisant brûler) et de Jason (en tuant ses enfants)
Médée décida de punir celui qu'elle considérait comme un usurpateur. Pour cela, elle persuada aux filles de Pélias qu'elle pouvait rajeunir n'importe quel être vivant en le dépeçant et en faisant bouillir les morceaux dans un grand chaudon où elle avait versé une composition magique. Les filles lui firent confiance, et c'est ainsi que mourut Pélias.
Acaste, le fils de Pélias, chassa immédiatement de son royaume Jason et Médée. Ils allèrent s'installer à Corinthe, chez le roi Créon. Celui-ci avait une fille, Glaucé : il proposa à Jason de l'épouser. Jason accepta et répudia Médée. Celle-ci ne tarda pas à se venger : elle offrit à sa rivale une robe et des parures qu'elle avait trempées dans du poison. Dès que Glaucè les mit, des flammes la brûlèrent, ainsi que Créon et tout le palais. Puis Médée alla dans le temple d'Hèra pour y tuer les enfants qu'elle avait eus de Jason.

La fin des aventures de Médée (elle se marie à Athènes et son fils redonne le pouvoir à son grand-père)
Alors, pour lui pemettre de fuir, le Soleil, son grand-père, mit à sa disposition un char attelé de chevaux ailés qui la transporta jusqu'à Athènes. Là elle épousa le roi Égée, dont elle eut un fils, Médos. Mais l'arrivée de Thésée l'obliga à fuir, avec Médos, jusqu'en Asie. Enfin elle revint à Colchos, où elle vit que son père Aeétès avait été dépossédé du trône par son frère Persès. Alors Médée engagea Médos à tuer l'usurpateur


LE THÉÂTRE NO

Le nô a été introduit au XIVe siècle à la cour de l'empereur Ashikaga Yoshimitsu à Kyôto. Cet art scénique intègre chant, musique et danse. Il a été ensuite considéré comme cérémonial et son répertoire a été fixé selon des règles rigides. Il a connu un renouveau, consacré par la construction à Tokyo du Théâtre National de Nô en 1989 et par sa reconnaissance comme patrimoine immatériel de l'humanité en 2008.
Basil Hall Chamberlain, en 1890, regardant un spectacle de n?, s'imagina voir une tragédie grecque : "Le résultat fut quelque chose qui ressemblait de façon frappante à l'ancien drame grec. Il y avait le même chœur, la même attitude des acteurs qui étaient souvent masqués. Il y avait la même position assise en plein air, la même atmosphère quasi-religieuse qui pénétrait le tout."
Alors que des anciennes tragédies nous avons presque tout perdu, en tant qu'art visuel et musical, le nô permet de combler un manque et de retrouver les masques, les danses et les musiques disparues. Comme la tragédie ancienne, le n? est une performance musicale. La musique interagit de façon codifiée avec les mots et les gestes de l'acteur. Les réalisations vocales de l'acteur sont multiples. L'enchaînement de ses modes de diction varie suivant des codes stricts : tantôt c'est le chœur, tantôt c'est l'acteur qui chante, tantôt ils interagissent. Le nô est un art non réaliste : l'acteur n'incarne pas une psychologie mais incorpore un répertoire de gestes. Le visage couvert d'un masque peint, portant un large costume de soie colorée, l'acteur masqué offre une présentation stylisée des passions. Comme une marionnette tirée par les fils invisibles du chant et de la musique, l'acteur danse. Par des mouvements précis et calculés de la tête, par des gestes pesés où chaque détail compte – posture, vitesse, direction – le masque prend vie. Le masque ne cache pas. Il exprime l'essence des émotions. Le chœur dans la tragédie ancienne est souvent l'un des éléments les plus difficiles à mettre en scène. Le nô aide à penser le chœur non comme personnages mais comme récitants. Assis sur le côté de la scène, le groupe de chanteurs du nô n'agit que par leur voix. Il narre, décrit et prend le relais de la voix de l'acteur. Cela fournit la structure narrative, vocale et musicale sur laquelle vient se caler le jeu du protagoniste.


MEDEA, FILM DE PIER PAOLO PASOLINI

C'est une adaptation très libre de la tragédie d'Euripide avec l'utilisation, dans sa première moitié, de manière fragmentaire, des motifs de la légende des Argonautes. En fait, Il s'agissait moins, pour Pasolini, d'adapter le mythe antique que de reprendre les thèmes de l'ethnologie et de l'anthropologie que l'on trouve dans les ouvrages de Mircea Eliade, James Frazer ou Lévy-Bruhl. Avec Médée (interprétée par une chanteuse qui ne chante pas, La Callas) et Jason (interprété par un sportif de haut niveau, Gentile), il veut opposer le sacré et le profane, le monde archaïque (avec ses valeurs mythiques et sacrées) et le monde moderne (rationnel, matérialiste, pragmatique). Pasolini a écrit : « Médée est la confrontation de l'univers archaïque et sacerdotal avec le monde de Jason, un monde rationnel et pragmatique. Jason est le héros contemporain qui a non seulement perdu le sens de la métaphysique, mais qui ne se pose même plus de questions de ce genre. Il est le "technicien" sans volonté, dont les aspirations servent exclusivement le succès. » Et il fait dire au Centaure : «"Le sacré se maintient à côté du nouveau profane. Même si la logique du sacré est si différente de celle de notre monde que nous ne pouvons plus la comprendre, rien ne l'empêchera d'éveiller en toi des sentiments, des sentiments au-delà de tes réflexions et de tes interprétations."
Pasolini, qui déplore la perte des traditions et des valeurs mythiques et sacrées, a suggéré que son film « pourrait tout aussi bien être l'histoire d'un peuple du tiers-monde, d'un peuple africain, qui vit la même catastrophe, car il entre en contact avec la civilisation matérialiste occidentale ». De fait, devant la destruction, par les pays industrialisés, de leur culture, les pays du tiers-monde n'ont plus qu'à postuler le droit à la résistance, ne serait-ce que celui à l'autodestruction, comme le fait finalement Médée dans son désespoir.
Le film est difficile à appréhender, par sa construction, par son style, par ses musiques, par sa technique, par sa recherche d'un langage "qui mette en crise l'homme moyen ou le spectateur moyen dans son rapport au langage des mass media". Et, lucide, Pasolini conclut : "En réaction à la culture de masse je fais des films plus difficiles, inconsommables". De fait, le film a été un fiasco commercial.
Olivier Père a écrit : "Pasolini relit le mythe de Médée, en le plongeant dans un passé anhistorique et barbare qu'il fait crouler sous les somptueux ornements folkloriques, musicaux et vestimentaires des civilisations anciennes d'Afrique et d'Orient. Pasolini invente un cinéma de poésie qui fuit la médiocrité prosaïque de l'Italie moderne et de la société matérialiste. C'est un cinéma à la fois magique et dialectique du retour aux sources de l'art, du mythe, de l'homme, des racines culturelles et intimes."


MÉDÉE EN BANDE DESSINÉE

Agrégée de Lettres classiques, Blandine Le Callet est maîtresse de conférences à l'Université Paris-Créteil. Latiniste, elle a publié Rome et ses monstres (2005), Carmina veneficarum, charmes de sorcières (Belles-Lettres, 2021) et une traduction des Tragédies de Sénèque (2022). Elle s'est fait connaître par deux romans et un recueil de nouvelles : Une pièce montée (2006), roman adapté au cinéma par Denys Granier-Deferre, La Ballade de Lila K (2010) et Dix rêves de pierre (2013).
En 2022, elle était venue nous présenter l'essai qu'elle a publié en 2018 : Le monde antique de Herry Potter (encyclopédie illustrée par Valentine Le Callet).
Elle a écrit le scénario d'une bande dessinée, Médée, en quatre volumes parus sous les titres L'Ombre d'Hécate, Le Couteau dans la plaie, l'Épouse barbare, La Chair et le Sang. Les dessins sont de Nancy Peña, qui, avec Blandine Le Callet, a évoqué leur collaboration dans l'écriture de la bande-dessinée ainsi que leur réinterprétation du mythe.
Qui Médée était-elle vraiment ? Une mère aimante et une amoureuse assumant ses désirs, que sa passion finit par égarer ? Une femme libre refusant la tyrannie des hommes ? Une barbare venue semer la confusion dans le monde civilisé des Grecs ? Une sorcière redoutable, maîtresse de forces occultes ? Un monstre, tout simplement ? Par delà calomnies, et déformations infligées par le temps, Médée raconte sa véritable histoire, depuis les jardins luxuriants de son enfance en Colchide jusqu'à l'île mystérieuse d'où elle livre son ultime confession et purge à jamais le geste inhumain et impardonnable d'avoir tué ses deux fils.


"LA LIONNE", ADAPTATION DE MÉDÉE PAR MISHIMA

Shigeko Kawasaki, issue d'une famille riche et raffinée de Tokyo, a épousé, contre la volonté de son frère et de son père, Hisao, un colon japonais qui a passé la majeure partie de sa vie en Mandchourie (alors colonie japonaise depuis 1931). Ils se sont installés en Mandchourie et ont eu un fils, Chikao. Quand, en 1945, à la fin de la guerre, l'armée russe est arrivée en Mandchourie, ils se sont refugiés à Tokyo.
Shigeko protège Hisao de la critique de sa famille en accusant son propre frère d'être un espion, un acte qui avait conduit à la mort de son frère, tué par les Russes. À Tokyo, Hisao avait commencé une liaison avec Tsuneko, la fille de Keisuke Kikuchi (chef d'une société de distribution du cinéma américain). En réalité, Keisuke et sa fille Tsuneko sont des arrivistes qui veulent s'enrichir en travaillant avec les occupants américains.
Hisao veut divorcer de Shigeko, prendre son argent et sa maison (qu'il a obtenue en l'épousant), épouser Tsuneko et prendre avec lui son fils Chikao. Ainsi Shigeko se retrouvera sans domiicile, sans argent et sans son fils. Elle confie l'infidélité de son mari au commandant américain Aigeus, qui lui propose de l'accueillir en Amérique.
Finalement, pour se venger, elle envoie une bouteille de wisky empoisonné à Tsuneko, au père de Tsuneko et elle étrangle son propre fils. Mais elle oppose un refus à Hisao qui la supplie de le tuer.
Shigeko est Médée, Hisao est Jason, Tsuneko est Glaucè, Aigeus est Égée.

Résumé de la nouvelle sur le site : https://odysseum.eduscol.education.fr/medee-tokyo

En avril, en partenariat avec le cinéma "Les Carmes"

FESTIVAL "PEPLUM"

GOLGOTHA DE JULIEN DUVIVIER (1935)
Le film évoque la Passion du Christ depuis son arrivée à Jérusalem jusqu'à sa Résurrection et son Ascension. Robert Le Vigan incarne Jésus, Jean Gabin est Ponce Pilate, Edwige Feuillère son épouse Claudia Procula.

ULYSSE DE MARIO CAMERINI (1954)
Le voyage de retour d'Ulysse est retardé par le cyclope Polyphène, la magicienne Circé, puis par les Sirènes, pendant que, à Ithaque, son épouse Pénélope doit ruser pour faire échouer le dessein des prétendants qui veulent s'emparer du trône. Kirk Douglas est Ulysse, Silvana Mangano joue à la fois Circé et Pénélope, Anthony Quinn est le prétendant Antinoos.

SPARTACUS DE STANLEY KUBRICK (1960), d'après un roman de Howard Fast.
Spartacus est un esclave thrace qui, dans l'école de Lentulus Batiatus, a été initié au métier de gladiateur par l'entraîneur Marcellus. Écoeuré par le comportement de ce Marcellus, il le tue et prend la tête d'une révolte des gladiateurs qui se réfugient sur les flancs du Vésuve. Mais ils sont vaincus par l'armée de Crassus et Spartacus est fait prisonnier avec Antoninus. Les esclaves révoltés sont crucifiés sur la voie Appienne. Spartacus, après l'avoir emporté contre Antoninus dans un duel auquel il a été contraint, est lui aussi crucifié. Alors qu'il agonise, passe Varinia, une esclave à laquelle il a fait un enfant. Avant de s'éloigner, elle lui montre son fils en lui disant qu'il sera, lui, un citoyen libre. – Kirk Douglas est Spartacus, Laurence Olivier est Crassus, Peter Ustinov est Lentulus Batiatus, Jean Sommons est Varinia.

LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN D'ANTHONY MANN (1964)
Ce sont les derniers moments du règne de Marc Aurèle et les débuts de son fils Commode, alors que l'Empire romain est au seuil d'une crise politique, sociale, économique et militaire. – Alec Guinness est Marc Aurèle, Sophia Loren est sa fille Lucilla.



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